LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : CE QUE NOUS SOMMES


 Dans le 124e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Ce que nous sommes, album que l’on doit à Zep, édité chez Rue de Sèvres. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Padovaland, titre que l’on doit à Miguel Vila et aux éditions Presque lune

– La sortie de l’album Mon papa dessine des femmes nues que l’on doit à Philippe Dupuy et aux éditions Dupuis

– La sortie du premier tome de Simone intitulé Obéir c’est trahir, désobéir c’est servir, que l’on doit à Jean-Davis Morvan pour le scénario, David Evrard pour le dessin et c’est édité chez Glénat

– La sortie de l’album Maldoror et moi que l’on doit à Benoît Broyard au scénario, Laurent Richard au dessin et aux éditions Glénat

– La sortie de Scalps en série, troisième tome de la série Wild West que l’on doit à Thierry Gloris au scénario, Jacques Lamontagne au dessin et c’est édité chez Dupuis

– La sortie en intégrale de la série Le Janitor que l’on doit au scénario d’Yves Sente, au dessin de François Boucq et c’est édité chez Dargaud.






ALPHA FLIGHT L'INTÉGRALE 1984-1985 : SECOND TOME DE LA SÉRIE CULTE DE JOHN BYRNE


Une des séries les plus dingues et passionnantes des années 80 est assurément Alpha Flight, c'est-à-dire la Division Alpha, publiée à l'époque sur les pages de Strange. Le titre a longtemps été réclamé à cor et à cri par des lecteurs nostalgiques qui rêvaient de voir débarquer un bel omnibus, d'ailleurs disponible en version originale ou même en version italienne, chez Panini Italia. C'est finalement dans la collection des intégrales que nous avons eu droit à cette publication inédite en librairie, signée John Byrne. Nous voici donc arrivés au second volume qui couvre des épisodes de 1984 et 1985. Comme souvent, l'auteur canadien s'attarde sur un ou deux personnages en particulier, avant d'insérer ces vicissitudes particulières à l'intérieur du groupe. Nous retrouvons ainsi Walter Langkowski, alias Sasquatch, un savant capable de se transformer en une bête primordiale à la fourrure orange. Dans un décor hivernal et neigeux, il est aux prises avec le Super Skrull, un extraterrestre disposant de tous les pouvoirs et des caractéristiques physiques des Quatre Fantastiques ensemble. L'occasion d'un affrontement qui fait des étincelles. Walter a également noué une relation sentimentale avec Jeanne Marie Beaubier, alias Aurora, la sœur jumelle de Northstar. Celle-ci possède deux personnalités distinctes qui rendent sa situation assez fragile et délicate; elle peut passer d'une personnalité totalement décomplexée et débridée, pour ne pas dire également entreprenante avec les hommes, à celle d'une jeune femme timorée et marquée par un bigotisme effrayant, d'une timidité presque maladive. Les Alphans vont aussi se retrouver face à Omega Flight, qui est une sorte de formation parallèle au groupe de héros canadiens, faits d'individus qui n'ont pas pu l'intégrer ou qui préfèrent le mal. Il est d'ailleurs remarquable de constater combien Byrne réussit à écrire des individus dysfonctionnels, qui a priori n'ont pas grand chose à faire sur les pages d'un mensuel super-héroïque, comme Puck, le nain capable de bondir partout et qui à première vue n'a pas l'air si impressionnant que ça, ou encore Roger Bochs, alias Box, un type brillant mais cloué dans un fauteuil (puisqu'il n'a plus de jambes) avec tout ce que cela peut induire de frustration; cela dit il possède une armure métallique (Box, donc) avec laquelle il est capable de fusionner, pour intervenir sur le terrain. Ce ne sont que quelques-uns des exemples que nous rencontrons au fil des pages et des épisodes. Omega Flight permet d'écrire une des séquences les plus marquantes et bouleversantes des comics de ces années-là. En effet, au terme du grand combat face à la Division Alpha se produit un drame fondamental, qui va marquer les esprits pendant très longtemps. Byrne n'hésite pas à sacrifier des pions quand l'histoire le nécessite, il ne se contente pas de jouer petit bras; même ceux autour desquels gravite la série sont susceptibles de disparaître.



Le leader de Alpha Flight, c'est James McDonald Hudson. Il a mis au point un costume ultra moderne qui lui permet de défier la gravité, de voler, de lancer des décharges d'énergie, bref d'être un super-héros canadien qui représente fièrement son pays et guide ses compagnons vers des aventures fabuleuses. Seulement voilà, son costume est aussi une source de puissance extrêmement dangereuse, qui en cas de dysfonctionnement ou de dégâts irréversibles pourrait faire l'effet d'une bombe. Sous les yeux de sa compagne Heather, le dénommé Guardian, dont les circuits ont été irrémédiablement endommagés, va littéralement fondre sur place. Le piège tendu par un ennemi du nom de Jerry Jaxon et par la Divison Oméga est mortel. Un drame incroyable, qui se prolonge dans la première moitié silencieuse, sans aucun dialogue donc, de l'épisode suivant, où nous assistons aux conséquences psychologiques de cette mort, lors de l'enterrement. Mais il s'agit en fait d'une séquence onirique, où le rêve de Heather tourne au cauchemar. Les problèmes personnels des membres de la Division Alpha ne sont pas finis, puisque la douce Marrina, créature amphibie qui a déjà eu l'occasion d'échanger de longs baisers langoureux avec le prince Namor, va se transformer en une créature ultra agressive et monstrueuse, alors que la Division Alpha enquête sur ce qui peut bien se produire dans les eaux du lac Ontario, là où Heather a bien failli succomber a des tentacules mortels. Vous pouvez rajouter à tout ceci la menace du Maître du monde qui n'est pas écartée, et qui va mettre la main sur une Marrina totalement défigurée et remodelée, désormais beaucoup plus proche de sa nature extraterrestre originelle que celle de la douce jeune femme qui s'était développée au contact aimant d'une famille terrienne. Byrne mène sa barque tambour battant, et on saute d'une crise à une autre, d'un destin personnel à un autre, avec des héros qui présentent des failles béantes, qui tombent ou vacillent régulièrement. Le dessin est de Byrne également, autrement dit susceptibles de ravir ses fans (rondeur du trait, lisibilité remarquable) comme d'alimenter ses détracteurs (certains diront un manque de personnalité dans les visages, une certaine répétition lassante). Mais la vérité est tout simplement qu'il s'agit là d'un pan de l'histoire de Marvel, une des tentatives les plus audacieuses et surprenantes de présenter des personnages différents, des "outsiders", à partir du schéma déjà éprouvé des X-Men, mais en exacerbant plus encore l'impression qu'ils ne sont pas à la hauteur, que leur groupe flirte avec l'implosion permanente. Sur les pages de Strange, dans mes années de jeunesse, les Alphans étaient devenus mes chouchous, il y a bien une raison à cela, non?


