JUSTICE SOCIETY OF AMERICA TOME 1 : LE NOUVEL ÂGE


Si la Justice League représente la réunion des super-héros les plus puissants de l'univers DC, une formation de gros calibres pour affronter les crises les plus dramatiques, la Justice Society of America ressemble quasiment à une famille. C'est que le concept de transmission, d'héritage, s'y développe pleinement. Au départ les personnages qui la composent sont ceux qui sont nés avec l'âge d'or des comics, dans les années 40. Des super-héros vieillissants qui ont été mis officiellement à la retraite en 1986, avec la célèbre saga Crisis on Infinite Earths, censée simplifier grandement la généalogie des histoires publiées jusque-là. Mais on ne peut pas mettre de côté des individus aussi attachants; c'est pourquoi peu à peu ils ont fait leur retour, au point que dans les années 90 Geoff Johns leur offre une nouvelle série à la hauteur de leurs compétences. On y retrouve le premier Flash des origines (Jay Garrick) mais aussi le Green Lantern originel (Alan Scott), un combattant hors pair comme Wildcat, et également des personnages plus jeunes comme Power Girl, Hourman et Liberty Belle, ou carrément récents et proposés pour l'occasion, comme Stargirl, une jeune héroïne ultra sympathique qui a été inspirée au scénariste par sa jeune sœur tristement décédée. Aujourd'hui vous la connaissez bien, car elle a aussi sa propre série sur le réseau CW. Dès le départ le ton du récit est donné : il sera question de super-héroïsme, mais en même temps d'une attention aux détails du quotidien, aux liens qui unissent tous ces personnages. Par exemple nous allons nous attarder sur l'arrivée d'une toute jeune rouquine (Cyclone) qui fait son entrée au sein de la JSA avec des étoiles plein les yeux. Cela dit sa première réunion est interrompue par le cadavre de Mister America, qui défonce la verrière et s'écroule sur la table. C'est qu'il a été pris en chasse et battu à mort par un individu qui a précédemment exterminé toute sa famille. Car oui, dans l'ombre, quelqu'un tente de mettre fin une bonne fois pour toute à l'héritage de ces grands héros de l'âge d'or. Le récit a été publié pour la première fois il y a si longtemps que je ne pense rien révéler de décisif en assurant qu'il s'agit de Vandal Savage; qui pour l'occasion s'est
acoquiné avec une bande de super méchants nazis. Nous suivons également l'arrivée de Starman au sein de la formation. Un visiteur d'un autre univers dont le psychisme est totalement fragmenté, au point de le faire flirter avec la folie permanente. Tout cela donne un ensemble assez dysfonctionnel mais qui donne vraiment envie d'être là, de les côtoyer au quotidien. La JSA, ce sont des super-héros certes puissants, mais on sent l'amitié, l'amour, l'entraide, dans chacun de leurs actes, et en cela Johns à effectué un remarquable travail. 




C'est cela qui me plait tant dans cette série. L'émotion qui suinte de certains des épisodes, les relations humaines qui sont aussi importantes que les actes de bravoure. C'est d'autant plus criant quand Johns offre des "interludes" centrés sur un personnage en particulier. Le nouveau Commander Steel, appelé Citizen Steel, dont l'amputation d'une jambe n'est que le prélude à une seconde carrière, après un autre drame effroyable, quand sa famille est massacrée par des nazis lors d'un picnic anodin. Ou encore Liberty Belle (autrefois Jessie Quick) dont le désir de perfection a eu de tristes répercussions sur ses relations familiales, avant de comprendre que les défauts sont inhérents au genre humain. Cette JSA là trouve toujours des ressources insoupçonnées dans l'union, qui pour le coup fait vraiment la force. Rien de surprenant à voir apparaître certains membres de la Légion des Super-héros, lors d'un crossover avec la Justice League, car c'est un peu le même principe qui anime ces amis disposés à tout pour venir en aide les uns aux autres. Cette état d'esprit est aussi mis à rude épreuve quand débarque un nouveau Superman massif et plus âgé, en provenance d'une Terre (celle de Kingdom Come) qui a cessé d'exister, et où le super-héroïsme s'était transformé en une doctrine agissante qui ressemble à une forme de fascisme. Plongé dans un univers qui lui est inconnu, mais avec nombre d'exemples vertueux sous les yeux, ce Superman là peut aussi se rapprocher de Power Girl, elle aussi personnage "déplacée" en provenance d'une autre réalité, depuis effacée, et qui porte en elle un lourd sentiment de solitude. Tout ceci n'étant en fait que le prélude à une crise majeure, qui arrive... Cet énorme pavé est en majorité dessiné par Dale Eaglesham (héros puissants, musculeux, trapus, une noblesse qui suinte des poses, des muscles) et Fernando Pasarin (un style plus souple, plus classique, parfait pour ce genre d'orgie à super pouvoirs) et esthétiquement il y a peu à dire, si ce n'est que c'est fort plaisant, d'un bout à l'autre, ce qui contribue à faire de cette JSA un excellent moment de lecture, une petite utopie de ce que devraient être nos chers héros de papier, animés par la justice, l'héroïsme, la solidarité. 



