DARK AGES : L'ÂGE SOMBRE DE MARVEL


Tous les grands scénaristes de comics ont une spécialité, une petite marotte qu'ils traitent d'une œuvre sur l'autre. Par exemple, celle de Tom Taylor, c'est l'apocalypse, ou plutôt ce qui va suivre après. Vous souhaitez présenter une histoire située dans un monde alternatif post-apocalyptique, où une catastrophe a mis à genoux l'humanité entière, et donc la communauté super héroïque, puis contraint l'intégralité du genre humain à se réinventer ? Ne bougez pas, je vous donne le numéro du scénariste australien, qui est désormais la référence en la matière, notamment depuis qu'il a créé de toutes pièces l'univers DCeased pour la Distinguée Concurrence. Ici, la Maison des Idées lui donne les cartes en main pour s'amuser avec l'intégralité des super-héros Marvel. La solution qu'il va trouver pour plonger tout ce beau linge dans une catastrophe aux dimensions bibliques est la suivante : l'apparition d'une source d'énergie qui va provoquer un cataclysme inattendu. Toutes les formes de technologies alors en usage vont cesser d'opérer. Cela va de l'avion qui va donc s'écraser à l'armure d'Iron Man qui ne fonctionne plus, en passant par les lance toiles de Spider-Man, le matériel médical et toute notre industrie, cela va de soi. Pour autant, si l'histoire démarre de manière bien sinistre, avec des personnages importants qui tombent au champ de bataille face à un ennemi venu d'ailleurs nommé le Décréateur, très vite l'espoir renait, sous une forme inattendue. Celle d'une société utopique qui a su affronter la tragédie, pour inventer autre chose. Ce qui trouve un écho dans notre monde d'aujourd'hui, pris à la gorge par des problèmes climatiques que personne ne parvient ou ne semble vraiment souhaiter résoudre, et qui ici ont été traités par des héros, qui ont eu le réflexe de penser vivre autrement. Plusieurs de ces poches de résistance, de ces sociétés nouvelles et vraiment apaisées existent à travers la planète. Le récit s'attarde sur le Wakanda, qui est désormais devenu le centre de l'humanité et qui accueille même les réfugiés en provenance de l'Europe, qui doivent traverser la Méditerranée. Encore un joli clin d'œil de Tom Taylor à l'actualité, lui qui s'amuse de problèmes récurrents pour offrir des solutions et de quoi penser. Mais tout ceci n'est que l'arbre qui cache la forêt. Bien entendu le mal n'a pas disparu de la planète… 


Ceci à commencer par le perfide Apocalypse, qui de son côté a instauré son propre royaume en Europe, et ses visées sont celles de toujours, c'est-à-dire l'hégémonie, la destruction de ceux qui se dressent sur sa route. Celui qui est aussi un des pires ennemis historiques des X-Men a su particulièrement bien s'entourer. Le Docteur Octopus, Tony Stark (qui a été enlevé) mais aussi Mister Fantastic, sont contraint de travailler sous ses ordres, tous manipulés qu'ils sont par l'Homme pourpre et sa capacité à s'emparer de la volonté d'autrui. Forcément, quand vous mettez tous ces individus dans le même bateau, le résultat est détonant et on obtient un groupe ultra dangereux, qui pourrait bien venir rompre définitivement l'équilibre. D'autant plus qu'il dispose d'une source de pouvoir totalement inattendue en la personne de… et bien disons qu'un personnage très célèbre de l'univers Marvel a été transformé en batterie, et je préfère vous laisser la surprise de découvrir qui. Au dessin, nos assistons à une très bonne performance d'Iban Coello, un des dessinateurs considérés parmi les plus doués de sa nouvelle génération, au point d'intégrer le groupe restreint des Stormbreakers, c'est-à-dire les nouveaux talents que Marvel entend mettre en tête de gondole dans les mois et années à venir. Il est parfaitement à son aise pour mettre en scène tous ces personnages et chacune de ses planches est chargée en action et particulièrement efficace. Visuellement, Dark Ages est donc une réussite; là où peut-être on peut commencer à voir un peu d'usure dans les techniques d'écriture de Taylor, c'est avec cette manière systématique de plonger dans le désespoir le plus absolu avant qu'une lueur ne ravive la capacité des héros à réagir. Ici, il fallait s'en tenir à six parties uniquement, ce qui explique que nous n'avons pas trop le temps d'approfondir l'ensemble. Par exemple les enjeux géostratégiques et la manière dont vit au quotidien cet univers inédit. Conséquence logique, on a du mal à vraiment ressentir de l'empathie pour une histoire qui est avant tout, comme le rappelle l'introduction, un shoot d'adrénaline plus qu'une véritable réflexion, ou la peinture ultra crédible d'un monde possible. Quelques saillies ici ou là sont toutefois bien trouvées et il serait exagéré de dire que l'album déçoit. Mais que nous aurions aimé y trouver un petit quelque chose de plus, un supplément d'âme, ça oui. Signalons pour conclure l'existence de quatre covers différentes, quatre éditions chez Panini Comics. 