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CAPITAINE VAUDOU TOME 1 : BARON MORT LENTE


 Chez Delcourt, on embarque sur les océans pour le premier tome de Capitaine Vaudou, une histoire située à la fin du XVIIe siècle et inspirée de l'univers d'un jeu de rôle éponyme. L'ensemble est présenté par Jean-Pierre Pécau et Darko Perovic, et a tout pour attirer le regard, car de la couverture aux pages intérieures, il s'agit d'une œuvre particulièrement léchée et esthétiquement aboutie. Nous tenons là un mélange intéressant qui télescope le récit classique de pirates avec les traditions vaudous. L'histoire débute avec la mésaventure des frères Mc Leod, deux jeunes irlandais qui sont destinés à être vendus comme esclaves, pour avoir eu le tort de se rebeller au protestantisme dominant dans leur contrée. Un des deux (Angus) meurt  assassiné durant l'abordage de leur vaisseau en haute mer, quant au jeune Cormac, lui, il se découvre une prédisposition naturelle bien étonnante, la maîtrise de pouvoirs surnaturels dont il ignore l'origine et l'étendue. Enfermé dans la cale du navire, il apprend peu un peu ce que sont les esprits vaudous les loas, à quel point ils peuvent être terrifiants, quelles sont les forces occultes qu'il serait en mesure de libérer. Il apprend aussi l'existence des zombies. Attention il ne s'agit pas ici de personnages revenus à la vie à la suite d'un virus quelconque, mais bien du zombie de la tradition vaudou, c'est-à-dire la capacité de transformer quelqu'un que l'on croit mort ou qui l'est vraiment, en une sorte de créature privée de pensées autonomes et de libre arbitre, une marionnette en chair et en os, parfois d'ailleurs en chair putréfiée, qui peut servir d'esclave ésotérique, d'homme de main, bref une arme fort utile. Ce premier tome place sur la carte tous les personnages qui vont être utiles à la compréhension de l'histoire, et bien entendu, il assume parfois des contours didactiques prononcés. Si vous ne connaissez pas grand-chose à tout ce que je viens de nommer, vous allez tout de même vite appréhender ces concepts sans grande difficulté, car tout est amené habilement au détour des dialogues et de l'ignorance de certains personnages, tout finit par être dévoilé. Ceci au point que cette cinquantaine de pages peut aussi être interprétée comme une sorte de vade-mecum pertinent sur le sujet.


Bien entendu, une telle histoire se doit d'avoir un personnage sombre, un méchant détestable et redoutable, pour prendre le lecteur dans ses filets. Ici ce sera le Baron Mort Lente, qui dès son aspect physique se présente comme une menace perfide, celui qui puise dans le vaudou et l'occultisme les moyens d'arriver à des buts peu recommandables. On le découvre menaçant, nimbé de mystère, et il permet à cet album de plonger plus loin encore dans ce rapport entre pirates et ésotérisme, qui est le vrai fil conducteur de la série. Je dois admettre que je ne connais pas le jeu de rôle qui sert de point de référence à cette bd, mais ce qui fait que je souhaitais vraiment m'y pencher, c'est le dessin de Perovic, magnifié par une mise en couleurs experte de Nurya Sayago, qui parvient à respecter les différentes phases, les différents tons de l'intrigue, avec une aisance et une évidence bluffante. Le style est réaliste, et dans le même temps épouse diablement bien les contours fantastiques et magiques d'une histoire qui peut sembler un peu décousue par moments, mais apporte tellement d'informations et de personnages en un seul tome qu'il était logique que cela se produise un peu au détriment de la fluidité de l'intrigue. Mais répétons-le, cette plongée dans les Caraïbes de la fin du XVII° siècle est envoutante et artistement très soignée. On appréciera aussi les liens qui se tissent entre différentes communautés, comme les esclaves noirs, les frères irlandais McLeod, ou encore un rabbin juif, qui apporte aussi un élément capital et ésotérique propre à ses croyances, le Golem. C'est riche, dense, ambitieux, et beau, c'est donc un achat recommandé et un titre dont on attend la suite avec une vraie curiosité. 



RETROACTIVE : RÉGULATION TEMPORELLE CHEZ LES HUMANOS


 Qui n'a jamais rêvé de pouvoir remonter le temps, et par conséquence de changer le cours des événements tragiques, pour le bien de l'humanité ou pour son propre bénéfice? C'est exactement ce en quoi constitue le métier des agents Tarik et Avery, qui travaillent pour une organisation dont l'objectif et de réguler le flux temporel, c'est-à-dire faire des bons en arrière pour empêcher tel ou tel assassinat, ou au contraire permettre à tel ou tel événement de suivre son cours, même s'il consiste en une tragédie incommensurable. Par exemple, sauver la vie d'Adolf Hitler, tout en sachant très bien ce que cela signifie par la suite. C'est par cette séquence forte que s'ouvre RetroActive; la question de savoir s'il serait légitime d'éliminer Adolf Hitler avant que les nazis ne mettent en place la solution finale, qui fait partie des fantasmes de l'humanité les plus récurrents, le point Godwin de la science-fiction par excellence. Ici c'est l'occasion d'une séquence de course poursuite particulièrement réussie, une petite leçon de storytelling de la part de l'auteur complet Ibrahim Moustafa, qui signe scénario et dessins. A partir de là, le lecteur est plongé dans un univers où le héros passe ses journées ailleurs, non pas dans le sens qu'il est dépêché sur un nouveau lieu de travail chaque jour, mais plutôt dans une nouvelle année... et parfois cela se passe mal. Lorsqu'une de ses missions tourne court et qu'il est abattu sur place par exemple, Tarik revient à son temps présent presque aussitôt, pour ensuite repartir en arrière, fort des leçons retenues de son échec précédent. Une sorte de boucle infernale qui s'installe, jusqu'à ce que la mission soit accomplie, au risque d'en perdre la boule. C'est d'autant plus difficile pour notre pauvre agent que sa mère a elle aussi perdue la sienne. Alzheimer est une maladie contre laquelle nous ne pouvons encore rien faire, si ce n'est assister en spectateur impuissant à l'inévitable.



