LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : CACHE-CACHE BÂTON


 Dans le 140e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Cache-cache bâton, album que l’on doit à Emmanuel Lepage, édité chez Futuropolis. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l'album Hypericon que l'on doit à Manuele Fior et aux éditions Dargaud

- La sortie de l'album Humaine, trop humaine que l'on doit à Catherine Meurisse et aux éditions Dargaud

- La sortie de l'album Indians que l'on doit à Tiburce Oger et à de nombreux dessinateurs, album édité chez Grand angle

- La sortie de l'album Coq-sur-mer, 1933 que l'on doit au scénario de Rudi Miel, au dessin de Baudouin Dreville et c'est édité chez Anspach

- La sortie de l'album Tsar par accident que l'on doit au scénario d'Andrew S. Weiss, au dessin de Brian "box" Brown et c'est édité chez Rue de Sèvres

- La réédition d'Ar-men, l'enfer des enfers, album que l'on doit à Emmanuel Lepage sorti chez Futuropolis




TOM CLANCY'S THE DIVISION : EXTREMIS MALIS - DE UBISOFT AUX COMICS


 Tom Clancy, c'est l'assurance de récits où les personnages défouraillent du gros calibre, sur une toile de conspiration et de complotisme au plus haut niveau. Pas seulement des romans, mais aussi la participation au scénario de jeux vidéos pour Ubisoft, comme la franchise célèbre que constitue The Division. Le nouvel éditeur comics Black Label possède plusieurs cordes à son arc, dont la présentation au format albums en bande dessinée de récits issus des univers parallèles mais pas si éloignés que sont les videogames ou les jeux de plateau. L'ouvrage dont nous vous parlons aujourd'hui est une préquelle (qui anticipe donc des événements connus de tous, ou en tous les cas des joueurs) qui s'insère entre les deux générations que sont The Division 1 & 2 . Au centre du récit, un agent des forces spéciales, Caleb Dunne, qui se retrouve dans une situation épineuse. Son partenaire est pris en otage, lors d'une mission qui tourne au vinaigre, et finalement il est abattu sous ses yeux, sans qu'il puisse intervenir concrètement. Pire encore, l'assassin peut s'enfuir sans que personne ne parvienne à y comprendre grand chose. Seul indice, un nom, Mantis, sur la base duquel peut débuter une chasse à l'homme, qui en fait une chasse à la femme. Pour la traquer, quelques informations et un peu d'imprudence, qui poussent Caleb à se rendre tout d'abord à Philadelphie. Là-bas, Caleb va rencontrer Heather, elle aussi engagée dans une mission de protection des innocents contre un groupe de cinglés qui menacent les fondements mêmes de la constitution américaine, les Fondateurs. Personne ne sait si Trump est à leur tête, mais il en serait capable, le bougre. Ah oui, il convient aussi de savoir que tout ceci se déroule aux Etats-Unis, après qu'une arme biologique ait dévasté New-York et plongé la nation dans le chaos. Mais tout ceci reste en filigrane, et n'est pas abordé de front. 



Extremis Malis peut dérouter par son poids, sa substance. 72 pages, c'est à dire trois épisodes, l'album s'avère mince au toucher. Pour autant, depuis quand la qualité et la quantité sont censées aller forcément de pair? Alors on se laisse tenter, d'autant plus qu'il faut être honnête, je n'ai jamais joué à The Division, et j'ai même tendance à me considérer comme allergique à tout ce qui se joue manette en main. Du coup, ce sera l'opportunité de vérifier ce que vaut cette histoire en tant que telle. On y appréciera le crescendo du poids des événements, le fait que derrière ce qui pourrait être une simple conspiration aux niveau d'un service des forces secrètes, se cache en fait un vaste plan aux ramifications insoupçonnées, qui trouve un écho assez inquiétant dans ce qui se produit dans la vie réelle, ces dernières années en Amérique. Christopher Emgard a produit un récit de survivalisme qui ne surjoue pas la catastrophe, mais joue intelligemment la carte du délitement, de l'enlisement, celui d'une nation qui a perdu ses repères et où la violence et les actions paramilitaires sont devenues courantes. Là aussi, toute ressemblance avec, etc... Pour le dessin, Fernando Baldo nous surprend en positif, avec un trait plutôt réaliste, et la capacité de jouer avec les émotions des personnages, qui sont tous caractérisés par ce qu'ils ressentent, ou ne ressentent plus, justement. Il y a beaucoup d'action, l'ensemble est très condensé, mais reste lisible, fort agréable à regarder. Nul besoin, en conclusion, d'être donc un mordu impénitent des jeux chez Ubisoft, pour apprécier ce récit bref et tendu, qui sans apporter rien de bien révolutionnaire, s'avère élégant et efficace. Ce qui n'est déjà pas si mal. 





BATMAN/CATWOMAN : LE CHAT, LA CHAUVE-SOURIS ET L'AMOUR


 Si vous avez lu la longue prestation de Tom King sur le titre Batman, vous savez qu'une des grandes questions qui traversent son travail est le rapport qui peut unir la chauve-souris Batman et Catwoman, la cambrioleuse entourée de chats. Une évolution assez inattendue de cette attraction coupable et fatale entre les deux est survenue lorsque Bruce Wayne a proposé à Selina Kyle de l'épouser. Vous savez tous comment cela s'est terminé mais ce que vous savez peut-être moins, c'est qu'il n'y a pas vraiment de point final dans cette histoire, puisque les événements sont toujours en évolution, tout du moins pour ce qui concerne la version française. Ici, nous allons faire un bond dans un futur assez lointain tout de même, pour assister aux tout derniers jours de Bruce. Il a risqué sa vie au quotidien mais c'est finalement la maladie qui va le terrasser. Il ne mourra pas seul puisque Selina est devenue sa femme et qu'elle est à son chevet, même pour les ultimes instants. Le couple a une fille, Helena, qui a repris le rôle de justicière de Gotham, tandis que Dick Grayson est pour sa part un inspecteur de police dévoué. Le récit va proposer différentes pistes narratives qui sont autant de voies temporelles (ou alternatives); non seulement nous nous concentrons sur les jours qui suivent la disparition de Bruce Wayne mais nous remontons également dans le passé, à une époque où Batman et Catwoman se fréquentaient, se cherchaient, se désiraient, mais aussi se repoussaient à travers des méthodes différentes et une idéologie forcément divergente. On apprend aussi beaucoup de choses sur le rapport très étrange qui pouvait rapprocher Catwoman et le Joker. Nous découvrons encore Andrea Beaumont, le tout premier grand amour de Bruce, qui vient solliciter son aide, ou plutôt celle de Batman, pour retrouver la trace de son fils, qui aurait été enlevé par le Joker. Un événement traumatique qui ne se terminera pas bien et qui va être à la base d'un des points saillants de l'histoire. Tout ceci, au premier abord, peut sembler assez complexe; en effet, il est difficile à la lecture des tout premiers épisodes, de comprendre véritablement ou veut en venir Tom King. Si l'introduction de cet ouvrage, représenté par le second annual de la série Batman est d'une facture plus classique, articulée autour du jeu du chat et de la (chauve)souris entre nos deux tourtereaux, tout le reste est en fait une mini série, prolongement de toute la prestation du scénariste sur Batman. Initialement prévue pour constituer son dernier grand arc narratif, Batman/Catwoman se déploie de manière indépendante, pour se concentrer sur la relecture d'un des rapports de couple les plus énigmatique et problématique des comics.