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X-MEN BY JIM LEE : LES CARTES À COLLECTIONNER CHEZ HUGINN & MUNINN


 Si vous êtes restés confortablement assis dans votre fauteuil à l'annonce de la parution de l'ouvrage dont il est question aujourd'hui, c'est que vous n'avez vraisemblablement pas connu les années 90 "en temps réel". Vous êtes soit trop jeunes, soit trop âgés, et vous étiez alors déjà à l'époque blasés, convaincus que rien de bien n'est jamais sorti de la maison des Idées passé ce qu'on appelle sommairement le Bronze Age des comics. Les autres, ceux qui comme moi fréquentaient le collège, le lycée ou encore l'université en 1992, comprennent très bien de quoi il s'agit : des cartes de collection X-Men, illustrées par Jim Lee, qui à l'occasion livre plus d'une centaine de créations originales, qui vont marquer à jamais l'histoire du genre. Il faut juste comprendre qu'à l'époque, ce ne ne sont pas Batman, les Avengers ou Fortnite qui dominent le marché, mais plutôt tous les titres du rayon X. Une vraie révolution est en cours dans le monde des comic books, peu à peu les artistes prennent le pouvoir, au diable l'histoire, l'important c'est l'aspect visuel, la capacité de faire exploser la rétine du lecteur avec des pauses iconiques, de l'action à chaque page, des héros légendaires aux costumes fantasmagoriques. À ce petit jeu, Jim Lee est très fort. Après quelques séries de moindre importance, notamment le Punisher ou Alpha Flight, c'est un véritable coup de tonnerre qui retentit quand il débarque pour mettre en images Uncanny X-Men. En quelques épisodes, les jeux sont faits. Qui a oublié sa Psylocke extraordinaire, le trio Wolverine Jubilé Gambit ? Et surtout arrive ensuite son propre titre, celui qu'il va prendre en main dès le premier numéro en compagnie de Chris Claremont et qui sera sobrement intitulé X-Men, dès lors publié en parallèle au vaisseau amiral Uncanny. Jim Lee est une des méga stars de l'époque et s'il l'est toujours aujourd'hui, au point d'être devenu un des pontes incontournables de DC comics, il y a bien une raison… et s'il faut trouver un élément de réponse, s'il faut garder quelque chose qui a jamais démontrera le talent et l'influence de ce dessinateur, c'est peut-être bien ce set de 105 cartes à collectionner, que vous allez pouvoir redécouvrir sous toutes ses coutures, grâce à la collection P'tit Pop de Huginn & Muninn. 


