EVERYTHING : LE GRAND MAGASIN TERRIFIANT DE CHRISTOPHER CANTWELL


 Nous sommes au début de la décennie des années 80, dans la petite ville pas très glamour de Holland, en plein Michigan. L'attraction du moment, c'est l'ouverture d'un méga centre commercial dont le nom est en soi tout un programme : Everything. La promesse est littéralement de permettre à chacun d'y trouver absolument tout ce dont il a besoin, y compris (voire surtout) ce qu'il ne savait pas désirer, ou qui relève du superflu le plus élémentaire. Christopher Cantwell annonce l'événement, pour autant c'est avec le destin croisé de quelques individus, des tranches de vie saisies sur le vif, qu'il amorce son récit. Lori est une femme un peu paumée, qui n'hésite pas à baigner son petit-déjeuner dans la vodka, et qui suite à un drame professionnel (explicité dans le quatrième épisode) est à la recherche du bonheur, ou tout du moins, voudrait ne plus être si triste et souffrir. Remo Mundy est pour sa part un ado qui se fait battre par son père, qui l'accuse d'être un bon à rien qui ne cherche pas à entrer dans la vie active. Eberhard Friendly est de son côté le gestionnaire de la ville de Holland; il habite juste à côté, à Macatawa, et vit une illusion de bonheur conjugal. C'est lui qui est appelé à inaugurer le centre commercial Everything avec ses belles paroles mielleuses. Là-bas, il va croiser le chemin de Shirley, une des gérantes, qui cherche à faire le bonheur de tout le monde, et affiche un horripilant optimisme de façade. L'intrigue joue alors la carte "ambiance David Lynch - Twin Peaks" et offre au lecteur toute une série d'événements dramatiques, qui en apparence ne présentent aucun lien entre eux. Un sans domicile fixe est retrouvé carbonisé sur un banc, le jeune Remo plonge pour sa part dans le fleuve avec sa voiture, et se noie... Lori entend d'étranges mélodies et semble comme hypnotisée par les couleurs criardes qu'arborent Everything. Eberhard échappe lui à la mort, puis dépérit lentement mais sûrement, alors que sa vie se délite... Everything (le comic book) nécessite clairement une période d'adaptation, et mise sur la durée pour révéler ses mystères, et donc son charme, plutôt que sur le départ lancé. D'ailleurs on se prend rapidement à penser que cette série se déguste avec bien plus de pertinence sous forme d'un pavé relié. Bonne pioche pour nous lecteurs français, qui avons les épisodes 1 à 10 d'un coup, chez 404 comics. 




Le mystère dans Everything est tout. Il est probablement une fin en soi, puisque l'ambiance, la sensation d'étrangeté et d'horreur diffuse prend le pas sur les causes profondes, qui restent souvent assez nébuleuses. On assiste aux doutes et à "l'enquête" d'un vendeur de matériel hi-fi, qui a perçu des harmoniques sonores singulières dans la ville de Holland. On s'interroge sur l'identité réelle de ceux qui gèrent le grand magasin derrière les coulisses, et qui peut bien être Shirley, qui se cache derrière ce sourire de façade et cette volonté de toujours aider les autres à atteindre le bonheur (illusoire?). Le bonheur, pour un américain du début des années 80, est fils des années Reagan, c'est à dire cette impulsion à la (sur)consommation qui allait bien vite dévorer les âmes, les consciences, sans compter les porte-monnaie. L'apparition de ces monstrueux temples de la consommation n'est que le premier pas vers une transformation complète de nos habitudes, geste précurseur de ce que sera dès lors le géant Wall Mart, puis Amazon, qui désintègre jusqu'aux rapports physiques pour laisser pénétrer Everything...directement chez vous. Cette critique surréaliste et angoissante de ce que nous vivons aujourd'hui est faussement tenue à distance par le dessin en apparence naïf de Ian Culbard, qui se pare aussi de couleurs un poil trop criardes ou artificielles, au service donc d'un discours qui veut que la patine clinquante ne soit que la vitrine d'un mécanisme sordide, terrifiant, quand on y place le bout du nez. Capable de vraiment dérouter car pas forcément accessible à toutes et à tous lors d'une lecture superficielle, Everything est une des sorties "indépendantes" majeures de cette année, proposée qui plus est dans un bel écrin, une édition savamment soignée, disponible chez 404 comics. Quand on pense que les américains ont lu les premiers numéros un mois après l'autre, et les reste d'un coup, en volume, avec une pause covid entre les deux, on mesurera notre chance, pour ce coup. 





LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : PIGALLE, 1950


 Dans le 126e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Pigalle, 1950, album que l’on doit au scénario de Pierre Christin et au dessin de Jean-Michel Arroyo, édité chez Dupuis dans la collection Aire libre. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album La saison des pluies que l’on doit à Keum Suk Gendry-Kim et aux éditions Futuropolis

– La sortie de l’album Goat mountain adapté d’un roman de David Vann avec un scénario d’O. Carol, un dessin de Georges Van Linthout et c’est édité chez Philéas

– La sortie de l’album Waco horror : Elizabeth Freeman, l’infiltrée que l’on doit au scénario de Lisa Lugrin et Clément Xavier, au dessin de Stéphane Soularue et c’est édité chez Glénat

– La sortie de l’album Une vie en parallèle que l’on doit à Mathias Lehmann et aux éditions Steinkis

– La sortie de l’album Les frères Michelin, une aventure industrielle que l’on doit au scénario de Cédric Mayen, au dessin de Fabien Nappey et aux éditions le Lombard

– La sortie en intégrale de la série Miss octobre que l’on doit au scénario de Stephen Desberg, au dessin d’Alain Queireix et c’est édité chez Le Lombard






SCURRY TOME 2 : LA FORÊT IMMERGÉE


 Scurry est de retour, et c'est une bien bonne nouvelle, tant cette série nous a plu l'an dernier. Pour rappel, il s'agit d'un monde où les humains semblent avoir disparu et où les animaux sont désormais livrés à eux-mêmes, pour survivre et trouver de la nourriture. Nous suivons en particulier une colonie de petite souris, deux personnages plus précisément du nom de Wix et Pict. La seconde citée vient de s'enfuir, mais elle a été capturée par une fauconne, qui l'emporte bien loin vers la montagne. Le petit Wix pour sa part, qui est secrètement amoureux d'elle, met tout en œuvre pour la retrouver. Pendant ce temps, une machination politique est ourdie dans la colonie des souris, afin de contraindre ses habitants à abandonner le refuge, pour tenter de trouver de quoi subsister dans la ville abandonnée. L'échiquier politique des humains est reconstitué à dimension animale; on y trouve les mêmes manigances, les mêmes conflits d'intérêts, et cela se mêle à un récit intime et d'aventure, où on tremble pour deux petites créatures en apparence sans défense, immergées dans un monde particulièrement cruel. Car oui, le règne animal, cela peut sembler plein de tendresse et d'émerveillement au premier regard, mais les animaux entre eux n'ont que faire des bons sentiments lorsque vient le moment de se nourrir et de se remplir la panse. Les faucons capturent les souris et sont attaqués par les corbeaux, les loups rôdent dans les bois et déchirent et broient les proies qu'ils croisent, les castors règnent en maître sur le lac, où ils ont construit un barrage avec l'aide plutôt forcée des autres rongeurs des environs. Avec au final la création d'un lac artificiel qui menace toute la forêt et risque d'avoir des répercussions terribles. Le tout est raconté avec beaucoup de poésie, et en même temps une bonne dose de suspens. Ces bestioles sont mises en images de manière absolument remarquable par Mac Smith. 


