BATMAN CHRONICLES 1987 VOL.2 : BATMAN YEAR TWO ET LE DUO BARR/DAVIS


 Second volume pour l'année 1987 et les Chroniques de Batman, qui nous ont déjà séduits en aussi peu de rendez-vous. Il s'agit cette fois de se concentrer sur Detective Comics, une série qui comme son nom l'indique fait la part belle aux enquêtes et à toutes les énigmes qui peuvent se poser au Chevalier Noir. C'est d'autant plus important de le souligner que le lecteur découvrira dans les pages de cet album un numéro anniversaire pour fêter les 50 ans du magazine, qui va exhumer une figure légendaire comme Sherlock Holmes, impliquée dans une affaire inédite, qui voit aussi l'héritier du terrible professeur Moriarty et d'autres personnages comme Extensible Man parmi les figurants. À l'époque, Detective Comics est confié à Mike Barr, un scénariste très sous-estimé, qui a pourtant laissé une empreinte indélébile et remarquable sur la série. Il faut dire qu'il est parfaitement aidé par un dessinateur qui ne faisait pourtant pas l'unanimité à l'époque, Alan Davis, le Britannique et son style souple, parfaitement lisible et toujours expressif. L'auteur de planches remarquables faisait pourtant l'objet de critiques récurrentes dans la page du courrier des lecteurs américaine. L'ambiance est tout sauf à la sinistrose, puisque Batman et son Robin d'alors, c'est-à-dire Jason Todd, ont pris l'habitude de rivaliser à coups de bons mots, de calembours, même lorsque la situation est assez tragique, comme quand le Joker décide de laver le cerveau de Catwoman, pour en faire une alliée et porter atteinte à son ennemi de toujours, Batman, qui entretient une relation sentimentale non assumée avec la belle cambrioleuse. Ou encore lorsque le Chapelier Fou et l'Epouvantail sont de retour sur scène, sans pour autant être capable de tenir la dragée haute à nos deux justiciers plus d'une vingtaine de pages. C'est clairement une époque beaucoup plus insouciante, où même les pires situations sont toujours envisagées avec un ton guilleret qui peut surprendre le fan moderne du Dark Knight, habitué aux ambiances poisseuses et ultra glauques. Cependant, ce second volume pour 1987 propose aussi un moment de césure très important, celui où dans le feu de la bataille Batman oublie un instant de garder à œil le jeune prodige Robin. Lorsqu'il se retourne, c'est pour retrouver le gamin inanimé au sol après qu'il ait reçu plusieurs balles. Le lecteur réalise alors qu'il y a tout de même un côté inconscient à entraîner un jeune garçon dans une croisade folle, comme le fait parfaitement remarquer la doctoresse Leslie Thompkins, qui est un peu notre porte-voix à tous, et qui est la seule à pouvoir secouer un super-héros dont elle connaît bien entendu la double identité, puisque c'est elle qui a recueilli le jeune Bruce Wayne, après l'assassinat de ses parents. Dès lors le ton peut changer.



Le terrain est donc bien préparé pour une nouvelle histoire fondamentale de Batman, à savoir Year Two, qui fait bien entendu écho au célèbrissime Year One de Frank Miller. Ici, il est beaucoup plus question des débuts de Batman en tant que tel que du moment où Bruce Wayne décide d'endosser son costume et d'initier sa croisade. Quatre épisodes de Detective Comics qui connaissent pourtant un couac en cours de route, avec le départ d'Alan Davis, qui décide de claquer la porte, frustré d'être obligé de modifier certaines cases (on lui demande de redessiner l'arme à feu utilisée par Batman). Oui, vous avez bien lu, le justicier utilise le même revolver qui a servi à abattre ses parents lorsqu'il était encore jeune enfant, et il va même devoir faire équipe avec l'assassin, c'est-à-dire le malfrat Joe Chill, dans le but de mettre fin aux agissements d'un criminel qui s'était retiré des affaires depuis une vingtaine d'années, le Faucheur. Si les raisons pour lesquelles Batman a besoin d'aller chercher des alliés dans la pègre est tout de même un peu léger, l'histoire fonctionne d'autant mieux que ce vilain ultra violent est aussi le père de celle dont Bruce Wayne est tombé amoureux. Une passion aussi soudaine qu'étonnante, puisqu'il va même jusqu'à proposer le mariage à la belle Rachel Caspian au bout de quelques jours. Le lecteur a droit alors à trois épisodes dessinés par Todd Mcfarlane, qui était encore loin d'être la grande star des comics qu'il est aujourd'hui. Encore dessinateur inexpérimenté et parfois balbutiant, McFarlane alterne les moments forts et les scènes iconiques, notamment grâce au rendu de la cape de Batman, qui préfigure ce que sera plus tard Spawn, et une noirceur omniprésente qui se marie bien avec la construction des planches. Mais à d'autres moments, on devine son trait encore fragile et un poil trop disgracieux. Par la suite, il affinera ces petites faiblesses au point même de faire de sa tendance à la caricature une des forces sur lesquelles il pourra s'appuyer. L'année 1987 se termine pour Detective Comics par quelques épisodes sympathiques mais un peu plus inconséquents, où on voit apparaître Norm Breyfogle, qui deviendra par la suite un dessinateur très apprécié et régulier sur le titre, ainsi que Jim Baikie. L'occasion de faire un tour dans la clinique du Docteur Crime ou de revoir Doubleface en action. Comme toujours, Urban comics propose un plus indéniable dans cette collection, c'est-à-dire les parties rédactionnelles traduites en français, qui permettent de contextualiser à merveille les histoires que nous venons de lire, avec des anecdotes sur leurs créateurs, mais aussi sur les conditions historiques dans lesquelles elles sont nées. L'ensemble est présenté dans un softcover très agréable à feuilleter, sur un papier mat plutôt granuleux. Il est inutile que je vous le répète, ces Chronicles figurent déjà en place d'honneur sur mes étagères. Vite, un tome 3, et on attend avec impatience l'extension de la gamme aux autres personnages majeurs de DC comics!






