Rien ne va plus dans la petite ville de Belle River. Les événements ont commencé à s'enchaîner lorsqu'un type un peu désespéré a décidé de dévaliser la petite épicerie du coin, et qu'il a été surpris par un jeune adolescent qui comptait y acheter des friandises. L'incompréhension, la peur, le manque de maîtrise, et le gamin a été froidement abattu d'une balle : il est désormais à l'hôpital entre la vie et la mort. Le criminel s'est enfui, il est également blessé, et s'il parvient pour l'instant à échapper à la police, il fait la rencontre d'une gamine du nom de Franny Fox. Qui est malheureuse chez elle et à l'école, victime régulière de la violence physique de son père et de ses camarades, rongée par un sentiment d'infériorité et la crainte de ne jamais trouver sa place. Les deux marginaux, en apparence si différents, se rencontrent et se retrouvent côte à côte, dans une sorte de fuite en avant qui vire au fantastique, lorsque le voleur se transforme peu un peu en un homme insecte géant. Plus exactement en éphémère. Ces petits insectes qui chaque année débarquent par millions dans la région et recouvrent le sol d'une sorte de tapis vivant. La police s'est donc lancée à la recherche de la gamine (qu'on suppose à tort kidnappée) sans savoir ce qu'elle est devenue, pour l'instant sans résultat. Jeff Lemire reprend le fil de son histoire là où il l'avait laissée, avec une étonnante dynamique, assez touchante. Et toujours un mystère épais : à savoir que viennent faire les éphémères dans ce récit et pourquoi le criminel s'est transformé de cette manière absurde et monstrueuse ? C'est que pour ce second tome (sur deux) de la série, Lemire joue la carte de l'ésotérique et du fantastique, plus encore que dans le premier. Avec une plongée dans le passé de Belle River, qui va permettre de proposer un récit qui transcende les petites existences brisées de notre histoire, et plonge les racines du drame intimiste qui se joue ici, dans la construction chaotique d'un Canada encore en devenir.
La question fondamentale est donc la suivante : le regard singulier et touchant de Jeff Lemire fait-il mouche cette fois encore (car il faut bien le dire, à force d'appliquer encore et toujours la même recette, l'artiste canadien, qui a démultiplié les projets ces dernières années, n'est plus aussi incisif ou bouleversant qu'à ses débuts ? Il reste néanmoins capable de très belles choses, qui planent au-dessus de la mêlée). C'est globalement ce à qui se concrétise dans ce second tome publié chez Futuropolis. On peut tout de même s'interroger sur l'étrangeté du duo présenté, cette gamine malheureuse et cet adulte rongé par la culpabilité, mais auquel il est bien difficile de pardonner. Mais Lemire n'entend pas porter de jugement, juste rassembler ceux qui ont longtemps subi, qui ne sont pas les maîtres de leur destin, qui à un moment donné se reconnaissent et s'entraident. Par ailleurs, sans que ce soit présenté de manière forcée, on notera que la morale est sauve au terme de l'album. Ensuite, on trouve toujours ce style volontairement sauvage, brut, du coup extrêmement expressif, qui a fait le succès de l'artiste. On a même l'impression que les formes, les visages, sont parfois seulement ébauchés, mais il suffit d'un regard, d'une expression, pour que le lecteur se sente concerné et touché par ce qu'il observe, avec évidemment une grande parcimonie de tons et de couleurs, employés à bon escient quand il s'agit d'isoler un fait ou un objet d'importance. Nous pourrons noter aussi la présence de nombreuses pages dessinées par Shawn Kuruneru et qui correspondent à un flashback au XIXe siècle, qui permet d'expliquer à quel point les événements dépeints sont en fait imbriqués dans un destin commun, qui se joue depuis très longtemps. On ne sait plus trop donc où l'on est, au terme de "Les éphémères". Histoire réelle de science-fiction ou bien fable intimiste, peuplée de visions et de pensées symbolistes, toujours est-il que Lemire nous perd, tout simplement parce que l'on accepte de le suivre et que le plus important dans ces épisodes, c'est ce que l'on ressent, ce que le Canadien est toujours capable de nous transmettre. En soi, un énième tour de force.
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