La leçon de mise en page confine au talent cinématographique. Pour nous faire vibrer, frissonner, avec les mésaventures de ces souris perdues dans une nature hostile, Mac Smith sait jouer avec grande habileté de toutes les cordes possibles, c'est à dire le cadrage, la perspective, les effets de mise à distance, le dynamisme Chaque planche est un mini récital, qui donne une impression de réalisme incroyable, pourtant obtenue à partir d'un dessin traditionnel (pas de swipe facile, l'artiste est simplement doué!). Dans ce second tome, de nouveaux animaux s'ajoutent au cast, entre une tortue massive, un élan majestueux, des renardes sorcières bien étranges, des écureuils, les castors, un serpent... Et le mieux dans tout cela, c'est que chaque brique s'ajoute aux précédentes pour former un tout homogène, qui fait sens. Passée la surprise du premier tome, Mac Smith parvient cette fois à ajouter une vraie bonne dose d'aventure à l'état pur. Il y est question d'être traqué, de construire un barrage, d'échapper au déluge qui vient, et chaque fois c'est l'ingéniosité, le courage, et une bonne dose de chance, qui vont venir au secours de petites souris qui ne baissent jamais les pattes. En fin de volume, vous trouverez un cahier de croquis fort pertinent, où il est possible de constater à quel point les crayonnés de Smith sont beaux. L'artiste vous présente lui-même les nouveaux animaux ajoutés à son bestiaire magnifique, et on tourne la dernière page avec une seule et unique envie, vite avoir entre les mains le troisième et dernier tome d'une trilogie recommandée pour tout le monde! 



MOON KNIGHT : BILAN CONTRASTÉ POUR LE CHEVALIER LUNAIRE


 Quand j'étais adolescent, à la fin des années 80, il y avait trois personnages Marvel que j'aurais rêvé de voir adaptés sur grand ou petit écran. Daredevil, le Punisher, et pour finir Moon Knight. Pour les deux premiers c'est chose faite, et grâce à Netflix, on peut même considérer que le pari a été remporté haut la main. Restait donc à trouver la bonne incarnation pour le Chevalier de la lune, et là, c'est une autre paire de manches, car il faut être sincère, ce n'est pas le personnage le plus facilement identifiable de l'univers Marvel, pour le grand public. Mais ces temps derniers, tout est permis; l'impression est qu'à terme nous allons retrouver au sein de l'univers cinématographique la quasi-intégralité des héros et méchants qui peuplent nos bandes dessinées. D'entrée de jeu, le premier épisode annonce la couleur et se veut plutôt rassurant. Tout d'abord car Oscar Isaac est un acteur de grande qualité, qui convient très bien à un individu aussi torturé et fragmenté que peut l'être Moon Knight. Il suffit de plonger brièvement dans son regard pour prendre le pouls de ce qui se trame dans sa tête. Nous faisons la connaissance de Steven Grant, qui vend des souvenirs dans la boutique d'un grand musée de Londres (la National Gallery). Sa passion pour la culture égyptienne est son plus grand atout, dans un lieu où bien des pièces historiques sont répertoriées et offertes au public; par contre son instabilité mentale est un vilain défaut invalidant. Le type souffre d'insomnie et de crise de somnambulisme, au point qu'il lui est nécessaire de s'attacher au lit au moment de dormir. Il a également des crises psychotiques et ce qui semble être de terribles visions, qui convoquent créatures de la mythologie égyptienne et dangers bien réels. Face à celui-ci, quand il est sérieusement menacé, Steven constate dans le reflet des parois réfléchissantes à sa portée qu'il y a une autre personnalité enfouie en lui, celle de Marc Spector, un mercenaire rompu au combat à mains nues et à l'usage de toutes les armes, capable de se tirer des pires situations, en utilisant les moyens les plus extrêmes. Oui mais voilà, lequel des deux est l'original? Ce qui est en train de bouleverser la vie de Steven, est-ce la réalité, ou simplement de la folie? Et cette Layla qui débarque chez lui et prétend être la femme de Marc Spector, puis qui lui intime de cesser de jouer la comédie et d'abandonner cet accent  anglais affecté, qui normalement ne le caractérise pas, qui est-elle vraiment ? La série joue habilement sur les hallucinations, les ellipses narratives qui sont aussi autant de tranches de vie volées, la fragmentation d'une réalité qui n'apparaît jamais comme telle, mais comme une possibilité, une interprétation, qui est sujette à remise en cause totale, en un raptus. 



