LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA MARCHE BRUME


 Dans le 159e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Le souffle des choses, premier tome de la série La marche brume que l'on doit à Stéphane Fert et qui est édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l'album Shiki, 4 saisons au Japon que l'on doit à Rosalie Stroesser et aux éditions Virages graphiques

- La sortie de l'album La loi des probabilités, titre que l'on doit au scénario de Pascal Rabaté, au dessin de François Ravard et c'est édité chez Futuropolis

- La sortie de l'album Tous ensemble !, album que l'on doit au scénario de Kris, au dessin conjoint d'Arnaud Michalak et Juliette Laude ainsi qu'aux éditions Delcourt

- La sortie de l'album Au nom du fils, sous-titré Dans l'enfer de la prison de San Pedro que l'on doit au scénario conjoint de Jean-Blaise et sa fille Pauline Djian, au dessin de Sébastien Corbet et c'est édité chez Rue de Sèvres

- La sortie de l'album Le seul endroit que l'on doit au scénario de Séverine Vidal, au dessin Marion Cluzel et c'est édité chez Glénat

- La sortie de l'album collector pour les 77 ans du journal Tintin, album collector que signent de nombreuses plumes et des dessinateurs de renom et qu'édite Le Lombard





RIP : LE TOME 6 POUR CONCLURE (EUGENE - TOUTES LES BONNES CHOSES ONT UNE FIN)


 RIP, 3 lettres en forme d'hommage, une manière pour souhaiter au défunt de reposer en paix. Sauf que cette série très particulière et qui est devenue (au fil des tomes) un réel succès est beaucoup plus sarcastique et désenchantée que cela. On ne parlera pas de "héros" par exemple, mais plutôt de personnages paumés, une sorte de brigade hétéroclite dont la mission est de vider la demeure de tous ceux qui sont morts dans la solitude. La vie matérielle des défunts est ainsi emportée, classée, cataloguée et parfois les interventions sont terribles, puisque la mort peut avoir frappé depuis fort longtemps, au point qu'il ne reste plus qu'un cadavre momifié, ce qu'ils appellent les "collés', bien au-delà de la putréfaction et de la décomposition. Comme un leitmotiv des six tomes de la série, nous trouvons des insectes qui pullulent autour de la chair putréfiée, a commencer par les mouches, bien entendu. Chaque tome est consacré à un personnage en particulier, par exemple Derrick pour débuter, un type abandonné et malheureux en ménage, qui plonge dans une spirale infernale à partir du moment où il décide de dérober une bague (il l'avale) qu'il aurait normalement dû cataloguer comme le reste, sur son lieu de travail. En partant de cette mésaventure, ce larcin somme toute banal, RIP part ensuite dans de nombreuses directions assez surprenantes, principalement le polar classique et stratifié, mâtiné de récit social glaçant qui systématiquement se termine mal. Chaque album est divisé en petits chapitres qui s'annoncent avec une citation extraite de la littérature ou de la pop culture, qui vient mettre en lumière une étape de l'histoire, le plus clair du temps en apportant une touche très sombre à l'ensemble. Gaet's, le scénariste de cette série, est en fait Gaëtan Petit. Comme quoi, c'est tout de même pratique d'avoir un père qui est le directeur d'une maison d'édition en France. Cela dit, attention, ne croyez pas qu'il s'agit juste de népotisme gratuit ! En réalité, le travail du fiston est remarquable. Plus on avance dans le récit, plus on ouvre de nouveaux tiroirs et on est surpris par la manière avec laquelle des événements présents dans le premier tome sont par la suite retravaillés, élucidés ou au contraire, détournés de leur sens, pour jeter en lumière d'autres personnages ou ouvrir et baliser de nouvelles pistes. C'est un travail saisissant, quasiment vertigineux. Nous avions donc hâte de voir arriver le dernier tome, tout en redoutant de devoir saluer une fois pour toute la petite compagnie.