Dans l'univers de RetroActive, tout le monde ne peut pas se targuer de la faculté d'opérer ainsi dans le temps. Il existe cinq bases dans le monde, appartenant à cinq des plus grandes puissances géopolitiques (pas la France, c'est dit, mais la Russie ou la Chine, bien sûr), et le soin de remettre de l'ordre dans le cours du temps est alors aussi une arme, comme peut l'être le nucléaire. Utilisée à mauvais escient, cela pourrait signifier une catastrophe mondiale, une réaction en chaîne à travers des enchaînements de causes à effets erronés. Tarik fait donc partie de ceux qui veillent au grain, et peu importe s'il faut sauver un dictateur, ou abattre soi-même le président Kennedy, une mission est une mission, on ne la discute pas, jamais. Et si un autre agent finit par trahir, se corrompre, on lui donne la chasse, on l'élimine. Le problème avec les histoires de balades temporelles, c'est qu'il arrive toujours le moment où le lecteur se croit plus intelligent que le scénariste; il finit par trouver des incohérences, relever des éléments qui indiquent un dysfonctionnement et par conséquent, il rejette la faute sur celui qui a écrit l'histoire. Ici la tentation est parfois grande, mais il faut attendre la fin du récit pour comprendre un peu mieux ou veut en venir Ibrahim Moustafa, qui d'ailleurs a aussi l'intelligence de présenter des personnages bien caractérisés, très humanisés. On s'attache ainsi assez rapidement à Tarik, sa propre problématique familiale, son intransigeance et son honnêteté professionnelle. Comme le tout est dessiné avec beaucoup de brio, dans un style qui n'est pas sans rappeler par endroits des artistes comme Leinil Yu ou Jerome Opena, voire même aussi un peu d'Olivier Coipel, on peut assez facilement prendre beaucoup de plaisir à la lecture d'un album qui se suffit à lui-même, et aborde un sujet déjà maintes fois traité, tout en parvenant à éviter l'écueil de l'ennui et de la redondance. C'est donc une lecture hautement recommandable, comme d'ailleurs tout ce qui sort ces temps derniers chez les humanos et son étiquette comics originaux (H1) dont on aime beaucoup suivre l'évolution.




THE BATMAN DE MATT REEVES : COLÈRE SOCIALE ET PETITES DEVINETTES


Quand vous rentrez dans la salle pour voir le film de Matt Reeves, il faut vous attendre à une plongée dans l'obscurité totale, d'une durée de presque trois heures. Le film se déroule la nuit, dans l'obscurité complète, à peine trouée par l'éclairage blafard d'une ville de Gotham qui semble dévorée par le vice, les néons faiblards, et une atmosphère poisseuse où se détache une pluie incessante. C'est dans ce cadre peu enchanteur qu'évolue une chauve-souris implacable du nom de Batman. Cela fait deux ans qu'il exerce ses activités de justicier et qu'il bénéficie d'un soutien vraiment très précieux au sein même de la police locale, avec un commissaire Gordon qui lui permet d'être présent sur les scènes de crime et l'aide notablement dans sa mission. Je parle principalement de Batman, car dans ce film il semblerait que ce soit lui qui représente la personnalité dominante, et que Bruce Wayne ne soit qu'un masque à porter durant le jour, pour donner le change, avoir un semblant de vie sociale, qui ressemble d'ailleurs à un calvaire, une obligation à laquelle il faut bien se plier pour avoir le droit d'exister parmi les hommes. Ce Batman là est très terre-à-terre, il a rien d'un super-héros capable de combattre Darkseid aux côtés de la Justice League; c'est une présence menaçante, un spectre incarné dont les pas résonnent d'un rythme martial sourd, alors que la silhouette se détache de l'ombre pour fondre sur ceux qui le méritent. La plupart du temps tout ceci se traduit par des combats où les coups sont tout autant donnés que reçus, par un Batman animé d'une rage quasi psychotique. Un film humain donc, et absolument pas super humain. Un film où l'ennemi ne vient pas d'une autre planète, ni ne possède de super pouvoirs, mais plutôt est l'émanation -tout comme dans le joker de Todd Phillips- de ce que notre société a su produire d'exclus, d'individus rejetés. En somme, ceux qui vivent en marge du système, avec l'envie d'en occuper un jour le centre, avec la conscience que ce ne sera jamais possible. Le ressentiment, la jalousie, le déclassement social et l'invisibilité sont autant de moteurs qui produisent un ennemi inédit, dont toute la dangerosité réside dans la capacité de tisser des plans machiavéliques, d'anticiper les faits et gestes de ses futures victimes. Toutes les cibles font partie des notables de la ville, ceux qui sont les plus corrompus, ceux qui un jour volontairement ou involontairement ont renoncé à leurs principes, pour empocher d'incommensurables pots de vin, ceux qui ont fait le nid de la corruption, notamment à travers un grand programme de réhabilitation de la ville de Gotham, dont l'un des principaux promoteurs fut le père de Bruce Wayne. Cet ennemi a donc grandi au sein de la cité, héritage pervers de son incapacité à inclure. Et quand "The Riddler" frappe de manière terrifiante, avec une série de devinettes tordues qui anticipent le méfait suivant, une partie du public ne pourra s'empêcher de penser que quelque part, certains de ces types-là l'ont bien mérité. Oui mais voilà, on ne peut-être juge et bourreau dans le même temps, sans avoir très souvent un problème de délire paranoïaque des plus préoccupants. Non pas que Batman lui, soit un parangon d'équilibre mental...