S'il y a par contre un point qui est plutôt déroutant, mais finalement amplement prévisible, ce sont les incursions de l'humour au sein d'une trame qui devrait être principalement dramatique. Même en présence de créatures cauchemardesques, ou embarqué dans une course-poursuite meurtrière au volant d'un véhicule, les blagues et autres trouvailles cocasses rythment les mésaventures d'un Steven Grant dépassé, qui n'a pour porte de sortie que l'effacement, au profit de Marc Spector, donc de Moon Knight. Le costume apparaît lui de manière surnaturelle, et change à l'instant, selon celui qui le porte. Si on apprécie fortement de voir également la version "Mister Knight" adaptée à l'écran, on regrette cependant qu'il soit montré comme un pitre, dans les grandes largeurs. Même Khonshu, prétendu dieu lunaire égyptien, peine à transmettre ce sérieux noble et grandiloquent qui devrait être le sien; nous sommes bien loin des sombres atmosphères de Moench et Sienkiewicz, lorsque le personnage de Moon Knight gagna ses galons au sein du panthéon du genre. Reste le méchant de l'histoire, qui à ce point est un ancien "héraut" de Khonshu, Hollow (Ethan Hawke), qui depuis a entrepris de servir le pouvoir terrifiant de Ammit, une autre divinité, bien plus maléfique. Et c'est là que la série s'embourbe notablement. Les épisodes trois et quatre sont principalement des versions bon marché d'Indiana Jones en Egypte, où le spectateur doit jongler entre ésotérisme de pacotille et moments de tension assez convenus (des glissades au bord du précipice, des combats plutôt stériles...). On arrive même à un désintérêt presque total à la croisée de ces deux segments, tant on peine à avancer, malgré quelques maigres révélations sur l'origine des rapports entre Layla et Marc Spector. Comme toujours, Steven Grant est alors un simple prétexte à des gags épuisants (comme avec le tombeau d'Alexandre le Grand) et quelques scènes flirtent avec l'embarrassant. La reste par contre relève d'un coup la barre, avec cette fois un scénario qui s'en va puiser à pleines mains dans les travaux récents (et splendides) de Jeff Lemire. C'est là que la folie intrinsèque du personnage peut exploser, c'est là que tout à coup le spectateur également doit revoir sa copie, reformuler ce qu'il pense savoir, et c'est le meilleur moment de la série, la transition qui lui permet enfin de correspondre à nos attentes, et de mériter qu'on achève ce voyage fantasque et fantastique, dans la fragmentation de l'individualité, d'un héros qui n'en est pas forcément un. Moon Knight ne restera pas comme la meilleure série présentée sur Disney +, pour avoir trop voulu étreindre, quitte à emprunter des chemins de traverse sans charme, réalisant des détours inutiles, voire nuisibles. C'est dommage, car certaines fulgurances sont bel et bien réelles, elles, et avec un peu plus de sérieux, et un peu moins de blagounettes, il y avait matière à laisser un excellent souvenir. 




Le temps que nous y sommes, découvrez la série de McKay et Cappuccio en vidéo ! C'est le dernier Moon Knight en date, bientôt chez Panini. 