J'ai personnellement découvert RIP avec un peu de retard. Du coup, j'ai pu dévoré les six tomes en une douzaine de jours. Et on finit en beauté. Eugene, c'est le gros raciste bourrin qu'on se plait à détester. Toujours prêt à s'enflammer, en apparence sans la moindre once de jugeotte, un type paumé, frustré, pathétique. Comme tous les autres avant lui, le dernier album va illuminer son protagoniste de manière à le rendre plus attachant, ou en tous les cas crédibiliser sa position au sein d'un récit complexe, dont tous les petits détails en suspens (que ce soit une interrogation au sujet d'un comportement passé, ou d'un détail visuel qui peut vous avoir échappé) finissent par trouver une résolution. RIP s'attarde plus sur des destins cabossés, brisés par le hasard ou l'absurdité, que sur l'histoire en soi. Elle, elle nécessite un regard d'ensemble, une sextuple confrontation, pour se dévoiler complétement au lecteur. Julien Monier maintient un niveau qualitatif excellent depuis le début de la série. On flirte avec la grosse caricature, mais toujours avec une expressivité et une humanité dans les personnages, ce qui permet de parfaitement les différencier et de les rendre crédibles. L'emploi de la couleur est aussi très pertinente et permet d'alterner les ambiances et les enjeux de façon très intelligente. RIP c'est aussi une partie dialoguée de haute volée, qui embrasse la vulgarité sans rougir et trouve toujours le ton juste, même quand il s'agit de passages dramatiques ou "choquants". Toutes les bonnes choses ont une fin, récite le titre de ce sixième effort, et force est de constater que c'est une des meilleures productions françaises du XXI° siècle qui vient de trouver sa conclusion. Sans faute de parcours, sans hésitation ou baisse de régime. Un tour de force remarquable, chez Petit à Petit. 





PUNISHER TOME 3 : LA FIN DU PUNISHER (VRAIMENT ?)


 L'heure est peut-être arrivée de rendre des comptes. En tous les cas, Jason Aaron change à jamais le destin du Punisher. Le lecteur était au départ animé par un doute sincère : s'agissait-il d'une tentative de relancer la carrière de l'anti-héros Marvel par excellence, ou bien une manière discrète de l'enterrer une bonne fois pour toutes, pour faire taire des polémiques absurdes dont on a encore bien du mal aujourd'hui à cerner le sens véritable. Cela a commencé par une opération cosmétique, la modification d'un logo qui a fait la fortune du personnage et l'objet d'une récupération hors sujet, au profit d'un emblème cornu, assez désagréable au premier coup d'œil, qui nous démontre que oui, Frank Castle est désormais l'objet de la Main. Cette secte ninja pensait pouvoir faire de Frank son tueur en chef, une machine à disposition pour se débarrasser de ceux qui le méritent et de ceux qui gênent, tout simplement. C'était mal connaître le Punisher ! On le retrouve ici dans un affrontement invraisemblable contre Arès, le dieu de la guerre. Sur le papier, le match est vite plié. Seulement voilà, dorénavant le Punisher possède des pouvoirs mystiques qui lui ont été conférés par la Main et nous le découvrons donc presque comme un super-héros traditionnel, capable de recourir à des dons paranormaux. Cela s'est déjà fait dans le passé et ce fut un désastre. L'autre piste narrative très importante est la relation tendue entre Frank Castle et sa femme, Maria. Celle-ci est revenue à la vie mais elle a bien compris qu'elle ne reverra plus ses enfants, qu'on lui promet en permanence, sans jamais lui montrer. Quant à l'amour qui unit les deux tourtereaux, il se transforme peu à peu en défiance, voire en rejet, au risque d'un final cataclysmique.




C'est un jeu de massacre au personnage, au sens propre comme au sens figuré. Au singulier comme au pluriel. Non seulement le Punisher affronte Arès, mais Daredevil également se mêle aux aventures de Frank Castle. Pire encore, les Avengers. Et finalement, ce qu'il faut lire entre les lignes, c'est bien que c'est Marvel, plus encore que les héros de l'univers Marvel, qui semble s'être ligué contre celui qui expédie ad patres les criminels de manière un peu expéditive. Evidemment, nous n'allons pas vous gâcher la surprise de la fin de cette longue aventure en douze parties, mais sachez que la solution finale qui est retenue par Aaron présente deux défauts majeurs. Le premier, c'est bien évidemment de ne pas choisir et d'utiliser un de ces subterfuges dont les super-héros semblent être les dépositaires presque exclusifs, pour ne pas se confronter à la réalité. La seconde chose qui cloche, c'est le sort réservé à la femme de Frank, Maria. En fait, elle aussi est une partie intrinsèque du personnage. Le Punisher ne peut pas naître si son épouse et ses enfants ne sont pas morts, aussi il était très important de voir comment le scénariste comptait gérer le contrecoup de son idée assez délirante, à savoir faire revenir l'épouse parmi les vivants. Notre conclusion est simple : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ou pour être plus précis, beaucoup de bruit pour une énorme erreur stratégique, clairement pilotée par une maison d'édition un peu trop embarrassée. Au moins, nous restons sur du bon côté dessins, puisque Jesus Saiz est toujours aussi appliqué, avec des planches toujours aussi spectaculaires, bien équilibrées par la partie réservée à Paul Azaceta, qui s'occupe de bribes du passé. J'ai bien conscience que cet avis n'engage que moi et que vous pourrez peut-être considérer cette aventure du Punisher comme une avancée majeure dans l'histoire du personnage, mais j'ai beaucoup plus la sensation qu'il s'agit d'un énorme coup de canif dans le contrat, qu'il sera bien difficile d'oublier par la suite.