KING SPAWN : L'UNIVERS DE SPAWN EN EXPANSION CHEZ DELCOURT


Non seulement la série fétiche de Todd McFarlane, c'est-à-dire Spawn, a particulièrement bien rebondi ces dernières années, mais voici désormais que s'ouvrent de nouveaux horizons fascinants, avec la création d'un univers partagé et plusieurs titres consacrés aux aventures de Al Simmons et de tous les autres symbiotes venus des Enfers. Pour ce qui est de la version française, ça commence ces jours-ci avec le tome 1 de King Spawn disponible chez Delcourt. Bien évidemment, si vous êtes un lecteur de passage ou qui a lâché l'affaire depuis longtemps, quelques petits éléments sont nécessaires pour appréhender l'histoire dans son ensemble. Toutefois, les efforts à fournir sont peu nombreux et vous n'allez pas non plus être complètement perdus. Sachez juste que tout le nécessaire est explicité dans cet album. C'est à dire que Spawn a scellé ce que l'on appelle les zones d'ombres, plus concrètement des lieux de passage qui permettent aux créatures du ciel et des enfers de débarquer sur terre et vice-versa. Anges et démons sont ainsi dans l'impossibilité de nous rendre visite (pour prolonger leur guerre infernale) et beaucoup d'entre eux sont piégés sans pouvoir retourner chez eux, avec quelques gros calibres d'outre-monde également, au passage. Il se trame quelque chose de particulièrement terrifiant dans l'ombre et tout ceci devient évident le jour où un enseignant se fait exploser dans une école, entouré par des petits enfants. La tragédie est en fait un message qui est adressé directement à Spawn. Sur les lieux du drame, et lors d'attentats successifs, le psaume 137 est évoqué, un passage tiré de la Bible (un livre à qui on peut faire dire tout et son contraire comme vous le savez, à l'instar de tout texte religieux) qui inciterait au massacre d'enfants innocents, pour des raisons spirituelles douteuses. Tout porte à croire que le responsable qui tire les ficelles de cette bien sombre affaire soit un certain Metatron, c'est-à-dire un ancien humain qui a finalement rejoint les forces divines et est devenu une créature démoniaque. Mais lui aussi est vite trucidé, et la menace gagne en épaisseur. Ce sont de vieilles connaissances qui refont surface, et leur plan converge vers Spawn, futur roi des enfers? 


Première constatation évidente à la lecture de King Spawn, il faut avoir le cœur bien accroché pour dévorer ces pages; il existe en effet peu de tabous aussi choquants que celui de la mort des enfants. Ici les bambins sont le prétexte à une guerre de pouvoir entre les forces de l'au-delà et pour provoquer Spawn, l'amener à prendre une décision contre sa volonté. Il y a aussi une approche particulièrement sarcastique et sombre de la religion, c'est-à-dire la manière dont des personnes peuvent interpréter et dévoyer des textes sacrés, des citations prises totalement hors contexte, afin de mener une croisade toute personnelle. Psaume 137 ou Daech, par exemple, il est tout à fait possible de lire dans ces pages une critique au vitriol de la manière dont le fait religieux est utilisé comme prétexte à des carnages sans motifs valables. Tod McFarlane a laissé Sean Lewis aux commandes de cette série, qui devient donc le second vaisseau amiral de l'univers de Spawn aux côtés du mensuel originel, qui vogue désormais allègrement depuis plus de 30 ans. Du coup, on retrouve de vieilles têtes, des personnages qui ont marqué les toutes premiers pages de Spawn, comme par exemple Billy Kincaid, cet horrible pervers qui attirait à lui les enfants, pour ensuite les démembrer dans sa camionnette de marchand de glace, et qui ici a obtenu un sérieux upgrade après un séjour dans les enfers. Mais quand on parle de la mythologie de Spawn, on en revient également à ce guet-apens qui lui a coûté la vie en Afrique, et qui est aussi revisité afin d'en tirer de nouveaux éléments, qui vont être utiles à notre histoire. On notera également, une fois refermé l'ouvrage, l'impression que les auteurs sont en train de mettre en place l'arrivée d'un pouvoir occulte qui n'est pas sans trouver une correspondance chez la Cour des hiboux chère à Batman. Il s'agira alors de la Cour des Prêtres. Et clairement, tout cela ne serait pas aussi formidable s'il n'y avait pas le dessin de Javi Fernandez pour illuminer la scène. Le verbe est peut-être mal choisi car en réalité sa capacité à transformer la noirceur et les ténèbres en quelque chose de visuellement remarquable -et qui vous saute au regard- est d'une qualité indéniable. Son style est volontairement sale, ambigu et perturbant, et on saluera d'autant plus sa performance qu'il travaille toujours de manière authentique, c'est-à-dire un dessin avant tout manuel, qui se passe pour la réalisation des grands traits de l'aide de l'ordinateur, de la tablette graphique. King Spawn mérite réellement l'appellation de comic book horrifique, il n'hésite pas à plonger très loin dans le malaise. Il recycle tout ce qui a fait le succès du personnage, toutes ses caractéristiques, pour aller encore plus loin et tenter de placer l'avatar d'Al Simmons face à un dilemme inédit, tout en lui offrant une dimension et un rôle qui inéluctablement devaient un jour être le sien. En parallèle, comme cela se vérifiait depuis déjà des mois dans la série régulière historique, Spawn n'agit pas seul, mais entouré d'une véritable petite équipe qui va lui être bien utile, face aux menaces qui se manifestent à l'horizon. C'est absolument le moment idéal pour remonter à bord ou enfin se décider à se joindre à l'aventure; les retardataires ont toujours tort, ici plus que jamais.






