En évoquant les influences du cinéma allemand sur son art – une référence loin d'être évidente, pour un comic book peuplé de monstres, de bagarres et d'apocalypses récurrentes – Mignola explique : «Je n'ai jamais dit que je voulais faire quelque chose de ce genre, mais ce sont des films que j'ai beaucoup regardés et auxquels j'ai réagi. Depuis le début de ma carrière, j'ai utilisé beaucoup d'ombres, et la réalisation de la planche commence justement par cela. Le point de départ a toujours été le noir et blanc, et au fil des années, cela n'a fait que devenir plus contrasté encore. À partir de là, j'ai commencé à ajouter et à dessiner des angles exagérés, aux architectures et aux éléments. Pour moi, il était important de sortir Hellboy du monde réel et de le placer dans un endroit sans règles volumétriques classiques.» Malgré le fait que Mignola ne nourrisse pas d'ambitions démesurées et un nom pas vraiment rassurant, Hellboy connaît un essor assez rapide. Il ne rend pas le dessinateur riche, mais il lui permet de rester à l'écart des travaux des grandes maisons d'édition et de faire exactement ce qu'il veut. En essayant de suivre le flux des arcs narratifs au fil des ans, on se rend compte de la grande liberté que Mignola insuffle à sa créature. Contrairement à d'autres scénaristes, capables de planifier le déroulement des événements des années à l'avance, ici tout se déploie de manière organique et désordonnée, en épisodes courts suivis d'événements plus structurés. Comme si, de temps en temps, quelque chose capturait l'imagination de l'auteur et le poussait à construire une histoire autour de cela. «En ce qui concerne la popularité de mon Hellboy, tout ce que je sais, c'est que j'ai pris tout ce que j'aime et je m'en suis servi. J'ai essayé d'écrire Hellboy comme s'il était une personne normale. Pas comme un super-héros de bande dessinée. Et peut-être que cela se ressent un peu.» Une attitude de fan, totalement détachée de toute forme d'approche entrepreneuriale propre à bien de ses collègues. Mignola n'est pas McFarlane, par exemple ! Cela se reflète dans l'approche légère et désinvolte du sujet, avec un scénariste lui-même obligé d'admettre qu'il est le premier à se perdre dans la continuité désordonnée de sa créature !Les films avec Guillermo Del Toro, entre 2004 et 2008, vont achever de transformer Hellboy en un phénomène pop contemporain, et asseoir la réputation d'un Mignola, alors arrivé au pinacle.
Pour en revenir à l'album anniversaire qui est publié chez Delcourt, celui-ci commence avec le premier arc narratif, la première véritable histoire de Hellboy en plusieurs épisodes, intitulée "Les germes de la destruction". Elle permet de comprendre parfaitement quel est le ton de la série, l'ambiance, ainsi que la manière dont Hellboy est né ou pour le moins à pénétré dans notre dimension. Même chose au niveau des dessins où l'art de Mignola est déjà capable de retransmettre à merveille ce qui va faire le succès de la série dans les années à venir. Le gros pavé édité par Delcourt nous offre ensuite une sélection de récit tous indépendants les uns des autres, généralement des numéros spéciaux, parfois très courts (comme le célèbre petit interlude avec un Hellboy baby qui découvre la saveur et le plaisir des pancakes). Ils sont adaptés de contes ou de légendes à travers le monde, où il est question d'ectoplasmes, de fantômes, de lutins, de sorcières ou d'incantations démoniaques. Il ne s'agit pas d'épisodes inédits, même s'ils ont l'avantage de présenter une thématique commune, puisqu'ils développent à chaque fois une des facettes de l'univers de Hellboy, avec comme clé de lecture l'ésotérisme, le fantastique et un humour décalé qui apparaît d'une histoire à l'autre. Chacun de ces récits est introduit par une page d'explication, dans laquelle Mignola donne des détails sur la manière dont il a conçu l'histoire, avec qui (parfois même l'aide sa fille), dans quelles circonstances ; En fin d'album, on trouve tout un ensemble de bonus avec de très nombreux croquis et couvertures, qui permettent d'apprécier le trait et l'évolution d'un Mignola qui est entré dans la légende avec un personnage qui a aussi su faire une carrière brillante au cinéma. Un album qui n'apporte presque rien à ceux qui suivent fidèlement Hellboy et possèdent déjà l'intégralité de ses parutions, mais qui représente un sacré joli cadeau à ceux qui voudraient le découvrir ou le faire découvrir.
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