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HITMAN DE GARTH ENNIS ET JOHN MCCREA CHEZ URBAN COMICS


Garth Ennis n'est pas le scénariste le plus subtil de l'histoire des comics. Vous l'appréciez probablement (ou vous le détestez, c'est selon) pour ses récits assez glauques, sombres et sarcastiques, où l'hémoglobine coule à flot, la vulgarité s'empare des dialogues et où les personnages se livrent aux pires turpitudes, pour le plus grand plaisir des lecteurs. En gros, Preacher, The Boys, c'est lui. L'heure est venue de découvrir Hitman, une série trop longtemps mise de côté. Urban comics vous la propose dans un format intégral, avec ce premier mastodonte de plus de 570 pages pour 39 €. Tout ça débute un ton en dessous des attentes avec le récit des origines du personnage : comment un certain Tommy Monaghan finit par acquérir des supers pouvoirs. Il est capable de lire dans vos pensées et dispose d'une sorte de vue à rayons X, ceci parce qu'il a été agressé par une entité extraterrestre, dans un annual de la série consacrée au démon Etrigan. Comme l'action se déroule à Gotham City, on découvre juste après un épisode de la série Batman Chronicles de 1989, histoire de crédibiliser un peu plus Hitman, en lui faisant croiser le fer avec le Chevalier Noir. Mais tout ceci ce n'est qu'une mise en bouche, une introduction pour ce qui va venir alors, qui est franchement bien plus intéressant et où Ennis va enfin donner libre cours à ce qu'il sait faire de mieux. La série régulière dont hérite Hitman va vous avoir à l'usure. On se laisse glisser peu à peu dans un quotidien qui a beaucoup à voir avec les autres titres de l'irlandais, déjà mentionnés. On y exalte des sentiments de franche camaraderie entre tueurs et losers qui se noient dans le whisky, on porte un regard très ironique sur le rôle et l'utilité du super-héros (l'apparition de Green Lantern Kyle Rainer, présenté comme un justicier plutôt rigide et pas très malin est savoureuse). Et aux dessins, John McCrea use de présences un peu caricaturales et monolithiques, à mi chemin entre Frank Miller et Tom Grindberg (que personnellement j'adore). Un style qui confirme qu'on peut se lâcher, rire, dédramatiser, que le super-héroïsme n'est pas au cœur du sujet. Hitman reste du comic book humain avant tout. 




Hitman (et donc Ennis) c'est l'apologie de l'amitié alternative. Dans la bande de joyeux drilles qui entourent Monaghan, on trouve ainsi Nat la Galure, l'ami d'enfance, mais également Ringo Chen (sérieux concurrent au titre de meilleure gâchette), le patron de bar Noonan, Tiegel, l'inspectrice de police récusée qui se rapproche dangereusement de Tommy, sans oublier Hacken ou les membres déjantés de la Section 8, qui n'est pas un groupe de rap mais bien une association super-héroïque improbable menée par un soifard de première catégorie, Six Pack. En tout, ce sont 61 épisodes (et quelques spéciaux) qui permettent de peu à peu se familiariser avec des perdants flamboyants, des types prêts à se lancer dans des missions périlleuses et improbables pour un contrat juteux (genre, une invasion de poissons zombie provoquée par un savant fou). L'essentiel de la bonté de ce comic book, ce sont les situations cocasses et délirantes, les joutes verbales et les réactions forcément outrancières des personnages, que McCrea dépeint avec talent et la juste distanciation au réel. On démarre avec un tour dans l'asile d'Arkham, histoire d'aller placer une balle dans la tête du Joker (et Tommy ne comprend pas pourquoi cela n'a pas été fait avant), avant de se retrouver face à des créatures démoniaques (les Arkanonnes) qui emploient leur propre main d'œuvre satanique pour se débarrasser de Hitman. On pourrait penser que tout ceci se déroule hors continuité, devant l'impossibilité relative de faire agir le reste de l'univers DC dans cette grande pantalonnade qui défouraille sévère. On se tromperait. Les événements majeurs de l'univers DC sont évoqués et d'autres personnages pointent le bout de leur nez, comme la belle Catwoman, à l'époque dans son costume mauve ultra moulant. Buddy movie à la Tarantino, Hitman ne s'embarrasse pas de la vraisemblance pour ce qui est des situations ou de leurs représentations (McCrea choisit clairement le grotesque et semble de moquer des proportions et du "dessin pur et joli") mais trouve tout de même sa place dans la grande tapisserie de la Distinguée Concurrence. Témoignage d'une époque où le politiquement correct s'arrêtait encore aux portes d'un bar irlandais et où des anti-héros de seconde zone damaient le pion aux types en spandex, régulièrement invités et ridiculisés. Rien que pour ça, Hitman devrait vous tendre les bras… 