Il y a dans ce film un jeu du regard qu'il est important de mettre en évidence, comme si au-delà de l'enquête elle-même, l'espionnage et l'interprétation subjective étaient aussi des éléments importants, à placer au service de l'intrigue. C'est d'ailleurs la perception du Riddler (Paul Dano) qui observe à travers des jumelles, qui ouvre The Batman. On y trouve aussi un justicier qui épie Catwoman par la fenêtre, alors qu'elle se change et endosse son costume en latex, dans une pause particulièrement érotisée. Sans oublier ces lentilles ultra sophistiquées qui servent de "caméra embarquée" au Dark Knight, lui permettant de voir, et donc de savoir, sans être vu, donc sans que ça se sache. L'enquête suit un peu le modèle du Zodiac de Fincher, mais ici l'assassin souhaite à un moment donné qu'on en finisse et être capturé; c'est essentiel pour parachever son plan machiavélique et pour placer ceux qu'il estime responsables de la situation devant leurs responsabilités. Car la fange qui n'a rien subit les malversations de ceux qui se partagent tout. Le Pingouin (Colin Farrell), Carmine Falcone (John Turturro), la police corrompue, c'est un véritable mille-feuilles de malversations qui explique comment et pourquoi une ville entière subit les ravages d'une disparité sociale économique, qui engendre chaos et violence. Et Batman dans tout cela? On s'intéresse généralement aux costumes, qui sont la première manifestation évidente et extérieure de ce qu'est un super-héros, quand il est adapté à l'écran. C'est pire encore quand il s'agit d'une énième adaptation, et que se met en branle le jeu des comparaisons. Ici, est-ce bien important, puisque le plus clair du temps Batman évolue dans l'ombre... Si on peut émettre des réserves sur une cape qui a l'air parfois plus encombrante qu'autre chose (sauf lorsqu'il s'agit de planer maladroitement comme une véritable chauve-souris) on apprécie les quelques évolutions vers l'épure, qui tendent vers un personnage plus urbain, clairement plus fragile et vulnérable. Robert Pattinson était un peu le talon d'achille du projet, à en croire l'avis de pas mal de monde; il n'a pas la carrure, il n'a pas le charisme. Sauf qu'en réalité, ce Batman, ou plutôt ce Bruce Wayne factice, qui ne semble exister que lorsqu'il possède une cagoule sur la tête et un batarang dans les poches, est tout à fait crédible! C'est un Batman qui ne masque pas ses failles, et qui au contraire doit les utiliser, pour se hisser au-dessus de la mêlée. Peut-être moins puissant et omniscient, mais assurément plus tragique et dramatique. Face à lui, une Catwoman (Zöe Kravitz) dénuée de ses côtés baroques et de ses atours pompiers, et elle aussi plutôt réussie. Le film dure donc presque trois heures, mais achève le tour de force de rester tendu comme une corde de violon, d'un bout à l'autre. La colère rentrée gronde sourdement et explose par endroits, terrifiante. C'est à la fois un film de super-héros pas si supers, ni même complètement héroïques, et un brûlot politique et social qui dépeint une réalité dystopique, finalement pas si éloignée de la nôtre. C'est un film angoissant, parce qu'il est le reflet de ce que nous pourrions vivre, et que probablement nous vivons déjà, même si de manière moins spectacularisée. The Batman est une franche réussite, c'est indéniable et pourtant, il était permis d'en douter. Plus maintenant.




VIETNAM JOURNAL DE DON LOMAX : VOLUME 4 CHEZ DELIRIUM


 Il y a plusieurs façons de raconter la guerre dans un comic book. On peut choisir de se concentrer sur un personnage hors norme, presque invincible, comme Frank Castle lors de ses nombreux séjours au Vietnam, ou Tony Stark, blessé et capturé par un général Việt Cộng, et qui parvient à s'échapper en inventant une armure fabuleuse. On peut aussi se concentrer sur la description crue de la réalité, coller au plus près au fait et à l'atrocité absurde du conflit. C'est dans ce sillon que Don Lomax creuse sa carrière, avec le Vietnam Journal publié en français chez Delirium, notamment. L'artiste sait de quoi il parle puisqu'au milieu des années 60 il a servi au Vietnam, et qu'il est ensuite rentré aux États-Unis avec la ferme intention de chroniquer les expériences des soldats, tel que vécues sur le terrain. La force de Lomax, c'est de ne pas forcément juger, ou en tous les cas asséner une bonne grosse morale aux lecteurs; nous sommes ici dans la comptabilité des événements, la présentation d'anecdotes, de faits d'armes, de tragédies humaines, où la plupart du temps le jugement de valeur est suspendu et où c'est au lecteur de se forger une impression, sachant que dans ce type de théâtre de guerre, l'humanité même perd de sa substance, de sa signification. Lomax utilise le personnage de Scott Nethhammer, que tout le monde au front surnomme "Journal" et qui est envoyé couvrir la guerre du Vietnam directement sur le terrain, au milieu des soldats qui risquent leur vie jour après jour. Si lui n'est pas censé se saisir d'une mitraillette et défourailler en pleine jungle (il reste un civil), Scott partage les mêmes tristes expériences, et c'est la cruauté et l'absurdité dans toute sa splendeur qui sont ses compagnes. Un personnage qui possède ses faiblesses, comme on le voit lorsqu'il est atteint d'un accès de sueur et de tremblements à bord d'un hélicoptère, lors de ce qui est pourtant une journée "relativement calme", ou lorsqu'il a du mal à accepter le suicide d'un soldat poussé au désespoir parce qu'il vient de vivre, et qui se jette du haut de l'avion qui l'a tout juste sorti du bourbier. Journal part se saouler dans un bar, et sa conscience réclame une pause, l'oubli, écrasée par l'horreur banalisée. 