L'ESCADRON SUPRÊME : LE PROGRAMME UTOPIE


Commençons par le minimum indispensable à savoir, pour comprendre ce que nous vous proposons de lire. L'Escadron Suprême est un groupe de super-héros appartenant à Marvel Comics, qui évolue sur la Terre-712, dont les membres sont clairement des avatars maison de la célèbre Justice League de chez DC Comics. Secondement, cet album fait suite à une saga réalisée par Jean-Marc De Matteis, avec les Défenseurs, où les membres de l'Escadron sont manipulés et sous l'emprise mentale de l'Overmind, au point d'être poussés à instaurer une véritable dictature en lieu et place des Etats-Unis d'Amérique. Grâce à l'aide du Docteur Strange, Hyperion et les siens finissent par triompher, mais la confiance du peuple est sérieusement entamée, et surtout, les dégâts sur le tissu social et économique sont considérables. Presque tout est à refaire, et c'est dans ce contexte que démarre notre histoire écrite par Mark Gruenwald, avec la démission du président américain Kyle Richmond, qui s'avère aussi être Nighthawk, le "Batman" de l'Escadron. Le désaccord du milliardaire est total, lorsqu'il apprend que ses collègues envisagent de redresser le pays à leur manière, c'est à dire en décidant pour la population ce qui est bénéfique pour elle, ce qui lui sera permis, ce qui ne le sera plus. Non seulement une question de lois, de constitution, mais aussi de morale, qui devient alors l'apanage de super-héros, qui s'arrogent la possibilité de tracer eux-mêmes une frontière entre le bien et le mal. Le programme Utopie commence par la suppression de toutes les armes à feu, aussi bien détenues par l'armée, que par les simples citoyens. C'est ensuite la décision la plus invraisemblable : modifier les schémas cérébraux des criminels pour que leur propension à faire le mal disparaisse, et en faire de bons et agréables citoyens. Nighthawk est si choqué par ce qu'il entend qu'il envisage même un instant d'assassiner son leader, Hyperion, alors que que celui-ci s'adresse à la nation. Hyperion, c'est Superman, un type invulnérable (si ce n'est une sensibilité mortelle à une roche extra-terrestre) et propre sur lui, un justicier qui incarne la bonté et la force dans le même corps. Les autres membres les plus influents sont Power Princess, Whizzer, le Docteur Spectrum, Amphibien, l'Archer Doré, et sa "compagne" Alouette, ou encore l'Aigle Bleu et l'inventeur de petite taille, Tom Pouce. L'intuition géniale de Gruenwald est donc quelque chose de révolutionnaire pour l'époque. En seulement douze numéros, le regretté scénariste américain va dépeindre des héros douteux, fragiles et parfois même carrément méchants. Des personnages qui, jusque-là s'étaient montrés intègres et qui au contraire ont basculé d'un coup d'un seul, affligés par la jalousie, la colère, la frustration et bien d'autres sentiments très éloignés des stéréotypes du super-héros, auquel le lecteur avait été habitué jusqu'alors. 



Pouvant compter sur une liberté créative difficile à obtenir sur d'autres séries de la Maison des Idées (certes c'est plus facile quand le récit se déroule dans un univers parallèle, son influence sur la continuité Marvel devant être pratiquement nulle) Gruenwald en profite pour violer d'autres tabous. D'abord, au bout de quelques pages, tous les membres du groupe, pour gagner la confiance des habitants de la planète, renoncent à leurs identités secrètes, puis, dans un crescendo dramatique, plusieurs de ces justiciers perdent la vie (la mort de l'un d'entre eux est même causée par un "accident", une intervention mal calibrée de la part d'un coéquipier, qui en voulant bien faire contribue à commettre l'irréparable). Le meilleur de l'humanité finit par côtoyer le pire. Les intentions sont bonnes, c'est indéniable, mais quand on est fondamentalement humain, alors qu'on possède des pouvoirs qui nous placent au delà de cette condition humaine, la corruption peut s'immiscer par les plus minces interstices. Avoir la volonté de changer le monde (sans son consentement), en avoir même les capacités apparentes, est-ce bien raisonnable quand on ne parvient pas à se changer soi-même? Quand le doute est si pernicieux qu'un héros ne s'estime plus digne de poursuivre sa mission? Quand un autre par amour commet un des viols métaphoriques les plus abjects de l'histoire de la bande dessinée? C'est ainsi que fonctionne la destructuration du mythe du super-héros, qui allait être l'apanage des grands auteurs britanniques de la fin des années 80 (Moore, Gaiman...). Certes des artistes comme Dennis O’Neil et Neal Adams (avec le duo Green Arrow Green  Lantern en plein road trip social au coeur des Etats-Unis) ou Frank Miller (Daredevil et son western urbain) avait déjà initié le mouvement, mais ici nous sommes face à autre chose. Le niveau de pouvoir est si total qu'on flirte avec le totalitaire. Le voile du bien fondé ne masque qu'à peine une effluve fascisante, les contours inquiétants d'une société où une oligarchie dotée de pouvoirs formidables guide et oriente un peuple dont on attend avant tout les remerciements, et l'obéissance. Les héros sont fragiles, ils peuvent être mesquins, on en voit aussi qui sont violents, rageurs, jaloux, et les passions sont mauvaises conseillères, quand on accède à ce niveau de responsabilité. Gruenwald ouvre la voie à Mark Waid, Mark Millar, Garth Ennis, anticipe tout ce qui va suivre, aidé dans un premier mouvement par un Bob Hall qu'il serait temps de réévaluer sérieusement. Son trait parfois plus anguleux et nerveux que convenu se base sur la puissance expressive et sur les émotions des personnages, presque au détriment d'une attention anatomique canonique. Mais ça marche, et les planches vivent réellement. C'est ensuite Paul Ryan qui prend la suite. Avec moins de personnalité, moins d'originalité, mais toujours une lisibilité et une capacité à mettre en scène tout ce beau monde, sans fausse note, qui rend l'ensemble encore plaisant bien des années plus tard. John Buscema pour sa part ne réalise qu'un seul épisode. On ne peut donc qu'applaudir à pleines mains l'initiative de Panini Comics de rééditer cette saga fondamentale, parue au départ dans Spidey n°87 à 99, dans un grand format Deluxe soigné avec une traduction méritoire et une qualité d'impression indiscutable. Un bel objet, mais surtout une belle épopée, probablement parmi les plus sous-évaluées de toute l'histoire des comics de super-héros. Si vous n'avez jamais lu l'Escadron Suprême, il est urgent de remédier. Je vous le promets, vous y prendrez un réel plaisir. 



NOCTERRA : LE TRIOMPHE DE LA NUIT AVEC SNYDER ET DANIEL CHEZ DELCOURT


 "Nocterra marque mon retour au rôle de dessinateur qui ne s'occupe que de produits indépendants, et c'est une série que je voulais faire depuis des années. Un titre qui mélange l'horreur de mes œuvres indépendantes, telles que Whytches et American Vampire, avec le rythme effréné et l'épopée de mes histoires pour DC, dans le but d'offrir quelque chose de personnel, un peu dingue et très, très drôle, aux lecteurs. Je n'aurais pas pu rêver d'un meilleur co-auteur que Tony Daniel, un grand ami et une superstar de la bande dessinée américaine". C'est avec ces mots que Scott Snyder présentait Nocterra, titre qui débarque en Vf en ce début d'année chez Delcourt. Au menu, un univers bien sombre, dans tous les sens du terme. L'ambiance est à la réécriture post-apocalyptique de notre société, et la lumière a disparu, littéralement. Plus de soleil, la noirceur et le froid partout, une humanité aveugle. Pire encore, dans cette pénombre devenue la norme, tous les organismes vivants finissent par muter, devenir de véritables monstres. Cela concerne les êtres humains, les animaux, même les plantes. Il faut donc se protéger, et il n'existe qu'une seule solution efficace, se réfugier à l'abri de la lumière artificielle, de tout ce qui passe à portée de main, de la lampe de poche aux néons. Les groupuscules de survivants se sont réunis en communautés séparées les unes des autres, et il faut bien du courage pour aller de l'une à l'autre, et transporter le matériel, les denrées nécessaires pour subsister. C'est le cas de Val Riggs par exemple, l'héroïne de cette histoire, qui sillonne les routes à bord de son poids-lourd ultra customisé. La jeune femme n'est pas seule, puisqu'accompagnée de son frère cadet, Emory, qu'il va cependant falloir sauver de la gangrène noire, c'est à dire de cette infection qui gagne ceux qui restent trop longtemps privés de toute source lumineuse. Les rapports entre les personnages sont importants, au point que c'est avec cet aspect qu'on ouvre les différentes parties de Nocterra, grâce à des flash-backs qui nous ramènent à l'âge d'avant, de la vie en famille, aux premiers temps de la grande catastrophe. Ce qui fait que même si ce nouvel univers propose d'emblée tout un ensemble de règles du jeu propre à donner la migraine, on est cependant assez vite en terrain balisé, aptes à profiter du spectacle qui commence. 