Jim Lee, lorsqu'il dessine les X-Men, c'est aussi le travail d'orfèvre de l'encreur Scott Williams, avec qui il forme une doublette presque parfaite. Mais pas ici ! Ces cartes de collection sont réalisés d'une manière un peu plus brute, et donc le trait de Lee y est plus personnel et évident, il s'encre tout seul. C'est Paul Mounts qui met en couleurs les dessins, recourant à toute une série de techniques, du feutre à l'aérographe en passant par le papier cadeau aux couleurs psychédéliques, qu'il achetait à l'époque dans les papeteries américaines. Toutes les cartes sont reproduites ici recto et verso, ce qui a son importance car derrière figuraient systématiquement les informations essentielles pour connaître les personnages, ainsi que leur niveau de pouvoir et quelques anecdotes bien utiles. Et en plus de cela, l'ensemble est fréquemment commenté, ce qui permet d'avoir un peu de recul. Chez Huginn & Muninn on ne s'est pas contenté de vous présenter les cartes une à une à la suite, mais il y a aussi une partie critique très pertinente, notamment les avant-propos de Bob Budianski et la préface d'Ed Piskor. C'est décisif, car cela permet de mieux comprendre l'importance et l'impact qu'a eu cette collection au moment de sa sortie. Elle a été précédée par deux séries plus "généralistes" qui furent à la base du phénomène et elle fut ensuite celle qui permit l'explosion de toutes les autres par la suite, à commencer par les Masterworks de Joe Jusko, que nous aimerions tant un jour voir débarquer dans la même collection. Certains personnages ont depuis été rapidement oubliés; d'autres ne sont pas présents car ils sont nés ou ont connu la gloire un peu plus tard. C'est donc un témoignage fantastique de ces années 1990, qui pour les lecteurs des séries mutantes représentent probablement le zénith de la création. Des dessins vraiment saisissants, des histoires qui chaque mois prenaient le lecteur à la gorge et instauraient un suspense réel et tangible, avant que le triomphe des séries mutantes n'incite Marvel à presser la franchise comme un citron, au point de la laisser exsangue dans les années 2000, après le passage de Grant Morrison. Si vous êtes un jeune lecteur et que vous trouvez que la phase actuelle, celle qui a été longtemps confiée à Jonathan Hickman, est une réussite artistique et commerciale inédite, ce n'est pas que vous ayez tort mais... c'est probablement que vous n'avez pas saisi toute l'importance qu'a pu avoir Jim Lee, voici une trentaine d'années. Ce petit ouvrage vraiment chouette est là pour vous le rappeler. Et pour les autres, c'est un cadeau à (se) faire absolument, le genre de chose que vous pouvez acheter en sachant qu'il est impossible d'être par la suite déçu. Une belle petite cure de jouvence avant de partir en vacances !










SOULFIRE : LA SCIENCE-FICTION FANTASY DE MICHAEL TURNER


 Fantasy et science-fiction font-elles bon ménage? La question peut se poser, et trouve une réponse fort positive avec Soulfire, dont Delcourt vient de publier l'intégrale par Michael Turner en ce mois de juin. C'est la fête aux années 90 et 2000 chez l'éditeur, après Fathom, et le trentième anniversaire de Spawn ! En fait, il existe tant de liens ou d'analogies entre les deux genres cités en début d'article, qu'il est parfois difficile de marquer la frontière. Nous pourrions dire, pour justifier la démarcation, que le genre fantasy nécessite l'acceptation et l'emploi d'une magie fort puissante, là où la science-fiction se propose souvent de recourir à des solutions narratives et des inventions plus techniques ou sociétales. Soulfire, titre présenté sur l'étiquette Aspen Comics en 2003, puise dans les deux camps. Si l'histoire se propose d'embrasser différentes lignes temporelles, elle prend son essor principalement dans le futur, avec un groupe de personnages dont nous faisons très tôt la connaissance. Malikai est un gamin (un jeune ado) particulièrement recherché, un orphelin débrouillard que rien ne destine à devenir l'enjeux de pouvoirs qui le dépasse, dans un premier temps. Il est entouré de son ami P.J, une sorte de punk surfeur à la coiffe héritée de Dragon Ball, et de la belle Sonia (Phoebe). Dans le monde de Malikai, la technologie a fait de grands bonds en avant, et sa passion pour les interfaces virtuelles en est un excellent exemple. Son univers va changer drastiquement le jour où débarque une magnifique guerrière ailée, qui l'entraîne dans une course poursuite jusqu'aux iles Hawaï, avec des dragons droit sortis de contes fantastiques, et d'autres intervenants badass et solidement armés comme l'énigmatique Benoist. Soulfire fait alors la part belle aux courbes délicieuses de Grace, cette créature magnifique dotée d'ailes et qui est chargée de protéger Malikai, de lui monter la voie qui devra être sienne. C'est elle qui est reproduite sur une longue série de couvertures régulières et variant, comme un des arguments de vente les plus convaincants, pour une série qui est visuellement un plaisir coupable. C'est elle qui est l'élément qui fait la jonction entre les promesses et les prophéties dont Malikai est abreuvé, et la dure réalité, faite de combats, de trahisons, de découvertes douloureuses (imaginez vous avec des ailes qui poussent dans le dos, et des dons fabuleux que vous découvrez au moment où vous pensez que vous allez mourir, vous verrez bien…) 