GEIGER : LES DÉBUTS NUCLÉAIRES DE "THE UNNAMED" DE GEOFF JOHNS


 On croyait l'hypothèse d'un conflit nucléaire réservée aux pires heures du passé, cette longue et étrange période que l'on nomme aujourd'hui la Guerre Froide. Les derniers événements internationaux nous prouvent qu'il convient tout de même de faire attention, car l'impossible pourrait bien un jour devenir réalité. C'est en tout cas ce qui s'est produit dans cet album que propose Urban Comics, intitulé Geiger. Le feu nucléaire s'est déchaîné sans que l'on comprenne bien pourquoi; d'ailleurs, la seule alternative possible pour les citoyens du monde est de se réfugier dans des abris, des bunker dans lesquels attendre la fin de l'effet des radiations. Oui mais voilà, les places sont chères et tout le monde ne possède pas ce genre de ressources. Par exemple ce n'est pas le cas des voisins de Tariq Geiger. Lorsque ce dernier (qui porte un nom de famille assez prédestiné)  décide de mettre sa famille à l'abri, il est sauvagement agressé par ceux qui habitent à côté de chez lui et qui désirent s'emparer de son bunker. Tarik parvient à mettre sa famille hors de danger mais pour lui, il est trop tard. Lorsque la bombe explose, il est investi par son souffle et ses effets; à partir de là, le lecteur se rend compte que ce n'est pas la mort atroce qui est au bout du chemin, mais au contraire, une transformation particulièrement étonnante. Tarik avait un cancer avant que les faits se produisent, peut-être est-ce pour cela… toujours est-il que son organisme a subi une étrange mutation, au point qu'il devienne un surhomme dans un monde où la loi n'existe plus, où la civilisation s'est effondrée. Il y a donc un guerrier phosphorescent qui intervient dans certaines situations désespérées. Certains voient en lui une légende, mais tôt ou tard, ils ont affaire à l'étonnante réalité de l'existence de ce type, dont l'obsession est la protection d'un abri antiatomique, qui contient… bon inutile que je rentre dans les détails, vous avez vu le début de cet article et vous avez compris. Geoff Johns a un talent inné pour créer un univers et des histoires à partir de pas grand-chose et cette fois encore, même si le sujet a déjà été maintes fois abordé, croyez-moi, il fait preuve d'un savoir-faire évident.




Geiger, c'est un peu une centrale nucléaire ambulante. Il est obligé de s'insérer deux barres de bore dans le dos pour maîtriser sa formidable puissance, à l'instar du noyau de la centrale qui autrement atteint son point critique de fusion. Un personnage solitaire et tragique, qui a perdu sa famille donc, mais qui va récupérer au passage deux enfants en cavale, les prendre sous sa coupe et leur sauver la vie. Dans le monde post-apocalyptique de Geoff Johns, l'Amérique s'est effondrée et la ville de Las Vegas, le paradis du jeu et des casinos, est transformée en un aréopage de personnages délirants, avec à leur tête un roi bouffon qui rêve d'écraser tous ceux qui se dressent sur son chemin. Il faut le dire très sincèrement, par endroits nous sommes vraiment au bord du grand n'importe quoi, tellement l'histoire de s'embarrasse pas de crédibilité et fonce bille en tête vers sa résolution. Ajoutons surtout que ce qui peut sembler un point faible est en fait une force, car il est toujours possible d'écrire des comics intéressants et qui vous prennent aux tripes, sans s'embarrasser d'une description minutieuse de ce que seraient les faits dans la vie réelle. Nous sommes ici face à du divertissement un peu grand guignol certes, mais bien écrit, qui respecte tous les codes et donne envie d'en savoir plus. Et ça tombe bien car tout ceci s'insère dans un projet beaucoup plus complexe et organique intitulé The Unnamed, c'est-à-dire une histoire alternative des États-Unis à travers les destins d'une série de nouveaux héros ou anti-héros, qui à travers les siècles apparaissent sans que personne ne puisse vraiment savoir grand-chose sur leurs identités et leurs agissements. Johns est accompagné de Gary Frank dans cette grande aventure, et c'est une bonne nouvelle, tant le trait précis, anatomiquement remarquable et ombrageux à souhait de l'artiste rehausse l'ensemble des idées du scénariste, pour donner une atmosphère captivante et par endroit lugubre à ce qui constitue une découverte jouissive. Oui on a vraiment beaucoup aimé Geiger, parce que cette bande dessinée ne souffre d'aucun complexe, ne se prend pas pour ce qu'elle n'est pas et avec une certaine forme de naïveté, elle parvient droit au but, c'est-à-dire nous faire vibrer tout en inventant un un terrain de jeu fascinant. 






MADMAN : LE HÉROS CULTE DE MIKE ALLRED EN INTÉGRALE


 En règle générale, quand vous êtes victimes d'un accident de la route terrifiant, vous avez très peu de chance de vous en sortir. C'est pourtant ce qui s'est produit dans le cas de celui qu'on appelle Franck Einstein; à défaut de connaître sa véritable identité, le type est revenu à la vie. Pour être plus précis, il a été rafistolé à la manière du monstre de Frankenstein par un scientifique, le docteur Boiffard. Depuis, le miraculé se balade dans une sorte de justaucorps blanc qui ressemble en fait vaguement à un pyjama orné d'un éclair, censé rappeler celui qui était son super héros préféré dans le passé, Capitaine Excitation. L'action se déroule à Snap City, une ville imaginaire où notre apprenti super-héros essaie de retrouver la mémoire et fait l'étalage de ses pouvoirs psychiques, qui en réalité ne fonctionne qu'une fois sur deux. Pour simplifier, lorsqu'il touche son adversaire ou finalement n'importe qui d'autre, il peut arriver qu'il ressent des souvenirs et des émotions, qui lui permettent de définir la vraie nature de ces individus. Au départ publié en noir et blanc et désormais mis en couleur pour cette belle édition, Madman n'est pas vraiment un super-héros; plutôt un personnage qui oscille entre le loufoque et l'aventure, avec un petit à côté expérimental, notamment visible dans un dessin qui ne s'embarrasse pas de fioritures et semble au premier abord d'une grande accessibilité. L'éditeur Huginn & Muninn se lance dans l'a publication au long cours de jolis volumes intitulés "intégrales"; dans le premier, il est ainsi possible de découvrir les toutes premières origines de Madman, dans un récit bref intitulé Changez de disque, où il est question de la difficulté de se faire accepter quand on a une apparence peu ragoutante. Arrive ensuite la première mini série historique du personnage, où celui-ci est encore à dégrossir et plus victime des événements, que véritable acteur de sa bande dessinée. Une mise en bouche avant le feu d'artifice des papilles (et des mirettes). 