Vous êtes déjà probablement habitués à la narration de Tom King, je ne vais donc pas vous expliquer comment le scénariste use et abuse de différentes couches, multiplie les pistes avant de révéler où il voulait véritablement en venir, à la manière d'un oignon qu'il serait nécessaire de peler encore et encore, pour comprendre véritablement le sens du geste qu'on effectue. Le petit théâtre qu'il met en scène ici concerne donc deux couples; pour simplifier, Batman et Catwoman, d'un côté le redresseur de torts qui refuse de tuer et de basculer définitivement dans le mal, et la cambrioleuse criminelle en qui le Chevalier Noir voit potentiellement une véritable héroïne, mais qui refuse d'être un parangon du bien et accepte toutes les nuances d'ombre qui résident en elle. Mais également le Joker, élément indispensable pour que la mythologie gothamienne prenne sens, et Andrea, grimée en Phantasm, encapuchonnée et bien décidée à faire payer les autres pour leur bonheur alors qu'elle a perdu son fils, dont la perte est attribuée au Joker. Bien entendu, la vérité est beaucoup plus complexe; le rapport qui unit les deux dernières personnes que je viens de citer est assez dérangeant, lorsqu'on finit par comprendre de quoi il s'agit. De même un autre type de rapport se dévoile peu à peu, celui entre Selina Kyle et sa fille, Helena Wayne, qui en apparence a plus particulièrement hérité le caractère et l'obsession du géniteur. Comme toujours, voici un album qui ravira les amateurs de Tom King et que ceux qui détestent cette manière alambiquée de présenter les choses pourraient bien abhorrer. Nous ne sommes d'ailleurs pas loin, au final, d'un travail semblable à ce qui a pu être fait avec Adam Strange par exemple. Le dessin est particulièrement soigné, c'est graphiquement un plaisir de regarder l'œuvre de Clay Mann, qui est désormais un de ceux qui présentent avec le plus de classe l'univers de Batman. On retrouve aussi des épisodes illustrés par Liam Sharp, dont le style volontairement "sali" évoque un Bill Sienkiewicz de la grande époque, avec des vignettes cauchemardesques et volontairement caricaturales. C'est aussi l'occasion de voir à en action le regretté John Paul Leon et de constater à quel point sa mise en page et sa science du récit vont nous manquer énormément, alors qu'il avait encore tant à nous offrir. Une petite postface touchante et assez éloquente à ce sujet est proposée en complément. Comme d'habitude, une belle galerie de couvertures alternatives vient enrichir ce gros pavé qui se révèle être le complément indispensable de tout ce que Tom King a écrit jusque-là; une manière définitive d'enterrer ou entériner un run qui aura marqué les esprits, y compris pour ce qui est de la cerise sur le gâteau, c'est-à-dire le mariage de Batman et Catwoman. Acte final en toute fin de volume, à vous d'aller voir si la cérémonie vous tente.






BLOODSTAR : UN CHEF D'OEUVRE DE RICHARD CORBEN CHEZ DELIRIUM


 Tout commence par un cataclysme qui ravage la planète… et paradoxalement, c'est magnifique. L'enchaînement des faits qui amènent à un bouleversement radical de la vie sur Terre est absolument imparable. Au départ, un simple corps céleste apparu dans l'orbite de Pluton, à l'arrivée un phénomène qui modifiera à jamais le cours de la vie sur notre planète. Qui ne va pas disparaître complètement, mais va devoir être reformulée de fond en comble. Deux cents ans plus tard, la grande catastrophe est pratiquement devenue une légende et les nouvelles générations de survivants ont à nouveau adopté le nomadisme, tandis que les peuples se sont unis sous forme de tribus, sur la base discriminatoire de l'apparence physique (avec l'apparition de nombreux mutants par exemple). Grom, une sorte d'homme des cavernes ingénieux et très âgé a été blessé au combat; sur le point de mourir, il raconte alors à son jeune protégé, un certain Bloodstar, les épisodes saillants de sa vie aventureuse, principalement tout ce qui a bien pu lui arriver aux côtés d'un guerrier aux cheveux blonds, figure de proue d'une tribu rivale. Il s'agit en fait du père de Bloodstar, qui portait déjà ce patronyme. Cette histoire testamentaire est aussi celle d'une famille, puisque le Bloodstar fils apprend comment son père a rencontré Helva, une avenante créature, fille du chef de sa tribu (Byrdag), au départ promise au successeur (un certain Loknar) de celui qui l'a élevée, selon les coutumes locales. Loknar était aussi un des meilleurs amis de Bloodstar, mais voilà, quand l'amour s'empare des âmes, les liens les plus solides peuvent aisément être brisés. La récit devient alors une sorte de drame shakespearien où l'honneur, le devoir et les sentiments s'entremêlent, pour en fin de compte ne provoquer qu'une l'immense tragédie, sans cesse reculée, tenue à distance par de brefs moments de bonheur idyllique et sauvage, mais qui ne peuvent aboutir, en fin de parcours, à rien d'autre que la mort. C'est un peu d'ailleurs la marque des héros, métaphoriquement et concrètement. Une marque comme celle que porte les deux Bloodstar sur le front, celle d'êtres de toute manière destinés à succomber, peu importe la témérité, l'adresse où la grandeur d'âme manifestées. Succomber certes, non sans laisser une trace durable dans le cœur et les esprits des hommes vaillants.




