DAMN THEM ALL TOME 2 : SUITE ET FIN POUR LA SÉRIE DE SPURRIER ET ADLARD


 Première remarque d'importance avant d'aborder le second tome de Damn Them All (paru chez Delcourt): si vous n'avez pas lu le premier, il est inutile de commencer par celui-ci. C'est que l'histoire est assez complexe et qu'il ne fera de mal à personne de dépoussiérer un peu les événements du précédent. Pour faire simple, disons que Simon Spurrier a décidé d'écrire l'histoire idéale de Hellblazer/John Constantine qu'il avait dans ses tiroirs, depuis qu'il a quitté le personnage. Mais en remplaçant le protagoniste par Ellie "Bloody El" Hawthorne, une sorte d'anti-héroïne qui elle aussi fait des merveilles dans le domaine de l'occultisme. Le lecteur l'a rencontrée alors que son oncle, qui l'a initiée aux arcanes de l'étrange, est décédé et que 72 démons de l'Ars Goetia ont été libérés et ont investi notre monde physique (la ville de Londres, en fait). Bonne nouvelle, il suffit d'un simple artefact pour pouvoir les contrôler, s'en servir pour des basses besognes. Mauvaise nouvelle, il y a pas mal de monde sur l'affaire et certains ont des intentions beaucoup moins nobles que d'autres. Quant à Ellie, elle passe son temps à jurer, boire, se droguer, se battre et elle a souvent à portée de main un marteau rouillé, dont elle se sert pour asséner ses opinions les plus prononcées. Bref, comme vous le voyez il y a à la fois du mysticisme, de l'humour et de l'action, et le cocktail est détonnant. Ellie est aussi accompagnée par un des démons, Glasya-Labolas, qui a pris l'apparence inoffensive d'un chien et qui la suit un peu partout. Ensemble, ils tentent de défaire ce qui a malheureusement déjà été fait et de renvoyer les autres créatures de l'enfer là d'où elles sont venues. Ils auraient bien une piste, un moyen de parvenir à remplir la mission, en allant par exemple exhumer le cadavre de l'oncle Alfred et en se servant du corps, mais ils ont beau creuser, tout ce qu'ils découvrent sous terre, c'est une tombe vide, entourée de bougies magiques. Enfin, le club 500, lui, a bien d'autres objectifs pour eux : tous ces démons disponibles sur le marché sont autant d'armes à utiliser et de l'argent à faire fructifier.




Le point positif avec le second tome et la conclusion de cette série, c'est vraiment le personnage d'Ellie, la manière avec laquelle elle est représentée sans concession. Impossible de ne pas saisir la portée du nihilisme et de la radicalité de cette "héroïne" tandis que Spurrier nous étonne par quelques retournements de situation inattendus, et avec une histoire où les bons ne sont pas foncièrement bons, et où les mauvais sont plus des victimes que de véritables démons enclins à faire le mal. Par contre, le scénariste a tendance à user et abuser de petites phrases tout faites, assez creuses, d'aphorismes de bas étage, qui viennent parfois alourdir le texte et le récit. Ce n'est pas parce que le vocabulaire est riche et que la sentence semble profonde qu'il y a derrière quelque chose de réellement intelligent ou pertinent pour le lecteur. Charlie Adlard au dessin est assurément une valeur ajoutée importante pour Damn them all; son travail est ici mis en couleur par Sofie Dodgson et on se rend compte qu'il accorde plus d'importance et d'ampleur aux détails, qu'il offre des planches plus soignées et susceptibles de retenir l'œil de ceux qui habituellement le dédaigne, qu'il ne le fait par exemple avec Walking Dead, où nous sommes à un autre niveau d'abstraction. Damn them all est donc en définitive un bon moment de lecture, qui reste toutefois probablement très hermétique si vous l'envisagez d'un œil distrait et si vous ne tentez pas de tout lire d'un coup, pour bien comprendre les enjeux et en apprécier les coups de théâtre. Spurrier a bien failli se prendre les pieds dans le tapis et il aurait pu faire plus simple, mais au final, ça justifie totalement l'achat.