Le récit s'emballe vraiment quand Val reçoit une mission différente par rapport à d'habitude : un vieil homme nommé August s'approche d'elle et affirme qu'il connaît l'emplacement d'une "oasis" sûre, une véritable ville fortifiée, très différente des rassemblements éphémères de cabanes et de lampes dans lequel les rescapés vivent maintenant ; un endroit qui, vraisemblablement, accepterait d'accueillir Val et Emory à bras ouverts... pour peu que la jeune routière décide de l'escorter, lui et sa nièce Baley, jusqu'aux portes de la citadelle. Acte de foi, il faut donc se contenter de vagues promesses, et espérer que tout ceci ne se termine pas par une mauvaise surprise, d'autant plus que la requête semble provenir de celui qui est aussi le responsable de la fin du monde tel qu'on l'a connu!  Bon, il faut être honnête, cette série ne brille pas par sa manière révolutionnaire de reformuler les codes du genre, mais au fond, est-ce bien un problème? Nocterra est à consommer pour ce qu'il est, à savoir un bon gros blockbuster d'action post apocalyptique (d'ailleurs en passe d'être adapté par Netflix) qui présente une héroïne badass incarnant à elle seule les fantasmes des années 90 et le coté moderne et assuré des héroïnes du XXI° siècle. La série utilise bien entendu une des peurs fondamentales du genre humain, celui d'être à jamais condamné à errer dans les ténèbres, et y mêle toute une série de concepts, de transformations monstrueuses, de cliffhangers convenus mais efficaces, qui font qu'on est happé par l'histoire assez rapidement, qui devrait dès lors ressembler aussi à un road-trip divisé entre plusieurs escales, une course en avant vers la lumière, ou le peu qu'il en reste, avec son lot d'embûches et de cruelles contre-vérités. Tony Daniel est bien entendu un petit plaisir visuel à lui seul, avec des planches truffées de détails, dynamiques, qui savent provoquer le frisson au bon moment, et parfois avec une économie de moyen encore plus éloquente (le vilain de cette histoire, tout en noirceur absolue, et simplement génial). L'aide bienvenue de Tomeu Morey à la couleur permet de combler habilement toutes les vignettes ne présentant pas de décor abouti (et dans le noir, cela peut se comprendre), mais plutôt un jeu d'ombres et de faisceaux, qui instaure un climat blafard et inquiétant à souhait. Sans la prétention de laisser une empreinte indélébile dans la légende des comics américains, Nocterra assume son statut, celui de divertissement bien calibré, bien troussé, qui donne indubitablement envie d'en savoir encore plus. 



CAMPUS : FRATERNITÉ INFERNALE CHEZ LES HUMANOS


L'amitié, quand on est jeune, c'est une bien belle chose, un sentiment puissant, parfois naïf. Jake et Wyatt sont ainsi les meilleurs amis du monde, même si au premier coup d'œil beaucoup de choses les séparent. Malheureusement le premier nommé
 déménage, laissant le second dans un état de tristesse totale, en partie atténué par la possibilité de retrouver son pote grâce aux jeux en réseau, dans la soirée. Les deux gamins grandissent jusqu'à ce qu'arrive l'âge d'entrer à l'université. S'il a perdu sa mère dans un accident et qu'il est beaucoup plus réservé, emprunté, Wyatt est une sorte de geek; Jake lui un blondinet sportif et extraverti, qui entend bien s'amuser et profiter de sa nouvelle existence estudiantine. C'est la raison pour laquelle il décide d'intégrer Omega Zeta Nu, qui est une sorte de fraternité dans laquelle les jeunes peuvent exprimer leurs sentiments les plus grégaires et agrégants. Il tente de convaincre son ami de l'accompagner mais sans grand succès. Quelque chose cloche d'ailleurs... Wyatt a eu la désagréable surprise de voir à travers la fenêtre de la chambre qu'il occupe en cohabitation avec son ami une étrange figure humaine, à tête de lapin, en train de dévorer une grenouille. Était-ce une apparition ou un mauvais présage, toujours est-il que la fraternité cache de lourds secrets. Dès son entrée Jack est initié à un rituel qui repose sur la magie noire; les nouveaux adaptes sont rebaptisés du nom d'une entité satanique, et ils doivent se plier à des règles strictes. Conséquence néfaste pour avoir versé un peu de son propre sang, et avoir accepté de participer à ce délire mystique, le blondinet commence à entendre des voix dans sa tête, des phrases qui le guident puis lui intiment de faire des choses, bouleversant son quotidien, au point de le faire douter de tout ce qui l'entoure, y compris de ses poches. Clairement, l'histoire bascule dans l'ésotérisme le plus inquiétant, au fur et à mesure que l'emprise de la fraternité sur Jake se concrétise... 



Jon Ellis aborde donc le thème de l'amitié, de l'entrée dans la vie adulte, de sa nécessaire prise de (nouveaux) repères. C'est l'âge où même les relations les plus étroites sont mises à rude épreuve, car tout le monde change, évolue, trouve de nouveaux horizons, se forge une vie, une destinée. Le changement de Jake n'est pas que naturel, il se caractérise par l'emprise de puissances occultes, facilités par une jolie rousse aux formes abondantes, qui le séduit d'emblée et sera le catalyseur de sa descente aux enfers. Le récit évite de tomber dans l'outrance, et de mettre en scène les conséquences désastreuses de l'arrivée de déités sataniques sur notre plan d'existence. Nous sommes bien plus préoccupés par le microcosme de la faculté, et les conséquences directes de tout ceci sur un groupe restreint de personnes, avec le binôme Wyatt/Jack et leurs amies respectives. Hugo Petrus (souvent aperçu chez DC Comics ces dernières années) est le dessinateur efficace qui prend en main l'ensemble pour le rendre si attrayant. Il possède un trait d'une pureté et d'une précision remarquables. Chaque page est parfaitement lisible, truffée de petits détails, les visages et les expressions faciales sont clairement réussis et ajoutent de l'émotion à cet album dont la couverture élégante et épurée (cette étudiante à tête de lapin...) est aussi mystérieuse que fonctionnelle. Une jolie petite réussite disponible chez les Humanos, le genre de parution qui se dévore d'une traite, sans la moindre pause, artistiquement aboutie. Vous pouvez y aller, promis.  


