HAUNT : L'INTÉGRALE DU PETIT FRÈRE DE SPAWN CHEZ DELCOURT


 Tout semble séparer les deux frères Kilgore. Kurt est un agent secret, son existence est pleine de ces missions qu'il doit exécuter pour le compte de la mystérieuse "Agence" et il risque sa vie chaque jour sans que personne n'en sache rien. Daniel est prêtre. Un homme de foi un peu largué cependant, qui fréquente la même prostituée trois fois par semaine, et ne s'est jamais vraiment remis d'avoir perdu Amanda, son grand amour, qui lui a préféré le frérot. Leur destin à tous les deux bascule le jour où Kurt est assassiné, pour avoir participé à la mission de trop : censé récupérer un savant fou et ses formules, qui travaillait sur un programme de régénérescence cellulaire, il a finalement choisi, devant l'horreur des expériences dont il a été témoin, d'éliminer physiquement celui qu'il devait emporter. Le pire étant le calepin contenant les expériences du professeur Shillinger, qui suscite tant de convoitises, et qui a disparu. Des hommes de l'ombre sont prêts à tout pour mettre la main dessus, y compris à tuer. Daniel, le confesseur de son frère, est bien malgré lui une cible potentielle, tout comme Amanda, la compagne de Kurt. D'ailleurs deux gorilles armés ne tardent pas à pénétrer par effraction chez la demoiselle, et ouvrent le feu sur le prêtre qui y passait la nuit, pour veiller sur son ancienne flamme. Au grand dam des assassins potentiels, leur cible se transforme soudain en une effroyable créature recouverte d'une sorte de costume ectoplasmique, fusion improbable entre les deux frangins. Car si Kurt a disparu du nombre des vivants, il continue cependant de converser avec Daniel et peut désormais fusionner avec lui dans les moments de grand danger. C'est ainsi que nait "Haunt", la créature hantée, deux frères liés par un destin tragique, dans un seul corps, trait d'union entre un ectoplasme immatériel et une présence physique possédée.



Haunt, c'est bien sûr une création des studios McFarlane. Le célèbre canadien est d'ailleurs l'encreur des épisodes initiaux, et son style est reconnaissable entre tous, tant il transcende et assimile les crayonnés de Ryan Ottley (Invincible, pu Spider-Man). Les caractéristiques même du personnage sont équivoques : ce nouveau venu, dans les postures, le pouvoir (l'ectoplasme qui se projette et s'étend comme une toile d'araignée) et le costume, n'est pas sans rappeler Spidey (ou Venom) à la grande époque où le bon Todd gagnait ses galons de superstar du comic book, avant de s'envoler pour d'autres cieux, c'est à dire la création de la maison d'édition Image, et du désormais classique Spawn. Pour le récit en lui même, une autre grosse pointure participe à son élaboration : Robert Kirkman, l'homme dont tout le monde parle depuis que ses zombies ont affolé tous les chiffres de vente. Haunt est le type de série qui aurait allègrement dépassé les deux trois millions de copies vendues dès les premiers numéros, si nous étions encore à l'orée des nineties. Aujourd'hui, et bien qu'ayant réussi à trouver de suite son public et jouissant au départ d'une santé correcte, elle s'est finalement rangée bien sagement dans le rang, une bonne tête derrière son ainée (Spawn), avant de s'éclipser au bout de deux ans et demi. McFarlane voulait miser sur un relaunch plus gore et horrifique, puis finalement Haunt intègre l'univers de Spawn de manière définitive, comme en témoigne son apparition récente dans King Spawn, conséquence de l'extension du Spawn Universe (à découvrir chez Delcourt en 2022). Les premiers épisodes de Haunt procurent une lecture agréable et sans véritable temps mort, réussissant la prouesse d'instaurer un univers, des enjeux et une bonne dose de mystères, et cela en un nombre limité de planches. Entre un frère maudit qui se refuse de mourir (Kurt) et qui va pouvoir ainsi régler ses comptes avec un monde de l'espionnage qu'on devine forcément pourri et retors, et un autre dont l'existence bascule (Daniel) au point d'en perdre son unicité, mais d'y gagner un regain de vitalité et curieusement, d'espoir, Haunt n'invente rien de neuf mais garde toujours une narration musclée et sanguinolente qui a de quoi séduire pas mal d'inconditionnels, d'autant plus que la dream team alignée (Kirkman, McFarlane, Ottley, Capullo...) fait des envieux. De bonnes raisons, pour les retardaaires, de lorgner sur l'intégrale proposée par Delcourt!



 




FATALE : UNE INTÉGRALE IRRÉSISTIBLE CHEZ DELCOURT


(Femme) Fatale. Est-il besoin de l'ajout entre parenthèses pour entamer cet article? Probablement pas, mais autant mettre les choses au clair tout de suite. Nous avons là une des œuvres majeures d'Ed Brubaker, un de ces artistes qui peuvent prétendre au panthéon du genre, sans la moindre hésitation. Une carrière faite de récits sombres, policiers, le fameux noir polar, entrecoupés de travaux super-héroïques plus classiques en apparence, comme Captain America, par exemple. Et au sein de cette production merveilleuse, Fatale et ses 24 épisodes mérite une place toute particulière, pour son ambition, pour sa classe immense. Avec Fatale, le défi était un peu dingue, à savoir exposer une histoire d'horreur combinée à une réflexion sur la figure de la femme fatale classique, si commune dans le genre prisé par l'auteur. Brubaker explique qu'en cherchant à trouver sa voix, pour raconter un type d'histoire qui lui était alors complètement nouveau, il a paré au plus simple et a d'abord utilisé les outils avec lesquels il se sentait le plus à l'aise. C'est pourquoi Fatale commence avec des instants d'épouvante qui naissent d'une histoire criminelle, avec la rassurante et habituelle histoire d'amour vouée à l'échec. Avant les chemins de traverse, et le génie. La femme qui occupe le centre de la scène, c'est Jo, pour Josephine. Elle est belle, a un pouvoir incommensurable sur tous les hommes qui croisent son chemin; elle leur fait faire tout ce qu'elle désire. Un pouvoir qui est aussi une malédiction, car même quand elle n'a pas de visées particulières, le type d'en face finit tout de même par être subjugué, et l'attraction devenir malsaine, vénéneuse, voire mortelle. Pour ne rien arranger, une sorte de secte d'illuminés vaguement adorateurs de Cthulhu la recherche depuis bien longtemps, et impossible de s'en défaire, même quand après une longue période d'isolement et de relative tranquillité, les choses semblent se tasser...