Chronique d'une guerre absurde, d'une guerre effroyable. Comme si vous y étiez. Les détails sont légions, aussi bien au niveau du déploiement des forces militaires, des stratégies mises en œuvre, que de ces épisodes vécus par des troupes dépassées, qui semblent banaliser l'innommable, car c'est la seule manière de pouvoir aller de l'avant, quand chaque pas vous rapproche sensiblement de la mort. D'ailleurs les planches très fouillées et chargées en informations (y compris au niveau du texte) correspondent bien à ce qui est en jeu dans cette jungle hostile, à savoir le danger dissimulé derrière chaque fourré, l'impossibilité de voir un horizon dégagé, étouffé dans une promiscuité anxiogène. Et dès qu'on prend enfin de la hauteur, par hélicoptère par exemple, c'est pour s'exposer aux tirs sol-air, au crash, ou pire encore à la capture par l'ennemi, qui donne l'occasion, dans ce quatrième volume, d'un épisode terrifiant et poignant, dans lequel des soldats américains sont torturés mais tentent de s'enfuir, avant de connaître un destin bien cruel. Pourtant ces mêmes américains possèdent un matériel bien plus sophistiqué en apparence, avec entre autres l'apparition dans ce tome d'un nouveau modèle d'hélicoptère offensif à la puissance de feu redoutable, mais les forces Việt Cộng investissent les espaces, semblent apparaître de nulle part, ont l'avantage du terrain et prennent les assaillants occidentaux dans leur toile mortifère. Les épisodes, depuis le tout premier de la série, semblent se ressembler et induire une certaine répétition, qui n'est jamais inutile ou ennuyeuse, car il se passe toujours quelque chose, au fur et à mesure que le calendrier progresse, qui bouleverse le lecteur, lui retourne les tripes, le fait trembler pour ces pauvres vies sans importance, ces pions sacrifiés sur l'autel de la géopolitique la plus aveugle. Puisque l'histoire est narrée à partir du centre de gravité qu'est Journal, on peut aussi rencontrer la solidarité, le miracle de la fraternité et de la solidarité, en arriver à respecter ou au moins à comprendre des individus qui sont pourtant loin d'être sans reproche. Mais tout le monde ne s'adonne pas au viol impunément (par deux fois dans ces pages) ou ne cède pas à la violence gratuite, il reste encore un code de guerre, qui en fait est juste un souffle d'humanité, de compassion, qui est la ressource ultime pour ne pas perdre la tête et succomber à la barbarie de la violence gratuite. La stupeur, le dégoût, l'effroi, se lisent très bien sur les visages qu'offre Don Lomax, qui parvient à ce tour de force remarquable: faire d'une des pires pages d'inhumanité du vingtième siècle, un vaste théâtre pathétique et absurde, où seule l'humanité peut apporter un répit, une lueur dans la nuit. Le Vietnam Journal, c'est avant tout de la grande bande dessinée, à l'échelle de l'homme, dans ce qu'il a de pire, et même de meilleur. 



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LES DAMES DE KIMOTO


 Dans le 123e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Les dames de Kimoto, album que l’on doit à Cyril Bonin, adapté du roman de Sawako Ariyoshi, édité chez Sarbacane. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Dérives que l’on doit à Alexis Bacci et aux éditions Glénat

– La sortie de l’album Pygmalion et la vierge d’ivoire que l’on doit au scénario de Serge Le tendre, au dessin de Frédéric Peynet et c’est édité chez Dargaud

– La sortie de l’album L’obsession du pouvoir que l’on doit au scénario du duo Gérard Davet et Fabrice Lhomme, au dessin de Pierre Van Hove et c’est édité chez Delcourt

– La sortie de l’album Musidora que l’on doit au scénario d’Arnaud Delalande, au dessin de Nicolas Puzenat et c’est édité chez Robinson

– La sortie de la seconde et dernière partie de Gentlemind, série que l’on doit au scénario de Térésa Valero et Juan Diaz Canales, au dessin d’Antonio Lapone et c’est édité chez Dargaud

– La sortie d’une intégrale Pain d’alouette, album que l’on doit à Christian Lax et aux éditions Futuropolis



HEROES REBORN : L'OMNIBUS XXL CHEZ PANINI COMICS



L'intégralité de Heroes Reborn, dans un seul et immense omnibus, c'est désormais une réalité. Cette période si particulière de l'histoire de la maison des idées recoupe quatre séries différentes, à savoir Fantastic Four de Brandon Choi, Jim Lee et Scott Williams - Iron Man de Scott Lobdell, Jim Lee, Whilce Portacio et Scott Williams - Captain America de Rob Liefeld et Jeph Loeb - Avengers de Rob Liefeld, Jim Valentino et Chap Yaep. Entre la fin des années 80 et le début des années 90, une nouvelle génération  de dessinateurs fait son entrée sur la scène des comics  super-héroïques, et ils deviennent vite plus populaires que les personnages eux-mêmes. Todd McFarlane sur Amazing Spider-Man, Jim Lee sur Uncanny X-Men et Rob Liefeld sur New Mutants proposent une approche graphique innovante, débordante d'énergie. De l'adrénaline à l'état pur. Ils explosent l'organisation traditionnelle des planches, qui débordent d'action, regorgent d'anatomies hypertrophiées et de héros et héroïnes hypersexualisés. L'histoire passe au second plan, la claque visuelle devient la règle.  Mais chez Marvel, les artistes ne sont pas les propriétaires de leurs créations, des séries sur lesquelles ils travaillent, ce qui a pour conséquence une perte de gains importante. D'où l'idée d'aller voir ailleurs, de créer une nouvelle maison d'édition (Image Comics), dont les nouveaux titres pompent d'ailleurs sans vergogne ceux de Marvel (WildCats et les X-Men, en exemple parfait). Qui finit par réagir à la baisse des ventes et à la nécessité de relancer l'intérêt pour ses parutions, en faisant appel aux sécessionistes! Quoi de mieux que de donner carte blanche aux anciens prodiges depuis installés à leur compte, pour sauver les meubles et inventer quelque chose de radicalement inédit? Les studios Wildstorm de Jim Lee récupèrent Fantastic Four et Iron Man, tandis que les studios Extreme de Rob Liefeld tournent leurs attentions vers Avengers et Captain America. Pour la première fois de son histoire Marvel accepte de ne pas produire certains de ses titres les plus traditionnels, les sous-traitant en fait à des studios externes qui se chargent de les insérer dans l'ère du temps des années 90, grâce au "Style Image" éprouvé. L'événement éditorial qui a caractérisé cette décision est entré dans l'histoire sous le nom de Heroes Reborn, c'est à dire la renaissance des héros. L'excuse pour parvenir à tout ceci a été fournie par Onslaught, le cross-over Marvel de l'été 96 développé principalement sur les titres des X-Men, et des Avengers et dérivés. Le méchant qui a donné son nom à l'histoire est une fusion involontaire des pouvoirs psychiques de Charles Xavier, dont l'esprit avait absorbé la personnalité de Magneto, avec ceux sur le magnétisme de ce dernier, générant un monstre qui menaçait de détruire tout l'univers Marvel. Après avoir affronté pratiquement tous les héros disponibles sur la place, Onslaught a été dompté par l'intervention combinée des X-Men, des Avengers et des Fantastic Four, ces deux derniers groupes ayant sacrifié leur vie pour finalement éliminer l'entité maléfique. En réalité, les héros n'étaient pas morts : Franklin Richards, le puissant fils mutant de Reed et Sue Richards, avait créé une dimension de poche, un univers alternatif dans lequel entraîner tout ce beau monde juste avant le trépas. Ainsi, alors que le reste de l'univers Marvel pleurait leur disparition et honorait leur sacrifice, les Vengeurs et les Quatre Fantastiques renaissaient dans un autre univers narratif, semblable à celui d'où ils venaient, mais différent. Les héros ont revécu leur vie depuis le début, ignorant leur passé, une opportunité unique pour gommer certains points noirs, insérer de nouveaux éléments plus "modernes", et pour les rendre attrayants aux yeux des nouveaux lecteurs vierges d'expériences super-héroïques. 