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TALYN LE COEUR DES TÉNÈBRES : DARK FANTASY CHEZ BLACK RIVER


 La sortie du mois chez Black River est à réserver aux amateurs de dark fantasy, de tous ces récits lugubres et gothiques, dans lesquels le jour ne se lève jamais et où l'obscurité règne sans partage, de la première à la dernière page. Talyn, c'est avant tout un personnage fort, une héroïne qui ne ressemble pas à ses collègues habituelles. On a l'habitude d'employer un terme hérité de l'anglais et qui finalement ne veut pas dire grand-chose, pour qualifier ce genre de création : badass. On pourrait traduire cela par sans compromis, coriace, agressif (pour rester poli). C'est exactement le cas pour Talyn, qui est une combattante de rue. Elle doit effectuer des séries d'affrontements qui sont de l'ordre du MMA, mais dans une version hardcore et face à de véritables monstres. On va y revenir. La lutteuse est motivée par la perte de sa sœur : la fillette a été enlevée et pour l'instant, le lecteur ignore quel a été son (tragique, forcément) destin, mais comprend très vite le sentiment de culpabilité qui anime la protagoniste, et aussi la rage qui la pousse à être violente. Nous parlions de monstres qu'elle tabasse; il faut dire que ce cœur des ténèbres est une histoire qui est située dans un univers où les simples humains comme vous et moi ne sont plus que de la piétaille et traités comme de véritables esclaves, dans une métropole dystopique qui porte le nom de Remnant. Là, ce sont plutôt les vampires ou encore les loups-garous qui font la loi; toutes ces créatures issues de la sorcellerie, de la magie démoniaque, dont nous peuplons nos contes à glacer le sang. Elles existent bel et bien et ce sont elles qui font la loi dans cet univers mis sur pieds par une équipe néo-zélandaise. 




Talyn est en effet un projet qui voit le jour grâce au financement participatif et la plateforme Kickstarter, et qui trouve ses racines en Nouvelle-Zélande (Caspian Darke et Geoffrey Rickett au scénario). J'admets que sans la version française proposée par Black River, cette histoire me serait passé complètement au-dessus de la tête. La première chose qui frappe quand on feuillette vite l'album, c'est la noirceur de chacune des pages, avec une dessinatrice dont le pseudonyme est en soi tout un programme : Banished Shadow, qui propose la plupart du temps des cases au format horizontal, étirées comme autant d'écran 16/9 permettant au lecteur de découvrir un comic book qui défile comme un long-métrage. On sent en effet l'influence de l'animation japonaise et le trait fin et direct employé par l'artiste, ainsi qu'une colorisation et un traitement digital aussi glaçant qu'efficace, permettent de coller parfaitement à un lectorat jeune, qui retrouvera probablement dans cette histoire tous les codes auxquels il est habitué. Avec des personnages forts mais aussi très inquiétants, peut-on parler de comic book féministe ? Après tout, on y rencontre une héroïne au caractère bien trempé et à l'attitude très agressive… peut-être; toujours est-il que si dans un premier temps la lecture ne m'avait pas emballé plus que ça - le tout début est consacré à un flashback et c'est la partie faible de l'ensemble - au fur et à mesure des pages, on saisit mieux où veulent venir les auteurs et on apprécie progressivement cet univers sans concession et moderne. On peut-être surpris par contre de la brièveté de l'ensemble : trois épisodes, certes complétés par une partie bonus extrêmement conséquente, qui occupe la moitié de l'ouvrage, avec interview, croquis, illustrations. On mise clairement sur le plaisir des yeux chez Black River, pour un album qui ne trouve pas en nous son public cible, mais qui probablement rencontrera ses lecteurs, sans trop de problèmes.
(Série à suivre, en trois albums, probablement)



