PATIENCE : LA SCIENCE FICTION DE DANIEL CLOWES CHEZ DELCOURT


 Ça commence comme une histoire d'amour entre deux personnages qui se sont trouvés, malgré leur déboires et leurs existences plutôt ternes. Lui s'appelle Jack, il fait semblant d'aller au travail chaque matin alors qu'il n'occupe pas le poste qu'il prétend posséder. Il se contente pour l'instant de distribuer des prospectus à caractère érotique, en pleine rue. Elle s'appelle Patience, elle a un passé fait de relations toxiques et de mauvais choix et elle estime désormais avoir une chance incroyable, depuis que Jack est rentré dans sa vie. Patience est enceinte et son compagnon souhaite l'épouser. Bref, si ces deux-là n'ont pas une vie rêvée, en tous les cas ils se sont au moins "trouvés". Et puis un jour, c'est le drame ! Jack est convaincu que le moment est venu de révéler la vérité concernant son emploi, mais quand il rentre chez lui, il découvre Patience au sol, victime d'une agression, morte. La police l'inculpe et il passe plusieurs mois en détention à tenter de clamer son innocence. Lorsqu'enfin il est relâché, c'est pour commencer de son côté une longue enquête afin de découvrir l'identité du véritable criminel. Et là, le récit bifurque vers quelque chose de complètement différent, une science-fiction poétique et lunaire. Dans un lointain futur, Jack va faire la connaissance d'un type qui a inventé un moyen de remonter dans le temps. Non seulement un appareillage bien utile, mais une substance qui s'appelle "le jus", qu'il doit ingurgiter pour faire des bonds en arrière ou repartir en avant. En enquêtant sur le passé de son ancienne petite amie, notamment les garçons avec qui elle a eu des relations et qui l'ont clairement maltraitée, il pense pouvoir remonter à l'identité de l'assassin. Seulement voilà, quand on débarque dans le passé, il me faut normalement pas intervenir sur le cours des événements, au risque de provoquer une catastrophe. Alors, comment faire pour se garantir un jour la possibilité de retrouver à nouveau Patience et de vivre heureux en bon père de famille, avec l'enfant qui aurait dû voir le jour et qui n'a jamais été ?



Pour aller de l'avant, il faut donc revenir en arrière. C'est ce que semble nous dire Daniel Clowes, dans une de ses œuvres fondamentales et probablement les plus abouties, qui remontent à 2016 et qui bénéficie d'une splendide réédition chez Delcourt, dans le cadre de la bibliothèque de Daniel Clowes. En voulant changer le cours des choses subtilement - et donc retrouver son amour perdu et le fils qu'il n'a jamais connu - Jack se transforme peu à peu en une espèce de robot Terminator. Il est animé de bonnes intentions mais inévitablement, il finit par provoquer des situations qui sont destinées à changer le cours des choses, ou au contraire à confirmer l'impossibilité intrinsèque de mener sa mission à terme. Au passage, c'est toute la vie de Patience qui est illustrée. Nous en apprenons plus sur les épisodes fondamentaux qui ont fait d'elle ce qu'elle est devenue et nous revenons en arrière, jusqu'au tout début de cette bande dessinée, pour comprendre ce qui passait par la tête de la jeune femme, alors qu'elle avait déjà été contactée par la version future de celui qui partageait sa vie, sans qu'elle devine véritablement son identité. Clowes fait dans l'épure au niveau du dessin; le trait est moins anguleux, beaucoup plus souple que par le passé, les fonds de case sont très souvent réduits à leur plus simple expression et les couleurs explosives, particulièrement chamarrées, donnent un attrait visuel notable à l'ensemble. Dans sa grande simplicité apparente, dans son caractère très engageant, Patience se révèle être une machine parfaite à capter le regard du lecteur de passage, tandis que le récit qui se déploie avec brio, sans aucun temps mort et se stratifie avec une intelligence machiavélique, fera la joie des amateurs de l'artiste. Même la fin n'en est pas vraiment une : nous avons l'impression d'une conclusion ouverte, d'une histoire qui se termine pour ensuite continuer dans notre imagination, selon notre propre sensibilité. Patience est un mécanisme presque parfait qui démontre la maîtrise totale d'un Daniel Clowes au pinacle de son art, engagé dans la synthèse de son propre travail.  Dire qu'il s'agit d'une œuvre incontournable est une évidence; à découvrir absolument, si vous ne l'aviez pas déjà fait lors de la première publication chez Cornélius. Delcourt vous gâte, profitez-en.





LES VILLES EN BD CHEZ PETIT À PETIT : NICE EN DEUX TOMES


 La bande dessinée, ce n'est pas qu'une question d'aventures ou juste de fantaisie; cela peut-être aussi l'occasion de s'instruire, tout en conservant bien entendu les spécificités de ce média. Un exemple parfait est offert chez les éditions Petit à petit, qui ont entrepris depuis plusieurs années la publication d'une série d'albums qui retracent l'histoire des principales villes de France. Bien évidemment, notre site et magazine est basé à Nice, ce sont fort logiquement les deux volumes consacrés à la capitale des Alpes-Maritimes qui nous intéressent aujourd'hui. D'autant plus que le second tome est sorti il y a quelques jours ! Nous avions eu le plaisir d'inviter lors du tout récent Play Azur Festival la dessinatrice italienne Alessia  De Vincenzi, auteure de deux chapitres du premier volume, paru en 2018. Raison de plus pour attendre avec intérêt la suite, qui est désormais entre nos mains. Les albums sont faits de deux parties distinctes qui s'alternent continuellement : tout d'abord un texte explicatif contenant des informations, qui aborde chronologiquement les grandes phases de l'Histoire avec une majuscule et qui recèle tout un tas d'anecdotes et de faits historiques précieux pour le lecteur. Ensuite, en complément, des petits récits de 5 à 8 pages dessinés, en grande partie romancés, où il est question de personnages ou de moments importants qui ont marqué l'évolution de la cité. Dans le cas de Nice, ces récits ont pour fil conducteur la griffe d'un aigle (vous savez que c'est l'animal emblématique de Nice) dont tous les possesseurs tirent un avantage, que ce soit sous forme de protection, de dons de voyance ou d'un courage exemplaire. Le second tome s'ouvre par exemple sur l'histoire de Catherine Segurane, une des héroïnes locales. Elle a eu le courage de lutter contre la flotte turque de Barberousse, venue s'emparer de Nice, alliée avec les troupes du roi de France. Le comté a résisté vaillamment, notamment grâce à cette humble lavandière qui a non seulement combattu l'assaillant à coups de battoir à linge, mais lui a aussi montré une partie charnue de son anatomie pour le faire fuir, entrant ainsi définitivement dans la légende. Un épisode dessiné avec brio par Fabio D'Auria, un autre de ces artistes napolitains dont nous suivons le travail depuis des années, ce qui nous fait extrêmement plaisir. 