On est plus habitué à lire du Brubaker qui donne dans le polar, le vrai, mais ici l'ambition était vraiment de tenter autre chose, d'aller dans d'autres directions, d'où la sensation très nette que le récit s'en va puiser chez Lovecraft de nombreuses thématiques, tous ces moments d'horreur où clairement le surnaturel prend le dessus. L'histoire peut débuter lorsque Nicolas Lash, l'homme autour de qui gravite la base de la série Fatale, dont il sert aussi de présence récurrente, assiste aux funérailles d'un ami de son père, un écrivain du nom de Dominic Raines. Il est chargé d'être son exécuteur testamentaire, et en fouillant un peu dans les vieux papiers, il met la main sur ce qui pourrait bien être un manuscrit de premier ordre, la copie inédite d'un premier roman jamais publié, et largement supérieur à tout ce qui l'a été par la suite. Mais Nicolas ne va pas avoir le temps de décider quoi faire avec cette trouvaille, puisque le voici pris en chasse par de mystérieux individus lourdement armés, et sauvé de manière inattendue par une étrange brune capiteuse. Toutefois le couple de fugitifs fait une belle embardée en voiture, et à son réveil le pauvre Nicolas n'a plus qu'une jambe. Ce qui ne l'empêchera pas de mener l'enquête, obsédé par l'image de Jo, cette captivante étrangère qui est rentrée et sortie aussi vite dans sa vie, pour la mettre sens dessus dessous, et qui apparemment, à en juger par d'anciennes photos de Dominic, a le don de traverser les ans sans vieillir! Le lecteur va pouvoir profiter de cette capacité à résister au passage du temps, avec une histoire qui se ramifie entre plusieurs décennies, et une "héroïne" traquée par un culte monstrueux, et qui sème partout autour d'elle passions dévorantes et destruction inéluctable. C'est la minutie, le travail d'orfèvre avec lequel Brubaker sème les indices, pour organiser une grande fresque organique et magnétique, qui force l'admiration, mais on doit également souligner l'entente parfaite avec le dessinateur Sean Phillips, dont le storytelling d'une clarté absolue contraste avec les ambiances poisseuses et les ombres peu rassurantes d'Elizabeth Breitweser et de Dave Stewart à la couleur. Glauque et ultra bien charpenté, Fatale est un des titres les plus intelligents de ces vingt dernières années, et le voir revenir dans une belle intégrale, avec un bon paquet de bonus (essais d'accompagnement, les couvertures, les croquis...) est une tentation à laquelle succomber! 







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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : SINGES


 Dans le 114e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Singes, quel genre d’animaux sommes-nous ? album que l’on doit à Aurel, édité chez Futuropolis. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album L’incroyable histoire des animaux que l’on doit à Karine-Lou Matignon pour le scénario, Olivier Martin pour le dessin et aux éditions Les Arènes BD

– La sortie de l’album La fiancée que l’on doit à Gwénaëlle Abolivier pour le scénario, Eddy Vaccaro pour le dessin et c’est édité chez Soleil dans la collection Noctambule

– La sortie de l’album Par la forêt que l’on doit à Anthony Pastor pour le scénario, à Jean-Christophe Chauzy pour le dessin et aux éditions Casterman

– La sortie de l’album Goldorak que l’on doit à Xavier Dorison pour le scénario, au dessin conjoint de Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo et c’est édité chez Kana

– La sortie du troisième tome de la Brigade Verhoeven intitulé Alex, série que l’on doit au roman de Pierre Lemaitre, scénariste par Pascal Bertho, dessinée par Yannick Corboz et éditée par Rue de Sèvres

– La sortie de l’Intégrale de L’homme étoilée qui en signe le scénario et le dessin et c’est éditée chez Calmann-Levy




JYLLAND TOME 2 : L'ILLUSION DU POUVOIR (CHEZ ANSPACH)


Jylland, c'est non seulement la meilleure série "Vikings" du moment mais c'est assurément notre coup de cœur de l'année 2021, pour ce qui est de la BD cartonnée au format franco-belge. Publiée chez Anspach, un éditeur belge dont le catalogue commence à avoir  fière allure, l'œuvre
 de Bruno De Roover et Przemyslaw Klosin séduit d'entrée, avec tout un ensemble de personnages particulièrement attachants et bien caractérisés, et une action qui ne connait pas de temps mort. Dans le premier tome nous avions assisté à l'ascension de Sten au rôle de chef viking de sa tribu; il était parvenu à se débarrasser de son frère, qui était l'héritier légitime après la mort du bon roi Magnulv, un père éclairé et juste, mais qui a eu l'audace le renoncer aux anciens dieux nordiques pour se convertir à la religion catholique. Un terrible affront qui a été exploité par le vile et perfide fils indigne, pour se débarrasser de tous ses adversaires. Dans le second volume nous le retrouvons donc sur le trône. Néanmoins, comme il va l'apprendre à ses dépens, l'ascension et l'accession au pouvoir sont peut-être une sinécure, par rapport à la difficulté de le conserver et de l'exercer, d'autant plus que les caisses du royaume sont totalement vides. Il y a bien le butin du dernier pillage qui pourrait permettre de payer les soldats, mais le problème c'est que Gavnar, le présumé fidèle homme de main, a caché le bien mal acquis, et malin est celui qui parviendra à mettre la main sur le précieux trésor! En l'absence d'une rémunération, l'armée commence à manifester un profond désaccord; Sten comprend qu'il n'a plus les rênes bien en main, la révolte frappe aux portes, d'autant plus que le nouveau souverain est un véritable tyran qui voit le mal partout. Il se comporte avec une cruauté sans égale, et exerce son pouvoir grâce à la peur et à la punition exemplaire, sans pour autant gagner le respect des autres. D'ailleurs le rapport avec sa propre mère va se détériorer jusqu'à un point de non-retour, sans parler de celle qui partage sa couche, la fille du plus sage conseiller du royaume, qui elle aussi devient un des rouages de la folie de Sten... ou devrait-on dire de son obsession, celle de voir le mal partout. Ce qui d'un côté le rend particulièrement antipathique, mais de l'autre lui permet d'avoir souvent un coup d'avance sur ses ennemis, et de se maintenir en place. 