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GANG WAR : NEW YORK EST EN GUERRE AVEC SPIDER-MAN ET SES AMIS




 Rien ne va plus à New York. En fait, on peut même dire que c'est la fin des haricots, la guerre des gangs, tout le monde tape sur tout le monde. Il n'y a plus aucun territoire en sûreté. Pour faire simple, disons que Big Apple a toujours été divisée en de nombreux clans, tenus par des criminels comme Tombstone, Hammerhead, le célèbre Wilson Fisk, ou bien encore Madame Masque. Très récemment, Tombstone (pierre tombale, tout un programme) a été sauvagement agressé et il règne une effervescence mortifère dans la ville, chacun souhaitant s'emparer des territoires du voisin. Pour ne rien arranger, les super-héros, qui habituellement mettent un peu d'ordre dans toute cette agitation, ne sont plus habilités à intervenir : une loi, qui avait été voulue par Wilson Fisk, empêche en effet les justicier de tout poil de s'en mêler, sous peine d'une arrestation immédiate. Tout ceci est valable également pour le maire de la ville, Luke Cage, qui comme vous le savez fait partie de la bande des joyeux drilles à super-pouvoirs. Après tout, il est invulnérable ou presque, il pourrait aller mettre un peu d'ordre lui-même, sauf que lorsqu'il décide de le faire, la police municipale lui intime de rentrer dans le rang et de retourner à son bureau. Du coup, que faire puisque même le premier citoyen de la ville n'a pas l'autorité pour révoquer la loi inique ? Spider-Man a bien eu idée : composer une équipe pour l'assister et éteindre les feux, au fur et à mesure qu'ils éclatent. Miles Morales, Miss Hulk, Spider-Woman, Daredevil (en fait, Elektra) ou encore la Cape et l'Epée, voici quelques-uns des protagonistes de Gang War, une nouvelle saga qui démarre en ce mois de juillet et qui va être publiée par Panini Comics, sous la forme de trois soft cover à 16 € chacun, avec aussi la version dotée de couverture rigide à 22 euros, pour les plus nantis ou les fans hardcore.




Une guerre des gangs dans l'univers Marvel, ce n'est pas une nouveauté; rappelez-vous, par exemple, la grande époque de Spider-Man avec Roger Stern. C'est d'ailleurs le Tisseur de toile qui est au centre de l'attention et c'est son scénariste actuel, Zeb Wells, qui orchestre les principaux événements de cette histoire. Tout comme son run arachnéen (pour le moment plutôt décrié), Gang War ne parvient pas à convaincre pleinement. La multiplication des personnages impliqués, l'impression que tout le monde tape sur tout le monde sans que ne se dégage une trame réellement pertinente, rend les enjeux un peu brouillons. C'est une réaction super héroïque mitigée, clairement freinée par la loi, qui est opposée aux criminels; c'est aussi une réaction au féminin, tant un grand nombre des antagonistes de ces chefs de gang vont être des héroïnes. Et même du côté des méchants, nous trouvons des figures importantes comme Janice, la nouvelle Scarabée et fille de Tombstone, désormais en équilibre entre le rachat et l'acceptation définitive de ce qu'elle est probablement vraiment. Mais aussi Madame Masque, qui a subi une cure de rajeunissement extrême, aux antipodes de ce que pouvait être le personnage dans les années 1980 avec Iron Man, où elle avait tout de même bien plus d'épaisseur. Du côté du dessin également, nous pourrions qualifier Gang War de "ni bon ni mauvais". Ce serait exagéré de dire qu'on a droit à des planches laides, mais globalement, ça manque de génie et d'inspiration. Parmi les artistes impliqués, citons Ramon Bachs, Sergio Davila et Carola Borelli… et bien entendu John Romita Jr, qu'on ne présente plus et qui aura toujours, jusqu'à la dernière planche de sa carrière, son lot de détracteurs et d'admirateurs transis, c'est selon. Au moins, avec l'idée du softcover à 16 euros, Panini permet pour un prix encore acceptable de suivre la quasi intégralité des moments forts de la saga, sans avoir besoin de contracter un prêt bancaire. Mais Spider-Man continue de traverser une période relativement anonyme, qui ne laissera guerre de traces inoubliables lorsque, la prochaine décennie, on se penchera en arrière et on analysera ce qu'il était devenu, à l'époque d'un certain Zeb Wells.



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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ET TRAVAILLER ET VIVRE


 Dans le 179e épisode de son podcast ,Le bulleur vous présente Et travailler et vivre, deuxième tome de la série Les reflets du monde que l’on doit à Fabien Toulmé et aux éditions Delcourt dans la collection Encrages. Cette semaine aussi, je reviens sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l’album Putzi, un album qui est l’adaptation d’un roman de Thomas Snégaroff qui en signe ici le scénario, mis en dessin par Louison et c’est édité chez Futuropolis


- La sortie de l’album Neuf que l’on doit au scénario de Philippe Pelaez, au dessin de Guénaël Grabowski et c’est édité chez Dargaud


- La sortie de l’album Colette, un ouragan sur la Bretagne que l’on doit au scénario de Jean-Luc Cornette, au dessin de Joub et c’est édité chez Marabulles


- La sortie de l’album Disparus, un album qui revient sur l’affaire Godard que l’on doit au scénario de Pascal Bresson, à la partie documentaire de Béatrice Merdrignac, au dessin de Samuel Figuière pour un titre paru chez Petit à petit


- La sortie de l’album Marée haute que l’on doit à Isaac Sánchez et qui est édité chez Dupuis


- La réédition sous un nouveau titre de Tous nos étés que l’on doit à Séverine Vidal pour le scénario, Victor L. Pinel pour le dessin et qui est publié chez Grand angle.