Soulfire est un titre un peu particulier, car le regretté Michael Turner, ici à l'apogée de sa créativité, et épaulé au départ par les conseils avisés de Jeph Loeb, n'aura jamais eu l'occasion d'achever l'ouvrage commencé. Après avoir réalisé les six premiers épisodes, c'est son ami Joe Benitez, un artiste brillant depuis devenu célèbre grâce à Lady Mechanika, qui poursuit l'histoire en s'aidant notablement des notes et des ébauches disponibles, jusqu'à atteindre le dixième numéro. Turner est au faîte de son style, disions-nous. Ses planches sont particulièrement "cinématographiques" et audacieuses, elles débordent d'une énergie fougueuse, entre dragons impétueux, silhouettes féminines plus élégantes et tentatrices que jamais, et un montage frénétique, qui n'oublie cependant pas de rester lisible. Tous les personnages sont rapidement introduits et l'introspection psychologique n'est qu'ébauchée, pour privilégier une forme d'humour détaché (mais Malikai est ses amis sont très jeunes, que voudriez-vous de plus, le raisonnement par la pensée présocratique ?). Le principe de Soulfire est simple. La magie dominait autrefois le monde, mais son influence et son pouvoir ont décliné, et elle a fini par disparaître presque totalement. Malikai ne le sait pas (et pour cause, c'est un gamin insouciant voire irritant) mais il est le Samusara, c'est à dire le "porteur de lumière", celui qui va devoir rallumer la magie, un jour prochain. Mais l'âge des merveilles promis est tributaire de sa capacité à dompter ses nouveaux dons, et de l'opposition du perfide et multimilliardaire Rainier, qui a de toutes autres visées sur l'avenir du monde. L'ensemble constitue une opposition entre la magie et ses possibilités illimitées, et la science et son raisonnement plus aride et logique, comme deux pôles distants qui se repoussent sans cesse, tout en présentant dans le même temps des points communs inéluctables. Ajoutez à ceci la sensualité et l'esprit des temps des années 1990, que Michael Turner parvient à transmettre à tout instant, magnifiquement épaulé par les couleurs de Peter Steigerwold, Beth Sotelo e Christina Strain, et vous obtenez une sorte de document historique vraiment agréable, que Delcourt nous sert sur un plateau, agrémenté de l'aperçu de six pages d'une autre série de Michael Turner, Ekos, dont le développement a été stoppé au profit de Soulfire, après le vote des fans de l'artiste. Le genre de (re)lecture qui tombe à point pour un été brûlant. 



SPECIAL STRANGE : LE GRAND RETOUR AVEC ORGANIC COMICS & ORIGINAL WATTS


 Si comme moi vous avez déjà atteint un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, il est probable que vos premières lectures super-héroïques en langue française remontent à l'époque de Lug, c'est-à-dire des revues mensuelles comme Strange ou Nova, directement en kiosque. Je mets volontairement Special Strange de côté; c'est là-dedans que nous avons découvert les X-Men par exemple, ceux de la grande époque Claremont et Byrne. Nous y trouvions aussi Spider-Man, ou plus tard les New Warriors. Et même si un beau jour nous avons eu la surprise et le désespoir de lire une simple page laconique nous annonçant l'arrêt de ces publications, il n'empêche que ces fondations restent encore aujourd'hui très solides et que c'est grâce à l'éditeur lyonnais que les super-héros Marvel ont pris racine en France. Aussi, lorsque le projet d'exhumer Special Strange a été présenté sur Internet (vive le financement participatif), inutile de vous dire que de nombreux nostalgiques ont tout de suite commencé à s'impatienter frénétiquement. Nous devons cette nouvelle mouture à Organic Comix et à Original Watts, associés ici pour ce qui est un véritable retour aux sources. Dès la couverture (une des couvertures, la classic B edition) qui évoque sans détour une des plus célèbres créations de Bob Layton, le logo, le format, nous comprenons que nous avons entre les mains un hommage aussi appuyé qu'élégant et réussi. Le sommaire permet d'ailleurs de remonter directement à cette époque bénie ou internet n'existait pas, et où il fallait hanter les environs de la Maison de la presse locale pour connaître les derniers exploits de Mikros et de sa bande de copain super-héroïques (c'était dans Titans, autre magazine légendaire). Bonne nouvelle, la série de Jean-Yves Mitton est inséré au programme des réjouissances que nous abordons aujourd'hui. Mais pas que, ou plutôt, pas qu'eux. On va jeter un œil sur le sommaire, en commençant par ce shoot de nostalgie, avant de reprendre le fil chronologique des pages.