DESCENDER VOLUME UN : UNE INTÉGRALE POUR LEMIRE ET NGUYEN

 


Vive les duos, quand le mariage produit ce genre de petite merveille. Prenez d'un côté Jeff Lemire, un des scénaristes les plus prolifiques et intéressants de ces dix dernières années, de l'autre Dustin Nguyen, un dessinateur qui manie les aquarelles comme Maradona domptait le ballon. Vous obtenez Descender, une bien belle saga de science-fiction touchante, qui à son terme a donné naissance à une suite (un peu moins inspirée, même si de bonne facture) intitulé Ascender (et le tome 4 arrive chez Urban Comics, en même temps que cette intégrale qui nous occupe aujourd'hui). Descender est une histoire de robots, et d'humains guidés par la peur, et l'ignorance. Mais peut-on les blâmer pour autant? Lemire, grand spécialiste des récits intimistes et philosophiques, a ces derniers temps laissé libre cours à son amour (et son talent) pour la science-fiction, et c'est dans cette veine que s'inscrit ce titre très attendu. L'auteur nous offre d'emblée une coalition de huit planètes et invente un univers futuriste où l'humanité a recours aux robots pour toutes les tâches du quotidien. Jusqu'au jour où pour une raison inconnue lorsque débute le récit, cette propension à la robotique est source d'un terrible drame, à tel point que la décision de traquer et d'anéantir ces constructions si utiles autrefois finit par être adoptée et mise en œuvre. Dix ans plus tard, un jeune garçon s'éveille, dans une colonie minière abandonnée. Son seul compagnon est un chien, du nom de Bandit. Ah oui, détail d'importance, le gamin fait partie du modèle Tim, petits robots familiers qui ont connu leur ère de gloire quinze ans auparavant. Nous comprenons, grâce au croisement des deux lignes narratives du récit (le réveil de Tim et la catastrophe causée par des robots géants) que les deux événements décrits vont se répondre et se nourrir, et qu'ils sont intimement liés, mais bien malin qui réalisera comment, et pourquoi. Dans le "codex" du modèle Tim (c'est à dire son Adn artificiel, ou son code source) se trouve le secret de ces titans de métal qui ont attaqué et détruit des mondes et qui ont provoqué ce retournement populaire et cette chasse aux sorcières technologique. Parfait prétexte pour aller enquêter dans l'intime de cet automate, ses rouages, ses souvenirs. 


L'histoire de Tim, le petit robot, nous est racontée par divers flash-back, à travers lesquels il suffira de peu de choses pour nourrir l'empathie et l'affection envers l'androïde pourtant si humain. Comme dans ses autres œuvres, les personnages sont la grande force de Lemire : souvent tourmenté et en quête de rédemption, Tim s'inscrit parfaitement dans cette tendance, et il est également en quête d'une généalogie, de repères qui le définiront et le justifieront, en tant que créature existante, même si synthétique. Beaucoup vont donner la chasse au pauvre Tim, dont le docteur Quon, un génie qui a eu le malheur de ne pas avoir su réagir à l'attaque des Moissonneurs. Quon semble au départ un personnage plutôt stéréotypé, mais au fur et à mesure que progresse le récit, il se révélera aussi très intéressant, plus tourmenté et mystérieux qu'il n'y paraît. Comme tous les autres intervenants, qui sont très attachants, même quand il s'agit de gros robots grossiers chargés du forage, qui peuvent se muer en assassins sympas. C'est le climat instauré par Lemire, et les dessins riches en couleurs, en suggestions et hautement inventifs (à tel point qu'on se prend à rêver à une adaptation moderne du cycle de Fondation d'Asimov au format comic book) de Dustin Nguyen qui prennent le lecteur par la main, et le guident vers un univers narratif truffé de promesses et qu'on devine d'une complexité jouissive. Certaines pages sont de véritables aquarelles d'une beauté fulgurante, comme dans le second épisode où nous suivons en parallèle l'évolution de l'action (la traque du robot Tim par des trafiquants - en couleurs) et les moments forts du passé qui illuminent les rapports entre les différents personnages (des planches sépias nous expliquent comment le petit robot a été conçu et son adaptation avec sa famille d'accueil). Jeff Lemire réussit le pari de nous placer en territoire aussi étranger que familier, en une seule et même occasion. Nous avons l'impression de lire une synthèse de tout un pan d'histoire de la science-fiction, aussi bien au cinéma qu'en bande-dessinée. Avec en toile de fond une traque, et donc une fuite (qui sera aussi un parcours initiatique) pour le petit héros de l'histoire, comme un écho à ce qui fut une des clés du succès de l'extraordinaire Sweet Tooth, indispensable série au format papier, malheureusement défigurée par une adaptation à l'eau de rose pour Netflix. Lemire humanise désormais tout un aréopage de créatures robotiques pour mieux nous parler de notre humanité, de ce qui nous caractérise et nous rend unique. Cette intégrale est l'occasion parfaite pour récupérer toute la saga, ou la conserver à jamais, dans un fort bel écrin. 