On tient là un méchant de premier ordre, un type qu'il est de bon ton de détester. Sten, c'est un tyran, calculateur, froid, cruel. Rien en lui n'inspire la sympathie, et même quand il s'ouvre à la faiblesse, c'est pour vite puiser dans la colère et la fourberie les moyens de relever la tête, et d'atteindre ses sinistres objectifs. Et en même temps, on ne peut que reconnaître son talent à tenir la barre, même en pleine tempête, même quand on pense que c'est fini, la situation lui a échappé, ses hommes l'ont lâché. Et bien non, ni les cauchemars, ni les coulisses de la "politique" ne peuvent avoir raison (pour le moment?) de son ambition dévorante. Bruno De Roover tisse admirablement bien cette histoire, qui n'en finit plus de rebondir d'une surprise à l'autre, qui se délecte des complots, des trahisons, des gestes forts; un fonctionnement qui n'est pas sans rappeler le meilleur des séries tv. D'ailleurs tôt ou tard on s'imagine très bien Jylland être adapté à ce format si moderne. Przemyslaw Klosin continue lui de livrer un sans faute, avec des planches qui fourmillent de détails, qui savent allier le chaos et l'ordre, aller puiser dans la saleté et l'ignominie de quoi servir des planches pourtant splendides, avec des expressions faciales retranscrites à merveille, et une sens de la grandeur fatiguée, appelée aussi décadence, qui suinte majestueusement de son travail. Il y a une vraie évolution dans Jylland, un vrai thème qui traverse chacun des tomes, et permet d'étoffer un récit très intelligent et parcouru par une tension malsaine, et crédible. On ne le dira jamais assez, nous tenons là une bande dessinée indispensable, de celle que nous avons préférée en cette année 2021, depuis la toute première page. 

pour tout savoir du tome 1, cliquez donc sur la couverture !



VENOM LET THERE BE CARNAGE : TOUT SIMPLEMENT MAUVAIS


L'aventure de Venom sur grand écran nait probablement d'un équivoque qu'il est désormais trop tard pour corriger. L'existence même du personnage est due à Spider-Man; la rivalité, le ressenti qu'Eddie Brock éprouve envers Peter Parker sont le moteur de l'action, ce qui permet de crédibiliser la fusion entre un ancien journaliste et un symbiote extraterrestre, et les motivations qui vont suivre. Le grand problème au cinéma, c'est qu'il est impossible de mettre dans le même film (pour l'instant) Venom et le Tisseur. Question de droits, de division des personnages entre différents studios, bref les conséquences, il y a maintenant de nombreuses années de cela, de la revente en petits bouts du catalogue de la maison des idées, qui au départ n'était pas franchement convaincu de la réussite du projet cinématographique. Aujourd'hui on s'empresse de remettre toutes les billes dans le même sac, mais il est trop tard, certaines trouvailles n'étaient franchement pas bonnes, voir incongrues, et Venom fait particulièrement les frais de ces décisions hasardeuses. Ici nous nous retrouvons avec un second film tout aussi bancal que le premier. Tout d'abord bien difficile de cerner le ton. Si Venom est un personnage horrifique, qui passe son temps à demander à son hôte humain de dévorer de la cervelle, comme nous autres souhaitons ingurgiter un bout de pizza, l'échange prend surtout des allures de comédie. Le spectateur est assommé par une sorte de bromance humoristique entre le journaliste et la créature, à coup de blagues éculées ou d'interventions en complet décalage par rapport à ce qui serait attendu. Certes, cela peut fonctionner et parfois ça fait sourire, mais il y a une telle profusion, une telle insistance lourdingue qu'au bout du compte on finit par se lasser et trouver cela embarrassant. D'ailleurs Tom Hardy est très loin d'offrir là sa meilleure interprétation et probablement n'est-il impliqué dans le projet Venom que pour récupérer un cachet conséquent. Ce second volet souffre également d'une écriture clairement défaillante. Si on pouvait se réjouir à l'idée de retrouver un Cletus Kasady aussi
psychotique et dingue que dans les comics, et qui peut se targuer d'une vraie ressemblance physique, on est déconcerté par l'idée même qui traverse le film. Quelles sont ses véritables motivations? Un drame familial, une enfance totalement hiératique, expliquée de manière lourde et didactique au début du film, et puis plus grand-chose? Le voici en prison, dans le couloir de la mort, avec apparemment une seule idée en tête, se faire un ami de Brock. Pourquoi? Mystère, c'est ainsi. De même l'histoire sentimentale avec Shriek, la seule qui avait vu en lui un peu de potentiel quand il était encore gamin, n'offre absolument rien d'intéressant à se mettre sous la dent. Naomie Harris est particulièrement mauvaise dans ce rôle et le personnage n'offre rien en définitive, si ce n'est quelques cris de-ci de-là, dont on devine dès le départ qu'ils seront le talon d'achille de Carnage, qui est sensible à ce type de manifestation sonore. Aucune inspiration, aucun souffle, Let there be Carnage déroule en mode pilotage automatique, vers le grand mur du fond, qui se rapproche. 