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ZONE ROUGE POUR LES AVENGERS EN MUST HAVE CHEZ PANINI




 Aujourd'hui on fait un petit saut d'une presque vingtaine d'années en arrière, pour aller retrouver les Avengers de Geoff Johns, avant que ce dernier ne parte faire le bonheur de DC Comics, dont il a refaçonné de bien des manières l'univers narratif. Zone Rouge, où déjà le nom vous donne un indice du grand méchant de l'histoire… Dans cet album qui rejoint la collection Must Have de Panini, il ne fait pas bon aller faire un tour du coté du Mont Rushmore… Une mystérieuse substance rouge, une sorte de gaz ultra toxique, se répand et sème la mort de manière inexorable. Voilà pour le pitch, résumé en une seule petite phrase, de cette saga des Vengeurs que lecteur découvre articulés autour de Captain America et Iron Man, avec la Panthère Noire, mais aussi Vision, et des recrues moins "performantes" comme le Valet de Cœur, Miss Hulk, Warbird (Carol Danvers en phase de sevrage à l'alcool). Les Avengers sont présents sur les lieux pour tenter de percer le mystère et participer aux opérations sanitaires. On pense bien entendu à un acte terroriste, cela va de soi. Mais la réalité est toute autre. Sans vouloir vous gâcher la surprise d'entrée, disons que les coupables ne sont pas ceux que l'on croit, et qu'il faut parfois donner un coup d'oeil chez soi, en haut lieu, pour se rendre compte de combien le monde est complexe et cruel. Cela dit, Johns recourt à un dernier artifice qui replace le mal, le vrai, au centre de la scène, avec un des grands ennemis historiques de Captain America, et de l'Amérique tout court, qui tombe le masque. Un indice : il est de la même couleur que la brume maléfique qui tue tout le monde dans son sillage. Un autre indice, cela fait des mois qu'il se cachait sous le masque du Ministre américain de la défense, un certain Dell Rusk. Si vous êtes fortiches en anagrammes et en américain, vous avez deviné. Et si vous n'avez pas compris, je ne sais plus quoi dire



Red Zone, c'est aussi l'occasion de voir à l'œuvre le fabulous frenchy Olivier Coipel, alors à ses premiers travaux pour Marvel. Et de constater qu'il avait déjà un sacré coup de crayon, probablement parfait pour ce type de saga mainstream et super-héroïque. Parmi les moments de bravoure, citons Miss-Hulk, qui finit par être contaminée par la brume rouge, qui se combine elle même avec son sang vicié par les rayons gammas. Du coup, elle sombre dans un accès de folie et perd un peu ses nerfs, ce qui sera le prétexte à un arc narratif juste ensuite, dessiné par Scott Kolins (A la recherche de Miss Hulk)… Ou encore les scènes à la Apocalypse Now, avec les hélicoptères de l'armée qui investissent le site, mais aussi les apparitions du Valet de Cœur, un personnage controversé qui faisait à l'époque partie du roster des Avengers. Une véritable bombe à retardement, qui menaçait d'exploser au visage des plus grands héros de la Terre. D'ailleurs, il a fini par le faire, et il y a eut des dégâts. Je terminerais en remarquant que ce story-arc est aussi la première grande manifestation moderne des pouvoirs déchaînés de la Sorcière Rouge. On se rend bien compte que la belle Wanda a tout pour passer directement en première division, sans jouer les barrages. Et on comprend mieux comment elle a pu, par la suite, prendre une telle ampleur et mettre au tapis les Avengers, au point d'être responsable de la dissolution du groupe, puis de la formation des New Avengers propres à Bendis. Cerise sur le gâteau, de petites dissensions minent les héros de l'intérieur, comme le passif entre Tony Stark et T'Challa (accusé d'être un espion au sein des Avengers), ou encore le gros contentieux entre Peter Gyrich, représentant du gouvernement, et Sam Wilson, le Faucon, qui lui laisse même l'empreinte de son poing droit en pleine mâchoire. Il ne s'agit bien sûr pas de la première publication en album de ce récit, mais le voir rejoindre la ligne Must Have est une décision logique et méritée, d'autant plus que nous fêtons les soixante ans du groupe !