Ceux que la société considère en réalité comme des freaks sont emprisonnés à San Francisco, mais ils vont vite devoir reprendre du service (et donc s'évader) pour contrer la menace de Maelström, un scientifique malheureux et frustré qui décide de se venger en créant de terribles catastrophes naturelles. C'est un vrai retour aux sources, dans un épisode spécial qui reprend les codes de l'époque, aussi bien dans la mise en couleur que dans la narration. Mitton n'est pas au dessin mais Oliver Hudson capture parfaitement l'esprit des temps d'alors. Les planches sont très classiques et fouillées, et le dessinateur parvient à nous convaincre amplement. Si vous aimiez les french comics dans les années 80, nul doute que vous allez passer un excellent moment. La première série publiée s'appelle de son côté Phantasmic Force; il s'agit d'une des créations tardives de Jack Kirby, qui n'a jamais connu les honneurs d'une version française digne de ce nom. Une histoire d'extraterrestres qui infiltrent notre planète dans l'espoir de répliquer les formes de vie qu'ils y rencontrent, pour asseoir leur domination et rétablir la communication avec un avant-poste installé depuis des temps immémoriaux. Même s'il s'agit d'épisode désormais très datés, on retrouve ce dynamisme et ce sens du merveilleux qui sera par la suite digéré et reproduit à sa manière par Rob Liefeld (et tout un pan des années 90). Il y a certes de la naïveté mais aussi beaucoup d'enthousiasme, et c'est une découverte à faire, réellement. Elle est d'ailleurs parfaitement documentée, avec un reportage très pertinent au sein d'un rédactionnel riche et pertinent. The mighty Titan de Joe Martino et Luca Cicchiti nous présente une histoire assez classique, celle d'un super-héros dont tout le monde ignore l'identité, y compris apparemment sa propre famille, et aux prises avec sa Némésis, un inventeur qui utilise ses prouesses technologiques et des hommes de main qu'il manipule, pour entretenir le sempiternel combat de l'homme de bien contre le mal incarné. C'est agréable à lire et plutôt intelligent, on ne s'ennuie pas. Pour terminer, Thierry Lancelot, qui fait partie des architectes du projet Special Strange, est lui-même le scénariste de la série The Orb, illustrée par Chris Orpiano. Le détenteur des pouvoirs de l'Orbe est en fait une sorte d'incarnation de la conscience collective des anciens représentants de la civilisation des Aleph. Un peu comme si les Gardiens de Oa (Green Lantern) fusionnait avec l'Intelligence Suprême des Kree, pour donner naissance à un Super Captain Marvel Quasar. Beaucoup d'influences qui font de ce titre ce qui se rapproche le plus d'une série "codifiée comic book américain de super-héros", et qui ne perd pas de temps en palabres, appuyant sur la pédale de l'accélérateur dès ce premier numéro, qui se termine par un de ces cliffhangers qu'aiment tant les lecteurs de revues sérielles (vous vous souvenez de Byrne sur Alpha Flight, dès le premier épisode, hein?). Une digne conclusion, très efficace, pour un Special Strange qui s'affranchit donc totalement des titres qui ont fait sa gloire, tout en conservant l'âme de ces productions, ici vivantes sous des formes subtilement différentes, mais absolument méritoires de votre intérêt et de votre curiosité. Vous trouverez aussi une longue interview/portrait de Bob Layton et le premier chapitre de ce qui sera la présentation des hommes et des femmes qui ont marqué les années Lug. Ne manque à l'appel qu'une bonne page du courrier des lecteurs (et pour ça il va falloir écrire, logique…) et l'opération fontaine de jouvence aura fait son effet. L'ensemble nous parait suffisamment structuré, crédible, et d'une qualité telle, que Special Strange a toutes les cartes en main pour aborder une seconde carrière prolifique. Welcome back !