Si vous ne connaissez pas bien l'histoire de la cité niçoise, cet album vous donnera l'essentiel pour appréhender les grandes évolutions identitaires qui font que la région, le comté, sont passés de la France au royaume de Piémont-Sardaigne, ont dû repousser ou combattre des tentatives d'annexion et ont finalement choisi la France, à l'issue d'un référendum dont la destinée était déjà décidée d'avance et qui a été entaché d'une série invraisemblable d'irrégularités. Tout ceci est raconté au fil de petits épisodes dont les styles graphiques varient beaucoup plus que durant le premier volume. Nous avons le plaisir de retrouver en ce sens le travail d'un de nos artistes locaux, Jean-Frédéric Minéry, mais aussi le trait précis et presque chirurgical d'Olivier Vesnat, sans oublier l'excellent Philippe Nicloux, qui vient conclure l'ensemble avec quelques pages lumineuses qui mettent en avant aussi bien la récente tragédie de l'attentat sur la Promenade des anglais, que l'incroyable beauté du bleu qui règne à Nice, que ce soit dans le ciel ou sur la mer. L'ensemble est clair et même s'il s'agit souvent de raccourcis très succincts, l'ambition n'était pas de faire une encyclopédie historique truffée de détails mais de parvenir à susciter l'intérêt du lecteur et à lui offrir les clés essentielles de la compréhension, sans jamais être lourd, mais au contraire en faisant alterner pagination didactique accessible avec des épisodes en bande dessinée, qui oscillent entre la comédie et le drame. Les pages de Emeric Tain, où il est question de Tobias Smolett, un noble écrivain anglais qui s'est pris de passion pour la beauté du paysage niçois, sont par exemple très pertinentes car elles permettent aussi de comprendre quand et comment le phénomène du tourisme anglais est né dans la région, et donc par extension l'explication du terme Promenade des anglais. Bien entendu, Petit à petit ne propose pas uniquement l'histoire de Nice mais celle de très nombreuses autres villes françaises, de Paris à Lille en passant par Bordeaux, Montpellier ou des cités plus petites comme La Rochelle, Dijon, Reims… Cette collection fourmille d'informations, tout en les plaçant à la portée de tout le monde, y compris des amateurs de beaux dessins et de ces rencontres fortuites mais souvent captivantes, entre la fantaisie, notre réalité et notre patrimoine à tous. Nice, en deux volumes est un excellent moyen de s'en convaincre.








SUPERMAN CHRONICLES 1987 VOLUME 2 : QUI EST SUPERMAN ?


 Il est parfois légitime de se poser la question : qui est vraiment l'Homme d'acier ? Est-ce Superman, qui par moments se déguise en Clark Kent pour avoir un semblant de vie quotidienne, ou est-ce Clark Kent, un être humain sensible et désireux d'aider les autres, capable de devenir lorsque le besoin l'impose le plus grand super-héros de tous les temps ? La question commence à se poser sérieusement dans le volume 2 des Chronicles de 1987. Le journaliste Kent n'arrive pas forcément à rendre à temps tous les articles que lui demande son directeur en chef; de plus, le fait de devoir jouer au justicier encapé l'empêche d'avoir une vie normale, d'être présent pour l'anniversaire de ses parents adoptifs, ou tout simplement pour répondre à un rencard amoureux. Ce dernier point est très important car une relation sentimentale multiple commence à voir le jour dans les pages des trois différentes séries de Superman. Bien entendu, celle que Clark préfère est probablement la journaliste Loïs Lane, mais comment résister longtemps à la drague éhontée de Catherine (Kate) Grant, une nouvelle venue au Quotidien où travail notre journaliste et qui lui fait du rentre-dedans dès les premiers instants. Ce personnage assez fade, voire carrément peu intéressant de prime abord, va rapidement s'étoffer lorsque le scénariste Marv Wolfman évoque son récent divorce, ainsi que l'enfant qu'elle a eu quelques années auparavant et qu'elle n'a plus le droit de voir aujourd'hui, en raison de sa conduite réprouvée par la morale. Superman va d'ailleurs mettre son grain de sel dans cette histoire et se rendre vite compte qu'il s'agit d'une erreur : là où l'homme peut-être utile, le super-héros peut faire bien des dégâts. Enfin, n'oublions pas Wonder Woman. Depuis que Superman l'a rencontrée pour la première fois, il en fait même des rêves érotiques. Y a-t-il un avenir possible pour le héros aux côtés de celle qui semble son égal du point de vue de la force, du potentiel et du courage ? Encore faudrait-il être en mesure de la contacter pour lui parler vraiment… bref, super-héros mais aussi super imbroglio sentimental pour un homme qui n'a de temps pour personne, pas même pour lui-même.



Le problème quand on décide de rafraîchir un personnage et de reprendre ses origines pratiquement du début, c'est qu'on risque fort de verser dans l'incohérence, étant donnée la longue continuité qui s'était établi durant plusieurs décennies. Un cas d'école, celui de la Légion des Super-Héros, ces jeunes justiciers qui viennent du 30e siècle et qui ont un membre d'honneur très particulier en la personne de Superboy. Oui, mais voilà, lorsque John Byrne décide de réécrire l'histoire de Superman, ce dernier n'a jamais endossé le rôle de l'adolescent à super pouvoirs qui sauve la veuve et l'orphelin à Smallville. Et du coup, comment expliquer que des siècles plus tard, les membres de la Légion vont s'acoquiner avec Superboy pour vivre des aventures fabuleuses ? Ma foi, c'est impossible, sauf qu'il est toujours envisageable pour un scénariste de comic books de mettre sur pied une histoire invraisemblable qui convoque manipulation temporelle, réalités parallèles et plusieurs séries mélangées entre elles; c'est ce qu'on appelle un crossover. Ici, Byrne va donc être responsable d'une rencontre entre la Légion, Superman et Superboy (et le Piégeur du Temps). Les deux faces de la même pièce vont même finir par se taper dessus dans ce qui va être le meilleur moyen d'apporter une explication plausible à un dilemme éditorial. Pour autant que les explications que donnent les comics puissent être plausibles, ça va de soi. Sinon, pour être complet, signalons aussi que le second volume de l'an 1987 propose un petit crossover avec Hawkman, qui est l'occasion aussi de se rendre compte qu'à l'époque nous assistions également aux évolutions aériennes de Hawkwoman, dans des histoires fortement datées, qui font partie des temps faibles de notre gros volume. Le récit est un peu plus intéressant quand juste par la suite Superman rencontre le Green Lantern Corps, au fin fond de la galaxie. Signalons aussi la présence du premier annual de Superman, à la toute fin. Avec Titano (nouvelle mouture elle aussi réécrite), un singe victime d'expériences scientifiques dingues et qui va vivre une aventure particulièrement tragique, qui donnera l'occasion au lecteur d'apprécier le dessin toujours aussi classique et raffiné de Ron Frenz. Défense de la condition animale mais aussi triste plaisanterie du destin, ce sont des pages beaucoup plus intelligentes qu'on ne pourrait penser au premier abord. Avec une Lois Lane et un gros quadrumane qui nous rejoint une sorte de fausse partition de King Kong. 1987 est donc une année capitale dans la carrière de Superman; elle permet non seulement la redéfinition du personnage, mais se permet d'associer modernité et tradition, de réveiller l'intérêt jusque-là assoupi de nombreux lecteurs au long cours et d'en attirer dans ses filets toute une série de nouveaux. Comme j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, mais ces épisodes fondamentaux sont très bien complétés et enrichis par un appareil critique et rédactionnel de qualité, dans chacun des volumes de la collection Chronicles. Prochaine étape (et nous serons là pour vous en parler) Batman 1988 (volume 2) et The Flash, qui fera ses débuts au mois de juin. 