La candeur du style de Mike Allred, que nous pourrions tout simplement aussi définir sa fraîcheur, est clairement influencée par les œuvres d'artistes mondialement connus, comme Jack Kirby, Alex Toth ou encore Will Eisner. Toutefois, à la différence de ses illustres prédécesseurs, le succès s'est fait attendre pour notre homme. Il a fallu attendre le début des années 1990 pour voir apparaître enfin un lectorat conquis par le personnage de Madman, dont le nom est emprunté à l'un des appellatifs que se donne le héros du roman l'Attrape-Coeur de J.D Salinger. Le personnage principal, Frank Einstein, est pour sa part un croisement entre Frank Sinatra et Albert Einstein. Comme nous l'avons dit précédemment, même si la couleur de Laura Allred, l'épouse, est omniprésente dans ce premier volume de l'intégrale, au départ le noir et blanc, en hommage aux films des années 1950 -mais qui en réalité est tout simplement né de moyens économiques bien limités- est aussi à la base du succès d'un titre qui repose sur un univers loufoque, futuriste, psychédélique et déroutant, où l'on peut trouver des monstres, des beatnik, des extraterrestres, des voyages dans le temps et bien entendu des scientifiques complètement dingues, comme ceux qui sont à la base même de la création de Madman. Le docteur Boiffard et son compère, le docteur Flem, sont par exemple de ce tonneau. La romance est aussi de la partie avec la très jolie Josephine "Jo" Lombard, qui est la seule à voir la beauté chez celui qui en réalité ressemble davantage à un monstre. Madman n'hésite pas à foncer vers le danger, mais son arme principale est assez risible, une sorte de yoyo qui a plusieurs fonctions et qui fait mouche régulièrement. Les aventures de Madman gagnent peu à peu en ambition et se complexifient, comme lorsque le héros se perd dans le flux temporel en compagnie du docteur Flem, jusqu'au point de se retrouver plongé dans une préhistoire improbable ou l'attendent des dinosaures et une petite vieille extrêmement possessive. Il s'agit ensuite de partir à la recherche d'un extraterrestre qui s'est perdu sur notre planète il y a 2000 ans, et dont la race tente l'improbable rapatriement avec l'aide de Frank. Il faudra alors remonter jusqu'au secret du peuple maya, pour retrouver le malheureux égaré. Petit à petit commencent également à se développer des trames secondaires, comme par exemple le sérum qui permet au docteur Boiffard d'augmenter la masse de son cerveau. Ces épisodes sont particulièrement importants parce qu'ils permettent de construire les bases de ce qui va être par la suite un succès massif, dès 1994 lorsque Madman sera publié par Dark horse sur l'étiquette Legend. S'il faut déterminer quelles sont les véritables influences thématiques de Allred, alors il faudrait littéralement creuser en profondeur, car il y a de tout ici, que ce soit la science-fiction la plus classique, les  délires cosmiques ou religieux, les B-movies et bien entendu le pop art, c'est-à-dire cette faculté de manipuler, de transformer la banalité du quotidien, pour en faire quelque chose d'autre, une sorte de pont dressé entre la sous-culture américaine des années 1950 et la bande dessinée moderne, avec toutes les capacités -souvent étonnantes- qu'offre ce média pour communiquer, sous ses différentes formes. Huginn & Muninn se lance donc dans l'édition de l'intégrale des aventures de Madman, et les albums se présentent sous la forme de jolies hardcovers de 350 pages, traduits par le toujours irréprochable Nicolavitch. Dire que cette initiative éditoriale était attendue avec fébrilité n'est pas un mensonge, car il s'agit là d'un pan de la bande dessinée indépendante tout entier qui va se retrouver sur vos étagères, pour peu que vous daignez investir dans ce qui -à notre humble avis- représente assurément une des meilleures surprises du second semestre 2022. Bref, que vous connaissiez ou pas Madman, notre conseil est d'aller faire un tour dès ce weekend chez votre libraire ou comic shop de référence, pour voir un peu de quoi il retourne…





LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : DERNIER WEEK-END DE JANVIER


 Dans le 135e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Dernier week-end de janvier que l’on doit à Bastien Vivès, édité chez Casterman. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Colorado train que l’on doit à Alex W. Inker et aux éditions Sarbacane

– La Sortie de l’album L’impudence des chiens, album que l’on doit au scénario d’Aurélien Ducoudray, au dessin de Nicolas Dumontheil et c’est édité chez Delcourt

– La sortie de l’album Très chers élus que l’on doit au scénario conjoint d’Élodie Guéguen et Sylvain Tronchet, au dessin d’Erwann Terrier et c’est édité chez Delcourt

– La sortie de l’album Léo en petits morceaux que l’on doit à Mayanna Itoïz et aux éditions Dargaud

– La sortie du cinquième tome de la série RIP, un album intitulé Fanette que l’on doit à Gaet’s pour le scénario, Julien Monnier pour le dessin et c’est édité chez Petit à petit

– La réédition de l’album Une saison à l’ONU que l’on doit au scénario de Karim Lebhour, au dessin d’Aude Massot et c’est édité chez Steinkis






ELRIC (DE MELNIBONÉ) : L'UNIVERS DE MICHAEL MOORCOCK CHEZ DELIRIUM


 Cela fait plus de dix-mille ans que le royaume de Melniboné domine le monde. Sa capitale Imrryr est dénommée la cité qui rêve; il s'agit donc d'un empire ultra puissant dont la richesse et le pouvoir reposent sur l'utilisation de la magie, ou pour être plus exact, une sorcellerie mâtinée d'injustice sociale, voire même d'esclavagisme. Par exemple, les chanteurs à la cour, qui louent les louanges de l'Empereur, sont génétiquement modifiés pour ne produire qu'un seul son, tandis que les esclaves qui rament pour propulser les navires du royaume sont drogués, par des substances qui en décuplent la force et l'endurance, avant de les tuer. La situation politique s'est fait un peu tendue ces dernières décennies. En effet, ce que l'on appelle les "jeunes royaumes", c'est-à-dire les différentes nations humaines traditionnelles, ont fini par redresser la tête et tentent par moments des incursions, qui ont été jusqu'ici régulièrement repoussées. À la tête des Melnibonéens, nous trouvons un empereur qui doute. Elric est doté d'un physique très gracile, sa chair a la couleur d'un crâne parfaitement lavé, comme le récite souvent le texte de cet album. Sa faiblesse confine à l'atonie la plus totale et s'il n'est pas sous l'emprise de certaines potions magiques, qu'il absorbe régulièrement, il est bien incapable de mener ses armées au combat, voire même tout simplement d'affronter une vie quotidienne normale. Elric a conscience du monde dans lequel il évolue, de l'hypocrisie sur lequel son pouvoir est bâti; il faut dire que dès sa naissance, le destin lui a réservé de bien funestes événements. Sa mère est morte lors de l'accouchement et il a grandi solitaire au milieu des livres, sa passion, mais aussi de l'enseignement de la sorcellerie, une matière où il excelle. Alors que se profile la tragédie qui appellera ruine mort et destruction sur l'île aux dragon (citation de ce volume), Elric va devoir trouver sa place définitivement, entre révolution de palais (un cousin, le prince Yrkoon, qui voudrait bien l'éliminer et prendre sa place) et nécessité d'offrir au peuple ce qu'il attend, c'est-à-dire préserver la grandeur insouciante des Melnibonéens, malgré les lourds secrets dont elle s'accompagne.




