Il est extrêmement difficile d'écrire aujourd'hui une histoire originale et intéressante qui mette en scène le Joker et Harley Quinn, tant les rapports entre les deux personnages ont été abordés sous de multiples points de vue, encore et encore, jusqu'à en dévorer la substantifique moelle. Alors, pour produire quelque chose d'inédit, la meilleure solution est de briser les codes établis et de s'affranchir totalement des versions que nous connaissons déjà, et surtout renoncer à la fameuse continuity. Kami Garcia a la chance de pouvoir proposer un album dans la collection du Black label de DC, autrement dit nul besoin de respecter ce qui s'est déjà déroulé et ce qui est prévu pour l'avenir; elle a la liberté totale d'inventer et de proposer un Joker et une Harley Quinn qui ne ressembleront en rien à ce que vous avez déjà lu. Par exemple, Harleen Quinzel est ici une profileuse au service de la police de Gotham, extrêmement douée, et elle a obtenu des résultats universitaires en psychologie et chirurgie tout simplement brillants, même si elle n'est pas connue pour toujours respecter les procédures dans le détail. De son côté, le Joker est un criminel qui a fait parlé de lui il y a quelques années, en assassinant notamment des hommes ayant tous eu des problèmes de violence paternelle (autrement dit des pères qui maltraitaient leurs enfants). Il a quelque peu disparu de la circulation mais il semblerait qu'il soit de retour, au grand dam des forces de police de la ville, qui sont bien désemparées devant de nouveaux meurtres. Il faut dire que ceux-ci sont particulièrement cruels et mis en scène d'une manière aussi spectaculaire que terrifiante, rappelant à chaque fois une œuvre d'art célèbre, comme par exemple l'Homme de Vitruve de Leonardo de Vinci ou bien la Vénus aux tiroirs de Salvador Dali. Il faut une compétence chirurgicale certaine pour arriver à ces compositions affreuses, où les corps sont démembrés et recousus, retravaillés pour ressembler à des statues ou des tableaux morbides. Le rôle de "Harley Quinn" est donc de comprendre qui est l'homme derrière ces atrocités, d'en dresser un portrait à travers sa manière d'agir, les indices qu'il peut laisser, non pas par négligence, mais les témoignages de son modus operandi, qui est tout aussi parlant qu'une trace d'ADN. Si l'album s'appelle Criminal Sanity, c'est aussi tout simplement parce que ce Joker là ne ressemble pas au dingo qui tue tout ce qui bouge, tout en poussant des gloussements hystériques, ou bien qui se balade avec un costume affublé d'une fleur géante à la boutonnière, qui vous asperge de son jet d'eau acide. Il s'agit au contraire d'un homme extrêmement préparé, méticuleux, qui ne laisse rien au hasard, et dont la terrible et inexorable motivation répond à une pratique pensée et maîtrisée. Bref, comme le dit la scénariste, un super prédateur, auquel les proies ne peuvent échapper.
Un Joker rajeuni, terrifiant de banalité en apparence, assez beau garçon ténébreux, mais dont le parcours familial et semé de drames sert de moteur, de déclencheur à une pulsion mortelle et égocentrée, nourrie par une absence totale d'empathie envers autrui. Tout est factice, construit, et ce Joker là (qui a d'ailleurs un nom, un prénom, un passé, tout est révélé) n'est pas le fils du chaos de Gotham, mais un artiste du mal, qu'il met en scène, jouant la surenchère pour occuper les feux des projecteurs. Harleen Quinzel a de son côté de très bonnes raisons personnelles de lui en vouloir, de préférer le voir mort que derrière les barreaux. Ses talents évidents font qu'elle est à la fois la meilleure arme du GCPD pour remonter jusqu'à lui, et dans le même temps, son pire ennemi. Elle prend une décision éminemment discutable (cet instant crucial dans le scénario, dont je ne partage pas la pertinence et la crédibilité) qui vient faire basculer le récit dans quelque chose d'autre, probablement moins précis et enlevé. C'est toujours la question éternelle, avec les comics américains, quand les méchants (ou parfois les héros eux-mêmes) sont aux prises directes avec le système judiciaire, carcéral, ou sécuritaire (les coups d'éclats au commissariat, au tribunal, en prison...). La vraisemblance se prend un atémi dans les cervicales, même si tout ce qui a précédé se voulait développé sous le sceau d'un certain pseudo réalisme. Là réside le point noir de ce Criminal Sanity, qui est pour le reste grandement réussi, car effrayant, vraiment. Le dessin n'y est pas pour rien, avec le choix de planches qui flirtent avec le photoréalisme, où tout est cliniquement présenté, des plis et des textures des habits, aux sentiments et réactions criants de vérité sur les visages des "acteurs". Mico Suayan réalise l'essentiel, c'est à dire les pages dans le présent, en noir et blanc sursaturé, alors que Mike Mayhew (prestation fugace ultraréaliste) et Jason Badower dépeignent les flash-backs en recourant à la couleur, ce qui est une inversion des codes attendus (le passé "éclaire" le présent?). L'album propose l'intégralité de la mini série en huit volets, y compris un numéro spécial composé des différentes pièces du dossier de Harleen (le dénommé "secret files") où la poésie des aquarelles de David Mack occupe quelques fiches. Malsaine et "moderne" dans son approche et son esthétique, cette sortie de fin d'été a le mérite d'être un vrai pas de côté dans la caractérisation des deux personnages phares. Sans avoir besoin de convoquer Batman et la ribambelle de justiciers bariolés de Gotham, dont l'existence n'est ici évoquée que par touches vagues et discrètes.
Le film https://frenchstreaming.video/ est en fait né de la façon dont les cinéastes
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