THE BLUE FLAME : L' AVOCAT COSMIQUE POUR SAUVER L'HUMANITÉ CHEZ 404 COMICS


 La ville de Milwaukee est très loin d'être la plus glamour des États-Unis mais elle a par contre sa propre formation de super-héros. Ils forment la Brigade Nocturne et même s'ils n'ont pas de véritables super pouvoirs, ces encapés portent des costumes improbables et futuristes pour aller rendre la justice dans les rues. Des missions comme le trafic de drogue ou les agressions, c'était leur truc, jusqu'au jour ou une tragédie a frappé à la porte. Pleins feux sur le plus célèbre d'entre eux, celui qui se fait appeler The Blue Flame. Dans le civil, il s'agit de Sam Brausam, un type dont la vie est loin d'être brillante (il répare des chaudières) et qui a besoin de son "armure" pour ne pas se sentir un raté complet. Sam et toute sa bande de joyeux drilles épris de justice sont abattus durant une soirée à laquelle ils présidaient. Tous meurent, ou presque. Pas la "flamme", qui se réveille du coma avec une paire de béquilles et va désormais devoir traîner son handicap et son sentiment d'impuissance, tout le reste de son existence. Une tragédie qui est tristement le quotidien d'une nation où des désaxés usent des armes à feux pour perpétrer des massacres absurdes. Ce que personne ne peut deviner, c'est qu'au même moment, Sam conduit une seconde existence, plongé en lui-même et dans les tréfonds de l'espace. Où il est convoqué par une sorte de tribunal cosmique (le Consensus) en tant que représentant de la planète Terre. Celle-ci est menacée d'être détruite par cet aréopage judiciaire universel et Sam devient alors l'avocat de l'humanité, celui qui doit plaider la cause des êtres humains, démontrer que non, tout n'est pas perdu, qu'il n'y a pas que le mal en chacun de nous, mais qu'il y a aussi des raisons de nous faire confiance. Seulement voilà, faire confiance à l'homme, est-ce une si bonne idée que cela ? Christopher Cantwell va donc profiter de son récit pour nous (re)plonger dans quelques-uns des pires défauts de son pays, ou tout simplement de notre monde, tout en brouillant les frontières entre la réalité, la folie et l'incroyable. Sam est-il vraiment un super héros cosmique dont les paroles et les décisions peuvent sauver l'humanité ou est-il victime d'un délire personnel, entretenu par une existence aussi malchanceuse que misérable ? La réponse est en ce moment, chez 404 comics.




The Blue Flame déploie donc deux pistes narratives tout aussi dense et passionnante l'une que l'autre. Sam va devoir apprendre à se reconstruire mais chacun de ses pas est encore hésitant. Il est entouré par sa sœur et le compagnon de celle-ci, un immigré clandestin venu d'Amérique du Sud qui vit avec l'angoisse de devoir un jour quitter les États-Unis. Les rapports familiaux n'ont jamais été idylliques et la communication n'est pas le point fort des Brausam. Sam doit aussi comprendre les mécanismes psychologiques qui l'ont poussé à endosser l'armure du super-héros, s'il veut définir et cerner la personne qu'il est intrinsèquement ou qu'il pourra devenir. Est-ce vraiment l'envie d'aider les autres, le besoin de se sentir exister ou même carrément, des velléités fascisantes qui peuvent expliquer pourquoi des individus s'arrogent le droit de juger leur prochain et de le passer à tabac, plutôt que de laisser fonctionner la justice ? Et si vous étendez cette problématique à une échelle cosmique, vous obtenez donc le tribunal du Consensus, qui s'arroge le droit d'éliminer les peuples qu'il considère comme sans espoir, n'étant pas digne de prospérer. En passant régulièrement de l'infiniment grand au drame le plus intime, Christopher Cantwell génère à la fois beaucoup d'émotion chez le lecteur et beaucoup d'interrogations existentielles et sociétales. On se surprend par moment à se demander ce qui peut bien nous pousser à lire des récits de super-héros nous-mêmes, mais aussi, chose beaucoup plus grave, beaucoup moins futile, ce qui compose l'essence même de l'humanité, si elle mérite vraiment qu'on puisse lui accorder encore un peu de crédit ou si s'acharner à voir en elle le meilleur dont elle serait capable est une réaction saine, ou juste une douce utopie. Adam Gorham accompagne tous ces questionnements avec un dessin qui réussit une synthèse intéressante entre l'épure des formes et des personnages et une mise en scène suffisamment fouillée pour rendre chaque épisode une belle réussite formelle. Le tout est présenté (comme c'est régulièrement le cas chez 404 comics) dans un album de très belle facture avec une splendide couverture et son effet en légère surimpression. La qualité du papier et son grammage remarquable sont également très importants; cela permet de bénéficier de couleur mates qui ne vampirisent pas le trait de Gorham et rendent justice au coloriste, Kurt Michael Russell. Foi (en qui, en quoi ?), anatomie de l'homme dans sa noblesse et sa noirceur, chemin tortueux vers la rédemption, The Blue Flame, ça ressemble fort à un de ces albums qui vont squatter les premières places des classements de fin d'année, dans la catégorie comics. On prend les paris ? 



 

 

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA SAGE-FEMME DU ROI


 Dans le 152e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente La sage-femme du roi, album que l'on doit au scénario d'Adeline Laffitte, au dessin d'Hervé Duphot et c'est édité chez Delcourt dans la collection Mirages. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Deviens quelqu’un ! Que l’on doit à Daniel Blancou et aux éditions Sarbacane

- La sortie de l’album Dehors ! que l’on doit au scénario de Ludovic Piétu, au dessin de Jika et c’est sorti aux éditions Rouquemoute

- La sortie du cinquième tome de la série Stern que l’on doit au scénario de Frédéric Maffre, au dessin de son frère Julien Maffre, un cinquième tome baptisé Une simple formalité qu’édite la maison Dargaud

- La sortie de l’album L’animateur que l’on doit à Juanungo et aux éditions Delcourt dans la collection Shampooing

- La sortie de L’incroyable histoire de la bière que l’on doit au scénario de Benoist Simmat, au dessin de Lucas Landais et c’est sortie aux Arènes BD

- La sortie de l’intégrale de War ans dreams que l’on doit au scénario conjoint de Maryse et Jean-François Charles dont ce dernier en signe aussi le dessin, une intégrale sortie chez Casterman.