Bloodstar est librement adapté d'une nouvelle (The Valley of the Worm) d'un des grands maîtres de la littérature fantasy moderne, Robert E.Howard, créateur d'univers et de personnages intemporels comme bien peu ont su le faire. Cela fait quarante ans que nous attendions une réédition à la hauteur de ce monument, qui fut initialement proposé par les Humanos, au début des années 1980, dans une version mise en couleurs, certes très agréable à l'œil, mais qui avait tendance à phagocyter la pureté du trait originel de Corben. Ici, la qualité du papier employé par Delirium, la reconstruction patiente et magistrale du matériel de départ grâce à José Villarrubia, permettent la présentation d'un objet d'art de toute première importance, magnifié par un noir et blanc et des tons de gris saisissants. Le héros de Corben est un paria chassé par les siens, contraint à une lutte quotidienne pour assurer sa simple survie, mais aussi celle de la femme qu'il aime et du compagnon fidèle qui a choisi de le suivre. Des textes en prose récurrents et élégants, jamais fastidieux, côtoient des pages sublimes qui mettent en scène des personnages au physique sculptural, et dont la chair semble vibrer de vie, aussi bien quand il s'agit des anatomies masculines très musculeuses que des rondeurs délicieuses et callipyges d'Helva, beauté fatale et naturelle. Même le décor, les objets, sont traités avec un soin minutieux. Les ombres enrichissent non seulement l'atmosphère selon les situations, mais elles permettent aussi de donner à chaque vignette le juste poids, une profondeur de champ parfois spectrale, font planer comme une chappe funeste ou poétique, suivant les phases du récit. D'emblée, le lecteur sait que le destin qui attend Bloodstar père ne sera pas immédiatement tragique, puisque c'est avec sa descendance que s'ouvre cette histoire. Qui est loin d'être le parcours d'un simple barbare dont les muscles se mettent au service d'une cause belliqueuse; on y découvre la grandeur d'âme, le sens des responsabilités, ce que signifie fonder une famille. Le tout magnifié par le regard de Richard Corben, un artiste absolument exceptionnel, régulièrement à l'honneur chez Delirium, ici auteur d'une de ses œuvres les plus abouties. L'année des nouveautés est sur le point de s'achever, puisque vous le savez, la seconde partie du mois de décembre ne présente que bien peu de sorties. Nous sommes donc pratiquement arrivés au terme de tout ce qui a été présenté durant l'année 2022 et ce Bloodstar vient s'installer de droit dans le top 5 des albums apparus ces mois derniers. Il est fort probable qu'il soit mentionné à de nombreuses reprises, dans le palmarès de beaucoup d'observateurs.






SHADOW WAR : TOUT LE MONDE CONTRE DEATHSTROKE


 Le problème principal avec Shadow war c'est qu'il s'agit d'un album qui n'est pas spécialement destiné au néophyte; bref, ce n'est pas le meilleur point d'entrée possible pour découvrir l'univers DC, c'est même un euphémisme. Alors nous allons tâcher d'être simple. Ra's Al Ghul est ce qui peut se faire de pire en terme de criminel terroriste à visée hégémoniste sur le monde. Impossible de s'en débarrasser, à chaque fois qu'on le tue, il peut revenir à la vie en utilisant ce qu'on appelle les Puits de Lazare. Seulement voilà, depuis quelques temps cet artifice n'est plus aussi fiable qu'avant et l'ignoble vilain a peu à peu évolué vers une prise de conscience de ses actes, poussé en cela par son petit-fils, Damian. Ce dernier est aussi Robin, le side-kick officiel de Batman, et aussi et surtout le fils de Bruce Wayne, que le play-boy milliardaire a eu lors d'une relation aussi brève qu'improbable, il y a de nombreuses années de cela, avec la fille de notre criminel, une certaine Talia Al Ghul. Ra's était sur le point de révéler au monde entier les secrets de la science du puits de Lazare; une forme de rédemption qui lui coûte finalement une balle en pleine tête lors d'une cérémonie publique. Son assassin présumé est Deathstroke, qui dans l'univers DC est une gâchette infaillible, la plupart du temps au service du mal, un mercenaire prêt à abattre tout le monde et n'importe qui en échange de monnaie sonnante et trébuchante. Le lecteur attentif remarquera vite que Deathstroke apparaît dans un ancien costume qu'il a délaissé depuis pas mal de temps. Et en effet, nous découvrons assez rapidement le véritable Deathstroke, quand il comprend qu'il est victime d'une machination et qu'il est ainsi présenté aux yeux de tout le monde comme l'ennemi numéro un à abattre, celui qui vient de commettre en direct un assassinat atroce, au plus mauvais moment. Bref, il se retrouve avec un peu tout le monde sur ses trousses : la justice bien entendu, mais aussi Robin, qui veut venger la mort de son grand-père, Batman qui veut comprendre ce qui s'est produit et éviter un bain de sang, et toute une flopée d'assassins ninjas conduits par Talia, qui est bien décidé à lui faire payer le meurtre de son père. Joshua Williamson orchestre alors une histoire qui va s'étaler sur deux numéros spéciaux (Shadow War Alpha et Omega) mais aussi deux épisodes chacun des séries mensuelles que sont Batman, Deathstroke Inc et Robin, plus une sorte d'interlude avec de brèves histoires corrélées. 



On trouve donc dans cet album un gros imbroglio familial. Sur plusieurs générations, avec même la mère de Ras' en personne, qui est une menace à ne surtout pas sous-estimer. Bien entendu, l'essentiel de l'histoire est centré sur de bons gros combats, des bourre-pif en pagaille et des calibres d'exception qui crachent leurs munitions. Un parfum très années 1990 rôde dans ces pages, et d'ailleurs le style de Paolo Pantalena, qui est resté fortement influencé par la manière de faire d'alors, est assez bien employé, vu le ton général. Même Roger Cruz (forcément) ou encore Howard Porter (lui aussi!) contribuent à ce revival tout en subtilité, qui exploite aussi un des thèmes très en vogue il y a vingt/trente ans, à savoir le "tout le monde tape sur tout le monde, et on tente de s'expliquer par la suite". La nouveauté ici est constitué par la continuity, là où nous emmènent ces épisodes. Il y a une grosse crise à venir dans l'univers Dc (Dark Crisis on Infinite Earths), il faut régler le problème des relations entre Batman et Robin, depuis la mort d'Alfred et l'impossibilité pour le jeune Damian de le sauver. Et puis faire évoluer le statue de deux personnages assez intéressants et sources de récits à rebondissements potentiels, à savoir Ra's Al Ghul et Deathstroke. Sans oublier les conséquences de la disparition de l'état fictif de la Markovie. C'est l'occasion également de revoir Batman Inc. et ses nouvelles recrues, et tout un tas d'intervenant(e)s en costume, avec très souvent un diplôme en art ninja et savatage en règle comme références. Shadow War, c'est donc du comic book décomplexé, qui va faire tiquer celui pour qui Batman, c'est forcément Tom King et le temps de se poser et de s'interroger sur le sens des relations humaines. Mais si ce que vous voulez, c'est de l'adrénaline et de la testostérone en paquet de dix, je vous recommande de vous jeter sur cette parution. 