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DC INFINITE FRONTIER : LE FUTUR C'EST MAINTENANT !


 Les grands récits de super-héros -et c'est d'autant plus vrai dans le cas de DC Comics- sont aussi des histoires de transmission, de générations. Et c'est la véritable raison de leur permanence dans notre culture commune. Quelle que soit l'époque, les héros sont à nos côtés. Immuables mais différents. Identiques, mais déclinés sous formes d'avatars. Chaque révolution s'accompagne de sa "crise", et pour les éditeurs, c'est l'occasion de mettre en scène un récit ambitieux, qui apporte son lot de retouches, de réinitialisations des mythes, de subtiles réécritures. D'autant plus qu'il existe dans les comicbooks une infinité de mondes parallèles, où dans le même temps coexistent autant d'incarnations du même personnage que d'univers disponibles. L'heure est venue de s'atteler au futur, chez la Distinguée Concurrence. De donner un coup d'œil dans le rétroviseur, pour ensuite embrasser l'horizon, la ligne de fuite. Infinite Frontier s'ouvre avec un numéro oversized qui est un catalogue de promesses, d'avant premières, de présages. On y retrouve Yara Flor, la nouvelle et jeune amazone, un Jonathan Kent qui est devenu Superman, mais qui pourrait être une menace à la hauteur de l'espoir qu'il représente. Mais aussi les nouvelles ombres (la peur) qui menacent de couvrir Gotham, la libération de la parole pour Alan Scott qui accepte enfin sa vraie personnalité. Tout ceci constitue les prémices à l'avenir, à ce que sera l'univers narratif de Superman et consorts. Les Terres parallèles sont à nouveau au cœur du processus, et la Justice Incarnée, cet aréopage de héros qui est censé veiller sur toute la tapisserie dimensionnelle, va avoir fort à faire. Pour se familiariser avec celles et ceux qui vont être placés en tête de gondole, nous avons alors six récits extraits de Infinite Frontier Secret Files. Là, c'est avec des héros comme Obsidian et Jade (les jumeaux, enfants d'Alan Scott), avec le machiavélique Bones, avec un Roy Harper revenu des morts sans qu'il sache trop bien comment, que le lecteur va partir à l'aventure. Au centre de tout ceci, le multivers donc, sans oublier sa contrepartie négative dont nous avons récemment fait la connaissance, et le sentiment que le pire ne vient pas de se produire, mais est encore à venir, même si tout le monde semble être "revenu" après la crise récente. Ce qui est clair, c'est que ça ne va pas durer ainsi. 


Pour recontextualiser précisément Infinite Frontier, disons qu'il s'agit des conséquences directes de la défaite du Batman qui rit, et par ricochet du fait que l'humanité toute entière est désormais au courant pour le Multivers. Entre déni et sidération, chacun essaie de s'adapter ou de ne pas y penser, de protester ou d'accepter. Ce qui n'a rien de surprenant à une ère moderne où tout est remis en question, tout est questionné, et où le complot se love dans chaque événement. Darkseid est le grand méchant qui trame dans l'ombre, comme c'est souvent le cas, depuis Terre Oméga, qui s'avère ne pas être tout à fait ce qu'on pourrait imaginer. Face à la lui, la Justice Incarnée, des héros piochés dans plusieurs Terres parallèles, avec des calibres comme le Président Superman Calvin Ellis, ou des personnages mineurs et baroques comme Captain Carrot. Joshua Williamson ouvre son récit par l'arrivée inopinée du Batman Flashpoint (le père de Bruce Wayne) sur la Terre de Calvin Ellis, à bord d'une fusée semblable à celle qui amena un Clark Kent encore bambin sur la nôtre. Nous suivons aussi un Barry Allen, manipulé par le Psycho Pirate, et les aventures d'Alan Scott et Obsidian, qui partent à la recherche de Jade, tandis que Roy Harper ne comprend pas ce qu'il fait en vie, et encore moins pourquoi il porte un anneau au doigt, qui fait de lui une sorte de zombie / Black Lantern dès qu'il puise dans ses pouvoirs. Le but semble être de consolider le nouveau statuquo et de préparer le terrain pour tous les bouleversements à venir. Si ça marche assez bien, c'est parce que les personnages y apparaissent tous attachants, chacun ayant sa ou ses scènes de bravoure, où il peut s'exprimer. Par exemple le Président Superman n'a jamais été aussi intéressant et central dans la grande tapisserie des choses, et on a vraiment envie d'en lire plus à son sujet, à l'avenir. Le dessin est solide, soigné, dans la grande tradition des comics super héroïques, signé Xermanico. Il est épaulé pour certaines scènes par toute une série d'artistes, et pas des moindres, comme Jesus Merino, Paul Pelletier, ou encore Norm Rapmund, l'encreur bon pour toutes les saisons. Non, Infinite Frontier n'est pas une de ces "Crises" qui laissent des cicatrices à jamais dans l'univers Dc, c'est plutôt l'occasion de développer un mystère, de bâtir un avenir, fait de lignes narratrices à exploiter prochainement. Le futur commence donc maintenant, dans ce gros album de début d'année. 




LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA DAME BLANCHE


 Dans le 119e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente La dame blanche, album que l’on doit à Quentin Zuitton, édité chez Le Lombard. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Kristina, la reine-garçon, adapté d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, sur un scénario de Jean-Luc Cornette, un dessin de Flore balthazar et c’est édité chez Futuropolis

– La sortie de la première partie de L’âge d’eau, d’optique que l’on doit à Benjamin Flao et aux éditions Futuropolis

– La sortie d’un tome de la série Les compagnons de la libération consacré à Simone Michel-Lévy, que l’on doit au scénario de Catherine Valenti, au dessin de Claude Plumail et c’est édité chez Grand angle

– La sortie du deuxième tome de la série Saint-Elme baptisé L’avenir de la famille que l’on doit au scénario de Serge Lehman, au dessin de Frédérik Peeters et c’est édité chez Delcourt

– La sortie de l’album Cauchemars ex-machina que l’on doit au scénario de Thierry Smolderen, au dessin de Jorge González et c’est édité chez Dargaud

– La réédition de l’album Dans la secte que l’on doit au scénario d’Henri Pierre, au dessin de Louis Alloing et c’est édité chez La boite à bulles



 
 

NEMESIS LE SORCIER : TOME 3 DES HÉRÉSIES COMPLÈTES CHEZ DELIRIUM


Si le conflit qui ravage l'univers de Nemesis atteint une portée aussi universelle et cosmique, c'est également parce que la frontière entre le bien et le mal, le camp des bons et le camp des méchants, est définitivement brouillé. L'action se déroule des milliers d'années dans le futur sur une Terre où n'existe plus qu'un puissant empire galactique du nom de Termight. Si la surface a été ravagée, sous le sol il existe tout un monde parcouru par des tubes de transport, une sorte de réseau de communication moderne, qui aboutit jusqu'à une étrange "rocade du trou noir", un lieu de passage qui permet aux hommes d'atteindre les profondeurs de l'espace, pour exterminer les aliens.  Tout ceci est au service de Torquemada, qui gouverne le peuple d'une main de fer. Il s'agit d'une sorte de culturiste géant, parangon de la masculinité toxique, hanté par une vision pure et droite de la société. Un vrai délire mystico-eugéniste, grande critique acerbe de l'extrémisme religieux, qui le pousse à détruire toute forme de vie extraterrestre. Torquemada a d'ailleurs trucidé le fils de Nemesis, que l'on peut considérer comme le grand leader de la rébellion. C'est un alien lui aussi et son apparence est tout autant insolite qu'inquiétante. Le conflit entre ces deux-là a pris des proportions épiques, voire fatidiques, la haine et la folie de l'un trouvant dans l'amour pour le chaos et même une certaine forme de nihilisme de l'autre, de quoi alimenter une destruction inévitable. Au centre de ce conflit permanent, nous trouvons la belle Chastity, qui a eu des rapports charnels avec les deux ennemis jurés, manipulée par l'extraterrestre qui l'a hypnotisée, et qui l'a jetée dans les bras du dictateur fou pour être son "cheval de Troie". Elle est en fait une sorte de pièce maîtresse du conflit que les deux rivaux utilisent selon leur bon vouloir; on peut même considérer que le comportement de Nemesis est encore plus répréhensible car il hypnotise et efface les souvenirs de la jeune femme pour servir ses intérêts. Patt Mills livre ici une histoire totalement dingue, dont les sources et les ambitions sont multiples, que ce soir l'heroic fantasy, la science-fiction, le ridicule si dangereux du dogme religieux, ou encore la politique et le totalitarisme. Et la grande réussite, c'est d'éviter l'
écueil de l'angélisme ou de la bonne grosse leçon de morale à asséner sans la moindre subtilité. Pas d'espoir, noir c'est noir. La prolifération des aliens sur Terre n'est pas sans danger et sans dérives, et il suffit de lire les pages postérieures à la grande résolution du duel Nemesis/Torquemada pour s'en convaincre (ce tome 3 achève leur longue bataille, et propose ce qui a été publié ensuite, notamment avec la "présidence" de Chastity, et la cohabitation fantasmagorique et si inventive des extraterrestres et des humains). Tout, de l'aspect simplement physique, aux machinations pour parvenir à leurs fins, stigmatisent les deux camps, dont l'aveuglement et le modus operandi sont tragiquement aveugles à la souffrance de tout ce qui les entoure. 




Delirium a une particularité, pour notre grand plaisir : avoir un catalogue sous le signe de l'exigence, de l'audace, et proposer ses albums dans des écrins à la hauteur du contenu. C'est encore une fois ce qui caractérise Nemesis, pour un troisième et dernier tome, grand format, qui s'ouvre et se dévore presque comme un grimoire classieux. La saga de Patt Mills prend son envol sur les pages de 2000Ad, une revue britannique du début des années 80, qui est, pour simplifier, aussi importante dans la culture underground anglaise, que peut l'être Metal Hurlant pour la France. C'est là dedans que la contre-culture peut prospérer, et il ne semble pas y avoir de limites imposées à la créativité et aux délires des scénaristes qui ont carte blanche pour à peu près tout. Mills et Kevin O'Neill (puis John Hickleton, David Roach, Henry Flint...) vont donc ici faire feu de tout bois, dans une histoire où le moindre concept fait sourire, étonne, désarçonne. Chaque page demande à être lue, vraiment lue, et observée réellement, tant le trait est acéré, minutieux, tant les détails abondent, tant le récit foisonne de trouvailles novatrices pour se déployer. Restez pur ! Restez vigilants ! Restez droits ! assène Torquemada à longueur d'épisodes, et c'est cette litanie qui résume bien le climat de folie, de castration, d'hypocrisie, qui n'épargne rien ni personne, et trouve in fine un équilibre rarement atteint dans le discours de ce genre de comic-book, qui a trop tendance à confondre boussole morale, bon goût et narration débridée (éloquentes ces pages devant un tribunal, où Torquemada tente de justifier l'injustifiable, et y parvient!). Ici rien de tout cela, Mills lorgne plutôt du côté des anti-héros, voire franchement des monstres répugnants, sachant qu'il ne reste au lecteur qu'à se contenter de choisir entre le moindre des maux, puisque de toute façon il ne sera point question d'espoir. Tout est corrompu, tout est sali; pénétrer dans l'univers de Nemesis est une expérience déroutante et dérangeante, mais également salutaire. A (re)découvrir en urgence, avec cette conclusion brillante et démentielle. 
Sortie cette semaine, le 21 janvier.