Une des idées de ce film était de placer Woody Harrelson dans le rôle du grand méchant, et de capitaliser sur la carrière de l'acteur, mais le bon vieux Woody pense avant tout à cabotiner, à s'amuser comme il le peut, sans atteindre les sommets de fureur froide qu'il était légitime d'attendre. Carnage semble surpuissant, surdimensionné, au point même que Venom hésite à s'y frotter, et puis finalement non, une fois dans le feu de la bataille, ça passe, et le terrible psychopathe n'est qu'un symbiote de plus, avec des faiblesses pathétiques (l'amour...) et consubstantielles (les ondes sonores, ce qui donne l'opportunité ici de rejouer une des scènes célèbres de Amazing Spider-Man, avec la grande cloche de l'église). En réalité Let there be Carnage déroule sa trame sans jamais dévier, sans audace, sans coup de théâtre. Cletus et Eddie se rencontrent, échangent, Eddie et son symbiote se disputent comme un vieux couple et sont prétexte à de nombreux gags éculés, Eddie regrette son amour perdu qui a refait sa vie, Carnage arrive et tout le monde tape sur tout le monde. Point final. Et ça fait léger, résumé ainsi. 1 heure 28 (si on met de côté les crédits qui défilent interminablement) c'est assez peu, selon les standards modernes, et on ne s'en plaindra pas, tant il est clair, au bout d'un quart d'heure, qu'il ne faut rien espérer de passionnant d'un long métrage sans âme. Mêmes les clins d'œil aux comics, ou les pistes futures à explorer sont amenés comme le fromage en plein bœuf bourguignon. C'est ainsi qu'on comprend que Toxin sera le prochain symbiote à faire son apparition, mais c'est juste ébauché, le novice n'a pas la moindre chance de saisir quoi que ce soit, et c'est aussi vite vu, aussi vite oublié. Reste donc, comme seule et possible consolation, la scène post générique, qui sert de pont (allez, on ne spoile rien, tout le monde en parle depuis des jours, et il n'est pas encore trop tard pour abandonner la lecture de cet article, le cas échéant) entre les élucubrations de Andy Serkis et son Venom bâclé, et le prochain Spider-Man No way home, et le concept du multivers, qui ouvre grand la porte au meilleur et au pire, c'est à dire à la liberté de raconter tout et son contraire, selon l'envie du moment. Vous vous creusiez la tête pour savoir comment faire se rencontrer Venom et Spider-Man? Ne cherchez plus, la ficelle est grosse comme un câble d'amarrage, et votre patience va être récompensée. Pourquoi se casser la tête quand d'un coup de baguette magique, tout peut apparaître. Bref, partant de ce postulat, on peut aussi tirer un trait définitif sur cette double expérience vénomesque catastrophique, et voir ce que donnera le symbiote dans un tout autre contexte, et espérons le, avec un tout autre esprit.


 

GIANT SIZE SILVER SURFER : REQUIEM


Personne n'est éternel, pas même qui est habitué à sillonner le cosmos sur une planche de surf argentée, investi du pouvoir cosmique. Le Silver Surfer est un des êtres les plus nobles (et puissants) de l'univers Marvel, depuis son "sacrifice" utile pour sauver sa planète natale de Zenn-La, à savoir offrir ses bons et loyaux services à Galactus, quitte à lui désigner pour prochain repas des mondes qui n'ont rien demandé, eux. Dans cette aventure intitulée Requiem, le héraut le plus célèbre du dévoreur de planètes est atteint d’un mal incurable, d’une sorte de cancer qui s’étend sur sa peau argentée et ne lui laisse que quelques semaines à vivre. Le docteur Richards, des 4 Fantastiques n’y peut rien, ni aucune autre sommité scientifique. L’idée de départ est donc des plus simples : un être aux pouvoirs hors du commun se heurte à la plus banale des engeances mortelles, ce même cancer qui avait fini par terrasser Captain Marvel dans une autre œuvre de légende, déjà recensée sur nos colonnes virtuelles. Une histoire émouvante et adulte, qui met aux prises un grand héros sans peur et presque sans reproches, qui a toujours triomphé de toutes les épreuves, et qui doit fatalement se rendre à l’évidence : la maladie et la mort réclameront leur tribut, quoi qu’il dise ou fasse. De la rencontre avec Spiderman, pleine de retenue et d’émotions, au règlement d’un conflit entre deux races d’aliens si proches et pourtant si pleines de haine envers le voisin, le Surfer vit ses ultimes jours dans l’espoir d’illuminer et d’aider une dernière fois ses semblables. On fait donc le grand écart entre des moments intimistes (la douleur de la famille Richards de voir que rien n'y fait, aucune cure ne peut être envisagée, ou bien le splendide cadeau de Peter Parker pour l'anniversaire de Mary-Jane, avec la complicité d'un Surfer touchant et généreux) et space opéra d'envergure (au point que le Surfer devienne une sorte de dieu pour les mondes où il intervient, et fait cesser un conflit séculaire). Avant, cela va de soi, un dernier retour auprès de la bien aimée de toujours, Shalla Bal, et des pages poignantes, tristes, poétiques. 




On retrouve beaucoup, sous la plume de Straczynski, de cette naïveté, cette innocence qui caractérisaient les fondamentaux mêmes du personnage tel que dépeint par Stan Lee. Le Surfer est un un philosophe optimiste, toute création est bénie à ses yeux, et il sillonne les immensités du vide, qui pour lui sont toujours pleins. D'espoir, de beauté, là où nous ne voyons rien. Ici le discours n'est pas noyé dans des dialogues pleins d'emphase, mais au contraire le scénariste va à l'essentiel, cherche le sentiment véritable, la drame humain, et ne se complait pas dans le soap opera grandiloquent ou dans le chemin de croix redondant. Tout en conservant un recul admirable sur l'emploi de situations de facilité pour guérir les maux de ce monde, comme nous le remarquons bien dans l'épisode où apparaît Spider-Man. Bien entendu, ce Requiem est truffé de références bibliques, christiques, jusqu'à son final, qui transcende l'existence et le sens du Silver Surfer, pour en faire quelque chose de plus, un phare qui illumine et réchauffe les cœurs et indique la voie. Un ouvrage absolument somptueux, présenté avec une jaquette qui une fois dépliée révèle une reproduction de dimension respectable; un écrin d'une beauté sidérante, qui plus est vendu à un prix qui reste très abordable (22 euros). Tout ceci est possible également grâce au talent du croate Esad Ribic. Sa peinture est discrète, suggère autant qu'elle montre. L'ensemble paraît régulièrement baigné dans une sorte de patine laiteuse, avec des couleurs crépusculaires et frugales, et il se dégage des pages un Silver Surfer aussi élégiaque que fantomatique, une sorte de spectre à la droiture morale et au courage exemplaire, et l'artiste joue avec dextérité des possibilités de l'histoire, entre moments de tensions cosmiques (le troisième épisode) et le drame intime des personnages bouleversés (l'ouverture et la conclusion). C'est d'ailleurs plus l'emploi de la lumière qui magnifie l'essentiel des scènes, que de la couleur véritablement. Il s'agit certes d'une histoire à part, hors continuité, mais rêver d'un meilleur hommage pour le départ définitif d'un héros aussi singulier n'aurait pas été possible. Une leçon de narration et d'illustration, qui n'a pas besoin de faire de l'esbrouffe. 