Opération rénovation alors, coup de torchon sur la poussière, et autre interventions esthétiques. Dans les six premiers numéros de Fantastic Four, Jim Lee a raconté les origines du quatuor, aidé par son vieil ami Brandon Choi aux dialogues, donnant aux lecteurs non seulement sa version de Reed, Sue, Ben et Johnny, mais aussi celles de personnages comme Fatalis, Namor, Galactus, Silver Surfer et Black Panther. La naissance des Quatre Fantastiques a été modernisée, éliminant pour la première fois l'élément vintage de la course à l'espace dans une fusée approximative, au profit d'une mission parmi les étoiles, sous l'égide du S.H.I.E.L.D., qui s'est évidemment mal terminée. Tout le premier arc narratif est en réalité une relecture du mythe explosive et somptueuse, un hommage au travail de Stan Lee et Jack Kirby. Dans Iron Man aussi, les auteurs ont pris soin d'actualiser les origines d'un personnage qui, en l'occurrence, trouve ses racines dans les interventions guerrières américaines en Corée et au Vietnam des années 1960. L'armure est toujours l'idée de Tony Stark, mais le contexte a complètement changé. Stark est le leader d'un groupe de scientifiques brillants, amis depuis l'université, qui se font appeler les "Chevaliers Atomiques de la Table Ronde" : outre Stark, Bruce Banner, Reed Richards, Victor Von Doom et Hank Pym en font partie. Plus Rebel O'Reilly, le seul du consortium à être originaire de ce nouveau monde. Lorsque Tony teste une armure futuriste avec Rebel aux commandes, causant involontairement sa mort, les Chevaliers se séparent et chacun suit son propre chemin. Stark va par la suite se frotter à Hulk, surdopé aux rayons gamma, comme le veut la coutume. De toutes les séries de La renaissance des héros, Iron Man est sans doute la meilleure, aussi bien grâce aux intrigues imaginées par Jim Lee et Scott Lobdell, à l'époque démiurge des titres mutants, que parce qu'elle était la plus innovante, grâce à la caractérisation d'un Tony Stark qui commençait à se rapprocher de celle du nouveau millénaire, et pour une révision esthétique de poids de la technologie de l'armure, confiée à un Whilce Portacio en état de grâce. Le Captain America de Rob Liefeld est lui une déclaration d'amour au personnage, un effort généreux parasité par les limites artistiques bien connues du bon vieux Rob. Néanmoins, entre les exagérations anatomiques et les poses invraisemblables on remarque aussi  des idées très intéressantes. Tout d'abord, Captain America n'est pas retrouvé en animation suspendue dans la glace comme le veut la tradition, mais il vit dans une banlieue en périphérie, inconscient de son passé de Sentinelle de la liberté, travaillant comme ouvrier et père de famille. Mais c'est un mensonge, semblable à celui vécu par Arnold Schwarzenegger dans le film Total Recall de Paul Verhoeven. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Steve Rogers avait critiqué le largage de bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, défiant violemment le président Truman. Ce geste lui avait coûté une "mise au placard", avec l'annulation de ses souvenirs et le début d'une fausse vie. Il récupère alors son identité juste à temps pour faire face à la menace d'une cellule nazie, derrière laquelle se cachent d'anciennes menaces telles que le Baron Zemo, Master Man et le Crâne Rouge. Liefeld a également insufflé cet enthousiasme dans Avengers, l'autre publication dirigée par ses Extreme Studios, dans laquelle il a collaboré avec Jim Valentino et plus tard Jeph Loeb, partageant aussi le dessin avec un élève très peu doué, Chap Yaep, et avec une jeune star de ces années-là, Ian Churchill. Yaep, c'est vraiment horrible, limite dégueulasse!  Le groupe comprenait des monuments comme Captain America, Thor, Iron Man, Scarlet Witch, Vision, Hawkeye, réinterprétés à la sauce peu délicate d'Extreme Studios. L'intrigue tournait autour des manigances de Loki, là aussi un passage obligé quand on affronte un titre Vengeur. Liefeld a introduit des innovations intéressantes qui seront plus tard reprises dans d'autres domaines: les Avengers ne sont plus un groupe de héros qui se rencontrent au hasard lors de leur première mission, mais une équipe d'agents super-gouvernementaux sous les ordres du Shield, 16 ans avant que la même dynamique ne soit racontée sur grand écran ou un peu plus tôt explorée dans le monde des Ultimates.