Pour tout savoir, et vous procurer Special Strange :




LA SENSATIONNELLE SHE-HULK : L'OMNIBUS VERT DE RIRE AVEC JOHN BYRNE


 On ne va pas se mentir, business is business. La raison première à la base de la création du personnage de Miss Hulk, c'est bien entendu l'envie de surfer sur le succès de la série télévisée des années 1980n avec Lou Ferrigno, reproduire avec une femme ce qui avait déjà fonctionné parfaitement avec un homme (vous vous souvenez de l'Homme qui valait trois milliards et de Super-Jaimie, hein ?).  Sauf que cette fois, la version féminine n'a rien d'un monstre vert qui écume de rage mais elle est sculpturale, plantureuse et présentée très souvent de manière carrément sexy, y compris son alter ego Jennifer Walters, une avocate aussi vive plutôt discrète. Alors que Bruce Banner n'a aucun contrôle sur sa créature et traverse une existence des plus tourmentées. C'est néanmoins The Sensational She Hulk et non pas Savage qui permet au personnage d'entrer définitivement dans l'histoire. Autrement dit, c'est son passage entre les mains expertes de l'auteur complet canadien John Byrne qui va la faire entrer au Panthéon du genre. Si vous êtes un lecteur français qui a désormais dépassé un certain âge, vous l'avez probablement découverte sur les pages de Nova, en petit format, avec des planches amputées pour l'occasion. Nous n'avions jamais eu accès au format librairie pour ces épisodes devenus incontournables, et les voir débarquer dans une intégrale, c'est probablement un de ces cadeaux dont peu d'entre nous osions rêver il y a encore quelques mois. Lorsqu'un personnage de bande dessinée est conscient qu'il n'est pas vraiment un être de chair et de sang et qu'il entame un dialogue avec l'auteur ou le lecteur, ça s'appelle fracturer ou traverser le quatrième mur, et c'est exactement le processus récurrent que va utiliser Byrne. La géante de jade est consciente de n'être qu'un personnage et elle va utiliser toute la grammaire et les codes les comics à travers les épisodes, pour nous faire rire et nous interroger sur la dynamique même de la réalisation de ses propres histoires. Elle s'irrite contre son dessinateur, elle traverse l'espace en sautant d'une case à l'autre, on la voit même parcourir un vaste espace de pub sur une double splash page, là où normalement les comic shops plaçaient une longue liste de numéros à vendre. Miss Hulk est forte, elle est intelligente, elle est drôle, elle a du recul sur elle-même, un côté romantique, peut se la jouer fashion victim. Elle est toujours prête à se dévouer corps et âme à cette héroïsme qui fait le succès de Marvel. Bref, une recette parfaite pour une femme moderne, mais dans les années 1990. Avec en face une galerie de vilains assez pittoresques et pas toujours des plus impressionnants sur le papier, comme l'extraterrestre Xemnu et sa longue fourrure blanche, l'homme aux échasses ou bien encore les improbables Head Men. Voilà qui sont quelques-uns des premiers à se mettre en travers de sa route. Tant pis pour eux. 