 
 

GOSPEL : LE POUVOIR FANTASTIQUE DES HISTOIRES


 Will Morris réussit à faire de Gospel une histoire vraiment bien conçue et agréable à lire, en s'appuyant sur un noyau thématique simple mais fort (le pouvoir du récit à travers les siècles, la légende qui se structure) et en l'enveloppant d'une véritable quête religieuse et d'un peu de fantasy/aventure décomplexée. Le personnage principal de cette histoire est une jeune intrépide du nom de Matilde, qui a pour principal ambition de devenir une gloire locale à Rumpstead, le village où elle habite. Il faut dire qu'elle est particulièrement entreprenante, ne semble avoir peur de rien et qu'à chaque fois qu'elle accomplit quelque chose de notable, elle peut compter sur l'aide du jeune barde local, Pitt, dont le talent principal est la capacité d'exagérer, de déformer, de rendre aussi intemporelles qu'épiques les petites prouesses du quotidien. Pitt et Matilde sont deux orphelins qui ont été recueillis dans le giron de l'Eglise, par le prêtre local, mais les temps sont durs ! Nous sommes en Angleterre au 16e siècle et la séparation de l'Église catholique romaine et de l'église Anglicane va forcément faire des dégâts, déclencher représailles et chasses au sorcières. Oui, la bande dessinée permet aussi, même dans les ouvrages les moins évidents, d'aborder des sujets et des préoccupations contemporaines. Le sort des villageois les plus pauvres, l'ignorance et la superstition, les jeux de pouvoir, sont quelques-uns des ressorts qui vont faire avancer l'action dans Gospel, une œuvre déroutante, dont on a le plaisir de dire qu'elle ne ressemble à rien d'autre aperçu ces temps derniers. 



C'est qu'à un moment donné le Diable - ou en tous les cas une créature à tête de bouc qu'on suppose tragiquement humaine - vient se mêler à cette histoire. L'église de Ruimpstead brûle et la question qui se pose et de l'abandonner pour reconstruire ailleurs, ou de résister. En mettant la main sur le marteau de Saint Rumpus, censé venir à bout de la présence infernale. En fait, tout le discours de Will Morris revient à aller chercher au fond de soi la force pour dépasser ce que l'on est censé être, puiser dans l'hubris pour atteindre une nouvelle version idéalisée de soi, ou au contraire avoir la force de renoncer à l'orgueil, choisir l'humilité de ne pas vouloir l'impossible, pour se concentrer sur le bonheur tout simple mais réel (l'amour, dans le cas de Pitt, qui va devoir prendre une décision avant qu'il soit trop tard). L'ensemble est réellement très beau, chaque planche approchant une forme de perfection formelle grandement appréciée, mise en valeur par le grand format d'Urban Comics, le même employé récemment pour Hitomi, que nous avons chroniqué également. C'est d'ailleurs tout sauf un hasard si le mot "comics" n'apparaît pas et qu'il s'agit désormais de placer les récits indépendants sous les yeux de tous les amateurs de bonne bande dessinée, dans un format et avec un standard qualitatif susceptible d'éveiller l'intérêt, bien au-delà des frontières de nos amis les super-héros. Par ailleurs, la couverture est sublime, avec cette évocation intelligente des enluminures d'autrefois, un effet relief de très bon aloi, ce qui permet d'obtenir au final un objet aussi réussi sur le fond que sur la forme (n'oublions pas des pages bonus très pertinentes sur la génèse de l'œuvre). Cela sera suffisant - ou pas - pour susciter la curiosité des lecteurs et leur donner envie d'investir 20 euros dans Gospel ? La réponse ne dépend pas de nous mais du budget de chacun et de l'envie réelle de lire en dehors des clous. Nous, on ne fait que transmettre la nouvelle, on ne peut vous obliger à rien, juste vous inciter à rester éveillés et sur le qui-vive.