S'agissant d'un récit heroic-fantasy, nous sommes bien sûr aux prises avec la sorcellerie, des dragons, un empereur qui se meurt d'amour pour la belle Cymoril, qui est aussi, par ailleurs, la sœur de son cousin si maléfique. Elric a conscience qu'il est le jouet de pouvoirs qui le dépassent et ce premier tome est l'éveil à quelque chose d'autre, la volonté de reprendre en main une existence qui semble marquée par le destin; où chaque geste, chaque acte nécessite beaucoup de courage pour s'émanciper de ce qui est attendu, et donc pour échapper à l'inévitable catastrophe. La miséricorde plutôt que la vengeance par exemple. Les dieux peuvent être cruels, mais avec beaucoup de force de caractère, on peut aussi s'affranchir pour quelques temps de leur emprise. Il s'agit de l'adaptation des œuvres de Michael Moorcock par Roy Thomas (à l'époque un des pontes de Marvel Comics, et déjà parfaitement rodé avec Conan le Barbare), et ce premier volume intitulé sobrement Elric de Melniboné est en fait une aventure publiée tardivement en 1972 par son auteur, mais qui est aussi chronologiquement la première. Autrement dit, il est assez simple de comprendre les enjeux et tous les personnages, sans avoir besoin de consulter ce qui a été fait auparavant. À ce sujet, soulignons qu'il existe plusieurs adaptations d'Elric et qu'elles ne sont pas forcément toutes aussi fidèles à ce que souhaitait Moorcock, quand il l'a couché sur le papier. Ce héros diaphane et fragile, qui n'est pas sans rappeler (aujourd'hui) le Sandman de Neil Gaiman en bien des moments, est à la fois pathétique, triste, complexe et courageux. Il évolue dans un univers qui ne ressemble à rien d'autre qu'à lui-même, féerique et cauchemardesque, peuplé d'êtres et de forme sinueuses et allongées, voir même maladives. P Craig Russell est dans son élément, cela se ressent à chaque page, et Roy Thomas peut se délecter avec l'effet miroir inversé de ce qu'a pu être le Cimmérien testostéroné, dont il a aussi présidé à la destinée. La mise en couleurs est fille de son époque, et si elle peut sembler par endroit un peu criarde pour les goûts si sensibles d'aujourd'hui, elle participe pourtant clairement au caractère envoûtant et si singulier de cette épopée mystique. On y croise de valeureux alliés sur qui s'appuyer, des dieux/demons rancuniers ou calculateurs, la fourberie incarnée et surtout le rêve éveillé. L'ensemble est disponible chez Delirium dans un album de grand format de presque 200 pages. Cerise sur le gâteau, la traduction riche et remarquable d'Alex Nikolavitch. Fidèle à son habitude, l'éditeur parvient à associer la qualité du contenu avec celle du contenant. Un bien bel ouvrage de plus à placer sur vos étagères, en attendant la suite de l'aventure, qui ne fait que commencer.




Toujours votre Mag', chaque mois, 84 pages, gratuit : 

SHE-HULK SUR DISNEY PLUS : VOUS ALLEZ RIRE VERT

 


En gros, peut-on rire de tout avec tout le monde et tout le temps? La fin de la proposition me semble plus discutable; autant il est envisageable de traiter par la dérision tous les différents aspects du super-héroïsme, autant ce genre d'ambition peut rencontrer un public large, autant la répétition forcée présente le danger évident de lasser. Ici, nous avons une héroïne qui sur le papier a l'habitude de briser le quatrième mur, de s'adresser à son public, et surtout d'exploiter à son avantage et au maximum le média que représente la bande dessinée. C'était le point fort de John Byrne, par exemple, qui était capable de faire preuve d'une inventivité extraordinaire, qui venait parfaitement compléter un humour truculent. La série Netflix, elle, se contente de quelques clins d'œil aux téléspectateurs, une sorte de dialogue parfois ébauché par Jennifer avec celui qui regarde, et c'est tout. Car pour le reste, une série sur Disney Plus ce n'est pas un comic book, les codes ne sont pas les mêmes, la liberté d'action aussi, et surtout, l'audace fait défaut. On démarre très vite avec l'avocate Jennifer Walters qui connaît une sacrée mésaventure au moment où sa carrière semble enfin décoller. Un simple accident de la route, un peu du sang de son cousin Bruce Banner qui vient se mêler au sien, et la voici devenir sans autre explication la version féminine du géant vert. Certains parleront de présentation hâtive, mais de notre côté nous nous contenterons de souligner qu'il valait mieux opérer ainsi plutôt que de se lancer dans une bonne heure de palabres stériles, tels qu'on nous les a déjà infligés dans d'autres productions (tiens, serait-on en train d'évoquer le cas Miss Marvel par exemple?) récentes. On va à droit au but, d'autant plus que le personnage principal ne traverse aucune crise métaphysique; pour elle, devenir She-Hulk n'est pas une malédiction, mais elle comprend au contraire très rapidement qu'il y a des avantages à en tirer, et qu'en tous les cas, si son existence doit être bouleversée, ce n'est pas forcément pour le pire... à la limite, ce qu'elle constate, ce sont plus les effets d'une certaine forme de misogynie dans le monde du travail et dans les relations sentimentales entre les deux sexes. Quelques punchlines à ce sujet font mouche et nous rappellent qu'être une femme n'est pas toujours simple, en tous les cas si on en croit l'opinion de Jennifer. Il y a aussi d'autres moments où cela pourrait être un avantage, mais la série ne nous en parlera pas, ou plutôt elle le fera sans le vouloir, lorsque l'héroïne ouvre un profil sur Matcher, la version Tinder de Disney. On se rend compte que pour une femme agréable, quitter le célibat -même si les rencontres ne sont pas toutes extraordinaires- semble tout de même beaucoup plus simple que pour l'homme, perpétuellement réduit à une dimension frustrante, celle de l'élément en demande qui doit toujours passer un test redoutable pour s'avérer désirable. She-Hulk est par essence objet de désir.