 

 

TÉLÉPATHES : PLUS AUCUN SECRET AVEC STRACZYNSKI ET EPTING


 Toutes les relations interpersonnelles, mais aussi celles qui régissent les rapports internationaux, politiques ou économiques, sont basées sur une forme d'hypocrisie. Pour être plus précis, l'impossibilité de savoir vraiment ce que pense l'interlocuteur. C'est à travers les menus mensonges, les euphémismes, la distorsion de la réalité que l'on peut faire passer ses propres idées, négocier ou œuvrer pour le bien commun, en cachant ce mal mineur qu'on ne saurait voir. Alors, le jour où une tempête magnétique solaire inédite frappe à la surface de l'astre bouillant, les cartes sont rebattues définitivement sur Terre. Les conséquences sont invraisemblables : l'ensemble de la population de la planète perd connaissance pendant une demi-heure et une terrible catastrophe s'ensuit, avec des avions en chute libre, par exemple. Une scène que vous avez peut-être déjà vue dans la série télévisée américaine Flash Forward, une petite perle en son temps, qui avait démarré sous les meilleurs auspices avant malheureusement de s'embourber en cours de route. J. Michael Straczynski est de retour pour une mini série en six parties, qui est en fait le premier chapitre de quelque chose qui se veut ambitieux. Il raconte l'apparition d'un groupe d'individus dotés de pouvoir formidable, qui à l'issue de cette demi-heure de coma se réveillent avec la faculté de lire dans l'esprit des autres. Mieux encore (ou pire encore, c'est selon), certains sont capables de faire preuve de pyrokinésie (ils projettent du feu) ou de télékinésie (ils soulèvent des camions); à partir de là, c'est la panique et le chaos généralisé. La première réaction de la plupart de ces nouveaux surhommes est de cacher ces capacités à leurs semblables. Certains vont les mettre au service du bien, comme un groupe d'agents de police mené le sergent Jack Kelly, qui est un peu le héros positif de l'histoire. D'autres vont semer le mal et sans mettre plein les poches, comme le détenu Miles Terrence, déjà très charismatique en temps normal et qui va vite devenir un leader bien dangereux. Les gouvernements eux s'affolent et envisagent de suite de faire passer une loi pour enregistrer tous ces types capables d'intercepter et de diffuser les plus lourds secrets d'état, en l'espace d'une pensée.


Même s'il s'agit d'un récit de science-fiction qui met en scène une catastrophe naturelle assez improbable en l'état, et des conséquences encore plus dingues sur le papier, cette histoire essaie d'être le plus réaliste possible. Les répercussions de l'apparition de pouvoirs télépathiques, la manière dont les gens réagissent, le déroulement implacable des faits, tout cela essaie de suivre une cohérence évidente et évoque par endroit la série précédente de Straczynski réalisée chez AWA (un éditeur que décidément on aime beaucoup) The Resistance, qui est sortie par contre chez Panini Comics. Le dessin aussi contribue beaucoup à cette impression de réalisme : Steve Epting est plus appliqué que jamais et ses planches sont à la limite du photoréalisme. Il s'est débarrassé de quelques imperfections ou quelques licences de style qui autrefois caractérisaient son ouvrage et personnellement, je ne serai pas dire si cela est un bien ou un mal. La beauté clinique du produit fini mériterait peut-être un peu plus de folie et la maîtrise parfaite du dessinateur souffre par endroit de ce besoin d'insuffler de la vie dans un récit qui peut être par moments un poil trop académique. Toutefois, il convient de dire que l'ensemble fonctionne réellement. Les personnages sont plus nuancés qu'il ne semble et si on parvient à comprendre les raisons pour laquelle Miles Terrence se comporte d'une certaine manière, on peut aussi se mettre facilement à la place de cet agent de police qui vient d'être rétrogradé et qui est victime de la nonchalance avec laquelle sont traitées les forces de l'ordre, aussi bien aux États-Unis que chez nous, d'ailleurs. On obtient un récit globalement humain, voire touchant, au beau milieu d'une catastrophe planétaire et d'un changement de paradigme décisif. Et même si la conclusion sent la "sortie de crise", Straczynski nous prévient, attendons-nous à un second volume. 





 

 

OMNIBUS SILVER SURFER PAR DAN SLOTT ET MIKE ALLRED : LE SURFER COMME ON L'AIME


 Il pleut des Omnibus chez Panini Comics, depuis plusieurs mois déjà. Le rythme de parution s'est accéléré sans crier garde, et parmi les différentes propositions éditoriales, on notes de véritables pépites, que la plupart d'entre vous connaissent ou désirent acquérir. Le Silver Surfer de Dan Slott fait partie du dessus du panier, assurément. Le Surfeur d'Argent a beau être un véritable personnage iconique, identifiable même par un public pas toujours initié aux comic-books américains, il n'en reste pas moins un des héros les moins vernis pour ce qui est de sa trajectoire sous forme de parution mensuelle. D'ailleurs, Norrin Radd est longtemps resté sans une série on-going attitrée, jusqu'à ce que l'opération All New Marvel Now finisse par se pencher sur son cas. C'est Dan Slott, le démiurge du vingt-et-unième siècle d'aventures de Spider-Man, qui s'y colle. Tragédie, drames, introspections à la limite de la dépression, tout ceci est le quotidien de ce voyageur cosmique, qui pour une fois part sur d'autres bases, plus enlevées, fort bien accompagné par les dessins de Michael Allred, qui contribue à alléger le propos avec des planches fraîches et naïves. Il y a peu de place pour la torture mentale au départ, avec cinq premiers épisodes truffés de nouveautés, pour faire bouger les lignes. De nouveaux personnages aussi bien sur Terre (deux sœurs au destin dissemblable, qui douze ans auparavant confondirent la venue sur Terre du Surfer avec une simple étoile filante propice à un vœu qui décidera de leurs carrières) que dans l'espace, où nous découvrons une nouvelle cité cosmique en péril, dont le secret de l'existence a été si bien gardé jusque là que même Norrin en ignore la présence. L'Impericon est une idée fantasque et bourrée de petits clins d'œil au style épique et inventif de Jack Kirby, que digère et assimile à sa façon un Allred contaminé également par la ligne franco-belge. On passe allégrement de la quotidienneté répétitive de Anchor Bay, aux merveilles des tréfonds de l'espace, avec deux personnages aux antipodes, en apparence. Le Silver, donc, mais aussi Dawn Greenwood, dont le destin se retrouve bizarrement mêlé à celui de notre Surfeur cosmique, après avoir été enlevée par des aliens souhaitant "motiver" l'ancien héraut de Galactus. C'est le point de départ d'un rapport qui projette la série au pinacle du genre. 