FLASH INFINITE TOME 1 : EN UN CLIN D'OEIL


 Le moins que l'on puisse dire, c'est que Wally West n'a pas été le personnage le plus choyé par les grands cerveaux qui dirigent et décident le destin des personnages chez DC comics. Celui qui avait mis du temps pour s'imposer comme le remplaçant de Barry Allen, dans le costume de Flash, a pourtant fini par devenir un des préférés des lecteurs; mais lorsque Barry fut de retour, l'impression était alors celle d'une présence encombrante. Pas de panique, à l'occasion des new 52 DC comics fait disparaître le remplaçant de l'équation, avant de le ramener timidement, tout en lui réservant au fil des ans une liste de déboires capables de décourager les plus solides des héros. Voilà qu'à l'occasion de Rebirth il revient sur le devant de la scène, oui, mais plus personne ne se souvient de son d'identité... et bien entendu son mariage avec Linda Park et ses deux enfants ne sont plus d'actualité. Pire encore, lorsque se fait ressentir le besoin de relâcher la pression et d'aller se soigner dans un institut spécialisé pour les symptômes dépressifs et post dépressifs des types à super pouvoirs, Tom King lui fait officiellement commettre un acte inconsidéré. Wally West devient alors le responsable de la mort de plusieurs personnages importants, et il faudra de longs mois, pour ne pas dire plusieurs années, pour vraiment parvenir à expliquer ce qui s'est passé clairement, tout en le dédouanement de la responsabilité de cette tragédie (le point final est à lire dans cet album, justement). Aujourd'hui Wally West est de retour en tant que Flash, néanmoins son désir de préserver sa famille, qu'il a enfin récupérée, fait que le choix de renoncer à sa double identité a quelque chose de logique. Wally décide même d'abandonner ses supers pouvoirs, car la tentation de les utiliser est trop grande. C'est ainsi qu'il demande l'aide de Barry Allen pour se connecter à la force véloce et se priver une bonne fois pour toutes de ce qui fait de lui un bolide exceptionnel.



Évidemment rien ne va se passer comme prévu, sinon vous n'auriez pas cet album entre les mains. Parution qui constitue le premier tome d'une nouvelle ère pour le personnage, celle initiée avec la période dite "Infinite". Sous les yeux d'une foule admirative, Barry et Wally se mettent à courir pour pénétrer dans la force véloce, mais rien ne se passe comme prévu, sans que nous comprenions vraiment pourquoi (et d'ailleurs même lorsque les explications arrivent, il faut avoir un doctorat en science théoriques pour y comprendre quelque chose). Wally se retrouve isolé et projeté dans un passé très lointain, bien avant la préhistoire, sur une terre où vivent encore les dinosaures. Il est d'ailleurs attaqué par l'un d'entre eux, qui dispose aussi d'une super vitesse. Si on peut regretter que ces nouvelles aventures sont un peu trop chargées en humour, avec un ton badin, voire parfois carrément régressif, on apprécie beaucoup le fait que Wally se retrouve aux prises avec toutes les grandes époques importantes qui ont fait le succès de la série de comics The Flash. Le héros investit à certains momentanément le corps de personnes comme Jay Garrick (le premier Flash, ici face à Adoplh Hitler en personne), Impulse, ou bien le Reverse Flash, et ce sont autant de clins d'œil à des périodes différentes de la "légende écarlate", qui sont mises en valeur par un Jeremy Adams qui semble bien se divertir. Côté dessin, il y a bien entendu une liste impressionnante d'artistes qui se succèdent, chaque période, chaque situation étant mise en scène par un illustrateur différent. On trouve du beau linge comme Pasarin, Santucci, Peterson ou Lafuente, et c'est globalement décousu mais foncièrement beau. Un album qui s'avère plaisant à la lecture, qui souffre peut-être d'un manque de sérieux par endroits, à entendre dans le sens d'une trop grande volonté de divertir le lecteur au détriment du pathos, mais qui au final se révèle un assez bel hommage à la carrière de flash (des différents Flash), qui devrait ravir tout ceux qui aiment le héros, quels que soient ses incarnations à travers le temps. 




