IT FROM SPACE (DE FABIANO AMBU) : LE TOME 2 ARRIVE !


 L’attente fut un peu longue, mais l’important, c’est le résultat, n’est-ce pas ? It from Space, le second tome, est enfin disponible, et nous allons pouvoir découvrir la suite des aventures de l’extraterrestre le plus étrange apparu dans un comic book ces dernières années. Ou, pour être plus précis, dans une bande dessinée italienne (fumetto, donc) qui emprunte avec brio tous les codes des comics américains. Le titre est scénarisé et dessiné par Fabiano Ambu, un artiste déjà remarqué et apprécié chez Sergio Bonelli Editore pour des séries emblématiques comme Dampyr ou Zagor, ou encore le merveilleux Pop, histoire d'un marin, véritable œuvre fondatrice pour le créateur sarde. It, c’est un personnage hors du commun. Son apparence a de quoi surprendre : une sorte de récipient en verre contenant un cerveau et un œil géant, le tout monté sur le corps d’un garçon. Mais, paradoxalement, ce n’est pas son allure qui suscite rejet et harcèlement à l’école, mais bien ses origines : il a grandi dans un campement tzigane. Ce récit aborde ainsi une thématique sociale poignante, en dénonçant un racisme encore plus insidieux que la méfiance envers une créature extraterrestre. Ce second tome reprend là où s’arrêtait le premier : nous y découvrons une version décalée d’Albert Einstein, tout droit échappée du multivers imaginé par Fabiano Ambu. Ce Einstein revisité semble être le seul à comprendre l’ampleur des événements qui se trament. Il va aider le petit alien à retrouver ses parents et, peut-être, à sauver la planète Terre.



Mais l’auteur ne s’arrête pas là. Avec un sens de la folie parfaitement assumé, il introduit un autre personnage tout aussi déconcertant : l’acteur américain Steve McQueen, ramené à la vie pour l’occasion ! Cette bande dessinée ne se fixe aucune limite : elle joue avec intelligence sur les codes de la science-fiction, tout en les enrichissant d’un discours social sarcastique et d’une bonne dose d’humour. Le dessin, quant à lui, est incisif et incroyablement dynamique, porté par des planches aux couleurs lysergiques et acidulées qui confèrent à l’album une identité résolument pop. Mais attention, cet objet singulier demande une lecture attentive, car il refuse de céder à la facilité ou de flatter systématiquement le lecteur. Dans ce tome 2, on découvre également ce qu’il est advenu de notre civilisation durant la période où It était plongé dans le coma. On assiste aux machinations de Mabuse, un politicien prêt à exploiter la rencontre entre l’humanité et des créatures extraterrestres (en forme de poulpes géants) pour servir ses ambitions hégémoniques. Ce télescopage audacieux entre différents genres fait d’It from Space l’un des titres les plus captivants et pertinents de ces dernières années dans l’univers des comics indépendants. Publié en auto-édition chez IT Comics France, ce second tome sera présenté en avant-première au Festival d’Angoulême, où les lecteurs pourront obtenir un exemplaire dédicacé par l’artiste. À cette occasion, un retirage du premier tome a également été effectué pour satisfaire les retardataires. Et que dire de cette couverture ? Elle est aussi spectaculaire que celle du premier volume, grâce au travail graphique de Rosa Puglisi ! Dernière bonne nouvelle, vous pouvez nous contacter pour obtenir votre copie dédicacée/sketchée par Fabiano Ambu, ou pour récupérer le premier numéro. Les envois se feront dans la semaine suivant le FIBD. Contactez-nous par mail : universcomics.lemag@gmail.com