Certains font des reproches à Byrne depuis longtemps, notamment lorsqu'il est scénariste, pour sa tendance à multiplier les pistes secondaires, quitte ensuite à recourir à des artifices peu crédibles pour boucler ses histoires. Ce n'est pas complètement faux, mais ici c'est justement ce qui fait la force de Miss Hulk : faire feu de tout bois avec une carte blanche pour employer l'ironie, le second degré en tant qu'armes de distraction massive, et ça marche diablement bien ! Quant au Byrne artiste, le dessinateur, on sait qu'il n'est pas le plus doué pour mettre en scène des enfants ou dans la différenciation des faciès, mais quand il s'agit de mettre à profit la souplesse de son trait pour en dégager une héroïne aussi moderne que séduisante, il est pratiquement intouchable. Beaucoup de planches sont d'une beauté plastique totale et évidente et d'ailleurs, lorsqu'il a abandonné quelque temps le titre, et qu'il a été remplacé par d'autres du calibre de Bryan Hitch, la différence s'est vue tout de suite. La Miss Hulk de Byrne s'assume, se plaît, s'affiche, c'est un personnage qui n'a plus rien de tragique, mais qui devient le centre de l'attraction, l'objet du désir. Et pas seulement. Au fil des épisodes, Byrne nous permet de comprendre ce que son héroïne a à dire. Ses pensées, ses rêves, ses moments d'exaltation et de déprime, à travers le jeu continu déjà évoqué du franchissement du quatrième mur, parfois même littéral, comme lorsqu'elle arrache une page blanche et déchire le feuillet, sont la sève même de ce run de légende. Bien que Miss Hulk apparaisse à moitié nue sur la couverture de nombreux numéros, il n'y a jamais eu le moindre voile de sexisme dans ces illustrations. L'impression est celle d'un personnage qui, si elle avait pu choisir, aurait probablement elle-même décidé d'être ainsi représentée. Parce qu'elle a conscience d'être sculpturale, sûre d'elle au point de sembler égocentrique. La couverture du premier numéro de Byrne est en soi un manifeste programmatique d'une clarté éblouissante. Regard intense, tenue encore plus provocante qu'à ses débuts, mais aussi poings serrés et muscles tendus. Dans la main de la belle géante, une copie de The Savage She-Hulk # 1, tandis qu'une bulle de dialogue met instantanément les choses au clair. Il s'agit de se laisser tenter, sous peine de se retrouver avec tous les exemplaires des X-Men (de Byrne) en confettis… Bonne idée d'ailleurs de reproduire cette illustration pour l'omnibus français. Byrne s'amuse d'un bout à l'autre, truffe sa prestation de pin-up pages assumées, insère des résumés en début d'épisodes qui sont autant de moments où l'héroïne prend les lecteurs à parti, ne cesse de commenter le processus créatif des comics et leur industrie, à travers les propos délirants d'un personnage plus vivant que tous les autres, à tous points de vue. Un grand moment de l'histoire Marvel, en fait, qu'il fallait absolument faire (re)découvrir dans un noble format. 



 

 

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : FEUILLES VOLANTES


 Dans le 130e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Feuilles volantes, album que l’on doit à Alexandre Clerisse, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Rien ne sert de m’aimer que l’on doit à Jean-Christophe Morandeau et aux éditions La boite à bulles

– La sortie de l’album Partir, sur les chemins de Compostelle que l’on doit à Lili Sohn et aux éditions Casterman

– La sortie de l’album BFF que l’on doit au scénario conjoint de Thomas Cadène et Joseph Saffiédine, au dessin de Clément C. Fabre et c’est édité chez Delcourt

– La sortie du septième tome des Cahiers d’Esther intitulée Histoires de mes 16 ans édité chez Allard éditions

– La sortie du premier tome sur deux de Céleste « bien sûr monsieur Proust » que l’on doit à Chloé Cruchaudet et aux éditions Soleil dans la collection Noctambule

– La sortie en intégrale de la série Les beaux étés que l’on doit au scénario de Zidrou, au dessin de Jordi Lafebre et c’est édité chez Dargaud




 

 

SAISON DE SANG : LE POUVOIR DU DESSIN ET DU SILENCE (LES COMICS CHEZ DUPUIS)


