INCOGNITO : LE POLAR SUPER-HÉROÏQUE D'ED BRUBAKER EN INTÉGRALE


Zack Overkill s'ennuie, Zack  Overkill vivote. Être employé de bureau et passer son temps à écouter les collègues ou encore à faire des photocopies, ça n'est pas fait pour lui. Il faut dire que bien des années auparavant il était un des super vilains les plus puissants et les plus tordus de la planète. Assassiner quelqu'un, faire le mal sans se poser de question ne lui a jamais posé un cas de conscience particulier. Mais ça c'était avant. Depuis, son frère jumeau a connu une triste fin, lui-même s'est fait coincé par la police spéciale et il a accepté un programme spécifique de réinsertion, en échange d'informations précieuses sur l'organisation Black Death (quelle subtilité), ceux avec qui il a collaboré autrefois... et bien entendu la neutralisation de ses pouvoirs, par le biais d'une sorte de drogue inhibitrice à absorber chaque jour. Autrefois, Zack était quasiment invulnérable, un surhumain qui ne craignait pas grand chose, et se savait bien en mesure de se servir, sans qu'on puisse l'en empêcher. Mais du coup, c'est le grand écart entre une vie réglée par l'excitation du moment la sensation d'être tout-puissant et au-dessus du commun des mortels, les montées d'adrénaline régulières, et ce train-train morne et répétitif, du repenti protégé par la police, sous une nouvelle identité, dans une nouvelle existence factice. Il suffirait donc de pas grand-chose pour que Zack bascule vers l'action parfois radical, un petit grain de sable qui vient enrayer la machine, ou comme c'est toujours le cas dans les récits d'Ed Brubaker, ce clin d'œil sournois et ironique du hasard, qui frappe là où ne l'attend pas ou plus, et qui met en branle toute une série des réactions en chaîne. 



En réalité, Zack entame un parcours vers la rédemption, sans jamais s'exposer de trop en ce sens. Quand il réalise qu'il peut tromper la vigilance de ceux qui prétendent l'encadrer, c'est pour cette fois accomplir des actions bénéfiques, même si parfois maladroites ou totalement involontaires. Il n'a aucunement l'intention de se targuer de l'étiquette de redresseur de torts, ça ne le tente même pas; pour autant il n'est plus ce parangon de violence et du mal d'autrefois, et navigue désormais en eaux troubles, tout en se révélant utile pour la communauté. Ce qui lui vaut, par ailleurs, d'être repéré. C'est sa parole et ses remarques qui rythment la narration, où suintent une forme latente de dépression et un désabusement total et railleur, qui permettent au lecteur de nourrir une curieuse forme d'attraction, qui vire à l'empathie dès lors que les pans secrets de la jeunesse et de l'histoire de Zack sont révélés, et font de lui une victime malheureuse plutôt qu'un criminel cynique. Comme toujours Ed Brubaker brille quand il s'agit de mettre en place un polar aux multiples ramifications; s'il excelle clairement dans sa partie, il est en plus question de super-héros, de machinations politiques et de la manière dont on peut employer une force absolue quand on en est capables, sans devoir rendre des compte à des "inférieurs" qui ne sont pas en mesure de s'opposer à vous. Est-il moral de mettre des dons spectaculaires au service d'une cause égoïste, cupide ou franchement nihiliste ? En complément, de nombreuses références à la tradition des pulp d'antan viennent étoffer une histoire et une ambiance qui sont particulièrement bien servies par un Sean Phillips inspiré. Storytelling très cinématographique, capacité de maintenir en haleine aussi bien à travers des scènes statiques de discussions poisseuses et alcoolisées, ou de combats et d'explosions de violence, ses armes contribuent grandement à la réussite d'Incognito, que Delcourt ressort dans une très belle intégrale. Les deux volumes initiaux sont ici réunis, et agrémentés d'une belle brochette de bonus, entre couvertures alternatives et rédactionnel illuminant. En fait, pour résumer cette chronique et faire très court, il suffit de lire les crédits, sur la couverture. Brubaker, Phillips, take my money, baby



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