Au moins le casting aura-t-il été pertinent, puisque Tatiana Maslani, qui joue le rôle de Jennifer Walters -puis d'une She-Hulk victime d'une CGI qui a en effet tendance parfois à la rapprocher d'une version féminine de Shrek; je sais, cette comparaison est particulièrement éculée, pour autant il y a des scènes où cette remarque est purement inévitable- incarne très bien ce qui lui est proposé. Le spectateur est bien entendu attiré par la possibilité de voir toute une série de guest stars ou d'autres acteurs qui fréquentent habituellement le cinéma made in Marvel Studios; bien sûr il y a Hulk, le cousin qui occupe une bonne partie des deux premiers épisodes. On y trouve également un peu plus tard dans la série le célèbre avocat Matt Murdock, alias Daredevil, mais également Wong, le nouveau sorcier suprême, lui aussi présenté sous un jour divertissant, perpétuellement placé dans la position du magicien du second degré. L'Abomination (Tim Roth) est à classer dans une catégorie identique. Là où le bât blesse, c'est quand arrivent de nouveaux personnages totalement ridicules qui perdent l'intégralité du charisme et de la puissance qu'ils possèdent dans les comics; c'est le cas de Titania, qui semble ici plus préoccupée par les réseaux sociaux et les combats légaux que par ce qu'il a rendu célèbre au format papier. Le Wrecking Crew est aussi de sortie, sauf qu'on assiste au piètre spectacle d'une bande de malfrats que Miss Hulk met en déroute en l'espace d'un claquement de doigts. Nous revenons à ce que nous disions auparavant, à savoir une série extrêmement légère, pétillante, à picorer en apéritif, mais certainement pas à dévorer comme plat de résistance. Il y a assez peu de consistance dans les épisodes que nous avons pu déjà voir pour le moment et l'intention est avant tout celle d'étaler des tartines de coolitude pour montrer que Marvel Studios est capable de faire rire, de se prendre au 3e degré, de tourner en dérision son patrimoine, jusqu'à probablement la limite extrême de l'humiliation. Et là encore, la différence est avant tout une question de média. Une série télévisée ne peut pas être conduite et malmenée comme un comic book, où le rapport qui unit créateur et lecteur n'est pas le même et repose sur une suspension de l'incrédulité différente. Au final, nous sommes loin de penser que She-Hulk est une réussite, tout comme il ne s'agit pas non plus d'un rattache complet. Il s'agit avant tout d'un choix artistique, d'un style qui n'est certainement pas celui que nous préférons, qui est en partie pleinement justifiable, compréhensible et acceptable, quand on connaît le matériau d'origine, mais qui n'a pas été affronté avec le talent et la conviction nécessaire pour unir l'humour, l'audace et le super héroïsme. Parce que au bout du compte, c'est tout de même de cela dont nous parlons, d'une certaine manière, non?





FANTASTIC FOUR FULL CIRCLE : "FANTASTIC" ALEX ROSS


 Cela fait bien longtemps qu'on nous le promet, ce graphic novel écrit et dessiné par Alex Ross. Il est enfin arrivé, avec quelques jours de retard sur la version américaine seulement. Alex Ross, c'est le spécialiste du photoréalisme, célèbre notamment pour ces deux grandes œuvres que sont Marvels et Kingdom Come, histoire de ne déplaire à personne, un coup chez Marvel un coup chez DC comics. Ses couvertures sont légion, et sa manière de faire sembler réel un univers de fiction fantasmagorique reste la caractéristique principale de son talent éclatant. Ici, Alex Ross démontre qu'il est tout de même un peu moins bon scénariste, ou en tous les cas, qu'il n'a pas ce coup de génie artistique dont il fait preuve quand il s'empare des crayons. Pour autant, l'histoire reste plaisante et se veut avant tout un hommage à la grande époque des Fantastiques, celle qui était présidée par Stan Lee et Jack Kirby. Nous revenons à l'époque de Fantastic four 51, un des épisodes les plus célèbres de la saga, celui qui est intitulé This man… this monster! L'individu que nous rencontrions alors et qui s'emparait des pouvoirs de Ben Grimm, pour finalement se retrouver emprisonné dans la Zone Négative, est de retour dans le quartier des fantastiques. Il est surpris en pleine nuit par un Ben qui profite du sommeil des autres pour aller régulièrement piller le frigo; une vieille habitude comme le savent tous les lecteurs du quatuor. L'alarme est donnée car notre visiteur inattendu est dans une situation bien singulière. Son organisme est en fait le réceptacle d'une invasion de petites bestioles peu sympathiques, des parasites en provenance de la Zone Négative, comme le remarque tout de suite Reed Richards. Le type est génial et il ne lui faut que quelques minutes pour identifier la source du problème, et mettre au point la technologie suffisante pour aller enquêter sur place. La Zone Négative, vous le savez tous ou presque, c'est le royaume d'Annihilus, et c'est surtout une version dangereuse de notre univers, avec lequel elle n'est pas compatible. Force positive et négative en contact, cela signifie explosion massive et destruction. Heureusement, les Fantastiques ont toujours l'équipement adéquat à portée de la main



Si nous parlons du contenu, abordons aussi le contenant, car les deux sont au diapason. Il faut être honnête, c'est un splendide d'album qui est proposé par Panini. L'écrin se devait de toute façon d'être à la hauteur, pour ce qui constitue de la part de Marvel la première collaboration avec Abrams Comicart, et le nouveau label MarvelArts . Le style photoréaliste d'Alex Ross, qui n'est pas sans rappeler les œuvres de Norman Rockwell, est ici utilisé de manière différente, notamment à cause d'une mise en couleur extrêmement contrastée, qui va puiser dans des teintes orangées, rosées et violacées parfois assez surprenantes. La texture des costumes, la grande variété des expressions, toutes plus réussies les unes que les autres, la capacité d'instaurer une ambiance étrange et décalée, la maîtrise et la position de l'ombre et de la lumière, font que chaque planche est assurément une réussite plastique évidente. On trouve souvent des hommages au travail de Jack Kirby, qui utilisait à l'époque des collages photographiques pour exprimer le sentiment de majestuosité aliénante de la Zone Négative. En réalité, s'il faut trouver un point faible à ce graphic novel de prestige, c'est justement et tout bêtement l'histoire. Pas la narration, car celle-ci fonctionne parfaitement, mais le sujet en soi, qui reste à inscrire dans le sillon d'une certaine banalité, à savoir un hommage appliqué à ce qui autrefois constituait le sel des aventures des Fantastiques. Un visiteur venu d'ailleurs, la nécessité de pénétrer dans son univers pour en ressortir avec un nouveau trésor d'expérience et de rencontres humanistes; en fait la même chose dans les années 1970 aurait été accueillie avec un entrain immodéré. Aujourd'hui, à une époque où nous sommes habitués à lire des comics sarcastiques, post modernes ou carrément glauques, le parfum rétro qui flotte dans ces pages n'est probablement pas ce qu'attend tout le monde. Qu'importe, on le répète, nous l'attendions depuis tellement longtemps -et Alex Ross a mis la barre tellement haute- qu'on ne peut être qu'admiratif et envoûté en tournant les pages de ce Full Circle.