Dawn (casanière à l'excès, dont l'horizon est fermé, par choix personnel) a en effet été kidnappée par un certain Zed, qui espère ainsi s'assurer les services du Surfer pour contrer la menace de la Reine des Jamais. Slott met en scène toute une panoplie de personnages et de situations cosmiques qui oscillent entre le grotesque, l'humour, et le fantasmagorique. La dualité entre les préoccupations terriennes de Dawn et l'universalité cosmique du Surfer donne lieu à des échanges assez drôles (la jeune fille pense que le héros a baptisé sa planche Amoi, en raison des premiers mots qu'ils emploie avant d'utiliser cette dernière…), aussi bien pour ce qui est des répliques que des situations. A ce sujet, les épisodes 4 et 5, qui marquent le retour de l'ancien héraut de Galactus sur Terre sont les plus pétillants. Le Surfer abandonne momentanément sa carapace (au sens propre et figuré) pour s'immiscer dans le quotidien d'une famille mortelle, du repas en commun à la sieste réparatrice. Pour le coup on confine au burlesque, avant de se lancer dans un rebondissement inattendu qui implique Cauchemar, et l'humanité qui dort. Mais il ne faut pas s'y tromper. Derrière tout ce qui sépare Dawn du Surfer, on découvre également tout ce qui les rapproche. Qui est de l'ordre de l'aspiration universelle, du besoin et des désirs de choses simples, de paix, de beauté, de sérénité. Sauf que tout cela peut emprunter bien des voies différentes, et se retrouver uni par la grâce de l'amour, sous la forme de liens subits et inattendus. Cette innocence recherchée est bien entendu parfaite pour que le style de Mike Allred puisse s'épanouir et faire mouche. On le voit en héritier de Jack Kirby, surtout pour les trouvailles fantasmagoriques ou pour les couleurs (son épouse Laura s'occupe de cet aspect), mais c'est principalement une belle leçon qu'il assène aux amateurs de musculatures toujours tendues et aux comics grimaçants. Chaque page confine à la poésie, et ne se contente pas de raconter en images, mais se donne carrément l'ambition de faire ressentir quelque chose au lecteur. Soyons fous ! Du cosmique à plein poumons, du romantisme et de l'aventure, un run solaire et indispensable, qu'on aime ou pas le Silver Surfer. Nous sommes au-delà des préférences de chacun, nous sommes dans l'art. 




CINÉCOMICS : LE TROISIÈME VOLET DES GARDIENS DE LA GALAXIE


 Pour comprendre en quoi le départ de James Gunn vers DC Comics est une bourde invraisemblable, il suffit de faire la comparaison avec une finale hypothétique de Champions League, les dernières minutes d'un match serré. Imaginez le dernier défenseur, seul dans sa surface, qui au lieu de renvoyer le ballon en cloche pivote et adresse une invraisemblable reprise de volée dans la lucarne de son propre gardien. C'est exactement ce que Marvel est parvenu à faire avec le réalisateur qui a signé (probablement) trois des meilleurs films de super-héros jamais vus au cinéma. Et du reste, Gunn s'en va sans avoir besoin de beaucoup d'artifices, sans hausser la voix, sans jouer dans la surenchère ; il reprend les personnages qu'il connaît et emploie à merveille, pour un ultime baroud d'honneur parfaitement cohérent et chargé d'une émotion jusqu'alors inconnue au spectateur. Le troisième volet est tout particulièrement centré sur les failles de certains des personnages et la manière dont ils vont être capables de les combler, notamment en acceptant qui ils sont, d'où ils viennent et donc par la-même, où ils pourraient un jour aboutir. Certains n'ont pas le choix, comme Rocket Raccoon, qui est littéralement abattu et qui doit être sauvé de la mort par une opération complexe, nécessitant des informations qu'il avait jusque là cachées à ses compagnons d'armes. Son raton plongé dans une sorte de coma, le film est alors truffé de flashback qui nous ramènent à l'époque où simple petit rongeur innocent, il est la victime des expériences génétiques eugénistes du Maître de l'évolution, qui l'utilise dans sa quête folle de l'élaboration d'une race parfaite, à qui il compte offrir en héritage un double de la terre, la Contre-Terre. Des expériences atroces, mais aussi pour le raton la découverte de la solidarité, l'entraide, de l'amitié, auprès d'autres animaux victimes du même charcutage. Des liens qui évidemment vont faire tirer des larmes à une bonne partie du public lorsque viendra l'inévitable moment de la séparation, du drame et donc de la définition de ce que sera par la suite le personnage du Raccoon, qui n'est pas devenu aussi violent et en apparence cynique du jour au lendemain, mais qui est le fruit d'un long cheminement tragique. Les failles concernent aussi Peter Quill, qui a bien du mal à accepter de voir mourir ou disparaître autour de lui les seules personnes à qui il tient vraiment. La dernière en date, Gamora, n'est pas tout à fait morte mais la version qui subsiste a peu de rapport avec celle qu'il a aimée. Imperméable aux sentiments et aux souvenirs de Star-Lord, ce monstre de glace ne fait que renvoyer à notre héros ses propres imperfections, ses propres échecs. Mais en réalité, cette manière d'écrire le film concerne tous les autres personnages : de Drax, blessé dans son imbécilité profonde et qui va se révéler in fine beaucoup plus subtil qu'il ne semble au premier abord, à Mantis et une forme souhaitée d'émancipation, sans oublier Nebula, dont la carapace va peu à peu se fendre enfin. Bien entendu, si une grande partie du film repose sur des événements assez tragiques et une bonne dose de pathos, le style habituel qui nervure les films Marvel studios, c'est-à-dire une douce ironie et un humour omniprésent, est également de la partie. Mais il est beaucoup mieux dosé et inspiré que dans la plupart des films récents, qui avaient tendance à aborder les longs-métrages comme de vastes blagues potaches sans queue ni tête. Il faut dire également que ce Gardiens de la Galaxie 3 présente un super vilain (mais en est-il vraiment un ?) de qualité, bien écrit et dont les motivations sont clairement définies. Le Maître de l'évolution (interprété par Chukwudi Iwuji) est une sorte de dieu autoproclamé qui a renoncé à ses émotions; poussé par un but absolument égoïste, il se lance dans une quête de la perfection mortifère. Les raisons qui font qu'il est particulièrement pressé de s'emparer de son ancien cobaye, le fameux  Raccoon, sont plus subtiles qu'elles ne semblent initialement et la vérité est dévoilée en toute fin de film, dans une autre de ces scènes poignantes dont James Gunn a le secret.