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LES JARDINS INVISIBLES : LES MERVEILLEUX SOUVENIRS D'ALFRED


 L’heure des retrouvailles avec Alfred (Lionel Papagalli) et son nouveau travail publié chez Delcourt, Les Jardins invisibles, sera peut-être l’occasion idéale pour comprendre enfin les mystères de son talent. Comment parvient-il à entrer en résonance avec nos émotions les plus profondes, et ce, sans jamais donner l’impression de forcer ou de chercher à éblouir ? Dans cet ouvrage, il ne s’agit pas d’une bande dessinée classique ni même d’une histoire au sens strict, mais plutôt d’un patchwork d’anecdotes : un kaléidoscope de souvenirs de l’artiste qu’il qualifie lui-même de « moments de bascule ». Ces instants, qui, avec le recul, s’avèrent souvent décisifs dans une évolution personnelle, dans le choix d’une direction ou simplement dans l’envie d’aller de l’avant. Ces souvenirs convoquent tour à tour le père, les grands-parents, une enfance passée à Chiavari, en Ligurie, la naissance de la fille de l’auteur, ou encore une période de trois années vécues à Venise. D’autres épisodes plus universels y trouvent également leur place : la disparition puis le retour de l’inspiration grâce à une simple photo, des enfant jouant au football dans les rues de Naples, ou encore la mélancolie d’un séjour à l’hôpital. Et à chaque fois, la magie opère. Difficile de dire pourquoi, mais à travers ces pages, ce n’est pas simplement un narrateur qui partage des souvenirs. C’est un artiste qui semble s’adresser à chacun de nous, comme si ses expériences résonnaient intimement avec les nôtres. Le tout est porté par un dessin qui, bien qu’il puisse paraître naïf au premier regard, se révèle profondément évocateur. Plutôt que de miser sur des effets spectaculaires, Alfred privilégie une approche sincère et épurée. Il met son trait au service de ces fragments de vie. Il leur insuffle une patine et une mélancolie d’une intensité qui nous concerne tous, frappe directement le cœur du lecteur.


Avec Alfred, la notion de souvenirs – et donc de généalogie et de transmission – est toujours très présente. Il existe comme des bulles de mémoire, enfouies dans le temps, qui finissent par remonter à la surface et éclore de manière inattendue. C’est ce qui se produit lorsque l’artiste évoque des moments passés chez lui, au milieu des plantes vertes soigneusement installées par sa mère. Ou encore, lorsqu’il se trouve pour la première fois confronté à la maladie d’Alzheimer de son grand-père, une réalité qu’il n’a pas su comprendre ni identifier immédiatement. Cela se produit aussi quand il réalise que le grain de sa peau, aujourd’hui, est semblable à celui de son père autrefois. Cette généalogie du corps ne cesse de se transmettre : en massant le dos de sa fille, il découvre que celle-ci possède également ce même épiderme. Le monde n’est pas toujours joyeux, et il réserve son lot de mauvaises surprises. Pourtant, au milieu de ce chaos, persiste ce fil, fragile et pourtant résilient : la mémoire. Elle demeure, qu’il s’agisse des récits dans lesquels on expose ce qui nous est arrivé, ce que nous avons accompli, d’où nous venons, ou qu’il s’agisse de cette transmission presque imperceptible qui fonde une généalogie. Ce fil peut se manifester à n’importe quel instant, parfois de manière anodine, parfois bouleversante. Par exemple, alors que vous participez à un atelier de dessin à Djibouti, un simple mail peut révolutionner votre existence : vous apprenez que vous allez devenir parent. Toute la beauté des Jardins Invisibles réside dans la diversité des fleurs qui s’y épanouissent. Certaines sont tragiques, d’autres comiques, et parfois, il s’agit simplement d’anecdotes d’une banalité désarmante. Prenez ce voisin d’hôtel, par exemple, qui met la télévision trop fort : ce qui semblait n’être qu’une contrariété peut, en l’espace d’une seconde, devenir une rencontre inattendue et émouvante, capable de remettre en question tout ce que l’on croyait savoir ou accepter. Ce voyage à travers les souvenirs d’Alfred, c’est en réalité la vie d’un homme qui se déploie sous nos yeux. Une vie faite de micro-événements, de pensées fugaces et d’instantanés saisis sur le vif. Mis bout à bout, ces fragments dessinent un regard sensible et juste sur l’humanité. En définitive, toute cette chronique pourrait se résumer en un seul mot, celui que nous adresserions à l’auteur si nous pouvions le rencontrer en cet instant : merci !




