Voici un bon petit numéro de Strange Spécial Origines, qui remonte à quinze ans, pile poil. On peut y lire le Fantastic Four King Size 5 (un annual en fait) ou le quatuor est aux prises avec le pouvoir mental de Psycho Man, un combat entre les premiers X-men et l'équipe des Vengeurs de l'époque (nous sommes sur les pages de X-men 9), et enfin une aventure du Surfer d'Argent de la grande époque, entre naïveté et grandeur cosmique. Point commun de toutes ces histoires : elles sont dessinées par le grand Jack Kirby, et imaginées par Stan Lee himself, comme très souvent durant les premières années de la Marvel.
Comment ça, qui était Jack Kirby ? Vous voulez plaisanter, probablement. Comment ça, mérite t’il tous les éloges dont il fait l’objet, et cette réputation de père nourricier de toute une génération d’artiste, chez qui son talent aurait fait école ? Allez, voici un très brève mais édifiante leçon d’histoire. Jack Kurtzberg, de son vrai nom, fait partie de ce groupe de dessinateurs qui a révolutionné la façon même de penser le comic-book, dès les années 40. C’est en couple avec Stan Lee qu’il invente Captain America, en rehaussant le pathos du titre par des scènes d’actions et de combats qui bouleversent les canons du genre, grâce à leur dynamisme, avec des planches presque cinématographiques où le mouvement semble exploser d’une case à l’autre. Ce même mouvement qui attire l’œil comme un aimant, qui nait de perspectives inédites pour l’époque, de personnages saisis sur le vif, depuis des points de vue inattendus, ce qui a pour effet pervers, souvent, de modifier sensiblement les proportions, à la limite du caricatural -voire du grotesque- des protagonistes kirbyens. Mais ces aberrations anatomiques sont amplement compensées par un effet de dynamisme extraordinaire, la nette sensation de voir tous ces personnages s’échapper du carcan de la planche dessinée, pour s’épanouir hors des marges qui lui sont destinées, pour exploser à la vue de tous et imposer un style hyper cinétique qui va faire école et être copié avec plus ou moins de succès par tous les artistes de la Marvel de l’époque. Dans les années 70, Kirby accentue son travail théorique, et cette fois on le voit tendre encore plus vers un fort contraste entre le noir et le blanc, une dilatation des espaces et une synthèse poussée des masses physiques, des corps. Il produit un nombre conséquent de séries, s’impose un rythme infernal inimaginable pour notre époque moderne, invente et absorbe les crises et les doutes de son temps comme la peur d’un conflit nucléaire et le scénario apocalyptique qui en découlerait, avec une série comme Kamandi, produite pour la DC comics, après un premier départ de la maison mère Marvel. Là, avec des mensuels comme « The new Gods » ou « Mister Miracle », il met progressivement main à la réalisation d’un panthéon personnel, qui va donner naissance, une fois de retour dans le giron de Stan Lee et consorts, à une légende du comic-book, « The Eternals », première mouture. Kirby va perdre un peu de son aura après les graves événements du Viêt-Nam, et la grande crise des valeurs que va traverser l’Amérique : ses œuvres par trop manichéennes, où le combat du bien triomphant contre un mal caricatural et caricaturé, finissent par lasser un public épris de réalisme et de scénarii plus complexes. Cela sera surtout visible au moment de son retour sur Captain America, où il développera des aventures très réactionnaires desservies par des dialogues clairement datés et bien trop rhétoriques, quoi que toujours illustrées avec un talent fou. Kirby perdra la main progressivement, échouera dans sa tentative de créer d’autres héros (comme Captain Victory, personnage d’une autre époque, durant les eighties !) avant de disparaître en février 1994; de suite transporté au panthéon du genre, un pied droit dans la légende.
Pour en savoir encore plus sur Jack Kirby, je conseille de se plonger dans "Les apocalypses de Jack Kirby" de Manuel Hirtz & Harry Morgan aux Moutons Electriques.
RépondreSupprimerTout vrai amateur de comics ne peut rester insensible à l’immense talent de Kirby, qui a été surnommé a juste titre "The King of the comics".
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