BLACK PANTHER WAKANDA FOREVER : DEUIL ET APPRENTISSAGE AU WAKANDA




 Pour la première fois, le Marvel Cinematographic Universe doit se confronter avec ce qui constitue la différence principale entre les comics et l'adaptation sur grand écran : la mort, définitive. Là où les personnages sont tous morts plusieurs fois et revenus grâce à des subterfuges scénaristiques parfois discutables (sur le papier), la disparition de Chadwick Boseman impose un hommage digne et émouvant, et l'exploration de nouvelles pistes narratives pas forcément prévues à ce stade. Et toujours pour la première fois, le cinéma présente un avantage indéniable par rapport au matériau d'origine, celui de ne pas pouvoir user jusqu'à la corde un tour de passe-passe, qui a fini par dénaturer et décrédibiliser certains des meilleurs récits de l'histoire des comics. En fait, Black Panther : Wakanda Forever s’avère être avant tout un long parcours d’apprentissage et de succession. Celui de Letitia Wright (qui interprète Shuri, la brillante sœur du roi T'Challa) qui tout en pleurant son frère doit également s’en départir, trouver sa place, sortir de l’ombre de celui qui fut un souverain et un guerrier admirable. L'élaboration du deuil est le thème premier du film et elle est immédiatement mise en scène, dès les premières images, grâce à un générique d'ouverture totalement dédié à T'Challa (pour une fois le silence est encore plus éloquent et solennel que la musique pompière qui est souvent employée) et à une séquence funéraire qui oscille entre tradition et science-fiction, et qui est aussi un hommage à Chadwick Boseman. L'acteur qui a incarné la Panthère dans quatre films, de Captain America : Civil War en 2016 à Avengers : Endgame en 2019, est en effet décédé en août 2020 d'un cancer du côlon, et sa mort soudaine oblige alors les démiurges du Marvel Cinematographic Universe à fondre fantaisie et triste réalité, dans un étonnant mélange qui exerce un impact émotif fort et durable sur le spectateur (beaucoup verseront d’ailleurs une petite larme, à la toute fin du parcours). La sœur, plutôt que le frère, cela implique avant tout une histoire de femmes, qui au Wakanda sont loin d’être des faire-valoir ou des créatures dont la place et l’importance est principalement liée à une condition ou une esthétique particulières. Dans ce film on trouve une femme puissante, Angela Bassett (Ramonda), capable d’asséner une leçon remarquable aux Nations-Unies, dès lors que son peuple est menacé. Mais également une femme forte qui se pense peut-être trop forte, Florence Kasumba (Ayo). Il y a une femme qui s'est éloignée (elle avait de bonnes raisons de le faire) en la personne de Lupita Nyong'o (Nakia) et dont le retour sera déterminant pour la résolution de l’intrigue. Puis une jeune femme intelligente mais encore inexpérimentée et un peu craintive, Dominique Thorne (Riri Williams). Qui n’évoquera absolument rien à ceux qui n’ont pas ouvert de comic book depuis des années, ou carrément jamais. Et pour compléter l’ensemble, quelques hommes qui élargissent un peu les horizons tout en acceptant de rester en retrait ou d’être vaincu : Martin Freeman, qui reprend le rôle d'Everett Rosso, et l'inattendu Tenoch Huerta dans le rôle de Namor. Inattendu, car honnêtement, qui pouvait prévoir que le Prince des Mers aurait droit à ce type d’adaptation, sous cette forme? Ne perdons pas de temps en circonvolutions de langage, c’est à notre sens la pire inspiration du film. Tout, des origines au caractère affiché, en passant bien entendu par les atours et le physique, nous pousse à halluciner, devant ce qui ressemble à un pastiche humoristique. Et c’est d’autant plus dommage que les vues et l’exposition de son royaume sous-marin, tout comme celles du Wakanda, peuvent être remarquables, réellement fascinantes. Et que Namor assume un rôle capital dans l’économie du film, qui possède bien des qualités, dès lors qu’il s’agit de mettre en place des enjeux géopolitiques, de rappeler quels sont les moteurs des relations diplomatiques et de l’économie dans ce bas monde, comment fonctionnent les états et dans quel but. Au-delà des combats un peu bourrins et des scènes forcément spectaculaires et guerrières, certaines remarques ou certains choix des souverains concernés donnent de l’épaisseur à un film qui gagne en profondeur, et pas seulement quand le Prince des Mers nous emporte en son royaume. Certains dénigrent systématiquement les films de super-héros pour leur niaiserie et l’absence de pensée élaborée. Wakanda Forever échappe à ces remarques, et ne laisse pas les super pouvoirs seuls au centre de la scène. En voilà une bonne nouvelle. 