Certes, lorsqu'il s'agit de mettre en scène un aussi grand nombre de personnages, il est inévitable de courir le risque d'en oublier en route ou de ne pas pouvoir donner à chacun les mêmes temps forts. James Gunn s'en sort relativement bien, à une exception près, à savoir la new entry probablement la plus attendue, Adam Warlock (interprété par Will Poulter). Dans les comics également, ce héros débute sous la forme d'une feuille vierge, d'un adulte sans la moindre expérience, venu au jour sans amour, sans avoir été préparé, construction artificielle qui allait mettre bien du temps à trouver vraiment sa place dans l'univers. Mais il ne faut pas confondre la naïveté et l'ignorance d'une créature encore en devenir avec la bêtise profonde. Ici, Warlock est avant tout utilisé pour actionner les différents ressorts comiques qui traversent le film et tout ce qui peut faire la grandeur ou l'aspect solennel de ce personnage (dans les comics Marvel) est absent sur grand écran. C'est dommage car il aurait pu permettre d'introduire de nouvelles thématiques, d'insuffler encore plus d'ambition dans le film de James Gunn, de le diriger presque vers le chef-d'œuvre absolu. Au lieu de cela, ça reste un excellent divertissement mais qui ne propose à rien de radical ou de révolutionnaire. Mais globalement, il convient de dire qu'il s'agit sans aucun doute du film de super-héros le plus agréable et le plus concret de tout ce qui a été offert lors de ces deux ou trois dernières années. Il ne faut pas se tromper sur qui est la cible de ce genre de produit. L'ambition n'est pas de décrocher une Palme d'Or au Festival de Cannes mais de rentabiliser très rapidement les coûts de production et d'affoler le box-office à travers la planète. James Gunn est en ce sens celui qui connaît le mieux les cordes sensibles des spectateurs et qui parvient à les actionner, sans pour autant trop concéder à la mièvrerie et à la facilité. On pourra lui reprocher d'emprunter toute une série de raccourcis (et il y en a des tas dans ce film) mais il garde suffisamment d'inventivité, d'honnêteté et d'amour pour ses personnages pour nous convaincre que l'ensemble tient debout et vaut la peine d'être vu. On appréciera également toute cette partie située dans une sorte d'usine quartier général fantasmagorique, perdue dans l'espace, constituée d'un organisme vivant macroscopique dans lequel doivent pénétrer les Gardiens, pour obtenir les éléments nécessaires à la survie de leur ami Raccoon. Une créativité qui trouve son pendant contraire dans des choix musicaux un peu convenus et sur une alternance désormais établie, à la limite de la nonchalance, entre scènes d'action et interludes rythmée, avec la sempiternelle cassette diffusée à plein volume dans les écouteurs ou le circuit audio du vaisseau des Gardiens. Ce troisième volet est d'autant plus réussi qu'on n'essaie pas de gratter en profondeur, mais quand on l'observe dans sa globalité pour ce qu'il est, en lui pardonnant ce qu'il ne pourra jamais être. On passe alors un très agréable moment avec la sensation qu'il est encore possible de s'enthousiasmer pour des super-héros au cinéma. Pour une véritable dissection de cinéphile et l'impression qu'un nouvel horizon semble poindre pour le genre, évidemment, le spectateur peut repasser.


Forcément, les Gardiens sont en couverture de notre mensuel du mois de mai : 


 

 

ABADDON TOME 1 : SI-NAÏ (CHEZ SOLEIL)


 Toutes les grandes religions de la planète ont pour point commun de posséder un ensemble d'objets symboliques, des artefacts qui sont considérés pour les fidèles comme les fondements de leur foi. C'est ainsi que pour l'Église Catholique, l'Arche de l'Alliance revêt une importance fondamentale. Chez les Juifs, ce sera plutôt l'anneau magique du roi d'Israël, le sceau de Salomon. Mais aussi, mentionnons le trident du dieu Shiva pour la religion Hindoue, l'épée légendaire Zulficar offerte à Ali par Mohamet pour les Musulmans, ou encore le miroir de Yata, cher au Bouddhistes. Dans le nouveau récit mis sur pied par Christian Bec, ces artefacts ont été retrouvés et dévoilés au grand jour, plus ou moins en même temps, en l'an 2027. Et on devine que la conséquence ne sera pas particulièrement heureuse, puisque dans le même album, nous suivons un autre filon narratif, qui lui est situé trois générations plus tard, quand où nous assistons à la progression d'un groupe de survivants dans un monde post apocalyptique, alors qu'ils font route en direction de la cité de Si-Naï. Si nous en sommes arrivés là, c'est forcément que quelque chose a dérapé en route. Le scénariste reste fidèle à son habitude, c'est-à-dire  celle d'ouvrir le champ du récit à de nombreux personnages, d'entremêler différentes pistes qui finissent toutes par converger vers le même point focal, où se trouve le nœud gordien de l'histoire. L'ensemble est illustré à merveille par Robert Carey; nous sommes dans l'attention réaliste envers chaque détail, chaque expression du visage, avec des paysages et des scènes absolument splendides et une richesse certaine, voir une abondance dans le traitement des fonds de vignettes. Alors pourquoi sommes-nous réticents à crier au génie ? Tout d'abord car cette quintuple apparition simultanée reste toujours bien confuse au terme du premier tome. On ne comprend pas ce qui a pu provoquer ces découvertes, et la menace mystique qui est brandie à plusieurs reprises n'a pas de définition claire dans ces pages. Ensuite, il se dégage une impression d'aridité du scénario et des enjeux. Personne n'incarne l'histoire, nous n'avons pas de personnages réellement attachants, et on ressent comme un trop plein, en termes d'intervenants et de partage du temps de présence. Une série qui aurait donc de quoi séduire un large public, soignée et appliquée, mais qui manque de génie, de cette étincelle qui font naître les grands titres. 




SUPERMAN CHRONICLES 1987 VOL.1 : L'HOMME D'ACIER DE JOHN BYRNE


 Faisons un petit saut en arrière, à la fin des années 1980. En 1987, pour être exact. Comme vous le savez probablement, n'importe quel artiste de comics au monde donnerait beaucoup pour illustrer les aventures de Superman; le héros n'est peut-être pas forcément celui qui aujourd'hui déchaîne les foules (encore que…) mais il est depuis des décennies une référence absolue en la matière. Le petit John Byrne a longtemps rêvé de pouvoir un jour atteindre cet objectif. Né en Grande-Bretagne, mais très vite installé (dès l'âge de 8 ans) aux États-Unis, le petit John a dévoré des tonnes de comics et a grandi avec le mythe de l'Homme d'acier en toile de fond. Aussi, lorsqu'il apprend la possibilité de transformer ses désirs en quelque chose de concret, suite à la nécessité de relancer et dépoussiérer le personnage au terme de Crisis on infinite Earths, c'est un cadeau magnifique qui lui est fait. Mais c'est aussi un cadeau qui est fait aux lecteurs. Byrne présente d'emblée certaines exigences qui vont être acceptées immédiatement par l'éditeur DC Comics. Il souhaite gommer une grande partie de tous les ajouts qui ont progressivement étouffé la légende de Superman, partir d'un nouveau numéro 1 (il en aura même deux, puisque une mini série de six numéros va permettre d'introduire un nouveau titre mensuel) et bien entendu carte blanche pour conserver ce qu'il estime indispensable et réécrire ce que nous savions déjà, tout en le modernisant, en polissant sa gemme pour la faire briller de mille feux. Le premier résultat sera donc une mini série en 6 parties intitulée Man of Steel. En partant de l'arrivée d'un jeune enfant (Kal-El) sur notre planète, en illustrant les valeurs et l'éducation qu'il reçoit de ses parents adoptifs (les Kent, fermiers du Kansas), chaque épisode aborde une étape fondamentale dans ce qui servira de construction du plus grand super héros que le monde n'ait jamais connu. La rencontre avec Loïs Lane, celle avec Lex luthor, qui va vite devenir son principal ennemi, un épisode entier centré autour des origines kryptoniennes, tout est peu à peu mis en place de manière très intelligente et claire. C'est d'ailleurs cela la grande force de Byrne; une lisibilité absolue, un parcours linéaire remarquable, sincère et qui ne nécessite aucune circonvolution scénaristique pour aboutir. Fils de son époque, ce Superman est souvent présenté comme une masse physique, parangon de droiture, face à de simples armes à feux qu'il tord entre deux doigts. Toujours enjoué, positif, le personnage est bien loin du super-héros cynique et torturé qui va vite devenir la norme dominante dans les années suivantes. Le "redémarrage" de Superman est solaire, de facture classique, chargé d'espoir. 