 Première surprise pour le lecteur de passage, il n'y a pas de dialogue ou de didascalie dans Saison de sang. Parfois nous y trouvons quelques mots échangés, mais dans une langue qui n'a rien d'humain et qui nous est donc incompréhensible. Tout ici va se jouer au niveau du dessin, mais encore du storytelling, c'est-à-dire la capacité de présenter une action et agencer un récit uniquement grâce à l'art graphique. Le sens du détail, la mise en couleurs seront alors également de la partie en tant qu'éléments capitaux de cet album. Bonne nouvelle, Matias Bergara est un dessinateur exceptionnel aux influences multiples, de Moebius, la ligne claire, à toute la scène sud-américaine (et même un soupçon de manga), son trait ne ressemble en fait à rien d'autre, tout comme sa capacité à rendre vivant chacune des cases. Son association avec le scénariste Simon Spurrier a déjà donné de petits bijoux par le passé, notamment Coda (même s'ils ne se sont jamais rencontrés dans la vraie vie !), et c'est avec un grand plaisir que nous les retrouvons ensemble pour ce qui représente un défi majeur et audacieux. Au départ, nous découvrons un géant en armure qui se tient au sommet d'une montagne glacée, avec dans sa main une jeune enfant nue qui se réveille. Alors que le géant entame la descente, très vite ils vont être attaqués. La violence graphique va exploser et Bergara va d'emblée débuter son show personnel, fait de paysages merveilleux, de scènes apocalyptiques, de trouvailles permanentes qui changent du tout au tout, d'un chapitre à l'autre, renouvelant l'émerveillement et le sentiment de terre(s) vraiment étrangère(s). La complexité au service de la simplicité, la beauté comme prélude au malaise ? Bergara prévient sur ses intentions : " D'un côté, nous voulions être super clairs et super précis sur tout ce qui se passe dans chaque case et chaque page. D'un autre côté, nous voulions créer un monde très profond et stratifié, chaque case devenant une fenêtre sur un nouveau monde. Une bande dessinée muette est intéressante, et c'est un bel exercice d'innovation narrative, mais nous ne pouvions pas nous contenter de ça. C'est aussi une histoire fantastique, donc nous devions créer et habiter ce monde avec complexité ". Pour ce qui est de la trame en soi, il faut que le lecteur lise les quatre parties de l'album pour assembler les différentes pièces du puzzle, et avoir une vision d'ensemble révélatrice sur ce dont il s'agit vraiment. 


Ce n'est pas non plus un hasard si cette l'histoire se présente dans sa forme originelle avec 4 parties distinctes, qui représentent autant de saisons. C'est qu'il y a dans le récit une idée de cycle, de permanence à travers les générations. La nécessité de toujours aller de l'avant et d'ailleurs l'impossibilité même de faire marche arrière, comme cela est le cas dans l'existence, au sein de Saison de sang, est un des fils conducteurs. Le désir de se retourner conduit à l'apparition de tempêtes de vortex, de pièges qui font que la jeune fille inconnue, qui n'est à aucun moment nommée ou définie, ne peut accomplir ce qu'elle souhaiterait faire. Il lui faut encore et toujours repartir, aller de l'avant. Un des moments les plus chargés en émotion est lorsqu'elle parvient à découvrir ce qui se cache à l'intérieur du géant en armure qui la protège. Une scène qui dès lors place le lecteur sur la voie de la compréhension de ce qu'il est en train de lire concrètement, et qui trouve une conclusion lumineuse et éloquente dans les toutes dernières cases. Simon Spurrier fait ici un très bon travail, avec un matériau assez simple au départ, mais c'est surtout Bergara qui est à féliciter, car en l'absence de texte, il est contraint de renforcer l'impact des émotions, autrement dit de ces petits détails expressifs qui font que chaque personnage doit directement communiquer quelque chose au lecteur. Idem pour les paysages fantasmagoriques qu'il convoque, l'équilibre à trouver entre le spectaculaire, le merveilleux et en même temps le toujours très lisible n'était franchement pas évident. Une difficulté qu'on peut étendre au coloriste Matheus Lopes, qui se démontre également à la hauteur de ce qui est artistiquement un des albums les plus aboutis de l'année, très probablement. On ne peut donc que se réjouir de l'arrivée des comic books (ici en provenance d'Image Comics) chez Dupuis, avec une première sortie qui en appelle d'autres, d'autant plus que le format deluxe devrait séduire un lectorat habitué à lire autre chose que du comics et que le traitement des effets sur la couverture es splendide. Quand le contenant et le contenu s'accordent, il y a des chances pour que ça marche, non ?




PEACEMAKER TRIES HARD : BOUFFONNERIE, SATIRE ET SOLITUDE

Le super-héros ringard et super violent Christopher Smith (alias Peacemaker) sauve un chien errant après avoir neutralisé un groupe de terro...