Dans les années 90, vous avez peut-être subi le charme vénéneux des planches expressionnistes de Jae Lee, qui avait vraiment révolutionné la manière de présenter un héros comme Namor, ou le groupe X-Factor, chez Marvel. Profitant du phénomène Image et de la possibilité d'écrire ses propres histoires, l'artiste propose alors une première mini série au parcours tourmenté, Hellshock, qui va finalement éclore en 1994 sur le label Top Cow. S'il y aura une seconde mini série quelques années plus tard, c'est sur cette première version que nous allons nous attarder.
Comme souvent dans les comics de l'époque, il y est question du mal, du bien, de la lutte mystique entre ces deux notions fondamentales, et d'anches déchus, ou de démons, au choix (tiens, ça ressemble pas mal à Spawn, sur le fond).
Isabelle, encore adolescente, s'est laissée séduire par un ange aux ailes magnifiques, avec qui elle a connu l'amour physique, et qui a laissé une trace de son passage. Un enfant est né de cette union singulière, un gamin qui a vite été éliminé, et qui a grandi en ignorant tout de sa double nature, tout en se démontrant instable, presque dément. Daniel, c'est son nom, a tout du Namor précédemment cité, en terme visuel. Visage marqué et sauvage, chevelure longue et d'une noirceur ténébreuse, il reprend la plupart des codes qui ont fait la fortune de Jae Lee avec le Prince des Mers. Le lecteur le rencontre vingt ans plus tard, dans une église, aux pieds de l'autel, avec à proximité le corps d'un prêtre assassiné. Bien entendu, le détective chargé de l'affaire découvre la scène, et révolté, il décide de provoquer le coupable apparent, pour ouvrir le feu et épargner à la communauté un procès coûteux. Sauf que...
Daniel n'est pas mort, contrairement à ce qu'une balle en pleine tête pourrait laisser supposer. Il est même du genre à ne pas pouvoir mourir, comme on l'apprend rapidement. Il parvient alors à sévèrement blesser Haight, le flic à la gâchette facile, et s'enfuir. Le détective va s'en remettre, mais il a d'autres chats à fouetter, puisque son gamin, qu'il frappe régulièrement à coups de ceinture, fait une fugue, et rencontre un double maléfique qui tente de s'approprier son âme. Pour couronner ce récit de dingos qu'il faut lire attentivement pour tout comprendre, Jonakand, l'ange d'autrefois, est revenu sur Terre pour emporter Isabelle avec lui. Il est toujours amoureux, à sa manière maladive et possessive, mais n'a plus rien de la créature de lumière d'alors. Il est devenu un horrible démon mutilé et torturé, qui va rencontrer aussi, pour la première fois, le fils qu'il ne savait pas avoir laissé derrière lui, le futur Hellshock...
La noirceur ce ces pages est envoûtante. Elle explose avec fracas, traversée par des intuitions fantasmagoriques, des apparitions sulfureuses, une lumière blafarde et tout à coup aveuglante. Jae Lee surjoue largement toute la partie démoniaque et angélique, et brosse un tableau quasi caricatural de cette opposition ancestrale et céleste. Mais c'est tellement sombre, glaçant, que les amateurs du genre sont séduits, happés par des planches qui laissent une forte impression, et sont la véritable raison de s'immerger totalement dans ce titre. Où l'amour fait mal, blesse au sang, et laisse des cicatrices qui résistent au temps.
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