Edition régulière + collector, chez Panini Comics.





ALL STAR SUPERMAN : L'ART DE FINIR EN BEAUTÉ PAR GRANT MORRISON




Retour chez Urban Comics (cette fois sur le Black Label) d'un des grands classiques de la carrière de Grant Morrison, l'acclamé All-Star Superman, qui est aussi et surtout le récit touchant et emblématique des derniers jours du personnage. Douze épisodes testaments qui embrassent la légende d'un héros devenu icône de la pop culture, reconnaissable sous toutes les latitudes, pour son emblème et ses valeurs. All Star Superman travaille "hors continuité", et n'a pas pour vocation de réécrire la légende de l'Homme d'Acier, d'en modifier les origines, ou le futur proche. Juste, et ce n'est déjà pas si mal, de nous enchanter par la fluidité et la sérénité du récit. Pourtant, les nouvelles ne sont pas forcément bonnes pour Superman : une exposition massive aux rayons solaires (qui en quantité "normale" lui fournissent ses pouvoirs), lors du sauvetage d'une expédition scientifique, a quasiment condamné à mort le super-héros de Metropolis. Son organisme se consume et ses jours sont comptés. Lex Luthor, qui est à la source du plan diabolique ayant entraîné cet état de fait, est lui destiné à la chaise électrique. Mais l'ambiance n'est pourtant pas morbide, on décèle même une grande poésie dans ASS, comme lorsque Superman offre à Lois Lane, pour son anniversaire, un sérum lui permettant de posséder les mêmes pouvoirs qu'il détient, pendant une journée entière. Une si jolie super-héroïne attire cependant les convoitises de nouveaux admirateurs, comme Sanson ou Atlas, deux boules de muscles qui voyagent à travers le temps et se sont attirés les foudres du Pharaon Atom-Hotep, et qui vont obliger bien malgré lui Superman à faire quelques "heures supplémentaires" au service du bien commun. Vous l'aurez compris, ces douze numéros se lisent aussi comme autant de travaux nécessaires pour Superman, pour entrer définitivement dans la légende des héros.



Au programme également, un morceau de kryptonite noir, qui rend Superman dingue, ou plutôt le soulage de tout son attirail de boy-scout, pour en faire une sorte de version négative du héros sans peur et sans reproche. Pour le contrer, il ne reste plus que Jimmy Olsen, transformé en… Doomsday ? Ou encore une fort drôle interview de Clark Kent qui rencontre Luthor dans les couloirs de la mort, mais aussi le Parasite, qui se nourrit de la force super humaine de ceux qui lui sont physiquement proches. L'aura de Superman, quel festin ! Mais également le drame simple et poignant de la mort de Jonathan Kent, le père adoptif de notre héros, qui ne peut sauver à temps son bienfaiteur, trop occupé à combattre aux cotés des versions issues du futur du mythe de Superman. Sans oublier Bar-El et Lilo, les deux premiers astronautes de la planète Krypton, imbus de leurs puissances respectives, et Bizarro et son monde absurde, reflet grotesque et contraire du notre. Grant Morrison s'exprime sans se poser de limites et joue avec malice avec le mythe du personnage. Il tisse un florilège de situations, de rencontres, qui puisent leur essence même dans ce qui fait et fera la grandeur du héros, la noblesse et le courage d'un Superman pourtant si humain et fragile, si dépendant de l'affect de ceux qu'il s'est juré de protéger, et qui ne lui survivront vraisemblablement pas. Quitely est le dessinateur idéal pour cette poésie super-héroïque, avec un trait souple, clair, traversé par la lumière pastelle qu'ajoute avec soin le coloriste Jamie Grant. Si All-Star Superman n'est pas un chef d'œuvre absolu, peu s'en faut. Il est recommandé de posséder une belle édition à la hauteur de cette histoire, et Urban Comics assure un travail à la hauteur de ce coté là. Indispensable pour ceux qui souhaitent se laver et se purifier du cynisme et de la sueur des comic books contemporains, avec un vrai beau et grand Récit. La majuscule s'impose.




DEVIL'S REIGN 1 CHEZ PANINI : LA CULPABILITÉ DE DAREDEVIL


 Vous aurez beau tenter de changer le paradigme et de révolutionner le petit monde des super-héros, c'est en fait un univers cyclique, qui repropose régulièrement plus ou moins les mêmes trames, abordées sous un angle subtilement différent. Prenez Daredevil, par exemple; depuis que Frank Miller a posé définitivement les jalons du personnage, il est convenu que son existence croise la route de celle de Wilson Fisk, le Caïd, que sa double identité lui pose de sérieux problèmes, que la ninja Elektra soit tour à tour la compagne parfaite ou une ennemie problématique. Sans compter son sentiment de culpabilité écrasant! Le run de Chip Zdarsky continue donc avec Devil's Reign, ce que nous pourrions appeler le nouvel "événement Marvel", même si sa portée est moindre, car concernant avant tout les personnages que nous pourrions qualifier de "urbains". Les deux nouveautés récentes à appréhender avant de lire ces épisodes sont les suivantes : Fisk est désormais le maire de New York et il a tenté sans succès de se racheter une conduite en abandonnant ses activités criminelles. Au bout du compte, ça n'a pas empêché ses mains de plonger à nouveau dans le sang. Puis, il a épousé Typhoïd Mary. Elle aussi fait partie des ennemis récurrents de Daredevil et son instabilité mentale est une de ses caractéristiques principales. Il n'y a pas à dire, voilà de quoi former un joli couple. Ajoutons à tout ceci un énorme problème. Daredevil était parvenu à faire oublier à tous sa double identité; personne ne se souvenait plus qu'il est aussi l'avocat Matt Murdock, depuis qu'il avait eu recours à l'aide inespérée des enfants de l'Homme Pourpre. Mais voilà que la vérité a éclaté de nouveau dans l'esprit de Wilson Fisk, qui bien entendu a vraiment du mal à accepter d'avoir été manipulé de la sorte. Son sang ne fait qu'un tour et sa vengeance s'annonce d'ores et déjà terrible. 