John Byrne a donc été appelé au chevet de Superman pour redéfinir le personnage, mais il n'est pas le seul dans cette entreprise. C'est lui qui va scénariser et dessiner les deux titres que sont Superman mais aussi Action Comics tandis que Adventures of Superman est un nouveau venu, qui toutefois reprend une numérotation préexistante et est confié à Marv Wolfman et Jerry Ordway. On remarquera d'ailleurs que si la tendance actuelle est à opérer un relaunch chaque année, à l'époque les responsables éditoriaux préféraient s'appuyer sur des séries déjà présentes dans les kiosques et donc une numérotation élevée, même pour ce qui est dans les faits un premier numéro. Dans "Superman" tout court, Byrnes'emploie à poursuivre le travail initié dans sa mini série. On y retrouve Lex Luthor et la double identité du super-héros. Comment se fait-il que personne ne parvient à faire le rapprochement entre Clark Kent et Superman, alors que les deux sont clairement semblables physiquement et que là où le journaliste apparaît, le héros n'est pas présent ? Sans compter les scoops obtenus par un novice en matière de journalisme. Tout cela par la grâce d'une simple paire de lunettes et un subtil changement de coiffure ? Lex est sur le point de percer le secret, et même, admettons le, il y parvient, mais sa superbe et son aveuglement font que même l'évidence ne peut rien face à un caractère obtus et un homme décidément trop sûr de lui. La kryptonite est aussi bien utile au scénariste canadien car c'est le seul moyen d'atténuer les pouvoirs formidables de Superman, que ce soit sous la forme de Metallo, un cyborg inarrêtable, ou tout simplement de munitions extraites d'une roche de kryptonite, qu'emploie un dingue armé censé être revenu du Vietnam avec une fixation pour la violence (Bloodsport). Superman est systématiquement mis à rude épreuve lorsqu'il est confronté à ce minerai mortifère. Adventure of Superman fonctionne plus comme une série traditionnelle. Wolfman propose une écriture classique, avec des ressorts narratifs un peu plus naïfs, comme ce scientifique parvenu à mettre au point un champ d'imperméabilité qui résiste à l'épreuve de toutes les armes conventionnelles ou pas, mais que personne n'écoute. Au point qu'il en perd la tête et décide d'employer ses facultés pour prouver au monde son génie, quitte à inclure Superman dans son délire personnel. Action Comics devient dès lors la revue dans laquelle l'Homme d'acier est associé à un autre personnage important de la Distinguée Concurrence, pour des sortes de team up autoconclusifs. On peut ainsi retrouver le Phantom Stranger ou le Démon Etrigan qui épaulent Superman, pour des aventures sympathiques mais loin d'être à la hauteur des autres épisodes primordiaux de cet album. Il faut aussi mentionner que très vite la trilogie doit modifier son sommaire et s'adapter à un grand évènement alors en cours chez l'éditeur, à savoir Legends. Pour faire simple, cette saga raconte une des innombrables tentatives de Darkseid pour faire régner la terreur. Un de ses hommes de main (Glorious Godfrey) arrive sur Terre et manipule les esprits, dans la peau d'un prédicateur télévisuel influent et écouté par plus ou moins tout le monde. Il parvient à faire voter une loi qui donne la chasse aux super-héros et son but ultime et de tous s'en débarrasser de manière expéditive. Superman, de son côté, va se retrouver téléporté sur Apokolyps, la planète de Darkseid, et là il va se faire retourner le cerveau par la sœur de Godfrey, qui le persuade d'être en fait le fils du tyran local. Ce qui est drôle, c'est qu'àlors que les deux premiers numéros semblaient se diriger vers des histoires plus intimistes et à dimension humaine, on bascule tout de suite dans la saga cosmique, avec des créatures extraterrestres, des combats fantasmagoriques et bien entendu l'apparition des Nouveaux Dieux. Dick Giordano y encre les crayons de John Byrne et le résultat est ma foi de toute beauté. En parallèle à toute ces histoires qui ont marqué le parcours éditorial de Superman, la ligne Chronicles propose en complément une longue série d'articles, sous forme de préfaces, de postfaces ou tout simplement d'analyses ou du courrier des lecteurs. Il y a même en conclusion un petit article signé Ray Bradbury, ce génie de la science-fiction. Vous comprendrez que nous sommes littéralement fans de cette collection et que c'est des deux mains que nous applaudissons l'arrivée de Superman en son sein. Prochaine étape, prochain nouveau venu, le bolide écarlate, Flash.







DARK CRISIS ON INFINITE EARTHS TOME 2 : NOIRCEUR ET CONCLUSION


 Difficile de soutenir la comparaison quand on se lance dans un grand événement qui fait clairement référence à une aventure précédente, qui a bouleversé à jamais l'histoire des super-héros DC Comics, au point de devenir une étape fondatrice des comics modernes. Dark Crisis on Infinite Earths souffre de ce complexe. On y retrouve Paria, qui prétend servir le dessin des Grandes Ténèbres et qui souhaite s'emparer de tout le Multivers, afin de l'exterminer et de le refaçonner selon sa réalité et ses envies. Comme toujours, c'est en partant de Terre zéro que cette machination est possible et c'est là que Deathstroke, devenu un pion au service de la noirceur absolue, va pouvoir mettre en œuvre le plan diabolique. Il va falloir pour cela effacer l'héritage des héros, faire disparaître tout ce qu'il y a de bon en eux, d'autant plus que le néant reste la meilleure façon de ne plus souffrir… et vous le savez, Slade Wilson a beaucoup souffert dans sa vie, outre le fait qu'il n'a pas été capable d'être un père présent et aimant pour ses enfants, quand il aurait fallu l'être. Urban Comics propose déjà le second tome (et donc le dernier) de l'ultime conflit dimensionnel entre les super-héros de la distinguée concurrence. C'est Joshua Williamson qui se charge d'écrire le scénario et du reste, rien d'étonnant à cela car on a l'impression qu'il est actuellement responsable de tellement de choses à la fois qu'il ne serait pas surprenant de le retrouver également en train de distribuer le café à tout le monde, dans les bureaux de l'éditeur. Urban doit forcément prendre un risque à un moment donné : soit celui de décevoir les complétistes ou en tous les cas les lecteurs qui aiment lire les récits annexes et connexes qui sont liés à un grand événement (et dans ce cas-là, le tout est assez dilué et soyons honnêtes, tout n'est pas d'une qualité irréprochable) ou bien se concentrer sur le meilleur et l'indispensable, c'est-à-dire les sept volets en eux-mêmes de Dark Crisis, et donc de faire s'insurger tous ceux qui voulaient en savoir plus et aller gratter dans les détails. Je signale ce petit conflit propre à la publication car ici, le second volume s'ouvre sur trois épisodes spéciaux intitulé Worlds without a Justice League. On peut y suivre successivement Wonder Woman, Green arrow et Batman, chacun emprisonné dans un monde issu de leurs propres fantasmes, leurs rêves, une sorte de planète idéale, une fantaisie dont il ne peuvent s'échapper et qui nourrit l'énergie déployée par Paria pour arriver à ses fins (ne me demandez pas les détails techniques, je n'ai pas les compétences). Ça peut être sympa à lire, mais alors très brièvement. Ces trois interludes sont finalement stériles et même s'il est intéressant de voir ce que deviennent ces personnages, on ne peut pas dire que leurs aventures nous font sauter de la chaise. Au moins ne sont-ils pas morts, mais ça, nous avions compris depuis longtemps.



