L'intégralité de Heroes Reborn, dans un seul et immense omnibus, c'est désormais une réalité. Cette période si particulière de l'histoire de la maison des idées recoupe quatre séries différentes, à savoir Fantastic Four de Brandon Choi, Jim Lee et Scott Williams - Iron Man de Scott Lobdell, Jim Lee, Whilce Portacio et Scott Williams - Captain America de Rob Liefeld et Jeph Loeb - Avengers de Rob Liefeld, Jim Valentino et Chap Yaep. Entre la fin des années 80 et le début des années 90, une nouvelle génération de dessinateurs fait son entrée sur la scène des comics super-héroïques, et ils deviennent vite plus populaires que les personnages eux-mêmes. Todd McFarlane sur Amazing Spider-Man, Jim Lee sur Uncanny X-Men et Rob Liefeld sur New Mutants proposent une approche graphique innovante, débordante d'énergie. De l'adrénaline à l'état pur. Ils explosent l'organisation traditionnelle des planches, qui débordent d'action, regorgent d'anatomies hypertrophiées et de héros et héroïnes hypersexualisés. L'histoire passe au second plan, la claque visuelle devient la règle. Mais chez Marvel, les artistes ne sont pas les propriétaires de leurs créations, des séries sur lesquelles ils travaillent, ce qui a pour conséquence une perte de gains importante. D'où l'idée d'aller voir ailleurs, de créer une nouvelle maison d'édition (Image Comics), dont les nouveaux titres pompent d'ailleurs sans vergogne ceux de Marvel (WildCats et les X-Men, en exemple parfait). Qui finit par réagir à la baisse des ventes et à la nécessité de relancer l'intérêt pour ses parutions, en faisant appel aux sécessionistes! Quoi de mieux que de donner carte blanche aux anciens prodiges depuis installés à leur compte, pour sauver les meubles et inventer quelque chose de radicalement inédit? Les studios Wildstorm de Jim Lee récupèrent Fantastic Four et Iron Man, tandis que les studios Extreme de Rob Liefeld tournent leurs attentions vers Avengers et Captain America. Pour la première fois de son histoire Marvel accepte de ne pas produire certains de ses titres les plus traditionnels, les sous-traitant en fait à des studios externes qui se chargent de les insérer dans l'ère du temps des années 90, grâce au "Style Image" éprouvé. L'événement éditorial qui a caractérisé cette décision est entré dans l'histoire sous le nom de Heroes Reborn, c'est à dire la renaissance des héros. L'excuse pour parvenir à tout ceci a été fournie par Onslaught, le cross-over Marvel de l'été 96 développé principalement sur les titres des X-Men, et des Avengers et dérivés. Le méchant qui a donné son nom à l'histoire est une fusion involontaire des pouvoirs psychiques de Charles Xavier, dont l'esprit avait absorbé la personnalité de Magneto, avec ceux sur le magnétisme de ce dernier, générant un monstre qui menaçait de détruire tout l'univers Marvel. Après avoir affronté pratiquement tous les héros disponibles sur la place, Onslaught a été dompté par l'intervention combinée des X-Men, des Avengers et des Fantastic Four, ces deux derniers groupes ayant sacrifié leur vie pour finalement éliminer l'entité maléfique. En réalité, les héros n'étaient pas morts : Franklin Richards, le puissant fils mutant de Reed et Sue Richards, avait créé une dimension de poche, un univers alternatif dans lequel entraîner tout ce beau monde juste avant le trépas. Ainsi, alors que le reste de l'univers Marvel pleurait leur disparition et honorait leur sacrifice, les Vengeurs et les Quatre Fantastiques renaissaient dans un autre univers narratif, semblable à celui d'où ils venaient, mais différent. Les héros ont revécu leur vie depuis le début, ignorant leur passé, une opportunité unique pour gommer certains points noirs, insérer de nouveaux éléments plus "modernes", et pour les rendre attrayants aux yeux des nouveaux lecteurs vierges d'expériences super-héroïques.