Bien entendu, s'agissant d'un film avec des super-héros, il sera impossible de faire l'impasse sur les scènes à grand spectacle, les batailles rangées à coups de cascades improbables et de coups distribués à la régalade, sans conséquence apparente. Cependant, dans l'ensemble, c'est un film riche, visuellement soigné et détaillé, avec d'excellentes idées au niveau de sa réalisation (Ryan Coogler, qui a également co-écrit et réalisé le premier film, est à saluer) qui propose des séquences très audacieuses et réussies. Par exemple, le royaume sous-marin de Talocan est d'une beauté frappante, et parvient à associer la force et la brutalité d'un monde, avec sa grandiosité, son faste et son quotidien. Coogler est intéressant car il met aussi en scène la complexité d'une riche société africaine qui reste pourtant toujours liée aux mythes et aux limites de la perception de la culture afro-américaine aux Etats-Unis. C'est une vision qui regorge de stéréotypes et de force, et trouve un équilibre sincère, sans jamais tomber dans la condescendance ou l'admiration aveugle. Il n'y a pas de Wakanda caricatural ou au contraire un état parangon de justice et de progressisme. Le royaume de la Panthère est vivant, avec ses zones d'ombre, ses contradictions, jusque dans ses habitants, ses tribus, ses règles sociales et de justice, qui peuvent dérouter dans leur rigidité. Inversement, on peut pointer une certaine naïveté dans ce que devient l'Amérique, qui a recours à une jeune génie susceptible de révolutionner l'armement de sa nation, mais continue de fréquenter une université où il semblerait aisé d'enter comme dans un moulin. Certes, Riri Williams est probablement un des cerveaux les plus brillants de la planète, mais là voir ainsi "banalisée" au milieu des autres, puis en quelques coups de tournevis mettre au point une armure qui en remontrerait à Tony Stark, c'est tout de même un poil exagéré. Shuri, elle, est celle par qui le récit progresse, le contrepoint d'un Namor qui incarne les siens depuis des siècles. La jeune princesse apprend qui elle est et surtout qui elle sera, doit métaboliser un deuil avant d'en affronter un second, décider du sort des autres avant même de pouvoir s'assurer du sien propre. Là où T'Challa semblait parvenir à tout ceci avec une souplesse et une présence physique sculpturale et bondissante, Shuri est très souvent une ombre frêle et androgyne, une héroïne dont l'apparence ne définit guère la force et la détermination intérieure, qui vont l'amener à dépasser sa condition, pour devenir la relève, le visage et l'âme du Wakanda. Quelle que soit sa forme ou sa nature, cette dernière est alors véritablement éternelle, puisque c'est elle qui forge et non se laisse forger, c'est en elle que la Panthère peut naître, et non pas elle qui en est une simple extension. Et si le Wakanda, en réalité, n'était autre que notre vision du Marvel Universe, papier ou cinématographique, intergénérationnel et protéiforme, mais toujours lui-même? 



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : HOKA HEY!


 Dans le 139e épisode de son podcast Le bulleur vous présente Hoka hey !, album que l’on doit à Neyef, édité chez Rue de Sèvres sous le label 619. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Saison brune 2.0 que l'on doit à Philippe Squarzoni et aux éditions Delcourt dans sa collection Encrages

- La sortie du troisième tome de Saint-Elme, série que l'on doit au scénario de Serge Lehman, au dessin de Frederik Peeters, un tome baptisé Le porteur de mauvaises nouvelle et qui est édité chez Delcourt

- La sortie du deuxième et dernier tome de Noir burlesque que l'on doit à Enrico Marini et aux éditions Dargaud

- La sortie du sixième et dernier tome de la série Mattéo, la superbe fresque historique de Jean-Pierre Gibrat éditée chez Futuropolis

- La sortie du troisième tome d’Un putain de salopard, un tome baptisé Guajeraï pour une série que l’on doit au scénario de Régis Loisel, au dessin d’Olivier Pont et c’est édité chez Rue de Sèvres

- La sortie de l’intégrale du premier cycle de la série Une vie avec Alexandra David-Neel que l'on doit au scénario de Fred Campoy qui signe aussi le dessin conjointement avec Mathieu Blanchot et le tout est édité chez Grand angle







DEMON DAYS : LES HÉROS MARVEL EN PLEIN JAPON FÉODAL


 Les frontières entre les différents genres, les différents styles, sont aujourd'hui bien plus minces qu'autrefois. Il n'est plus tabou de présenter un comic book clairement orienté vers le manga, et c'est tant mieux, serait-on tentés de déclarer, à la lecture de Demon Days, publié par Panini en ce mois de novembre. Clairement, je ne suis pourtant pas le public de cette opération, mais si mon regard sur l'ouvrage, sur le produit fini, est globalement très positif, vous pouvez aisément comprendre que ceux qui sont sensibles par nature à cette approche des autres seront probablement ravis. Au départ donc, il s'agit d'une énième réinterprétation des icones Marvel, cette fois placées dans le folklore du Japon d'autrefois, entre monstres horribles et découpes franches au katana. L'histoire débute il y a de nombreux siècles de cela, avec une légende qui prend sa source sur les flancs du mont Kirisaki. Là-bas, les habitants ont un problème de cohabitation avec les Oni, une race en apparence monstrueuse mais plutôt inoffensive, jusqu'à ce que le mépris des premiers cités pour le territoire et la nature qui héberge ces Oni ne pousse ceux-ci à s'aventurer où il ne faudrait pas, de manière pas toujours amicale.  La jeune et belle Mariko Yashida (qui fait écho à la fiancée historique de l'ami Wolverine) est l'héroïne de ce récit, et elle va croiser des personnages haut en couleurs, les versions "Japon féodal" de Hulk, Venom (en gros serpent maléfique), Logan (ici transformé en un loup) ou encore Black Widow. Le premier chapitre permet de poser les bases de tout un univers, qui prend véritablement son essor avec les premières pages d'un arc narratif consacré au clan Yashida. Mariko rêve, en réalité. C'est en feuilletant les pages d'ouvrages fantastiques que lui viennent ces songes, encore que finalement… peut-être est-elle juste la marionnette de quelque chose de plus sombre, comme un récit familial alternatif, où il serait question de sa véritable identité. Plus vraiment la gentille jeune fille élevée par sa grand mère, avec une servante dévouée à son service, mais la fille d'un Oni, qui détiendrait les clés (métaphoriquement, et aussi matériellement) de quelque chose d'autre. 