Au final, Heroes Reborn est un énorme succès. Au début. Au bout de six mois, Jim Lee devient architecte unique du projet, puisque les studios de Rob Liefeld sont dessaisis de leurs titres. L'histoire commence à patiner, les planches à se détériorer, et on sent que le soufflé de la nouveauté menace de s'effondrer d'un mois à l'autre. Avec Heroes Return, Marvel allait tirer un trait sur une tentative avortée de changer la donne à jamais, artistiquement intrigante et audacieuse. Aujourd'hui la question n'est même plus de savoir si la qualité est au rendez-vous, ou s'il s'agit d'épisodes de mauvais goût; c'est devenu un pan nécessaire de l'histoire de la Maison des Idées, un témoignage historique de premier ordre, qui n'avait jamais été publié en librairie, avant cet Omnibus mastodonte. Qui va en réjouir beaucoup! 



L'ENFER POUR AUBE TOME 1 : PARIS APACHE (CHEZ SOLEIL)


 À Paris, le début du 20e siècle est marqué par l'apparition du métropolitain (le métro, quoi). Alors que les premières lignes sont gérées par la municipalité, la grande ligne Nord-Sud est confiée à des intérêts privés. Tout pourrait aller pour le mieux, s'il n'y avait ce mystérieux assassin à l'écharpe rouge, qui virevolte sur les toits et les ponts de la ville, et s'introduit à bord d'une rame, pour accomplir un nouveau méfait. Ils s'en prend exclusivement aux notables de la ville, cette catégorie de nantis qui prospère alors que le petit peuple meurt de faim. Touche personnelle, à chaque fois il laisse dans la bouche de ses victimes un louis d'or. Insaisissable, excellent acrobate, le meurtrier parvient toujours à déjouer les plans de ceux qui tentent de le capturer. Tout ceci s'insère dans une bande dessinée minutieuse et documentée. La reconstitution historique est importante dans L' Enfer pour Aube, nous sommes vraiment plongés dans une capitale tentaculaire, qui grouille d'une humanité pas toujours reluisante. C'est que la Commune est passée par là, une trentaine d'années auparavant, et les traces qu'elle a laissées sont encore présentes, aussi bien dans les esprits que dans l'organisation sociale de la cité elle-même. Les travaux faramineux entrepris aussi bien pour le métro que pour la rénovation de l'architecture urbaine ont nécessité beaucoup de main d'œuvre, et l'arrivée de fort nombreux bretons, qui sont méprisés et considéré comme des "nègres blancs", selon l'expression raciste en usage alors, exacerbe les tensions Il règne un ostracisme, un mépris si profond envers ces manœuvres infatigables, qui ne fait qu'alimenter et engendrer la violence. Celle-ci est souvent l'apanage des Apaches, c'est-à-dire c'est une bande de malfrats qui sillonne les rues, dans une tenue assez particulière, puisque ornée d'une large ceinture rouge à la taille, et de pantalons à pattes d'éléphant. Philippe Pelaez réussit le tour de force le présenter une histoire (et aussi une Histoire) passionnante, qui mêle enquête et constat social et historique implacable. 



La restitution du contexte social et historique est tout simplement excellente. Nous trouvons dans cette bande dessinée de fausses couvertures du célèbre quotidien "le Petit Journal" qui viennent confirmer et étoffer les événements narrés dans les pages précédentes. Nous trouvons aussi en fin d'ouvrage quelques petits articles qui éclaircissent certains des points abordés. Le dessin également se met au diapason. Tiburce Oger parvient a créer une ambiance totalement envoûtante; chacune des vignettes est particulièrement fouillée, le détail est omniprésent jusqu'au drapé des vêtements ou des capes, alors que l'ensemble est présenté sur un lavis de gris élégant, qui donne une patine évidente à cette œuvre, avec par endroits des touches rouges carmin, notamment lorsqu'il s'agit de mettre en évidence le foulard ou la ceinture des criminels, le sang qui coule ou quelques petits détails propres à servir l'histoire. Ne négligeons pas non plus l'emploi d'une langue appropriée, l'utilisation de cet argot et des termes de la rue qui fleurent bon les pavés parisiens d'antan. Le côté enquête également n'est pas négligé, et après avoir semé un peu de confusion et quelques fausses pistes, la révélation par Pelaez de l'identité du maître criminel, à peine énoncée, est elle aussi sujette à une remise en perspective rapide, qui fait que l'on doute toujours autant à la fin de ce premier tome (il y en en aura deux au total). Il y a de la violence dans ces pages, mais ce n'est pas une violence gratuite, plutôt disons une violence inéluctable, celle qui prospère lorsque des couches de populations se superposent mais restent à jamais hétérogènes, sans la possibilité pour l'une de se fondre dans l'autre. Un rapport vertical de la société intéressant d'ailleurs, puisque l'histoire commence avec un assassinat perpétré depuis un pont, avec le saut risqué et expert du meurtrier, qui par ailleurs est un acrobate hors pair, c'est-à-dire celui qui voltige d'une classe à l'autre, qui est à l'aise et en même temps insaisissable chez et pour tout le monde. C'est un Paris en transformation que nous découvrons au début du 20e siècle, avec le progrès technique et l'urbanisation systématique et systémique, qui permet certes d'assainir de très nombreux quartiers, mais qui en même temps détruit une partie de l'âme parisienne et surtout porte atteinte aux conditions de vie déjà bien précaires d'une partie de la population. Pour en savoir plus, je vous recommande de lire le roman d'Émile Zola, la Curée. Très intéressant également le fait d'avoir pris le temps d'expliquer qu'une grande partie de la révolte des couches populaires, lors de la Commune, a été matée et jugée très sévèrement par d'autres pauvres, qui auraient eu tout intérêt à participer eux aussi, ou en tous les cas à se montrer plus revendicateurs, mais qui ont très vite tourner le dos à l'agitation sociale. Ce qui ne fait que confirmer que la guerre intestine entre personnes infortunées ne date pas d'aujourd'hui; il y a toujours un plus pauvre et un plus malchanceux que soi sur qui se retourner, quand on souhaite exercer un tout petit peu de pouvoir. L'ensemble est présenté dans un superbe écrin, la couverture est tout simplement magnifique, vaguement art déco, et la conclusion est imparable : une des plus belles et plus intelligentes bandes dessinées du premier semestre est arrivée chez Soleil. Allez vite découvrir cela chez votre fournisseur de confiance! 