ED GEIN : AUTOPSIE D'UN TUEUR EN SÉRIE


Si le nom de Ed Gein n'évoque pas grand-chose pour vous, il est fort probable qu'après lecture de cet album publié chez Delcourt, les choses soient fort différentes, et pour longtemps! Nous sommes ici face à l'un des pires psychopathes de l'histoire américaine, un tueur en série aux actions monstrueuses, qui a par la suite inspiré des œuvres cultes comme le roman Psychose de Robert Bloch (porté à l'écran par Alfred Hitchcock) ou encore le terrible assassin du Silence des agneaux. Au départ rien ne prédispose le petit Ed à devenir le monstre qu'il sera ensuite, si ce n'est malheureusement sa famille. Et oui, rappelons-le, les brimades de l'enfance, l'ambiance dans laquelle on grandit sont très souvent à la base de névroses ou de comportements déviants qui peuvent alors gravement nuire au développement individuel, mais aussi à la société dans son ensemble. Avec une mère religieuse fanatique, un père alcoolique et soumis, et pour finir un frère qui semble être le "préféré de la famille", ou en tous les cas le plus débrouillard, Eddie n'a pas tiré le bon ticket à la loterie de la vie. Ne parlons pas de ses relations avec les filles, puis les femmes en grandissant... elles sont inexistantes! Pour lui l'univers féminin relève principalement du péché absolu, ce qui explique pourquoi il deviendra plus tard l'assassin de nombreuses d'entres elles, qu'il va découper méthodiquement, allant jusqu'à conserver puis utiliser les parties intimes et génitales. Oui vous avez bien compris, il faut avoir le cœur accroché pour lire cette bande dessinée. Attention, il s'agit de quelque chose de très fort, qui est absolument a déconseiller pour les plus jeunes ou les plus sensibles. Certaines pages sont particulièrement intenses, choquantes, et non seulement ce qui est décrit est difficilement soutenable, mais c'est aussi montré, illustré sobrement mais puissamment. 