On se trouve donc avec un récit initiatique. une jeune fille qui est en quête de son identité, doit comprendre et renouer avec ses racines, tout en affrontant des épreuves pour lesquelles elle ne semble pas taillée, au départ. Sauf qu'elle se découvre un grand courage et des facultés extraordinaires, avant la révélation finale, c'est à dire ce qui s'est vraiment produit avec sa mère, étant toute petite; et cela concerne aussi la sœur, qui va jouer un rôle important dans toute la seconde partie de ce Demon Days. On va y retrouver un Hulk féodal japonisant, une Mystique des plus méchantes, un duo Thor/Tornade qui conserve des pouvoirs de base qui ressemblent à ceux qu'on connaît chez Marvel, d'autant plus qu'ils sont présentés comme des dieux. La quête de Mariko se révèle alors très réussie, voire passionnante par instants, même aux yeux de qui n'est normalement pas trop sensible à ce genre de littérature. Ce qui nous amène à Peach Momoko, devenue en l'espace de deux trois ans une star chez la Maison des Idées, avec de nombreuses couvertures récompensées (l'Eisner Award, excusez du peu) et ce Demon Days dont la suite est en cours de parution. La chorégraphie des ballets de la violence est très réussie et inventive. Des bras sont tranchés, du sang coule, mais ça reste joli et onirique, porté par des aquarelles qui flirtent sur certaines planches avec le dénuement, l'économie totale de moyen. Panini Comics ne s'y est pas trompé, puisqu'outre une édition régulière à 26 euros, qui reprend l'intégralité de cette histoire, est disponible une version collector limitée, vendue dans un très beau coffret, pour le prix (un peu moins abordable, mais il s'agit d'un objet pour collectionneurs tiré à 500 exemplaires) de 80 euros. Le point fort de Demon Days est de s'adresser de la même manière à tous les publics, que ce soit une question de différence d'âge, ou d'habitude de styles de lecture. Une sorte de crossover entre différentes sensibilités, qui possède son propre parfum charmeur et charmant. Une bonne surprise, pile poil pour le grand rush des cadeaux de Noël... 



FLASH (INFINITE) TOME 2 : SUR UN AUTRE MONDE


Le Flash de Jeremy Adams, c'est Wally West. Qui est bel et bien l'homme le plus rapide du monde, et n'est plus ce réprouvé qu'il était devenu, suite aux événements tragiques de Heroes in crisis. Un bon coup d'éponge qui vient effacer une histoire audacieuse mais assez confuse, et surtout démontrer que lorsque tout semble changer, c'est surtout pour ne rien changer. Bref. Wally a réhabilité son nom, il a récupéré son épouse adorée, et même l'existence de ses deux enfants, Jay et Irey. Tout serait parfait dans le meilleur des mondes, s'il n'y avait pas un petit nuage à l'horizon : la nécessité de trouver un travail pour mettre du beurre dans les épinard, d'un couple qui a du mal à joindre les deux bouts. Ne riez surtout pas. Wally pourrait gagner de l'argent de bien des manières (avec ses pouvoirs ce ne sont pas les idées qui me manquent), sans oublier qu'il fréquente des mécènes bien généreux, qui pourraient fort bien récompenser le fait qu'il sauve le monde chaque fin de semaine. Oui mais voilà, l'homme est orgueilleux et entend mettre ses talents pour la mécanique à l'épreuve. Un Flash sans la moindre ambition, aurait on envie de lui asséner. En plus, l'ami Wally n'est pas si à cheval sur ses principes que cela, puisqu'il est recruté par Mister Terrific, qui dirige une entreprise futuriste, où cohabitent des chercheurs dont l'activité consiste à palabrer sur des concepts scientifiques fumeux, histoire que le lecteur comprenne qu'ils ont de la matière grise à revendre.  Le nouveau patron lui permet de s'absenter quand il le souhaite, c'est à dire que son temps de présence effectif va chuter au niveau de celui d'un député RN au parlement européen, ce qui se rapproche quand même dangereusement d'un emploi fictif. Auparavant, notre gentil bolide aura croisé la route d'un Heat Wave qui se sait condamné, victime d'un cancer. Son dernier acte d'homme "libre" sera donc de tout carboniser autour de lui. On a vu mieux et plus sensible, comme conclusion. Irey, la fille de Wally, va pour sa part être l'héroïne d'un épisode où le Docteur Cauchemar donne corps aux pires rêves de ses victimes. 




Mais le plat de résistance de ce second tome  pointe le bout de son nez en même temps qu'une sorte de lance mystique, tombée d'où ne sait où (du ciel, littéralement). Contrepoint parfait de Mjolnir, le marteau de Thor, personne ne parvient à empoigner l'objet qui est solidement fiché dans le sol, si ce n'est quiconque est indigne…  Ce sera le début d'une aventure plus longue que les autres, qui concerne aussi le numéro double #775, dans lequel on va retrouver le (nouveau) Docteur Fate, et pas mal d'autres personnages mystiques, comme Constantine ou Zatanna. En parallèle, les enfants de Wally (tout particulièrement la gamine) trouvent le moyen de se mettre dans de sales draps. Une bonne excuse pour faire avancer une intrigue secondaire qui concerne leurs pouvoirs, redistribués de manière à ce que seule Irey puisse les utiliser. Tout cela aussi, ça ne devrait guère durer. Vous pourriez penser, au ton de ces quelques lignes, que je n'accorde pas trop de crédit au scénario de Jeremy Adams, mais vous auriez tort. Tout en écrivant des choses légères assez souvent, il parvient à rendre vivantes et intéressantes les aventures de ce Flash un poil moins sérieux ou coincé que ne l'est Barry Allen, en temps normal. Il est par ailleurs entouré de dessinateurs qui sont tous largement à la hauteur, dans un style très dynamique et super-héroïque. Fernando Pasarin est un des artistes les plus consciencieux et réguliers qui fréquentent la distinguée Concurrence, alors que Will Conrad, un tantinet plus personnel et donc susceptible de diviser, s'adapte parfaitement au ton de la série. Le Flash Infinite est une sorte de grand écart entre comic book truculent axé autour d'une vie de famille effervescente, et des rebondissements standards, entre visite de réalité alternative, manifestation/disparition de super pouvoirs, ou autres guest stars de prestige. Tout est dans le dosage, et pour le moment, le cocktail se boit avec plaisir, sans vraiment monter à la tête.  

Pour le tome 1, vous pouvez aller voir par ici


INCOGNITO : LE POLAR SUPER-HÉROÏQUE D'ED BRUBAKER EN INTÉGRALE


Zack Overkill s'ennuie, Zack  Overkill vivote. Être employé de bureau et passer son temps à écouter les collègues ou encore à faire des photocopies, ça n'est pas fait pour lui. Il faut dire que bien des années auparavant il était un des super vilains les plus puissants et les plus tordus de la planète. Assassiner quelqu'un, faire le mal sans se poser de question ne lui a jamais posé un cas de conscience particulier. Mais ça c'était avant. Depuis, son frère jumeau a connu une triste fin, lui-même s'est fait coincé par la police spéciale et il a accepté un programme spécifique de réinsertion, en échange d'informations précieuses sur l'organisation Black Death (quelle subtilité), ceux avec qui il a collaboré autrefois... et bien entendu la neutralisation de ses pouvoirs, par le biais d'une sorte de drogue inhibitrice à absorber chaque jour. Autrefois, Zack était quasiment invulnérable, un surhumain qui ne craignait pas grand chose, et se savait bien en mesure de se servir, sans qu'on puisse l'en empêcher. Mais du coup, c'est le grand écart entre une vie réglée par l'excitation du moment la sensation d'être tout-puissant et au-dessus du commun des mortels, les montées d'adrénaline régulières, et ce train-train morne et répétitif, du repenti protégé par la police, sous une nouvelle identité, dans une nouvelle existence factice. Il suffirait donc de pas grand-chose pour que Zack bascule vers l'action parfois radical, un petit grain de sable qui vient enrayer la machine, ou comme c'est toujours le cas dans les récits d'Ed Brubaker, ce clin d'œil sournois et ironique du hasard, qui frappe là où ne l'attend pas ou plus, et qui met en branle toute une série des réactions en chaîne. 