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OMNIBUS DAREDEVIL PAR NOCENTI ET ROMITA JR : UN RUN INDISPENSABLE


 Un des "run" les plus surprenants et riches en interprétations de Daredevil est assurément celui de Ann Nocenti. Journaliste de profession, elle est appelée dans la seconde moitié des années 1980 pour prendre les choses en main sur le titre de Tête à cornes, qui ne s'est toujours pas remis, à l'époque, du pic qualitatif atteint sous l'ère Frank Miller, suivi d'une lente plongée inexorable. Après avoir fait ses classes notamment sur la mini dédiée à Longshot, Nocenti bouleverse le regard que nous portons sur Daredevil, en mettant de coté les sempiternelles luttes poisseuses dans les ruelles malfamées de Hell's Kitchen, et en ouvrant grandes les vannes de la réalité sociale, saupoudrées d'introspection et de métaphysique. Si les premiers épisodes n'osent pas encore s'aventurer sur ces territoires glissants, très vite la scénariste va innover, quitte à ne pas forcément être comprise d'emblée par des lecteurs déroutées. Matt Murdock est au centre de cette petite révolution. Puissamment influencé par son background judéo-chrétien, l'avocat aveugle respecte -à sa manière- un ensemble de codes et de règles déontologiques, qui le font aller de l'avant, et lui donnent inconsciemment ce sentiment de supériorité sur les autres, et qui justifie son statut de redresseur de torts, en contradiction avec son métier au civil. Ici, il a aidé Karen Page, sa flamme de toujours, au monter une association venant en aide aux plus pauvres, et qui prend en charge le cas d'un gamin rendu aveugle par des déchets toxiques abandonnés avec nonchalance dans la nature, par une grande compagnie vérolée. Derrière celle-ci se cache le Caïd et son empire financier malfaisant, et pour assurer la défense de l'indéfendable, c'est Foggy Nelson, l'ami momentanément en disgrâce, qui s'y colle. Mais Matt a de plus gros soucis en tête. Il a rencontré une certaine Mary, une brune mystérieuse, qui excite et étourdit ses hyper sens, et qui fait monter en lui un désir brûlant et irréfrénable. Inoubliable les scènes où Matt et cette jolie créature s'embrassent et se caressent sous les yeux du petit aveugle, qui devine ce qui se passe, sans rien voir formellement, et constate avec dépit que les adultes profitent de sa cécité pour faire comme s'il n'existait pas. C'est que Mary est en fait un pion du Caïd, destinée à faire chuter, une fois encore, le toujours debout Murdock. Et surtout, Mary a deux personnalités, une schizophrénie de premier ordre, qui la pousse à devenir quelqu'un d'autre, une meurtrière impitoyable, un monstre de perversion, la bien nommée Thypoïd Mary. Et ça, Daredevil (et Matt Murdock donc) l'ignore totalement… Wilson Fisk a parfaitement compris qu'il est plus aisé de détruire Daredevil de l'intérieur, que l'extérieur. DD encaisse bien les coups, mais sa psyché a tendance à parfois lui jouer des tours. Son sentiment de culpabilité pèse comme une roche granitique. Devant le bonheur "conjugal" enfin rejoint avec Karen Page, l'homme souffre et ressent la honte du péché face à la douce Mary; pire encore il est en proie à une répulsion/attraction mortifère face son alter égo maléfique, Typhoid, qui l'excite autant qu'elle le dégoûte. Eros et Thanatos chez Marvel.