INFIDEL : RACISME ET PARANORMAL POUR UN ALBUM SUPERBE


Il est difficile de se faire une idée précise sur l'origine de la peur. Elle peut-être infondée et basée sur des croyances erronées, sur la méconnaissance de ce que l'on observe, mais elle peut aussi être de la terreur pure, face à des phénomènes inexpliqués et terriblement angoissants. Cette peur à tous les étages (sans jeu de mots) c'est ce qui infuse dans ce nouvel album remarquable, publié chez Urban Comics. Je dis sans jeu de mots, car l'action se situe dans un immeuble qui vient d'être le théâtre d'un attentat. En réalité ce dernier a été perpétré plus par accident, par une espèce de paumé qui tramait des idées folles dans son coin, mais vous le savez, aux États-Unis comme en Europe occidental, la matrice islamiste est régulièrement pointée du doigt, et l'héroïne de notre ouvrage qui s'appelle Aïcha risque bien entendu de faire partie de celles et ceux qui feront les frais de l'amalgame. La jeune femme est pourtant particulièrement bien insérée dans la société américaine d'aujourd'hui; elle est d'ailleurs en couple avec un américain "fort moyen", s'entend très bien avec sa petite fille, mais beaucoup moins par contre avec sa belle-mère, qui elle semble toujours avoir des réticences face aux us et coutumes qui lui sont étrangers. Inutile de botter en touche, une des raisons pour lesquelles l'histoire est aussi intéressante, c'est qu'elle met en scène un quotidien et des personnages de confession musulmane sans sombrer dans la caricature larmoyante ou dans la dénonciation stigmatisante. Tout ici semble très naturel, couler de source, y comprit au niveau des dialogues qui sonnent particulièrement justes. Au passage applaudissons donc la traduction. Mais là où l'histoire bifurque vers autre chose, là où l'inattendu surgit, c'est quand Aïcha est victime de visions cauchemardesques. Impossible de savoir au départ s'il s'agit de délires personnels ou bien vraiment de créatures infernales. Des apparitions maléfiques dans un immeuble... est-elle donc en proie à une forme de psychose, ou bien le drame récent a-t-il alimenté un tel ressentiment, de telles peurs, qu'il y a des présences qui errent sans repos dans l'édifice? La question est importante car elle vient parasiter davantage les relations entre Aïcha et la belle-mère, au point que les choses dérapent et qu'un accident se produit, à partir duquel le retour en arrière n'est plus possible.




Je ne suis pas raciste mais c'est vrai que... Ce genre de phrase, ce genre d'accroche, pour prévenir qu'on va justement dire le contraire de ce qu'on ne voudrait pas exprimer, c'est aussi une des angoisses structurantes de cet Infidel. Qui je le répète, est admirablement bien structuré, et éminemment intelligent. Une bd cauchemardesque, avec un Aaron Campbell qui met son talent au service d'un récit qui suinte de la purulence du racisme, de la peur, du ressentiment, de la vengeance. La force de l'artiste, ce sont ces plans presque photoréalistes, où des créatures horribles viennent saisir le lecteur et le faire trembler sans crier garde, apparitions soudaines et terrifiantes, parfaitement insérées et représentées, qui déchirent le réel et la monotonie d'un quotidien fait de conversations entre amis locataires, par exemple. Avant un dernier épisode en forme de fuite dans l'urgence, qui est traversé par de l'adrénaline à l'état pur. Ici pas de petite musique angoissante ou d'effets sonores en effet, Infidel se joue entre la concentration de celui qui va lire et la manière dont Pichetshote et Campbell précipitent la réalité dans l'épouvante la plus totale. Dans ces situations-là, la foi, la croyance, ne sont pas forcément des illusions ou des tares, mais ça ne suffit plus pour échapper au pire. Urban Comics propose le tout dans un très bel écrin soigné, où le récit est fort bien recontextualisé. Un comicbook horrifique et au discours social crédible et actuel, qui mérite largement de figurer parmi votre liste d'achats impérieux en cet automne-hiver bien chargé en lectures. 



BETA RAY BILL PAR DANIEL WARREN JOHNSON : GRAND SPECTACLE EN GRAND FORMAT CHEZ PANINI


 Il y a toujours eu un fond de rivalité inquiétant entre Thor et Beta Ray Bill. Un peu de "masculinité toxique" également, du machisme au premier degré, savoir qui possède le plus gros marteau, qui est le héros parfait pour Asgard et ses dieux. D'ailleurs à sa première apparition Beta a terrassé le fils d'Odin, mais par la suite tout s'est compliqué, et lorsque s'ouvre cet album hors collection chez Panini, on le retrouve en proie à une grosse déception. Son outil de travail, Stormbreaker, qui fait aussi sa fierté, à été détruit dans le dernier choc en date avec Thor. Cette fois plus de doute possible, c'est bien le nouveau souverain d'Asgard qui est le mâle alpha, et pas notre copie carbone à l'aspect chevalin. Pire encore, Bill est un korbinite, une race extraterrestre, qui sans produire de top modèles attirants, selon nos standards humains étriqués, propose au moins des physiques humanoïdes acceptables. Ce qui est bien utile quand on entretient une relation charnelle avec la belle et fougueuse Sif, ancienne flamme de Thor (la rivalité sans fin...). Mais sans son marteau, l'alien ne peut plus redevenir ce qu'il est à la base, et la jolie brune ne semble guère motivée à l'idée d'embrasser celui qui a l'apparence d'un cheval survitaminé. Une cruelle prise de conscience, qui plonge notre héros dans des affres existentiels qui n'ont pas fini de le tourmenter. Il lui faudrait donc trouver un moyen de changer de forme selon ses désirs, mais voilà, lequel? S'en aller demander à Odin s'il est possible de forger un nouvel outil? Plonger dans le feu et les cendres de Muspelheim, sulfureux royaume nordique, où Surtur règle en maître, ce même démon qui a ravagé le monde natal de Bill? En tous les cas, la vie est plus belle quand on trouve des alliés avec qui partager sa peine. Skurge quitte momentanément le walhalla où il s'ennuyait ferme, et Pip le Troll débarque dans une version badass, comme on le l'attendait certainement pas. 