SHADOW LIFE : OMBRES (ET LUMIERES) CHEZ ANKAMA

 


Le veuvage n'est pas forcément synonyme de résignation. Prenez l'exemple de Kamiko Saito. Placée dans une maison de retraite exigeante par ses filles, elle décide de partir sans avertir personne, et de louer un appartement dans lequel vivre selon ses désirs, son rythme, son bon plaisir. La liberté n'a pas de prix, d'autant plus quand vous savez que les jours qui vous restent à vivre ne peuvent en aucune mesure se comparer en nombre avec ceux que vous avez vécu. Le quotidien de Kamiko n'est pas des plus aisés. Elle a du faire don d'un rein à une de ses filles, sa santé (sa raison?) vacille, et elle a perdu son mari dans un tragique accident de la route. Ce dernier a fait une crise cardiaque au volant, le véhicule s'est abimé dans un lac, et si Kamiko a pu sortir de l'eau à temps, l'homme s'est noyé. Ces temps derniers, la (désormais) vieille dame est de surcroit suivie par des ombres furtives, mystérieuses. Une présence éthérée mais inquiétante, qui ne la lâche pas. Serait-ce la mort qui vient réclamer son tribut, et rode autour d'elle toute la journée? Cela pourrait expliquer ses visions, celles des êtres défunts, lorsqu'elle se rend au cimetière? Toujours est-il que Kamiko finit par aller trouver une marchande d'aspirateurs, pour acquérir un de ces engins bien pratiques, en tirant un peu sur le prix. Et elle s'en sert d'une manière bien originale, puisqu'elle parvient à y emprisonner la manifestation ectoplasmique qui était venue la "réclamer", qu'elle maîtrise ensuite en la piégeant avec du sel, selon une vieille tradition. Imaginez donc avoir votre fin dans un aspirateur, qui tente de sortir et de s'emparer de votre corps, et de lutter alors aussi bien métaphoriquement, que spirituellement, pour le droit à finir votre existence en paix, selon vos envies.




Outre la mort, inéluctable, mais momentanément hors-jeu, il y a la descendance. Certes les filles de Kamiko sont animées de bonnes intentions, mais la mère n'a pas attendu sa progéniture pour exister. Elle a eu une vie riche et mouvementée, on découvre ainsi sa relation pré-mariage, très importante, avec une autre femme, avec qui est venue l'heure de se réconcilier. Le physique aussi est un vrai problème, entre petits accidents aux conséquences lourdes, comme la fracture d'un membre, et d'étranges tâches noires, sortes de mélanomes foudroyants, qui la poussent vers l'hôpital, dont souvent on ne sort plus, passé un certain âge. 368 pages durant Kamiko s'accroche à la vie. C'est truculent, triste, émouvant, et drôle, tout cela en même temps. D'ailleurs, lorsqu'elle se met à rire un peu trop fort, la voici frappée d'incontinence. Tout un symbole, d'un extrême à l'autre, de l'insouciance au rappel de la chair caduque, avec une mémoire qui flanche, des médicaments à prendre chaque jour, entre oublis et tours pendards joués par des forces occultes. C'est un portrait de femme forte, qui ne renonce pas, qui entend vivre comme elle le souhaite, jusqu'à son dernier souffle, sans rien renier de son identité, sexuelle, ou même simplement corporelle (on la voit nue à plusieurs reprises). Le grand âge est parfois pudiquement appelé "la fin de vie", mais pour Kamiko, la fin est une décision à prendre, c'est acter une forme de résignation, ce à quoi elle n'est absolument pas prête. Hiromi Goto, scénariste canadienne d'origine japonaise, a l'habitude d'écrire sur ce sujet, de brosser le portrait de celles qu'on invisibilise et qu'on considère au mieux comme une présence encombrante. Elle y met de la sensibilité, et beaucoup d'inventivité, dans la manière de mélanger réalisme trivial et grands élans poétiques ou symboliques. Cet album est bien plus proche du manga que du comicbook dont nous parlons si souvent. Si les cinquante premières pages ont cet aspect un peu classique, voire monotone, c'est en fait parce qu'il faut un peu de patience, et apprivoiser le quotidien de ces pages, pour entrer pleinement dans ce qui va alors devenir un récit très touchant, fort intelligent, une des grandes belles surprises de ce début 2022 éditorial. Avec en prime le dessin épuré de Ann Xu, dont la simplicité et l'immédiateté permet de saisir sur le visage des personnages ces émotions fugaces ou cette résilience naturelle, qui tout à coup illumine une scène, une tranche de vie, pour en faire quelque chose d'autre, qui tend vers l'universel, voire l'immortalité. Une œuvre inspirée publiée chez Ankama, à qui nous souhaitons vraiment de trouver son juste public. 





HELLSHOCK : JAE LEE ET L'IMAGE COMICS DES 90s

Dans les années 90, vous avez peut-être subi le charme vénéneux des planches expressionnistes de Jae Lee, qui avait vraiment révolutionné la manière de présenter un héros comme Namor, ou le groupe X-Factor, chez Marvel. Profitant du phénomène Image et de la possibilité d'écrire ses propres histoires, l'artiste propose alors une première mini série au parcours tourmenté, Hellshock, qui va finalement éclore en 1994 sur le label Top Cow. S'il y aura une seconde mini série quelques années plus tard, c'est sur cette première version que nous allons nous attarder.
Comme souvent dans les comics de l'époque, il y est question du mal, du bien, de la lutte mystique entre ces deux notions fondamentales, et d'anches déchus, ou de démons, au choix (tiens, ça ressemble pas mal à Spawn, sur le fond). 
Isabelle, encore adolescente, s'est laissée séduire par un ange aux ailes magnifiques, avec qui elle a connu l'amour physique, et qui a laissé une trace de son passage. Un enfant est né de cette union singulière, un gamin qui a vite été éliminé, et qui a grandi en ignorant tout de sa double nature, tout en se démontrant instable, presque dément. Daniel, c'est son nom, a tout du Namor précédemment cité, en terme visuel. Visage marqué et sauvage, chevelure longue et d'une noirceur ténébreuse, il reprend la plupart des codes qui ont fait la fortune de Jae Lee avec le Prince des Mers. Le lecteur le rencontre vingt ans plus tard, dans une église, aux pieds de l'autel, avec à proximité le corps d'un prêtre assassiné. Bien entendu, le détective chargé de l'affaire découvre la scène, et révolté, il décide de provoquer le coupable apparent, pour ouvrir le feu et épargner à la communauté un procès coûteux. Sauf que...

Daniel n'est pas mort, contrairement à ce qu'une balle en pleine tête pourrait laisser supposer. Il est même du genre à ne pas pouvoir mourir, comme on l'apprend rapidement. Il parvient alors à sévèrement blesser Haight, le flic à la gâchette facile, et s'enfuir. Le détective va s'en remettre, mais il a d'autres chats à fouetter, puisque son gamin, qu'il frappe régulièrement à coups de ceinture, fait une fugue, et rencontre un double maléfique qui tente de s'approprier son âme. Pour couronner ce récit de dingos qu'il faut lire attentivement pour tout comprendre, Jonakand, l'ange d'autrefois, est revenu sur Terre pour emporter Isabelle avec lui. Il est toujours amoureux, à sa manière maladive et possessive, mais n'a plus rien de la créature de lumière d'alors. Il est devenu un horrible démon mutilé et torturé, qui va rencontrer aussi, pour la première fois, le fils qu'il ne savait pas avoir laissé derrière lui, le futur Hellshock...
La noirceur ce ces pages est envoûtante. Elle explose avec fracas, traversée par des intuitions fantasmagoriques, des apparitions sulfureuses, une lumière blafarde et tout à coup aveuglante. Jae Lee surjoue largement toute la partie démoniaque et angélique, et brosse un tableau quasi caricatural de cette opposition ancestrale et céleste. Mais c'est tellement sombre, glaçant, que les amateurs du genre sont séduits, happés par des planches qui laissent une forte impression, et sont la véritable raison de s'immerger totalement dans ce titre. Où l'amour fait mal, blesse au sang, et laisse des cicatrices qui résistent au temps.