Défait, le héros aveugle va mettre un certain temps à se remettre sur pieds, d'autant plus qu'en parallèle son titre mensuel est fortement impacté par le crossover Inferno, qui voit des ordres de démons infecter Manhattan, avec les objets du quotidien qui prennent vie, comme le métro par exemple, qui avale ses passagers. C'est finalement à partir du numéro 271 que la scénariste Ann Nocenti va à nouveau frapper un grand coup, avec une histoire où c'est tout un discours qui est élaboré, contre la consommation excessive de viande, l'élevage intensif, et la maltraitance des animaux. Ainsi que le rôle de la femme, piégée par la publicité et les injonctions masculines, à la recherche d'une perfection illusoire. Nous pénétrons ainsi à l'intérieur d'une ferme ultra moderne, où les profits augmentent au fur et à mesure que les frais diminuent. En contrepartie, les bêtes qui vont finir à l'abattoir grandissent dans des conditions inhumaines. La fille du propriétaire -une certaine Brandy- a bien conscience des activités de son père, et elle ne peut rester les bras croisés. Fille à papa élevée dans la ouate, elle a toutefois développé une conscience personnelle qui la pousse à devenir chef d'un groupe d'activistes, qui lutte pour le droit des animaux, mais aussi pour une forme moderne de féminisme. Les chemins de Brandy et de Daredevil se croisent, lorsque pour des raisons différentes ils se retrouvent dans la ferme incriminée : grande stupeur au menu, avec la découverte, dans une sorte de cuve cryogénique, des corps de jeunes femmes soumises à des modifications génétiques et physiques, les amenant à rejoindre la perfection, telle qu'on pourrait l'attendre dans l'imaginaire machiste, de ceux pour qui la bimbo décérébrée et consentante est l'idéal féminin. Une de ces créatures est libérée, lorsque sa cuve se brise. Elle ne porte pas de nom, simplement un numéro de série (numéro 9). C'est une blonde aux formes généreuses, qui ne vit que pour servir l'homme auquel elle va s'attacher. Et bien entendu, puisque Daredevil est plus ou moins responsable de sa libération, autrement dit de sa naissance, voilà qu'elle s'attache à notre héros, et fait de son mieux pour le servir, lui prépare de savoureux petits sandwichs, ou lui dispense massages et compliments à longueur de journée. Une créature totalement soumise donc, qui entre bien vite en conflit avec Brandy la rebelle. Mais aussi une femme tragique, dotée de surcroît du pouvoir de guérir de toutes ses blessures, même face à la dernière version en date de Ultron, trafiquée et relâchée dans la nature par Fatalis, à l'occasion d'un autre crossover qui croise la route de Daredevil, les Actes de Vengeance (la variant cover choisie par Panini illustre ce récit). Une fois résolu le dilemme moral et éthique entre Brandy et son père (au passage nous avons droit à de jolies scènes de crêpages de chignons, sans doute un fond de jalousie motive t-il la rebelle à s'en prendre à la blonde docile) le récit devient moins passionnant. Les Inhumains s'en mêlent, puisqu'ils sont sur Terre à la recherche du fils du couple royal, momentanément éloigné de leur refuge pour des raisons d'état. On découvre aussi Blackheart, le rejeton de Mephisto. Romita Jr est au dessin pour la grande majorité des épisodes du cycle d'Ann Nocenti. Excellent Romita, ajouterais-je, tant à l'époque il avait ce don de synthèse, faisant naître mouvement et vie de chaque planche, avec un trait dur et nerveux, bien aidé par l'encrage remarquable de Al Williamson. Ces épisodes furent publiés dans les années 90 par Semic, dans les petits fascicules "version intégrale", puis dans la collection Marvel Icons. Aujourd'hui, un gros omnibus vous tend les bras, pour les amateurs de ce format extralarge. 


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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : GONE WITH THE WIND


 Dans le 191e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente la second tome de Gone with the wind que l’on doit à Pierre Alary, qui adapte ici le roman de Margaret Mitchell, un ouvrage publié chez Rue de Sèvres. Cette semaine aussi, je reviens sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Babouchka et Dedouchka, album que l’on doit à Emma Siniavski et qui est publié aux éditions Sarbacane


- La sortie de l’album Le crétin qui a gagné la Guerre froide que l’on doit au scénario de Jean-Yves Le Naour, au dessin de Cédrick Le Bihan et c’est publié aux éditions Grand angle


- La sortie de l’album Anatomie d’un commissariat que l’on doit au scénario de Mikael Corre, au dessin de Bouqé et c’est sorti chez Fayard graphic


- La sortie de 2007 - 2017, deuxième tome de la série Journal inquiet d’Istanbul que l’on doit à Ersin Karabulut ainsi qu’aux éditions Dargaud


- La sortie de l’album Enfant de salaud, nouvelle adaptation que l’on doit à Sébastien Gnaedig d’un roman de Sorj Chalandon, un titre paru aux éditions Futuropolis


- La sortie de l’ouvrage Garçonnes, les autrices oubliées des années folles, un beau livre que l’on doit à Trina Robbins ainsi qu’aux éditions Bliss