En réalité, Zack entame un parcours vers la rédemption, sans jamais s'exposer de trop en ce sens. Quand il réalise qu'il peut tromper la vigilance de ceux qui prétendent l'encadrer, c'est pour cette fois accomplir des actions bénéfiques, même si parfois maladroites ou totalement involontaires. Il n'a aucunement l'intention de se targuer de l'étiquette de redresseur de torts, ça ne le tente même pas; pour autant il n'est plus ce parangon de violence et du mal d'autrefois, et navigue désormais en eaux troubles, tout en se révélant utile pour la communauté. Ce qui lui vaut, par ailleurs, d'être repéré. C'est sa parole et ses remarques qui rythment la narration, où suintent une forme latente de dépression et un désabusement total et railleur, qui permettent au lecteur de nourrir une curieuse forme d'attraction, qui vire à l'empathie dès lors que les pans secrets de la jeunesse et de l'histoire de Zack sont révélés, et font de lui une victime malheureuse plutôt qu'un criminel cynique. Comme toujours Ed Brubaker brille quand il s'agit de mettre en place un polar aux multiples ramifications; s'il excelle clairement dans sa partie, il est en plus question de super-héros, de machinations politiques et de la manière dont on peut employer une force absolue quand on en est capables, sans devoir rendre des compte à des "inférieurs" qui ne sont pas en mesure de s'opposer à vous. Est-il moral de mettre des dons spectaculaires au service d'une cause égoïste, cupide ou franchement nihiliste ? En complément, de nombreuses références à la tradition des pulp d'antan viennent étoffer une histoire et une ambiance qui sont particulièrement bien servies par un Sean Phillips inspiré. Storytelling très cinématographique, capacité de maintenir en haleine aussi bien à travers des scènes statiques de discussions poisseuses et alcoolisées, ou de combats et d'explosions de violence, ses armes contribuent grandement à la réussite d'Incognito, que Delcourt ressort dans une très belle intégrale. Les deux volumes initiaux sont ici réunis, et agrémentés d'une belle brochette de bonus, entre couvertures alternatives et rédactionnel illuminant. En fait, pour résumer cette chronique et faire très court, il suffit de lire les crédits, sur la couverture. Brubaker, Phillips, take my money, baby



THE PRO : RETOUR CHEZ AKILEOS D'UNE HÉROINE BIEN PARTICULIÈRE


 Si les super-héros peuvent aussi être des modèles pour le lecteur, Garth Ennis est pour sa part un maître dans l'art de prendre le contre-pieds des attentes et de créer des personnages ultra trash et attachants. The Pro, qui signifie "professionnelle" est une travailleuse du sexe. Une façon pudique de dire qu'elle fait le trottoir, avec plus ou moins de chance, puisque régulièrement ses clients la tabassent ou la volent pour ne pas avoir à payer. Outre cet aspect glauque de son "travail", elle doit aussi faire face à des retards dans le loyer (pour un appartement miteux) et sa condition de mère célibataire en détresse. Jusqu'au jour où un extra-terrestre qui enquête sur la noblesse de notre race décide de lui conférer de formidables pouvoirs (histoire de se moquer gentiment des personnages Marvel, c'est une espèce de copie carbone malsaine du Watcher, le Gardien de chez la Maison des Idées), avant d'alerter la Ligue d'Honneur, un groupe de héros qui caricaturent la célèbre Justice League de Dc. Une formation désopilante composée de frustrés, de maniaques sexuels, de pervers et d'exhibitionnistes, conduite par Le Saint, un version alternative de Superman, qui refuse d'assumer ses envies et ses pulsions. Ce qui est compréhensible, quand on assiste un peu plus loin dans le récit à une de ses éjaculations ultra puissantes, qui fuse vers le ciel et provoque une catastrophe aérienne! Quand un gang de criminels aux noms de code improbables inspirés par … la grammaire attaquent les Nations-Unies, la Ligue se rend compte que les méthodes de la nouvelle recrue sont plutôt expéditives et à l'encontre de ce que les apparences et le bon ton exigent : vulgarité assumée, violence non retenue, tenues vestimentaires ébouriffantes et comportement que la morale réprouve (elle urine sur les vaincus devant le conseil de l'Onu)… Le Saint se sent outragé, mais accepte de donner une autre chance à la professionnelle, qui va lui faire découvrir les joies du sexe et de la culpabilité. Ce qui donnera l'occasion à la Wonder Woman made in Ennis, une certaine Lady, de jouer les donneuses de morale, sans en avoir l'étoffe. 



The Pro, c'est irrévérencieux au point extrême, et en plus, c'est bien construit, fort drôle, et simple à lire. Une récréation addictive, qui met à mal le mythe de ces héros sans peur et sans désir, dont les corps rutilants exultent sous le spandex et le cuir sans jamais se dénuder et se rencontrer. Avec Ennis, le sexe compulsif et ses méandres guident les actes et les choix de ces héros mis en image par Amanda Conner. Un style relâché, immédiat, qui ne cherche pas à donner dans le réalisme, mais dans le pastiche gore et assumé. Jimmy Palmiotti à l'encrage est lui aussi de la partie, pour un comic-book haut en couleurs, dans tous les sens du terme, qui ne connait pas l'existence du temps mort ou de la retenue. Indiscutablement une des créations les plus folles de Garth Ennis, qui ne se contente pas non plus d'empiler les scènes provocatrices, mais tentent aussi de glisser par endroits une pensée plus approfondie, comme par exemple l'incapacité des héros à résoudre les vrais problèmes du monde, comme s'ils préféraient parader et faire perdurer leurs petits jeux de pouvoirs, plutôt que de vraiment se rendre utiles à une société, une communauté, où l'homme (et ici la femme) en difficulté ne peut plus compter que sur lui/elle même. On sait que Garth Ennis, de base, n'est pas un grand amateur de super-héros, et cette version parodique est encore un moyen de prendre du recul et de démythifier des êtres forts comme des dieux, mais fragiles comme n'importe lequel d'entre nous. En germe donc, on trouve dans cette histoire le côté désabusé et même prévenu, à l'encontre de super-héros un peu moins reluisants dans l'intimité qu'en public. Au moins, "La Pro" a beaucoup moins à cacher, et aucun récit moralisateur a défendre. Pour les retardataires qui ne connaissent pas encore cet album, une nouvelle édition vient de sortir chez Akileos. Une bonne idée d'investissement, y compris à offrir. 