BATMAN DETECTIVE TOME 1 : VISIONS DE VIOLENCE


Comme vous le savez tous, Bruce Wayne n'est pas du genre à avoir besoin du chèque énergie pour atteindre la fins du mois; sa fortune est colossale, et c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles Batman, son alter ego costumé, dispose d'un tel arsenal, à la pointe du progrès. Seulement voilà, depuis les événements de Joker War, Bruce Wayne a perdu sa fortune et il doit désormais mener une existence beaucoup plus humble, au point d'avoir installé sa bat-cave dans le réseau des égouts désaffectés de la ville de Gotham. Pendant ce temps-là, un nouveau maire s'est installé à la mairie, un certain Nakano, qui ne se montre pas très disposé à collaborer avec le justicier le plus célèbre de sa cité; pire encore, une vague de meurtres survient à Gotham, sans qu'il soit possible de comprendre les motivations du ou des assassins. Le problème est qu'une des victimes est la fille d'un des plus célèbres gros entrepreneurs locaux, Roland Worth, celui que l'on nomme le roi du bâtiment. Une sorte de colosse qui voue une haine féroce à pas mal de monde, y compris envers Bruce Wayne. Nous sommes bel et bien dans une aventure du "détective" plus que du "super-héros"; d'ailleurs on voit assez peu Batman et presque plus le quotidien de Bruce Wayne, qui est même à un moment donné accusé de meurtre, et qui va devoir déjouer une machination à son encontre. Il n'est pas tout seul puisqu'un une autre justicier dans la ville pourrait bien lui prêter main-forte. Vous connaissez probablement Huntress, alias Helena Bertinelli, qui nous est ici présentée comme une héroïne solitaire, dont quasiment tous les affects finissent par trouver un destin tragique. Elle était parvenue à se lier d'amitié avec une femme victime de violences conjugales, mais elle aussi a été retrouvée assassinée... Mariko Tamaki enserre peu à peu tous ces personnages dans une suite de rebondissements concentriques, avant que fatalement il soit possible de déduire quelque chose de plus clair, de comprendre que la piste principale amène jusqu'à l'Hôtel de Ville de Gotham, et l'équipe qui gouverne la ville. 




Il est question de virus, ou plus exactement d'un agent pathogène transmissible d'une personne à une autre, et hébergé par un individu au dessus des soupçons. D'une vague de folie furieuse qui assaille les victimes, et deviennent ainsi des monstres. Bref, la résolution de l'histoire est en soi assez classique, et l'enquête est (pardonnez le jeu de mot) parasitée par un choix narratif qui n'est pas des meilleurs. Ce qui est positif, c'est ce Bruce Wayne qui ne possède plus grand chose (même offrir une bouteille de scotch lui cause quelques regrets) et perd encore plus au fil des épisodes. C'est un sale moment pour le play-boy aux moyens autrefois illimités, qui va même croupir quelques nuits en garde à vue, au milieu de la faune avinée de Gotham.  Il est intéressant aussi de voir Huntress bien mise en avant, en tant que co-protagoniste de cet album, même si encore une fois la manière d'amener jusqu'à elle ce virus/pararasite est maladroit et discutable. Le dessin de tous ces numéros est globalement à répartir entre Dan Mora et Victor Bogdanovic. Le premier est une excellente synthèse entre le manga et le comics américain à la Romita Jr. Indéniablement un excellent artiste, quelqu'un sur qui compter pour un story-telling de qualité et même des splash page très suggestives. Le second a un trait un peu plus caricatural. Dans les visages, les expressions (la bouche surtout) on trouve un peu de Greg Capullo, mais moins précis et soigné. Comme s'il y avait un potentiel encore à affiner, à préciser. Tout cela donne un premier tome assez agréable pour la série Batman Detective, encore que je ne sois pas un fan inconditionnel du travail de Mariko Tamaki lorsqu'elle fait joujou avec des super-héros "classiques". Mention assez bien, mais ce n'est pas la série la meilleure de la nouvelle ère Infinite. 




UNIVERSCOMICS #21 : MARS 2022 COMICS & THE CITY

 



🔥🔥🔥 UniversComics Le Mag' #21 Mars 2022
84 pages. Gratuit.
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"Comics & Super-héros urbains"
* Dossier Moon Knight. Découvrez le Chevalier de la Lune.
* Guide de lecture "urbaines". Des récits qui vous plongent dans une ambiance glauque!
* Punisher/Moon Knight, théâtre d'opérations psychiques, avec #AnthonyHuard
* Powers, retour sur #JessicaJones avec #AlexandreChierchia
* Freud & les super-héros. Ouvrage passionnant et entretien avec Anthony Huard
* Le cahier critique. On vous présente le #Peacemaker sur HBO max mais aussi Petites ballades cruelles chez Shockdom France , Stillwater et Reckless l'envoyé du diable sortis chez Éditions Delcourt , Ouroboros sorti chez Éditions Soleil , le nouveau #JudgeDredd publié chez Delirium , Redemption western post apocalyptique chez Panini Comics France , le #Batman imposter dispo chez Urban Comics
* Le podcast #Le Bulleur vous présente le meilleur de la BD. On ira chez Aire Libre Dargaud Futuropolis Les Arènes BD Éditions du Rocher Rue de Sèvres ou encore Editions Michel Lafon
* Preview. Accrochez-vous avec le terrible Ed Gein à sortir chez #Delcourt
* Preview. Sortie fin mars pour Soleil Noir, nouvelle bd passionnante chez #Shockdom
* Le portfolio du mois de mars
* Petite sélection librairie VF pour mars 2022
Cover du mois signée LeeMajors21 (Mark). Moon Knight power!
Logo, graphisme et autres magies variées de Benjamin Carret Art Page
21 numéros à ce jour. Merci à toute et à tous pour votre fidélité. Plus que jamais, on vous remercie pour les partages (sans lesquels ce Mag' ne pourrait perdurer) et pour vos remarques, toujours les bienvenues. On espère sincèrement que vous trouverez quelques petites choses intéressantes dans ce numéro, et on vous donne rendez-vous début avril pour le #22, sauf catastrophe nucléaire planétaire d'ici-là. Bonne(s) lecture(s)

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : BILLY LAVIGNE

 Dans le 196e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Billy Lavigne que l’on doit à Anthony Pastor, un ouvrage publié chez Casterma...