 
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BLOOD HUNT (1/3) : LES VAMPIRES ONT LES CROCS CHEZ MARVEL


 Par "event", le lecteur de comics américains désigne ces grands événements qui bouleversent l'ensemble de l'univers d'une maison d'édition, mobilisant une multitude de personnages et de séries. Chez Marvel, cette pratique est devenue quasi systématique ces quinze dernières années. Il faut bien le reconnaître : si certains de ces récits s'avèrent réussis et laissent des traces durables dans la vie de nos super-héros, d'autres, hélas, se révèlent aussi éphémères et inconsistants que des bulles de savon prêtes à éclater. La bonne nouvelle, c'est que Blood Hunt, une histoire de vampires comme son titre le laisse présager, figure parmi les récits les plus captivants de ces dernières années. Comme annoncé, il est question de vampires et, qui dit vampires, dit forcément Dracula. Cependant, cette fois-ci, le célèbre seigneur des ténèbres ne joue pas le rôle du grand méchant assoiffé de conquête planétaire. Au contraire, il devient l'un des derniers recours sur lequel les justiciers peuvent s'appuyer pour affronter une menace bien plus terrible. Celle-ci émane d’un visage pourtant familier, habituellement l’ennemi le plus acharné des vampires. Tout commence lorsqu’un phénomène étrange frappe les personnages qui puisent dans la Force Noire : ils explosent littéralement, devenant des sortes de nexus déversant une noirceur indicible dans notre dimension. Cette obscurité est si intense qu’elle finit par masquer le soleil derrière une couche opaque et impénétrable. Et, comme chacun le sait, lorsque le soleil disparaît, le terrain est idéal pour une déferlante de vampires. Les Avengers sont les premiers à subir les assauts de cette invasion. Face à une nouvelle équipe de super-vampires (les Sanguinaires), ils essuient une cuisante défaite : Thor, la Sorcière Rouge et Black Panther, pourtant parmi les plus puissants, se retrouvent littéralement laminés. Quant au Docteur Strange, sans dévoiler de détails, disons simplement que Blood Hunt ne manquera pas de laisser des séquelles majeures pour le Sorcier Suprême. Autre excellente nouvelle : les épisodes principaux de cet événement sont illustrés par Pepe Larraz, un dessinateur de génie dont les planches dynamiques et spectaculaires marquent les esprits à chaque fois. Au scénario, on retrouve Jed MacKay, qui a patiemment tissé les fils de cette intrigue ces derniers mois, notamment à travers la série Moon Knight, dont plusieurs protagonistes jouent ici un rôle clé.




Puisque j’évoquais le sort du Docteur Strange, l’une des victimes les plus marquantes de ce début de crossover, il convient de parler de la manière dont ces récits sont désormais publiés par Panini. Ces histoires paraissent sous la forme d’albums en softcover, avec trois sorties prévues jusqu’en mars de cette année. Cette structure est importante, car elle propose un contenu très varié : on y trouve bien sûr les épisodes de la série principale, mais également des récits annexes tirés de titres influencés par les événements du crossover. Cependant, la qualité de ces récits est inégale : certains personnages sont moins connus, et les équipes artistiques qui y participent ne parviennent pas toujours à maintenir le niveau général. Par exemple, Strange Academy met en scène de jeunes adolescents apprenant à maîtriser leurs pouvoirs magiques. Dans le contexte sombre et intense de Blood Hunt, ce ton léger et quelque peu infantile peut sembler hors de propos, voire dispensable. De même, dans la série régulière consacrée au Docteur Strange, le style graphique de Pascual Ferry peut surprendre après le travail minutieux et spectaculaire de Pepe Larraz, qui avait placé la barre très haut. En revanche, l’arrivée de Vincenzo Carratù, chargé des aventures de Dracula, est une excellente surprise. Dracula, personnage central dans l’économie du crossover, bénéficie du talent de ce dessinateur napolitain, qui s’impose comme une valeur montante de Marvel. Sur le plan narratif, Blood Hunt alterne entre le chaud et le froid. Le premier numéro est un véritable carnage, où les héros subissent des défaites cuisantes, mais dès le second, la situation évolue : les survivants trouvent un moyen de contre-attaquer, et un regain d’espoir s’installe parmi eux. Parmi les figures notables du récit, on retrouve un électron libre en la personne du Docteur Fatalis. Ce personnage, dictateur charismatique et calculateur, occupe un rôle clé dans l’intrigue. Ses actions et leur portée influenceront directement les événements à venir, et seront à l’origine du prochain grand crossover Marvel, attendu d'ici peu aux États-Unis et dont la France devrait découvrir les premiers chapitres fin 2025, compte tenu du décalage habituel. Blood Hunt repose sur un ressort dramatique classique : un monde au bord de la destruction face à une invasion presque impossible à stopper. Comme souvent, les pertes seront nombreuses, mais elles s’accompagneront de résurrections et de révélations. Et, fidèle à la tradition Marvel, chaque conclusion ne sera qu’un point de départ pour de nouvelles aventures. Sur le plan artistique et narratif, si l’ensemble n’est pas exempt de défauts, il reste bien supérieur à d’autres sagas que nous avons pu voir ces temps derniers. En somme, Blood Hunt mérite qu’on s’y attarde, et pourrait bien convaincre les amateurs de carnages du genre.