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LES ÉPHÉMÈRES DE JEFF LEMIRE : LA SUITE ET LA FIN CHEZ FUTUROPOLIS


 Rien ne va plus dans la petite ville de Belle River. Les événements ont commencé à s'enchaîner lorsqu'un type un peu désespéré a décidé de dévaliser la petite épicerie du coin, et qu'il a été surpris par un jeune adolescent qui comptait y acheter des friandises. L'incompréhension, la peur, le manque de maîtrise, et le gamin a été froidement abattu d'une balle : il est désormais à l'hôpital entre la vie et la mort. Le criminel s'est enfui, il est également blessé, et s'il parvient pour l'instant à échapper à la police, il fait la rencontre d'une gamine du nom de Franny Fox. Qui est malheureuse chez elle et à l'école, victime régulière de la violence physique de son père et de ses camarades, rongée par un sentiment d'infériorité et la crainte de ne jamais trouver sa place. Les deux marginaux, en apparence si différents, se rencontrent et se retrouvent côte à côte, dans une sorte de fuite en avant qui vire au fantastique, lorsque le voleur se transforme peu un peu en un homme insecte géant. Plus exactement en éphémère. Ces petits insectes qui chaque année débarquent par millions dans la région et recouvrent le sol d'une sorte de tapis vivant. La police s'est donc lancée à la recherche de la gamine (qu'on suppose à tort kidnappée) sans savoir ce qu'elle est devenue, pour l'instant sans résultat. Jeff Lemire reprend le fil de son histoire là où il l'avait laissée, avec une étonnante dynamique, assez touchante. Et toujours un mystère épais : à savoir que viennent faire les éphémères dans ce récit et pourquoi le criminel s'est transformé de cette manière absurde et monstrueuse ? C'est que pour ce second tome (sur deux) de la série, Lemire joue la carte de l'ésotérique et du fantastique, plus encore que dans le premier. Avec une plongée dans le passé de Belle River, qui va permettre de proposer un récit qui transcende les petites existences brisées de notre histoire, et plonge les racines du drame intimiste qui se joue ici, dans la construction chaotique d'un Canada encore en devenir.




 La question fondamentale est donc la suivante : le regard singulier et touchant de Jeff Lemire fait-il mouche cette fois encore (car il faut bien le dire, à force d'appliquer encore et toujours la même recette, l'artiste canadien, qui a démultiplié les projets ces dernières années, n'est plus aussi incisif ou bouleversant qu'à ses débuts ? Il reste néanmoins capable de très belles choses, qui planent au-dessus de la mêlée). C'est globalement ce à qui se concrétise dans ce second tome publié chez Futuropolis. On peut tout de même s'interroger sur l'étrangeté du duo présenté, cette gamine malheureuse et cet adulte rongé par la culpabilité, mais auquel il est bien difficile de pardonner. Mais Lemire n'entend pas porter de jugement, juste rassembler ceux qui ont longtemps subi, qui ne sont pas les maîtres de leur destin, qui à un moment donné se reconnaissent et s'entraident. Par ailleurs, sans que ce soit présenté de manière forcée, on notera que la morale est sauve au terme de l'album. Ensuite, on trouve toujours ce style volontairement sauvage, brut, du coup extrêmement expressif, qui a fait le succès de l'artiste. On a même l'impression que les formes, les visages, sont parfois seulement ébauchés, mais il suffit d'un regard, d'une expression, pour que le lecteur se sente concerné et touché par ce qu'il observe, avec évidemment une grande parcimonie de tons et de couleurs, employés à bon escient quand il s'agit d'isoler un fait ou un objet d'importance. Nous pourrons noter aussi la présence de nombreuses pages dessinées par Shawn Kuruneru et qui correspondent à un flashback au XIXe siècle, qui permet d'expliquer à quel point les événements dépeints sont en fait imbriqués dans un destin commun, qui se joue depuis très longtemps. On ne sait plus trop donc où l'on est, au terme de "Les éphémères". Histoire réelle de science-fiction ou bien fable intimiste, peuplée de visions et de pensées symbolistes, toujours est-il que Lemire nous perd, tout simplement parce que l'on accepte de le suivre et que le plus important dans ces épisodes, c'est ce que l'on ressent, ce que le Canadien est toujours capable de nous transmettre. En soi, un énième tour de force.



