Toutes les relations interpersonnelles, mais aussi celles qui régissent les rapports internationaux, politiques ou économiques, sont basées sur une forme d'hypocrisie. Pour être plus précis, l'impossibilité de savoir vraiment ce que pense l'interlocuteur. C'est à travers les menus mensonges, les euphémismes, la distorsion de la réalité que l'on peut faire passer ses propres idées, négocier ou œuvrer pour le bien commun, en cachant ce mal mineur qu'on ne saurait voir. Alors, le jour où une tempête magnétique solaire inédite frappe à la surface de l'astre bouillant, les cartes sont rebattues définitivement sur Terre. Les conséquences sont invraisemblables : l'ensemble de la population de la planète perd connaissance pendant une demi-heure et une terrible catastrophe s'ensuit, avec des avions en chute libre, par exemple. Une scène que vous avez peut-être déjà vue dans la série télévisée américaine Flash Forward, une petite perle en son temps, qui avait démarré sous les meilleurs auspices avant malheureusement de s'embourber en cours de route. J. Michael Straczynski est de retour pour une mini série en six parties, qui est en fait le premier chapitre de quelque chose qui se veut ambitieux. Il raconte l'apparition d'un groupe d'individus dotés de pouvoir formidable, qui à l'issue de cette demi-heure de coma se réveillent avec la faculté de lire dans l'esprit des autres. Mieux encore (ou pire encore, c'est selon), certains sont capables de faire preuve de pyrokinésie (ils projettent du feu) ou de télékinésie (ils soulèvent des camions); à partir de là, c'est la panique et le chaos généralisé. La première réaction de la plupart de ces nouveaux surhommes est de cacher ces capacités à leurs semblables. Certains vont les mettre au service du bien, comme un groupe d'agents de police mené le sergent Jack Kelly, qui est un peu le héros positif de l'histoire. D'autres vont semer le mal et sans mettre plein les poches, comme le détenu Miles Terrence, déjà très charismatique en temps normal et qui va vite devenir un leader bien dangereux. Les gouvernements eux s'affolent et envisagent de suite de faire passer une loi pour enregistrer tous ces types capables d'intercepter et de diffuser les plus lourds secrets d'état, en l'espace d'une pensée.
Même s'il s'agit d'un récit de science-fiction qui met en scène une catastrophe naturelle assez improbable en l'état, et des conséquences encore plus dingues sur le papier, cette histoire essaie d'être le plus réaliste possible. Les répercussions de l'apparition de pouvoirs télépathiques, la manière dont les gens réagissent, le déroulement implacable des faits, tout cela essaie de suivre une cohérence évidente et évoque par endroit la série précédente de Straczynski réalisée chez AWA (un éditeur que décidément on aime beaucoup) The Resistance, qui est sortie par contre chez Panini Comics. Le dessin aussi contribue beaucoup à cette impression de réalisme : Steve Epting est plus appliqué que jamais et ses planches sont à la limite du photoréalisme. Il s'est débarrassé de quelques imperfections ou quelques licences de style qui autrefois caractérisaient son ouvrage et personnellement, je ne serai pas dire si cela est un bien ou un mal. La beauté clinique du produit fini mériterait peut-être un peu plus de folie et la maîtrise parfaite du dessinateur souffre par endroit de ce besoin d'insuffler de la vie dans un récit qui peut être par moments un poil trop académique. Toutefois, il convient de dire que l'ensemble fonctionne réellement. Les personnages sont plus nuancés qu'il ne semble et si on parvient à comprendre les raisons pour laquelle Miles Terrence se comporte d'une certaine manière, on peut aussi se mettre facilement à la place de cet agent de police qui vient d'être rétrogradé et qui est victime de la nonchalance avec laquelle sont traitées les forces de l'ordre, aussi bien aux États-Unis que chez nous, d'ailleurs. On obtient un récit globalement humain, voire touchant, au beau milieu d'une catastrophe planétaire et d'un changement de paradigme décisif. Et même si la conclusion sent la "sortie de crise", Straczynski nous prévient, attendons-nous à un second volume.
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