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INLANDSIS INLANDSIS TOME 1 : LA GLACE


 L’inlandsis est une immense étendue de glace recouvrant tout un continent, comme c’est le cas en Antarctique. Ce spectacle saisissant revêt une importance cruciale pour la science, car cette glace nous offre des informations précieuses sur le climat à travers les âges. Elle nous permet, par exemple, de mieux comprendre la santé de notre planète, les variations de température ou encore le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Autant de raisons justifiant l’organisation d’expéditions scientifiques ambitieuses pour approfondir notre connaissance de l’environnement (le projet Ice Memory). Cependant, dans la bande dessinée magistrale de Benjamin Adam, publiée chez Dargaud sous le nouveau label Charivari, les choses prennent une tournure bien différente. Nous sommes projetés en 2046, dans une France devenue un pays d’une violence extrême. Le pouvoir est aux mains d’un parti autoritaire et xénophobe, réactionnaire et d'obédience chrétienne, qui réprime toute forme de manifestation grâce à une police omniprésente. Dans ce contexte dystopique, la bande dessinée elle-même n’est plus vraiment un loisir prisé. Plusieurs crises successives ont éloigné le public de cet art que nous adorons tant. Pourtant, deux auteurs de BD se voient confier une mission singulière : ils sont envoyés en Antarctique pour documenter la fonte inexorable de l’inlandsis et en tirer un récit personnel. Cette mission est orchestrée par Marie, une jeune femme pleine de ressources, mais confrontée à une épreuve intime : victime d'un accident, elle souffre d’une perte de mémoire à court terme. Incapable de se souvenir des actions qu’elle vient de réaliser, elle doit consigner chaque détail dans des carnets. Ce trouble, profondément invalidant, finit par affecter sa vie de famille, qu’elle s’efforce malgré tout de préserver. Vous l’aurez compris, ce récit est foisonnant, éclaté, et emprunte des directions multiples. Pourtant, il constitue un véritable tour de force, une œuvre à la fois poignante et profondément maîtrisée.



La grande question que l’on peut se poser en lisant cette œuvre splendide signée Benjamin Adam est la suivante : à quoi bon ? À quoi bon lutter contre l’inéluctable, quand tout semble déjà en marche, quand les événements sont enclenchés et qu’il n’est plus possible de revenir en arrière ? À quoi bon avancer, quand tout ce qui survient finit inévitablement par tomber dans l’oubli, qu’il s’agisse des grandes tragédies de l’humanité ou des petits riens du quotidien ? Comme cela est tragiquement illustré dans l’histoire de Marie, même écrire et fixer les choses sur le papier semble futile. Une simple page arrachée d’un carnet peut suffire à effacer ce qui y était consigné, avec des répercussions lourdes pour des inconnus situés à des milliers de kilomètres. Par ailleurs, malgré tout ce que nous savons sur l’état du monde, malgré les dossiers, les recherches et les alertes, les complotistes de tout poil et les négationnistes les plus acharnés finissent par triompher. Leur bêtise insondable en vient à gouverner le monde. C’est précisément ce qui se passe dans ce 2046 imaginé par Benjamin Adam, un futur qui ressemble étrangement à notre présent. Et c’est bien cela qui glace le sang. Certaines références rencontrées dans le récit, telles qu’une école baptisée « Bolloré » ou une rue dédiée au ministre Retailleau, laissent penser que cet avenir sera sombre parce que trop proche de notre présent. Cependant, au milieu de ce chaos, l’humanité résiste. Placée face à l’absurdité des choses, elle puise dans les gestes les plus simples une raison d’avancer et d’affronter le jour suivant. Cette résilience, magnifiée par une narration d’une grande maîtrise, offre au lecteur plusieurs pistes à explorer : les (més)aventures de Marie, celles des artistes envoyés en Antarctique pour concevoir une bande dessinée, ou encore des références historiques évoquant des moments clés de la conquête des pôles. Le dessin, d’une simplicité et d’une expressivité saisissantes, parfois caricatural, sert admirablement le projet et l’ambiance du récit. Même lorsqu’il s’agit de représenter des gaufriers à huit cases, à la fois didactiques et dépouillés, le résultat est d’une efficacité indéniable. En fin de compte, Inlandsis Inlandsis déroute et charme à la fois. Cette bande dessinée ne ressemble à rien de connu, et c’est précisément ce qui en fait un chef-d’œuvre. Ce premier tome, sorti de nulle part, est une révélation absolue : on ne peut qu’espérer une suite dans les plus brefs délais, avant que la fonde des glaces et la montée des eaux ne ruinent notre attente. 