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WE ARE ZOMBIES : LES MORTS-VIVANTS AU CINEMA ET CHEZ LES HUMANOS


 Alors oui, c'est vrai qu'en 2024 proposer une histoire de zombies n'a rien de vraiment très original. Mais il est tout aussi vrai que We are zombies est une de ces productions qui sortent de l'ordinaire et qui font partie de l'excellent catalogue de Métal Hurlant, la célèbre revue anthologie sur laquelle elle a vu le jour, au début des années 2000. C'est un monde un peu particulier dans lequel nous pénétrons (Los Angeles en 2064), où les morts-vivants font partie du quotidien et ont finit par trouver leur place et vivre aux côtés des bien vivants. Le problème est qu'il s'est instauré une sorte de ségrégation et que les revenants sont très souvent gênants ou "de trop". Comme le cas exemplaire d'une famille au début du récit, qui est obligé d'héberger la grand-mère maternelle, éternellement agrippée à son fauteuil et pourvoyeuse de mauvaises odeurs et de désagréments en tout genre. Donc, il faut s'en débarrasser discrètement, quitte à ne pas respecter la loi. En fait, ça tombe bien puisqu'un des personnages importants, Karl Neard, est un vieux garçon acnéique, dont les rapports avec les femmes sont quasi inexistants, et qui donne la chasse aux zombies que personne n'a envie de voir roder dans les rues ou dans la maison. Il est aidé par sa sœur (Maggie, un garçon manqué antipathique à souhait) et clairement, son manque de compétences va de paire avec une frustration immense, qui le pousse à se comporter comme un ado attardé. We are zombies est donc une série à la fois critique sur notre société mais surtout très drôle, qui fait semblant de respecter les codes du genre pour en réalité s'en moquer ouvertement, les réinventer. Un titre qui est un ensemble d'épisodes caustiques, voire décapants, et ce n'est pas un hasard si les Humanoïdes Associés ressortent le travail conjoint de Jerry Frissen et Guy Davis, puisque le 3 juillet au cinéma est sorti le film We are zombies, qui fait d'ailleurs l'objet d'un petit appendice en fin de volume, complément parfait pour se mettre dans l'ambiance.




Un des grands atouts de cette série, c'est sa capacité de proposer des personnages déjantés, attachants, losers magnifiques admirablement détestables. Frissen, qui à la base est un auteur belge, se permet de brocarder et caricaturer gentiment les siens, avec un certain Freddy Merckx, l'association de Freddie Martens et Eddy Merckx, deux anciennes gloire du cyclisme, sport national par excellence. Le type est une montagne de 150 kg qui possède une passion et une qualité indéniable : distribuer des mandales à tour de bras, pour résoudre les problèmes qui se posent à lui. Et ce n'est pas tout ! Parmi d'autres événements ou rebondissements d'importance, vous aurez des relations intimes entre des zombies et des vivants, voire même une histoire sentimentale, et des gens qui attendent le retour de Jésus à la vie, sans que celui-ci ne se manifeste réellement. Ou encore une sorte de meeting où les zombies se réunissent pour évoquer leur situation, eux qui sont désormais parfois contraints de surjouer leur propre rôle, comme par exemple manger de la chair humaine pour faire une plaisanterie, ou simplement pour se rebeller aux humains qui les méprisent. L'ensemble est dessiné par Guy Davis, dont le trait d'inspiration réaliste charge régulièrement les visages, les expressions, les situations, afin d'instaurer la juste distance qui permet de mieux amorcer le rire. Je sais bien qu'aujourd'hui il n'y a presque plus personne qui prend au sérieux ces histoires de morts-vivants et c'est la raison pour laquelle les mettre en scène de cette façon, avec autant d'ironie et d'esprit foldingue, est un des motifs évidents qui ont fait de We Are zombies le genre de titre que ceux qui "savent" apprécient et louent depuis des années. L'explication est tout entière présente dans ces pages rééditées chez les Humanoïdes, au cas où vous seriez jusqu'ici passés à côté (comme votre serviteur) de l'épiphénomène.


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PEACEMAKER TRIES HARD : BOUFFONNERIE, SATIRE ET SOLITUDE

Le super-héros ringard et super violent Christopher Smith (alias Peacemaker) sauve un chien errant après avoir neutralisé un groupe de terro...