LES ÉTERNELS DE GILLEN ET RIBIC : SEULE LA MORT EST ÉTERNELLE


 Par définition, s'ils sont éternels, c'est qu'ils ne peuvent pas vraiment mourir. C'est probablement la raison pour laquelle, au lieu d'êtres humains normaux, ils passent pour être des dieux aux yeux de tous; mais comme le rappelle Ikaris, le plus puissant d'entre eux, à plusieurs reprises, non, les Eternels dans cette incarnation sont plus des entités extraterrestres d'apparence humaine aux pouvoirs formidables. En réalité, lorsqu'un membre du groupe meurt, il finit par être ressuscité par une sorte de matrice. Une pratique assez récurrente chez Marvel, une constante même puisque chez les mutants aussi le décès n'est plus définitif. C'est d'ailleurs quelque chose qui peut s'avérer très gênant à la longue, car comment vibrer pour des personnages qui même lorsqu'ils se sacrifient, ont l'assurance de revenir juste derrière? Bref nous assistons dès les premières pages à la renaissance de Ikaris; c'est ensuite au tour de Sprite d'entrer en scène, ce personnage aussi espiègle qu'irritant. Kieron Gillen parvient très rapidement à poser les principaux pions sur la table, sans perdre les lecteurs qui sont entrés dans la danse uniquement grâce au récent film. Il est possible de tout comprendre des enjeux, d'autant plus qu'il recourt à un artifice dont Jonathan Hickman (toujours les X-Men) use et abuse à longueur d'épisodes, un savoir des pages "infographiques" où il est possible d'en savoir plus sur l'histoire et la géographie des Eternals. L'action commence vraiment lorsqu'un meurtre est commis dans la communauté. Un vrai (Zuras), sans retour possible. Les soupçons se tournent assez rapidement vers Sprite mais finalement c'est Ikaris qui va mener l'enquête, notamment dans la cité de Titanos, aujourd'hui totalement abandonnée, autrefois capitale des Eternels. Là-bas notre héros va faire une bien mauvaise rencontre puisque c'est Thanos en personne qui l'attend dans les décombres, et lui inflige une rouste mémorable, dont il est sauvé d'extrême justesse. Problème: si l'assassin recherché est réellement Thanos, comment expliquer qu'il ait pu emprunter les canaux d'accès et de sortie à la cité des Eternels, sachant qu'il n'en n'est pas vraiment un lui-même? Tout cela sent la traîtrise à plein nez.


Le point positif de cet album, c'est le fait que le scénariste parvienne à étoffer considérablement l'univers des Eternels, à le structurer, lui ouvrir de nouvelles pistes pour les années à venir, tout en modifiant le statut de ces personnages, comme à vouloir bien signifier à quel point ils sont singuliers et à quelle niveau il va falloir innover pour leur trouver une place de choix, qui ne soit pas redondante par rapport à tout ce qui existe déjà chez la Maison des idées. Du coup le point négatif c'est que certains éléments du récit nécessitent une connaissance de ces héros pour être pleinement appréciés, d'autant plus que Gillen parsème le tout de nombreuses touches d'humour, qui peuvent ne pas toujours paraître à propos. Néanmoins le cahier des charges est rempli, avec les Eternels, les Déviants, une caractérisation des personnages qui s'intéresse à tour de rôle à chacun des principaux intervenants, sans oublier Thanos en tant que grand méchant, qui réserve lui aussi une surprise. Le dessin est de Esad Ribic, qui est plus à considérer comme une sorte de peintre onirique qu'un dessinateur classique de super-héros. Demandez-lui de mettre de la poésie, du charme, du dynamisme à travers ses planches et vous allez être servis; par contre par endroits il faut bien admettre que son trait n'est pas des plus gracieux. Sur les réseaux, on a lynché par exemple un certain Romita Jr pour des visages et des physionomies qui ressemblent tout de même beaucoup à ce que l'on voit ici (dans les gros plans). Il ne faut donc pas aller chercher dans le détail le meilleur de sa prestation, mais plutôt en humer l'atmosphère globale, celle qui se dégage de son travail. Cette nouvelle époque des Eternels au format comics envisage clairement de lancer le récit vers de nouvelles pistes, et c'est quelque chose qu'il faut louer, mais cette manière un peu ironique et postmoderne de vouloir désacraliser à tout prix celles et ceux qui autrefois étaient considérés comme des créatures divines, peut aussi se révéler une opération casse-gueule. A charge pour le scénariste d'avoir de belles cartouches en réserve pour nous surprendre dans les mois à venir. En attendant cette édition chez Panini est soignée, attrayante et fortement recommandable.





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JEFF LEMIRE : EXCLUSIVITÉ IMAGE COMICS!


 Le scénariste et dessinateur canadien Jeff Lemire, l'un des auteurs les plus prolifiques de la scène comics de ces dernières années, a signé un accord exclusif avec Image Comics, pour la publication de toutes ses œuvres à partir de 2022. Parmi les premiers titres déjà annoncés pour cette année figurent Little Monsters, conçu avec Dustin Nguyen, et la série du projet The Bone Orchard Mythos, un univers fait d'histoires partagées, créé en collaboration avec le formidable italien Andrea Sorrentino (détails ici).