Opération rénovation alors, coup de torchon sur la poussière, et autre interventions esthétiques. Dans les six premiers numéros de Fantastic Four, Jim Lee a raconté les origines du quatuor, aidé par son vieil ami Brandon Choi aux dialogues, donnant aux lecteurs non seulement sa version de Reed, Sue, Ben et Johnny, mais aussi celles de personnages comme Fatalis, Namor, Galactus, Silver Surfer et Black Panther. La naissance des Quatre Fantastiques a été modernisée, éliminant pour la première fois l'élément vintage de la course à l'espace dans une fusée approximative, au profit d'une mission parmi les étoiles, sous l'égide du S.H.I.E.L.D., qui s'est évidemment mal terminée. Tout le premier arc narratif est en réalité une relecture du mythe explosive et somptueuse, un hommage au travail de Stan Lee et Jack Kirby. Dans Iron Man aussi, les auteurs ont pris soin d'actualiser les origines d'un personnage qui, en l'occurrence, trouve ses racines dans les interventions guerrières américaines en Corée et au Vietnam des années 1960. L'armure est toujours l'idée de Tony Stark, mais le contexte a complètement changé. Stark est le leader d'un groupe de scientifiques brillants, amis depuis l'université, qui se font appeler les "Chevaliers Atomiques de la Table Ronde" : outre Stark, Bruce Banner, Reed Richards, Victor Von Doom et Hank Pym en font partie. Plus Rebel O'Reilly, le seul du consortium à être originaire de ce nouveau monde. Lorsque Tony teste une armure futuriste avec Rebel aux commandes, causant involontairement sa mort, les Chevaliers se séparent et chacun suit son propre chemin. Stark va par la suite se frotter à Hulk, surdopé aux rayons gamma, comme le veut la coutume. De toutes les séries de La renaissance des héros, Iron Man est sans doute la meilleure, aussi bien grâce aux intrigues imaginées par Jim Lee et Scott Lobdell, à l'époque démiurge des titres mutants, que parce qu'elle était la plus innovante, grâce à la caractérisation d'un Tony Stark qui commençait à se rapprocher de celle du nouveau millénaire, et pour une révision esthétique de poids de la technologie de l'armure, confiée à un Whilce Portacio en état de grâce. Le Captain America de Rob Liefeld est lui une déclaration d'amour au personnage, un effort généreux parasité par les limites artistiques bien connues du bon vieux Rob. Néanmoins, entre les exagérations anatomiques et les poses invraisemblables on remarque aussi des idées très intéressantes. Tout d'abord, Captain America n'est pas retrouvé en animation suspendue dans la glace comme le veut la tradition, mais il vit dans une banlieue en périphérie, inconscient de son passé de Sentinelle de la liberté, travaillant comme ouvrier et père de famille. Mais c'est un mensonge, semblable à celui vécu par Arnold Schwarzenegger dans le film Total Recall de Paul Verhoeven. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Steve Rogers avait critiqué le largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, défiant violemment le président Truman. Ce geste lui avait coûté une "mise au placard", avec l'annulation de ses souvenirs et le début d'une fausse vie. Il récupère alors son identité juste à temps pour faire face à la menace d'une cellule nazie, derrière laquelle se cachent d'anciennes menaces telles que le Baron Zemo, Master Man et le Crâne Rouge. Liefeld a également insufflé cet enthousiasme dans Avengers, l'autre publication dirigée par ses Extreme Studios, dans laquelle il a collaboré avec Jim Valentino et plus tard Jeph Loeb, partageant aussi le dessin avec un élève très peu doué, Chap Yaep, et avec une jeune star de ces années-là, Ian Churchill. Yaep, c'est vraiment horrible, limite dégueulasse! Le groupe comprenait des monuments comme Captain America, Thor, Iron Man, Scarlet Witch, Vision, Hawkeye, réinterprétés à la sauce peu délicate d'Extreme Studios. L'intrigue tournait autour des manigances de Loki, là aussi un passage obligé quand on affronte un titre Vengeur. Liefeld a introduit des innovations intéressantes qui seront plus tard reprises dans d'autres domaines: les Avengers ne sont plus un groupe de héros qui se rencontrent au hasard lors de leur première mission, mais une équipe d'agents super-gouvernementaux sous les ordres du Shield, 16 ans avant que la même dynamique ne soit racontée sur grand écran ou un peu plus tôt explorée dans le monde des Ultimates.
Au final, Heroes Reborn est un énorme succès. Au début. Au bout de six mois, Jim Lee devient architecte unique du projet, puisque les studios de Rob Liefeld sont dessaisis de leurs titres. L'histoire commence à patiner, les planches à se détériorer, et on sent que le soufflé de la nouveauté menace de s'effondrer d'un mois à l'autre. Avec Heroes Return, Marvel allait tirer un trait sur une tentative avortée de changer la donne à jamais, artistiquement intrigante et audacieuse. Aujourd'hui la question n'est même plus de savoir si la qualité est au rendez-vous, ou s'il s'agit d'épisodes de mauvais goût; c'est devenu un pan nécessaire de l'histoire de la Maison des Idées, un témoignage historique de premier ordre, qui n'avait jamais été publié en librairie, avant cet Omnibus mastodonte. Qui va en réjouir beaucoup!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous nous lisez? Nous aussi on va vous lire!