BATMAN ONE DARK KNIGHT : JOCK DANS LA NUIT DE GOTHAM


 Vous le savez bien, Gotham n'est pas la ville lumière par excellence. C'est plutôt le royaume de l'obscurité, de la noirceur, de la nuit permanente. Du reste, on a rarement vu Batman se balader dans la rue et faire ses courses dans son costume de chauve-souris, en plein après-midi, au supermarché du coin. Mais là, c'est encore pire que d'habitude. Au départ il y a un super criminel du nom de EMP; ses pouvoirs sont basés sur les champs magnétiques et toutes les formes d'énergie, qu'il parvient à aspirer jusqu'à atteindre une forme d'overdose, qui le contraint alors à libérer des forces terribles. Le type a autrefois était le responsable d'un véritable drame dans la ville et depuis il accepte de purger sa peine, en se considérant lui-même comme coupable d'exactions pour lesquelles il n'existe pas de pardon possible. Seulement voilà, l'heure est venue de le transférer de l'asile d'Arkham, où il était pour l'instant interné, à la prison sous haute sécurité de Blackgate, là d'où a priori personne ne peut s'évader. Le problème, c'est le trajet… il faut un transport spécifique pour que EMP ne puisse pas libérer ses énergies et il faut également tenir compte du fait que dehors, de nombreux gangs à l'attendent au virage, entre ses anciens hommes de main et ceux qui ont décidé de se venger et de le liquider à la première occasion. Au milieu de tout cela, nous trouvons Batman qui est censé veiller sur le véhicule blindé et s'assurer que le détenu rejoigne bien sa nouvelle cellule. Je pense que vous avez tout de suite compris que les choses ne vont pas se passer comme prévu, et qu'à un moment donné EMP va se retrouver dans la nature! Cela dit, tout ne va pas exactement se déroulait comme on pourrait l'imaginer.


Le scénario de cet album n'est pas forcément des plus élaborés, il faut bien l'admettre. Il s'agit d'une course poursuite à travers la ville, avec un Batman qui doit veiller sur un détenu en piteux état, qui pour une fois n'essaie pas de se faire la malle tout seul, mais qui par contre est l'objet des convoitises de tout un tas de malfrats. Tout ceci risque de mal finir et si en temps normal Batman n'aurait aucun problème à se débarrasser de chacun des assaillants en conservant une main dans le dos, c'est beaucoup plus difficile lorsque le nombre devient écrasant et que chaque carrefour recèle un guet-apens mortel. Une course contre la montre s'engage alors dans la ville, en pleine nuit, dont l'objectif est simple : amener EMP à Blackgate avant le lever du jour et sans qu'il libère des énergies à l'effet dramatique sur la ville. Sauf que assez rapidement, la situation dérape… Jock est à la fois le scénariste et le dessinateur de cet ouvrage; pour ce qui est du dessin, il n'y a rien à redire car vous le savez, c'est un artiste extraordinaire, qui a une maîtrise de l'obscurité, du noir et ses déclinaisons, des ombres et des formes qu'elles peuvent dessiner, absolument remarquable. J'en fais même personnellement un de mes dix ou quinze artistes favoris, pour ce qui est du circuit contemporain, c'est vous dire. Il est ici en très grande forme et certaines de ses planches sont véritablement splendides. On est totalement en immersion dans cette nuit qui n'en finit pas, traversée et déchirée par des explosions, des coups de feu, des intuitions graphiques remarquables. Côté scénario, Jock s'en tire car il parvient à glisser quelques éléments disparates, comme une conspiration pénitentiaire, une histoire familiale, bref il crédibilise un récit des plus simplistes par petites touches, ce qui au final le rend beaucoup plus attachant. L'album regroupe en fait trois épisodes, trois grandes parties publiées séparément aux États-Unis, sur le Black Label de DC Comics, ce qui explique le format un peu hors norme mais particulièrement adapté au talent de l'artiste. On y retrouve un Batman à mi-chemin entre le Frank Miller de Sin City et l'inventivité graphique d'un Sienkiewicz. C'est particulièrement beau, ça se lit assez vite, bref un petit plaisir (presque) coupable qu'on peut vous recommander sans la moindre hésitation.





UNIVERSCOMICS LE MAG' 29 : BLACK PANTHER LES COMICS AU WAKANDA


 

UNIVERSCOMICS LE MAG' #29
Novembre 2022
84 pages - Gratuit

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#BlackPanther Les comics au #Wakanda
- Black Panther, le dossier du mois
- Guide de lecture, T'Challa dans les comics #Marvel
- #BlackAdam le film, critique complète
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- Le cahier critique du mois, avec les review des albums choisis. Reckless et Ultramega chez Éditions Delcourt Inferno et le Silver Surfer chez Panini Comics France du Batman, Primordial et the Plot Holes de Murphy chez Urban Comics la suite excellente de Copra de Michel Fiffe chez Delirium ou encore la fin de La Belgica chez Editions Anspach
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- Petite sélection des sorties Vf de novembre

Un grand merci à celles et ceux qui nous lisent, nous soutiennent, nous supportent, chaque mois. Ce Mag' est pour vous. Cover Panther de grande classe signée #BenjaminQuinajon soumise aux talents graphiques de Mighty Benjamin Carret comme toujours.

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CHASM : LE FARDEAU DE KAINE (UN FARDEAU POUR LES LECTEURS)

 En mars 2024, Marvel a publié un gros fascicule intitulé Web of Spider-Man , censé donner un aperçu de quelques unes des trames sur le poin...