S'il y a une qualité qui saute aux yeux dans Dark Crisis, c'est le dessin de la série principale, qui est confié majoritairement à Daniel Sampere. Le trait est classique, précis, dynamique, en accord parfait avec ce qu'on peut attendre d'une saga mettant en scène la quasi totalité des personnages d'un éditeur. Il y est question de l'héroïsme, du bien que l'on trouve toujours en soi, contraposé au mal qui dévore le monde, et ça va de soi, des liens qui unissent les super-héros. Car vous le savez tous, l'amitié et l'amour sont des forces plus fortes que les ténèbres les plus épaisses, etc, etc... On ne peut pas dire que le scénario brille par ingéniosité ou qu'il soit un exemple frappant d'innovation; c'est en réalité une saga qui s'inscrit dans les droites lignes de ce que l'on pouvait déjà lire dans les années 1980, et en cela l'hommage à l'œuvre de Marv Wolfman et George Perez est appuyé. Il est intéressant de voir que la nouvelle génération de héros (le fils de Superman, Damian Wayne, Yara Flor) est particulièrement bien mise en avant. C'est même eux, les jeunots, qui occupent l'espace lorsque les aînés sont retenus morts par un peu tout le monde. Paria n'a pas droit à un traitement très subtil pour sa part, et il est même évacué de la scène de manière trop rapide, sans que l'on ait le temps d'éprouver de compassion ou d'intérêt pour son destin. C'est curieusement les toutes dernières pages, alors qu'on nous annonce que Amanda Waller et la Suicide Squad vont avoir une mission prépondérante dans les mois et années à venir, que se trouve peut-être le plus intrigant, une fois que les cendres retombent et qu'on s'occupent des conséquences directes ou indirectes de l'événement. Attention, je suis loin de dire que Dark Crisis est raté ou que ça ne vaut pas la peine de la lire, il y a même des moments forts qui sont exaltants et qui nous rappellent ce qu'est le grand super-héroïsme, mais à force de rabâcher encore et encore les mêmes dynamiques et de proposer des enjeux qui se ressemblent furieusement, le lecteur au long cours, qui connaît déjà tout cela depuis des décennies, risque de devenir blasé. Probablement le sommes-nous un peu trop ?


Le tome 1 est chroniqué ici : Tome 1 Dark Crisis 

Pour soutenir notre travail, suivez-nous aussi sur Facebook ! Merci !




LES "VIES DESSINÉES" DE MARCO ET GIULIO RINCIONE


 Timed. Derrière ce sobriquet se cache une série de personnages dotés de dons particuliers, reçus après un événement singulier et qui se consument au fur et à mesure qu'ils utilisent leurs pouvoirs. Bref, une habileté particulière, propre à chacun, qui est aussi une condamnation à mort précoce. La bonne nouvelle est qu'il n'est pas nécessaire de lire toutes les histoires de l'univers des Timed pour comprendre les enjeux. Chaque aventure, chaque album est déconnecté des autres et c'est une lecture à part entière, simplement introduite par un petit préambule qui permet de tout saisir. Si nous recommandons particulièrement de se pencher sur ces Vies dessinées, c'est parce qu'elles sont l'œuvre des deux frères Rincione, Marco le scénariste et Giulio le dessinateur. Le premier cité emploie un verbe recherché, élégant et il a tendance à tourner autour des concepts qu'il souhaite développer, comme on le ferait autour d'un épi de maïs à dévorer. Il revient encore et encore sur les obsessions qui nervurent sont récit, à commencer par l'amour, la solitude, la force de la fantaisie, la résilience. Du reste, le protagoniste est un homme qui a acquis le pouvoir de s'imprégner des souvenirs et des pensées des autres, au point d'en devenir fou et de ne pas pouvoir contrôler l'éruption de toutes ces données dans son propre cerveau. C'est la raison pour laquelle il est parti s'installer dans une contrée perdue de l'Irlande, là où personne ne viendra le chercher mais où il va devoir composer avec un fort sentiment de solitude, qui l'amène à s'inventer de la compagnie à travers des personnages qu'il dessine et qui deviennent pour lui plus ou moins réels. En fait, la réalité c'est ce que l'on considère comme telle, c'est la valeur qu'on lui porte, semble nous dire Marco Rincione. Ajoutez à ceci un rapport sentimental qui ressemble davantage à un sacrifice poignant et vous obtenez une histoire touchante, intelligente, mature. D'autant plus que le dessin de Giulio Rincione est extraordinaire. Nous sommes vraiment à la croisée des chemins d'un Bill Sienkiewicz ou d'un Dave McKean; le trait est expressionniste, les planches (dé)construites à merveille, alors que les couleurs et le symbolisme utilisés par l'artiste renforcent l'idée d'étrangeté, de manipulation ou perversion de la réalité, selon l'idée de chacun des personnages et de celui qui lit. Nous avons même droit à une variation intelligente de style, lorsqu'il s'agit de ces personnages inventés par Carl, le protagoniste, qui semblent de simples silhouettes découpées à même le papier blanc et apposées sur les planches peintes. En somme, ce n'est pas exagérer que d'ajouter que l'ensemble est magnifique ! Seul petit défaut, 64 pages uniquement, qui sont trop peu pour développer une histoire qu'on aurait souhaité beaucoup plus élaborée. Mais ce sont 64 pages envoûtantes et qui ne laissent personne indifférent : c'est finalement suffisamment rare pour être signalé. On ne saurait trop que vous recommander de vous jeter sur toutes les œuvres de Giulio Rincione, tant vous aller trouver des trésors précieux. Ouvrage paru chez Shockdom France. 






 

 

COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...