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RECKLESS : DESCENTE AUX ENFERS (CINQUIÈME AVENTURE POUR ETHAN RECKLESS)


 Depuis les toutes premières pages du premier tome de ce "polar", impossible de ne pas aimer ce personnage d'Ethan Reckless. Qui n'est pas un détective privé pour autant : il accepte régulièrement des missions qui peuvent s'avérer périlleuses et au cours desquelles son sens inné de l'enquête et des mécanismes humains fait merveille. C'est un peu un paumé, à sa façon; il vit dans les marges mais il est surtout très attachant. Sa seule véritable amie et "collègue" s'appelle Anna et elle partage avec lui un cinéma désaffecté, qui leur sert de base d'opération. C'est elle qui était au centre du quatrième volume, durant lequel nous n'avions quasiment pas rencontré Ethan, occupé du côté de San Francisco, où il avait une affaire à régler. Il se trouve que cette affaire mystérieuse est justement le sujet de ce cinquième effort, qui sera aussi le dernier pour le moment, puisque les artistes Ed Brubaker et Sean Phillips ont décidé de marquer une petite pause. Soyez rassurés, il reviendront rapidement à ce qui est pour eux une nouvelle manière de présenter leur travail conjoint, c'est-à-dire des graphic novels à un rythme frénétique, cinq en un peu plus de deux ans, donc. Comme très souvent chez Brubaker, le récit va tourner autour d'une femme et c'est elle qui a le potentiel de faire accélérer les choses ou au contraire que tout s'écroule autour du ou des protagonistes. Ici, elle s'appelle Rachel. Elle semble avoir disparue et Reckless prend alors contact avec son petit ami. Il est mandaté par le père de la "fugueuse" pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer. En fouillant dans l'appartement du couple, il met la main sur un simple courrier, dissimulé dans les pages d'un livre, qui éclaire sa lanterne et va le mettre sur la piste de la demoiselle.




L'histoire personnelle de Rachel est à la fois poignante et terrifiante. Il est question d'abus sexuels et de violence, d'une jeunesse passée avec des hippies déglingués qui utilisent leur mode de vie libertaire comme une bonne excuse pour s'adonner aux pires vices, y compris le viol, donc. Une expérience traumatisante dont on ne se départit jamais vraiment, en tous les cas de quoi émouvoir et toucher Ethan, qui je le rappelle (pour les plus discrets qui ne connaissent pas la série) est habituellement coupé de l'essentiel de ses émotions, depuis un accident et une lourde commotion cérébrale. Cette fois, il se laisse peu à peu prendre au piège des sentiments et vous le savez, nous sommes chez Ed Brubaker : en gros, dès qu'un homme est attiré par une femme et qu'il commence à écouter la petite musique qui lui trotte dans la tête, le cœur ou les parties génitales, ça se finit toujours assez mal. Ici, il va être question d'une fratrie qui doit être châtiée et vous allez pouvoir embarquer dans un road trip du côté de San Francisco, à l'époque où la ville se remet lentement d'un terrible tremblement de terre. Excellente pioche côté dessins, nous sommes toujours au standard habituel de cette série qui n'en est pas une, c'est-à-dire que SeanPhillips imprime son style unique et poisseux à souhait à chaque page et que le fiston, Jacob, magnifie l'ensemble avec des couleurs volontairement décalées, qui peuvent parfois créer un effet de confusion mais qui correspondent parfaitement à cette ambiance californienne rétro, puisque il faut le rappeler, nous sommes à la fin des années 1980. D'ailleurs, les prochaines aventures de Reckless seront l'occasion d'une excursion dans la décennie suivante. Signalons enfin que cette cinquième histoire comprend un épilogue qui se situe vingt ans dans le futur et qui permet d'avoir un bref aperçu de ce que vont devenir les principaux personnages. On sent que Brubaker en a encore beaucoup sous le pied et que l'univers de Reckless a énormément de choses à nous offrir dans les prochaines années.