En tous les cas, les temps sont durs pour les super-héros de la grosse Pomme; en effet une nouvelle loi les empêche d'exercer leurs activités diurnes ou nocturnes, ce qui n'est pas sans rappeler d'ailleurs l'acte d'enregistrement des super-héros qui avait caractérisé Civil War. Bien entendu, tous ceux qui ne respectent pas les exigences du maire, comme par exemple le Moon Knight dans le premier épisode, sont interceptés par une bande de criminels notoires (les nouveaux Thunderbolts), pour une fois aux ordres discutables de l'État, avec des types aussi intègres que le Rhino, Elektro (la version féminine) ou encore Shocker ou US Agent, spécialiste des mauvaises causes. Autre personnage d'importance à ajouter dans l'équation, le Docteur Octopus, qui travaille au service de Fisk, à moins que ce ne soit le contraire. Toujours est-il que tous les deux sont associés jusqu'à ce que le plus malin -ou le plus retord- trahisse l'autre, évidemment. On peut aussi y voir quelque part la culpabilité de Daredevil, car la situation qui vient à se créer est aussi en partie de son fait. Toujours est-il que la solution passe également par une action politique, ce qui est un message attendu, dans un pays qui sort de plusieurs années de trumpisme dans un tel état qu'il risque en fait d'y retomber assez rapidement. il faudrait donc un super-héros, ou en tous les cas un représentant de la communauté à super pouvoirs, pour s'opposer à la super capacité de nuisance du Kingpin, le maire actuel. Pour entraver sa réélection, Luke Cage -par exemple- pourrait-il être l'homme providentiel ? Zdarsky réalise un travail suffisamment soigné et cohérent pour nous maintenir en haleine jusqu'à la fin; néanmoins, on pourra lui reprocher ce que je reproche toujours aux récits qui veulent être trop réalistes, c'est-à-dire qu'en voulant coller à la réalité et assumer une trame géopolitique concrète, on finit par s'en sortir grâce à des subterfuges qui ne tiennent pas la route et qui laisse un sentiment d'amertume. Les super-héros ont-ils besoin de véritablement frayer dans un monde qui ressemble d'aussi près au nôtre, telle est la question. En tous les cas, le travail de Marco Checchetto est lui toujours aussi classieux, cliniquement froid mais joli à regarder. Ses planches -pour ceux qui aiment ce style- restent un plaisir esthétique évident. Pour ce qui est de Panini Comics, le choix a été fait de proposer cette saga sous forme de 3 numéros kiosque softcover, en incluant toute une série de tie-in dont l'intérêt est tout de même assez variable. À défaut d'être l'événement du siècle ou même probablement de l'année, Devil's Reign n'est pas dégueulasse, promis.






LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : APRÈS LA CHUTE (SLAVA)




Dans le 134e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Après la chute, premier tome de la série Slava que l’on doit à Pierre-Henry Gomont, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album À l’orée du monde que l’on doit au scénario de Kapik, au dessin de Kim Consigny et c’est édité chez Delcourt

– La Sortie de l’album Quentin par Tarantino, album que l’on doit à Amazing Améziane et aux éditions du Rocher

– La sortie de l’album A short story, la véritable histoire du dahlia noir que l’on doit au scénario de Run, au dessin de Florent Maudoux et c’est édité au label 619 des éditions Rue de Sèvres

– La sortie de l’album Toutes les princesses meurent après minuit que l’on doit à Quentin Zuitton et aux éditions Le Lombard

– La sortie de l’album L’affaire Markovic que l’on doit au scénario de Jean-Yves Le Naour, au dessin de Manu Cassier et c’est édité chez Grand angle

– La réédition en intégrale de L’incroyable histoire du sexe, titre que l’on doit au scénario conjoint de Philippe Brenot et Laetitia Coryn, qui en signe aussi le dessin et c’est édité chez Les arènes BD



UNIVERSCOMICS LE MAG' #27 DE SEPTEMBRE 2022 : SANDMAN LA PUISSANCE DES RÊVES


 

UniversComics #27 de Septembre 2022
Gratuit 84 pages
Sandman la puissance des rêves
* Sandman chez Netflix , notre regard sur la série
* Comics oniriques, de Sleepwalker à Little Nemo in slumberland
* Sandman et #She Hulk aucun rapport? #AnthonyHuard prouve le contraire avec brio.
* #NeilGaiman met le cap sur 1602 avec #AlexandreChierchia
* #JeffLemire chez Futuropolis Un dossier spécial six pages sur un auteur d'exception. + Le labyrinthe inachevé.
* Le cahier critique, les sorties du mois écoulé. On file chez Panini Comics France pour du Thor et The Boys, chez Urban Comics pour le Green Lantern Corps et Get Joker! Chez Dargaud pour Asterios le Minotaure, chez Éditions Soleil pour Le Serpent à deux têtes, chez Éditions Delcourt pour Criminal.
* Le #VietNam Journal vol.5 chez Delirium Focus indispensable!
* Le meilleur de la Bd avec le podcast #LeBulleur qui fait sa rentrée! Par #EddyManiette
* Le retour de #IhateFairyland pour novembre.
* Portfolio : On part découvrir le travail de #HectorTrunnec
* Le petit guide sélection librairie VF pour septembre
Cover de #BennyKusnoto et identité graphique 5 étoiles de #BenjaminCarret
Un très grand merci à vous tous, pour votre fidélité. Ce Mag' est pour vous, gratuit, comme toujours. Pour nous aider, partagez sur les réseaux sociaux, parlez-en autour de vous. N'hésitez pas à nous laisser vos remarques et commentaires, qui sont toujours les bienvenus. Prochain Mag', si tout va bien, début octobre. Bonne(s) lecture(s) !

LA NUIT DES LANTERNES CHEZ DELCOURT : LE DEUIL, LA COLÈRE, L'HORREUR

 Le personnage principal de cet album signé Jean-Étienne s'appelle Eloane. C'est une jeune femme qui retourne dans la maison familia...