Image Comics a annoncé que d'autres comics réalisés par Jeff Lemire seront bientôt dévoilés, à la fois en tant qu'auteur des histoires et des dessins et en tant que seul scénariste. L'accord laisse de côté les oeuvres que Jeff Lemire doit terminer pour les autres éditeurs, comme la série Black Hammer et les spin-offs actuellement publiés chez Dark Horse Comics, en plus de celles créées en ligne pour la nouvelle plateforme Substack. Qui seront de toute façon publiées ultérieurement en édition papier par Image Comics. Ayant travaillé chez Image sur tant de projets au cours de la dernière décennie, j'en suis venu à apprécier la totale liberté créative et le soutien qu'ils m'ont apporté, a déclaré Jeff Lemire lors de l'annonce de cet accord. Je suis ravi de faire d'Image le foyer exclusif de tous mes projets dans les années à venir, tant les projets solo que je vais concevoir moi-même, que mes diverses collaborations. Ce qui a déjà été annoncé n'est que le début de ce que j'ai prévu pour cette année et la suivante. L'accord semble également mettre temporairement fin aux collaborations de Lemire avec Marvel et DC Comics, maisons d'édition avec lesquelles l'auteur a travaillé fréquemment au cours de la dernière décennie. S'il n'y a pas de projets en cours pour Marvel Comics, pour DC Comics Lemire publie actuellement Swamp Thing : Green Hell, avec les dessins de Doug Mahnke, une mini-série en trois numéros dont le premier est sorti en décembre dernier.



DEMAIN ACTE 1 : LES RÊVES CROISÉS DE LEO ET RODOLPHE


Une bande dessinée, ça peut être aussi un voyage; et comme tous les voyages il y a différentes façons de se mettre en chemin, différentes vitesses, à laquelle laisser défiler le paysage. Ainsi certains lecteurs privilégient l'objectif final. Il s'agit d'y arriver le plus vite possible, de la manière la plus efficace possible, et fonctionnelle. D'autres préfèrent flâner et s'imprégner de ce qui vient au hasard, considérant que l'expérience même de se déplacer est plus importante que de savoir où on va. J'utilise cette introduction pour présenter le ressenti à la lecture du tome 1 de Demain, qui est une excellente occasion pour mettre en pratique cette remarque, mais aussi pour retrouver le duo Leo Rodolphe, qui a déjà fait ses preuves à maintes reprises. Cet album présenté au format cartonné franco-belge est le premier d'une nouvelle série de science-fiction, où rien n'expliqué ou élucidé, où tout est suggéré. Deux mondes parallèles, deux réalités qui n'ont apparemment rien à voir l'une avec l'autre, sont au cœur de l'intrigue. Chacune avec ses propres personnages. Nous sommes invités en territoire inconnu, à nous de lire, de nous faire une idée, de patienter puis petit à petit faire connaissance avec les faits, rien que des faits. D'un côté nous retrouvons Jo, qui vit dans une sorte de rêve américain d'autrefois, tendance fifties sixties. Un petit village fait de burgers, de sorties entre amis et de cours au lycée local. Dans l'autre univers qui nous est présenté, nous suivons une jeune fille du nom de Fleur, accompagnée par son père, dans un monde ravagé par une succession de guerres, dévasté, sans pour autant qu'il soit possible de connaître les détails de ces conflits. Qui peut-être importent peu, ou pas du tout. Tous les deux sont obligés de fuir la violence de bandes ou de cartels locaux; ils prennent la route avec un peu d'argent et aucun effet personnel, à la recherche d'un endroit où vivre en paix. On vous le dit, Demain c'est aussi un voyage. 


Dans les deux cas le mystère est complet, ou pour être exact, les questions s'amoncellent, et ne débouchent pas (pour le moment) sur des réponses évidentes. Jo et sa petite bande, par exemple, se retrouvent dans une ancienne masure qui semble abandonnée, et au dessus de laquelle règne un microclimat assez surprenant (il pleut en permanence!). L'intérieur de l'habitation recèle une pièce sombre et d'une étendue illimitée, une sorte de caverne improbable. Fleur et son père sont de leur côté pris en chasse par une milice violente, qui souhaite utiliser les talents de médecin du paternel pour sauver les hommes de son organisation. Qui sont-ils, que s'est-il passé avant, que signifie cet espace étrange découvert par Ted, Jo et ses potes? Au lecteur de se faire sa petite idée, sachant qu'en fin de volume, on découvre que les rêves de l'un croisent ceux de l'autre. Fleur et Jo ne se sont jamais rencontrés, ne semblent pas vivre sur le même plan d'existence, mais leurs songes sont mêlés. Ce récit très surprenant, et envoûtant, est dessiné par Louis Alloing, dans la tradition de la ligne claire. Pas d'esbrouffe, pas de tentative de surjouer l'étrangeté et l'onirique, les planches sont d'une limpidité et d'un académisme presque un poil suranné, ce qui au final ajoute encore à l'impression d'avoir entre les mains un produit unique, énigmatique. Demain est totalement intrigant et presque unique en son genre, une belle petite surprise qui appelle une suite rapide, on l'espère. 




UNIVERSCOMICS LE MAG' #19 : SPIDER-MAN LE TISSEUR DE TOILE(S)

 


SPIDER-MAN : Le tisseur de toile(s)
🎬Dossier Spider-Man au cinéma
🕷 Spider Lectures, quelques récits forts
🦸‍♂️Spidey et l'univers 2099 passés au crible avec #AnthonyHuard
🏆Les dix meilleurs costumes et avatars de Spider-Man avec Alexandre Chierchia
📕 Actu VO avec les nouvelles séries AWA Studios à ne pas perdre ! Upshot Studios
📓 Le cahier critique. Review des sorties du mois écoulé, on file chez Panini Comics France Éditions Soleil Les Humanoïdes Associés UrbanComics DisneyPlus Editions Black & White
🎧 La BD "francobelge" c'est le rayon de l'excellent podcast #LeBulleur, et ses chroniques inspirées. On file droit chez Éditions Delcourt Éditions Denoël Dargaud Éditions Dupuis Les Arènes BD
👀 Preview : 3keys de #DavidMessina arrive chez Shockdom France
🔎 Focus sur les tableaux somptueux de #FredIan. Des super-héros de toute beauté. Fred Ian
🖍 Le portfolio du mois de janvier
📚 Le guide des sorties VF de janvier, petite sélection
#SpiderMan virevolte en couverture avec le talent de #Shamserg que nous remercions infiniment!
Votre Mag' est habillé et maquillé par Benjamin Carret Art Page magicien de la couverture
Le variant Omicron n'a jamais empêché de lire des comics, alors profitez bien de votre mois de janvier. Rendez-vous début février pour un numéro 20 si tout va bien.
Un très grand merci à toutes et à tous, pour votre fidélité à UniversComics, le blog, les réseaux, et le Mag' Vous êtes un public et un lectorat cinq étoiles! Pour nous aider, c'est simple, abonnez-vous, et partagez, partagez, encore et toujours, dans vos groupes, sur vos profils, avec vos amis. Pour vos commentaires, ça se passe ci-dessous. Bonne année ! ! !

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : BILLY LAVIGNE

 Dans le 196e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Billy Lavigne que l’on doit à Anthony Pastor, un ouvrage publié chez Casterma...