Motif évident qui pousse à l'achat, le dessin. D'autant plus que Panini Comics n'a pas hésité à donner du volume à l'ensemble, avec un passage au format king size, qui est certes un peu plus difficile à caler dans la bibliothèque, mais qui permet d'apprécier avec plus de bonheur encore chaque vignette de Daniel Warren Johnson. Ce dernier n'est pas encore une supervedette aux yeux du très grand public. Même son Wonder Woman scorched Earth est plus destiné à régaler ceux qui savent. Mais l'évidence est là, le type est destiné à vite devenir un de ceux dont on ne pourra plus se passer. Chez lui la beauté et la grandiosité (Asgard tout de même) sont exprimées à travers une forme de décadence et de représentation si personnelle et peu académique qu'on a l'impression de visiter les lieux pour la première fois. Les figures hésitent entre une lassitude, une décrépitude apparente, et une grandeur, une puissance qui laisse béat d'admiration. Que ce soit le dragon Foom, momentanément marionnette pour le dieu des symbiotes, Knull, ou encore un Surtur qui jaillit de la page dans sa terrifiante présence, le spectacle est garanti. L'artiste sait aussi recourir à des détails enivrants, mettre à l'œuvre une préciosité et une minutie de premier ordre, comme lorsqu'il donne à voir le vaisseau de Beta Ray Bill, qui par ailleurs réserve une des vraies surprises scénaristiques de cette aventure, une trouvaille inattendue qui vient apporter tempérance et baume au cœur à un héros si amer et enclin à se déprécier. Empêtré dans une recherche d'estime de soi et de dignité, obligé de reformuler son identité, y compris à travers sa virilité, celui qui fut le remplaçant de Thor cherche encore et toujours sa vraie place, et traverse en ces pages une crise intime et cosmique, qui est aussi un petit bijou à ne pas manquer. 




LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : BLACKSAD TOME 6 "ALORS TOUT TOMBE"


 Dans le 113e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Alors, tout tombe, 6e tome des aventures de Blacksad, album que l’on doit à Juan Diaz Canales pour le scénario et Juanjo Guarnido pour le dessin, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album À la maison des femmes que l’on doit à Nicolas Wild et aux éditions Delcourt dans la collection Encrages

– La sortie de l’album Aimer pour deux que l’on doit à Stephen Desberg pour le scénario, Emilio Van der Zuiden pour le dessin et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de l’album Le droit du sol que l’on doit à Étienne Davodeau et aux éditions Futuropolis

– La sortie de l’album Ouagadougou pressé que l’on doit à Roukiata Ouedraogo pour le scénario, Aude Massot pour le dessin et aux éditions sarbacane

– La sortie de l’album Coming in que l’on doit à Élodie Font pour le scénario, Carole Maurel pour le dessin et c’est une co-édition Payot graphic et Arte éditions

– La suite de la réédition de la série Djinn avec le second cycle, baptisé Africa, série que l’on doit au scénario de Jean Dufaux, au dessin d’Ana Mirallès et c’est édité chez Dargaud




BATMAN TROIS JOKERS : QUI SONT LES JOKERS DE GOTHAM ?


 Il y a 3 ans de cela, dans la série Justice League, Batman était parvenu à se hisser sur le fauteuil de Metron, qui comme chacun le sait (ou bien ne le sait pas) permet d'accéder à un savoir omniscient, suprême. L'occasion de poser les bonnes questions pour obtenir les réponses qui vous manquent. Bien entendu, s'il est une question qui brûle les lèvres de Batman et des lecteurs de ses aventures, c'est clairement l'identité réelle du Joker, un personnage mystérieux au sujet duquel il est possible de savoir quelques bribes de son passé, à partir d'informations fragmentaires et contradictoires, disséminées au long de nombreuses années de parution. Alors Batman pose la question: qui est vraiment le Joker? La réponse est surprenante, puisque le lecteur reçoit un coup dans le sternum! Il n'y a pas un seul Joker mais il y en a trois à Gotham! La révélation fait son effet, mais elle est suivie de pas grand-chose, puisqu'il faudra attendre très longtemps avant que Geoff Johns propose enfin une aventure qui explicite cette illumination impromptue. Le titre est d'ailleurs assez clair en ce sens; Trois Jokers, l'heure est donc venue de voir qui ils sont et d'en savoir plus sur ces individus. On trouve le comique, le criminel et le clown, qui correspondent à différentes époques de la carrière de ce dingo qui n'a pas toujours eu le même modus operandi, ni même le même aspect physique. Les méfaits dont il s'est rendu coupable servent aussi de leitmotiv à cette mini série en trois parties, publiée sur le Black Label, car Batman n'est pas seul pour mener l'enquête. Il est bien entouré de Barbara Gordon, alias Batgirl, et de Jason Todd alias Red Hood; la première a eu la fâcheuse surprise un jour, en ouvrant la porte de chez elle, de se faire abattre à bout portant par le Joker. Elle en est restée paralysée de nombreuses années et certains exégètes des comics lisent même dans cette mésaventure l'histoire d'un viol. Quant à Jason, lui, il a carrément été assassiné à coups de barre à mine derrière la tête, réduit à l'état de bouillie dans la terrible histoire Un deuil dans la famille de Jim Starlin. Bref le trio qui se lance à la poursuite des trois jokers possède une liste de traumatismes et de griefs longue comme le bras, de quoi nourrir un ressenti et une haine féroces. 