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BENEATH THE TREES : LE THRILLER MAGNIFIQUE DE PATRICK HORVATH


 Au premier regard distrait (qui fut le mien), Beneath The Trees, album écrit et illustré par Patrick Horvath, pourrait passer pour un récit à destination des enfants, charmant, avec des animaux anthropomorphes qui vaquent à leurs occupations, dans une petite ville paisible. Mais derrière cette apparence rassurante et attachante se cache une histoire macabre où le meurtre et le mystère finissent par se croiser et tisser une intrigue captivante. Dès les premières pages, nous faisons la rencontre de Samantha Strong, une citoyenne exemplaire de Woodbrook, un village entouré de forêts et peuplé d’animaux amicaux. Sauf que Sam, qu'on pourrait prendre pour la tante cachée de Winnie l'Ourson est aussi une tueuse en série méthodique qui a bâti une vie confortable et toujours échappé aux soupçons, en respectant une règle d’or : ne jamais s’en prendre aux habitants locaux. Mais un beau jour, l’équilibre fragile de son monde criminel et secret bascule lorsqu’un résident est assassiné de manière mystérieuse. Samantha doit alors affronter un rival meurtrier tout en œuvrant pour protéger son secret et éviter que le shérif ne découvre la vérité. Ce qui distingue ce récit, c’est bien entendu son contraste saisissant : Horvath adopte une esthétique et une narration qui rappellent les livres pour enfants, avec des phrases rimées et des illustrations pleines de charme. Les dialogues fleurent bon la bienveillance et l'altruisme, ça peut même en être irritant, au tout début. Mais à mesure que l’histoire progresse, une atmosphère oppressante s’installe, qui révèle alors la part d’ombre de Woodbrook. Horvath réussit dès lors un mélange audacieux de genres, en combinant l’innocence des classiques pour enfants à la noirceur psychologique d’un thriller à la Dexter (référence ultime que vous allez lire dans presque toutes les critiques).



C'est donc toute une existence paisible, celle d'une ourse qui commet des agissements atroces loin de chez elle pour préserver son confort de vie, dans son petit village, qui est menacé : une concurrence dangereuse qui risque d'éveiller les soupçons et de mettre fin à une habitude macabre. Bien évidemment, toute la communauté est en émoi, la panique gagne les habitants, plus personne n'ose sortir de chez soi. Il est particulièrement efficace de voir tous ces animaux si attachants tout à coup tomber dans la sinistrose et se préoccuper de ce qu'ils peuvent devenir. Et le pire, c'est que Sam va non seulement devoir affronter cette concurrence, mais aussi essuyer une sérieuse tempête, car elle est tombée cette fois sur quelqu'un d'encore plus diabolique qu'elle. Un individu en apparence banal mais qui, justement parce que personne ne semble s'en méfier, s'avère probablement encore plus dangereux que les autres. Autant faire cesser le suspense et le dire tout de suite, il s'agit de l'une des bandes dessinées les plus admirablement bien troussées que j'ai eu l'occasion de lire ces derniers mois. Une réussite totale tant dans la manière de faire progresser l'histoire que celle de crédibiliser tout un univers, qui parvient à associer une atmosphère et des intentions fort différentes, pour bâtir un contraste bienvenu. Il y a parfois, comme ça, certaines œuvres qui sonnent comme une évidence au bout de 10 ou 20 pages, et c'est le cas ici. On est directement happé par une histoire qui rentre vite dans le vif du sujet et qui tient toutes ses promesses jusqu'à la dernière planche. Rigoureusement indispensable, disponible chez Ankama. 



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ROUGE SIGNAL

 Dans le 206e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Rouge signal, album que l’on doit à Laurie Agusti, un ouvrage publié chez 204...