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LA BIBLIOTHÈQUE DE DANIEL CLOWES - TWENTIETH CENTURY EIGHTBALL


 Si vous pensez que l'Amérique et l'existence sont formidables, c'est tout simplement que vous n'avez pas lu les œuvres de Daniel Clowes, en particulier l'anthologie de récits courts publiés dans le comic book américain Eightball. Tout ce qui peut faire le charme, la légende, la réputation du rêve américain devient ici sujet à une introspection caustique et décapante, où l'ensemble de l'édifice est remis en question et tourné en dérision de manière parfois cruelle, d'autres fois poétique, souvent brillante. Le sport dans toute sa grandeur, comme le baseball, se prête ainsi à une déconstruction freudienne hilarante. Les écoles d'art et les courants artistiques modernes en prennent pour leur grade et derrière la vanité du propos et des attitudes, se cache un vide qui n'est pas que conceptuel, mais surtout existentiel. On pourrait penser que la sexualité est une manière de tromper l'ennui et que dans le plaisir se cache au moins une consolation à un quotidien routinier et mortifère… on se tromperait lourdement : à de nombreuses reprises, Clowes revient sur le sujet et démontre que les rapports hommes-femmes sont viciés par tout un tas de critères et qu'au bout du compte, que ce soit pour une brève histoire d'un soir ou pour vivre ensemble toute la vie, il n'y a rien à faire, si ce n'est contempler une sorte de néant. On peut d'ailleurs lire à un moment donné, dans une simple planche intitulée Renoncez, une phrase terrible. "Les histoires d'amour ne règlent rien... une diversion temporaire, au mieux un opiacé pour soulager la douleur, un impératif biologique semé d'embûches émotionnelles" Voilà, c'est un peu cela le ton global qui infuse dans ces pages; d'autant plus que les personnages (nous avons bien du mal à les appeler les "héros") sont la plupart du temps des marginaux, des paumés ou des caricatures.


Clowes se met en scène à de multiples reprises et prend un malin plaisir à remettre en cause la pertinence et la sincérité de ses autoportraits. Le regard qu'il porte sur sa propre personne ne peut jamais être totalement subjectif et il dépend toujours du message sous-jacent, ou tout bonnement de la mauvaise foi ou du désir de briller d'un artiste qui admet ses faiblesses, pour faire de cet aveu une qualité. C'est consubstantiel au genre humain, bien des intellectuels vivent de cette position pour étaler au grand jour une fausse modestie drapée dans les failles. C'est un peu ridicule, sur le fond, donc le terreau idéal pour les expérimentations de Clowes, qui trouve dans l'absurde et la quasi complète impossibilité de communiquer (pour être exact, de se faire comprendre) une matière à pervertir le sens des choses et des corps. Les personnages sont souvent croqués comme des caricatures libidineuses, grimaçantes, perdues, lunaires (le nouvel adjectif à la mode qu'on emploie quand on est à court de vocabulaire). Leur vie sociale est réduite à peau de chagrin, on en voit même qui "encule les mouches" ou se baladent avec un poisson sur le sexe. Il règne comme un parfum de dépression dans bien des histoires de ce volume, où le constat dressé est systématiquement celui d'une vanité totale, comme lorsque deux types discutent de la meilleure compagne, comment trouver la femme idéale pour un bout de chemin ensemble. Quel que soit le point de vue, rien ne peut fonctionner. Quand on parle, c'est en fait pour soi-même, l'interlocuteur n'est pas concerné par le monologue amer de l'individu qui se rend compte qu'il n'est personne et le restera probablement toujours, pris au piège d'une société où le rêve généralisé est d'être nécessairement quelqu'un, à défaut de se hisser au dessus des autres par la possession matérielle et les apparences. Le rire est fréquent, dérangeant, nécessaire, mais forcément triste. Nous sommes tous un peu Daniel Clowes et il faudra bien l'accepter… en lisant Eightball ? 




LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ROUGE SIGNAL

 Dans le 206e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Rouge signal, album que l’on doit à Laurie Agusti, un ouvrage publié chez 204...