Du coup les réactions des uns et des autres sont passionnantes. Batman est fidèle à son habitude. Le corps parsemé des cicatrices que ses derniers combats contre le Joker ont laissé, il reste ce bloc granitique pétri de convictions et de motivation, que rien ne semble ébranler, et qui garde pour lui ses petits secrets bien pratiques. Barbara a utilisé le terrible traumatisme subi pour devenir une version encore meilleure d'elle-même, ce qui nécessite une grandeur d'âme et un courage qui forcent l'admiration. Jason lui n'a pas les idées très claires, et c'est la hargne qui domine; l'envie de répandre à son tour la cervelle des Jokers sur le trottoir est ce qui dicte ses agissements. Clairement, un comportement aussi radical ne peut qu'entrer en collision directe avec les idéaux des deux autres, encore que dans un cas aussi extrême que celui qui est présenté dans cet album, il est concevable qu'il faille tôt ou tard cesser de faire la fine bouche et embrasser la noirceur. Mais bon, diront nombre de lecteurs parmi vous, alors, on le sait ou pas, qui est le Joker, qui sont ces Jokers? La réponse est ambiguë. Tout d'abord je ne souhaite pas vous gâcher la surprise, ensuite il faut que vous compreniez que l'idée que l'identité du clown meurtrier (ici décuplée par la grâce d'un subterfuge narratif un peu dur à avaler, et surtout fragile en terme de motivations réelles) n'est pas si décisive, pour la compréhension et l'acceptation de ce qu'incarne cette sinistre figure du crime. Et contrairement à nombre d'avis parcourus ça et là sur Internet ces dernières semaines, je considère que le final choisi par Geoff Johns est assez malin, et qu'il possède une vraie crédibilité, en ce sens qu'il s'insère bien dans la logique de déduction et dans la pensée rationnelle de Batman. Pour ma part donc, ce n'est pas un coup dans l'eau, c'est le triomphe de la rationalisation et un choix qui se tient. Dulcis in fondo, de la première à la dernière page nous avons le droit à un petit festival Jason Fabok, qui dans son style "épigones de Jim Lee, Gary Frank ou David Finch" est assurément le représentant moderne le plus crédible. Depuis l'arrivée des New 52 sa progression a été exponentielle et il est aujourd'hui un des artistes les plus susceptibles de pousser le novice à l'achat, et de rassurer dans le même temps l'ancien exigeant. Trois Jokers est soigné, sombre à souhait, structuré comme un hommage aux grands classiques, et vous auriez tort de vous en priver. A charge pour vous de choisir entre cover régulière ou une des belles variantes qu'Urban Comics propose pour l'occasion.


 


RECKLESS : LE NOUVEAU JOYAU DE BRUBAKER & PHILLIPS


La vie d'Ethan Reckless n'a pas été un long fleuve tranquille. Lorsqu'il était étudiant, on pouvait le qualifier de "radical", mais en fait, s'il frayait avec la partie contestataire de l'Amérique, c'est aussi parce qu'il était au service du gouvernement; un double jeu pour le compte du FBI. Une série de tragédies plus tard, le voici qui renonce à tout. Il repart alors de zéro, cette fois-ci en exploitant une de ses particularités, celle de savoir résoudre les problèmes des autres, notamment quand ces problèmes nécessitent de prendre des largesses avec la loi. Un numéro de téléphone qui traîne dans la rubrique des petites annonces permet de le joindre et de lui exposer vos requêtes, qu'il jugera alors acceptables, ou pas (on pense à la méthode de travail d'individus comme Robert McCall dans la première et légendaire série tv Equalizer). Il faut dire que notre bonhomme n'éprouve guère plus de sentiments depuis qu'une bombe a explosé à proximité de lui. Désormais seule la colère, par moments, semble envahir son être; le reste du temps il ne ressent rien, souffre d'insomnie et ne parvient à dormir convenablement pendant quelques semaines qu'à la suite des fameuses "missions" où il s'occupe des problèmes des gens, contre financement. Des missions qui l'amènent à jouer des poings, menacer, savoir imposer une force tranquille ou une violence latente. Ethan habite depuis dans un cinéma désaffecté avec une jeune assistante, qui est aussi sa seule amie. C'est lui qui narre les rebondissements de cette histoire, qui s'ouvre sur une scène dont la pertinence sera dévoilée bien plus tard, lorsque viendra l'heure d'entamer une dernière ligne droite où les valeurs, les idées reçues, les attentes, vont êtres confrontées au chaos de l'existence et de la vérité. Le quotidien d'Ethan va premièrement basculer le jour où une ancienne flamme vient le contacter pour lui demander un service inattendu. C'est un peu comme ces vieux pull-over qui ont un fil qui dépasse... si vous avez le malheur de tirer dessus, très vite c'est tout le vêtement  qui se retrouve détricoté. 




Rattrapé par son passé, Ethan Reckless va lever le voile sur quelques-uns des mystères qui l'ont toujours troublé, et au passage Ed Brubaker  et Sean Phillips vont signer une nouvelle collaboration digne de figurer au panthéon du genre. Comme un véritable leitmotiv de l'œuvre conjointe des deux lascars, la femme "fatale", celle par qui le bonheur et le malheur vont de paire, est le détonateur de l'histoire, le facteur qui bouscule tout et tous, et enclenche le compte à rebours. Ces deux-là sont toujours aussi expérimentés et toujours aussi agréablement unis et au diapason... et cette fois c'est dans un format "graphic novel" et pas seulement avec une série régulière ou limitée, qu'ils vont laisser libre cours à leur(s) talent(s). Jacob, le fils de Sean, s'occupe une fois de plus de la mise en couleurs. Est-il vraiment nécessaire de préciser que c'est beau, que c'est très bien écrit, que c'est passionnant, que c'est indispensable? Des dessins rehaussées par la disparition du cadre classique des vignettes, souvent agencées de manière assez classique, sur le style des pulps d'alors, mais capables de dynamiser le récit et de souligner les moments saillants par de belles splash pages éloquentes. Vous savez, tout ce que font ces artistes là, devient de toute manière une forme d'art proche de la perfection, et Reckless n'échappe pas à la règle établie. 


Vous pouvez retrouver le preview de Reckless dans notre numéro du mois d'octobre de UniversComics Le Mag'. 


SWEET TOOTH THE RETURN : UN VOLUME 4 EN FORME D'ÉPILOGUE DOUX AMER


Nous avons longtemps pensé ne plus jamais revoir Gus, Le petit hybride. Vous savez, le héros de la série Sweet Tooth de Jeff Lemire, œuvre vraiment brillante, une histoire au long cours, par moment horrifique et déprimante, mais qui se termine de manière lumineuse et inattendue. Et puis un beau jour, la série télévisée tout d'abord prévue pour Hulu se concrétise, et débarque finalement chez Netflix. Dans le même temps, l'auteur canadien (par l'odeur alléché) revient sur sa création, avec une suite qui n'en n'est pas tout à fait une, dans le Black Label de DC Comics. Cette mini série en 6 parties reprend les codes de l'aventure originelle, mais elle en change les personnages. En effet elle se déroule bien des années plus tard et tous les héros que nous avons appréciés et suivis ne sont plus de ce monde; la situation s'est inversée, puisqu'à la surface ce sont les hybrides qui dominent, alors que des poches de résistance terrienne se sont formées et survivent dans des cités souterraines. C'est là que le "Père", une sorte de dictateur illuminé aux méthodes aussi autoritaires que prétendument spirituelles, organise en grand secret, dans son laboratoire, des expériences génétiques qui visent à rendre aux "humains normaux" leur suprématie perdue. Nous retrouvons également un hybride qui ressemble comme deux gouttes d'eau à ce cher bon vieux (et pourtant jeune) Gus. Nous comprenons d'emblée que ce ne peut pas être lui, pourtant il semble en avoir les souvenirs, jusqu'à des hallucinations, avec l'apparition de ce grand gars costaud que le lecteur connait sous le nom de Jepperd. Sweet Tooth the Return a donc l'intelligence de conserver un jeu de cartes plus ou moins semblable, pour entamer une partie différente. Ici le gamin attendrissant est en fait traité comme un oiseau en cage, empêché de sortir d'un périmètre bien délimité. On lui a brandi sous le nez une menace fantomatique et on lui a fait croire qu'il était le seul dans son cas particulier. Comme toujours, c'est la compagnie de nouveaux amis, l'entraide, qui vont venir mettre à mal cette solitude et changer la donne.




The Return, c'est encore Jeff Lemire lui même qui en parle le mieux. Cette histoire devrait vous sembler familière, mais aura aussi quelque chose d'entièrement nouveau. J'ai travaillé dur pour créer quelque chose qui n'était pas seulement une refonte de l'original. Qui préserve l'atmosphère et de nombreux thèmes de la série de départ, mais les projette en racontant un tout nouveau récit. Je ne veux pas encore révéler de détails. Mon objectif était de rendre cette nouvelle histoire complètement compréhensible pour les nouveaux lecteurs, mais aussi pleine de liens vers l'originale. C'était amusant de réaliser ce type de superposition, il y a des éléments qui reflètent l'original, mais en même temps cela continue dans une direction très différente. En réalité la lecture de ce prolongement de l'aventure n'est pas indispensable, vous pouvez très bien considérer que vous avez lu tout ce que vous souhaitiez lire, sans perdre un chapitre décisif de la saga, mais si vous optez pour le plaisir d'un supplément, vous aurez vraisemblablement beaucoup d'émotion et de plaisir à replonger dans ce qui est, à mon humble avis, une des maxi séries majeures du XXI° siècle. Ici le miroir est condensé, n'a pas le temps de mettre en scène ces parcours initiatiques et horrifiques qui ont fait la gloire de Sweet Tooth, alors le jeu de Jeff Lemire est de proposer de lointains échos, des figures familières (non plus Jepperd, mais un colosse à corps d'éléphant, par exemple, non plus une hybride porcine, mais une jolie petite jeune fille répondant au nom de Sara) qui semblent le double sémantique d'autres personnages, pour rappeler les enjeux majeurs de ce titre feel good, à savoir que rien ne peut briser ou compter d'avantage que la famille, les amis, l'entraide, l'espoir. Parfois ça fait vraiment du bien! 



UNIVERSCOMICS LE MAG' #16 OCTOBRE 2021

 


🔥🔥🔥 UniversComics Le Mag' #16 d'octobre 2021
"Les monstres sont parmi nous!"
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Sommaire :
😱Les monstres sont parmi nous, dossier.
👹Quelques lectures à thématique "monstrueuse"
🧛‍♂️Monsters inside. Analyse psychologique du phénomène des monstres avec Anthony Huard
🧟‍♂️Croquesmitaines, la peur est chez Glénat Comics avec Alexandre Chierchia
🎤Interview de Mike Deodato avec Filippo Marzo de Comics Reporter.
📕Le cahier critique. Le meilleur du mois écoulé avec #Dune le film, et un tour chez Delcourt Comics Panini Comics France Urban Comics 404 Comics Delirium Éditions L'Atalante Les sorties de septembre au peigne fin.
📘Nouveau : les chroniques BD font l'objet d'un espace à part, avec Eddy Maniette du podcast #LeBulleur. C'est parti!
😎Le portfolio du mois d'octobre
👀Preview. Double dose ce mois-ci avec #Reckless chez Delcourt, mais aussi bienvenue à Shockdom France France avec #EcranNoir
📖Petit guide des sorties Vf du mois à venir.
Couverture merveilleuse de #IsraelLlona.
Un merci XXL à mighty Benjamin Carret Art Page dont le dernier artbook n'attend que vous (allez voir sur sa page, suffit de cliquer dessus).
Et comme toujours, un grand merci à vous-mêmes, les lecteurs, ceux qui nous lisent et nous soutiennent. Ces heures de boulot mensuelles, c'est pour vous. Merci pour tous les partages, c'est le meilleur moyen de nous aider. Tous vos commentaires sont également très appréciés. Bonne lecture.
(numéro 17 prévu le 3 novembre)

CHASM : LE FARDEAU DE KAINE (UN FARDEAU POUR LES LECTEURS)

 En mars 2024, Marvel a publié un gros fascicule intitulé Web of Spider-Man , censé donner un aperçu de quelques unes des trames sur le poin...