Le travail réalisé par Harold Schechter est assez remarquable; la reconstruction des faits, quasi journalistique, permet de comprendre, à défaut d'excuser, ce qui a poussé un individu qui a grandi dans la frustration et l'ignorance de la vie réelle à devenir une créature déséquilibrée et probablement manipulatrice, comme en témoignent les scènes où il est interrogé par la police, les avocats ou les psychologues. C'est l'apparente banalité de l'individu qui accentue l'horreur de la situation. Au premier coup d'œil, rien ne permet de distinguer Ed, le citoyen banal, d'un assassin en série dont il faudrait se méfier. Certes, à bien y regarder, des indices sont disséminés tout au long de sa vie, et en effet, une fois que la vérité éclate, il s'avère qu'il aurait probablement été possible de comprendre où étaient passées certaines des victimes, de ces femmes enlevées et assassinées, et de percevoir à travers les propos du tueur des mots, des demi-aveux, qui deviennent évidents avec le recul. Mais avec des "si" on mettrait Paris en bouteille, alors pour ce qui est de mettre un serial killer en prison... Parfois il est nécessaire de combler les informations glanées par quelques petites libertés scénaristiques, mais ça n'est jamais forcé et cela sert toujours parfaitement un récit, qui est maîtrisé d'un bout à l'autre. Il faut dire que le dessin d'Eric Powell est également extraordinaire. Toute l'histoire se présente dans des tonalités de gris d'une élégance extrême, qui contrastent avec l'atrocité de ce qui est présenté. Le réalisme est ici parfaitement associé au style propre d'un artiste qui parvient à rendre haletante et tendue des séquences pourtant statiques, ou basées sur un regard, un mot, un non dit. Même le quotidien anodin devient menaçant et nous fait frissonner. Certaines pages sont pourtant chargées en didascalies, en informations, mais on les parcours très vite car une fois immergé dans la lecture, il y a comme une urgence à aller au bout de ce récit glaçant, qui en même temps nous contraint à certains endroits à marquer quelques poses, devant l'ampleur de la déflagration conceptuelle. Oui, Ed Gein est le genre de bande dessinée qui va creuser bien profond dans la psyché humaine, oui nous descendons là à un niveau rarement atteint dans l'abject en images, et en même temps, dans l'œuvre d'art aboutie. D'autant plus que l'édition proposée par Delcourt est de très grande qualité, avec notamment un carnet de croquis et quelques annotations bien utiles, qui en font un objet dont la place est sur les étagères de tout amateur de bande dessinée qui se respecte. Incontournable est un adjectif parfois galvaudé, mais certainement pas ici.



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : CELLE QUI PARLE


 Dans le 125e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Celle qui parle, album que l’on doit à Alicia Jaraba, édité chez Grand angle. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Cache-cache mortel à Bréhat, titre que l’on doit au scénario de Patrick Weber, au dessin de Nicoby et c’est édité chez Glénat

– La sortie de l’album Bagnard de guerre que l’on doit au scénario de Philippe Pelaez, au dessin de Francis Porcel et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de l’album Moon que l’on doit à Cyrille Pomès et c’est édité chez Rue de Sèvres

– La sortie de l’album La limite n’a pas de connerie que l’on doit à Emmanuel Reuzé et aux éditions Fluide glacial

– La sortie de l’album D’eau et de boue que l’on doit au scénario d’Adam Smith, au dessin de Matthew Fox et c’est édité chez Robinson

– La réédition de l’album Billie Holiday que l’on doit au scénario de Carlos Sampayo, au dessin de José Muñoz et c’est édité chez Casterman




 
 

CROSSOVER TOME 1 : KIDS LOVE CHAINS


Pour ceux qui ne le savent pas encore, un crossover est une histoire qui met en scène différents personnages qui en temps normal vivent des aventures séparées, dans leurs propres mensuels, mais qui pour l'occasion vont voir leurs destins entremêlés, dans ces mêmes titres respectifs. Cerise sur le gâteau lorsqu'il s'agit d'un crossover entre différentes maisons d'édition; des personnages qui a priori n'ont aucune chance de se rencontrer; et qui tout à coup vivent une histoire en commun. Donny Cates invente de son côté le crossover complètement dingo, à savoir Crossover, tout court, un univers dans lequel tout à coup apparaît l'intégralité des personnages de comics, toutes maisons d'édition confondues, depuis que le genre existe. Tout ce beau monde se tape dessus à Denver, qui pour l'occasion se retrouve enfermé sous un dôme impénétrable et mystérieux. On ne sait pas comment et pourquoi ils sont apparus dans le Colorado, mais par contre on a vite compris que les dégâts allait être considérables. Ce qui explique pourquoi lire des comics est devenu une activité répréhensible, particulièrement mal vue. Nous n'allons pas vous mentir, bien entendu impossible pour les artistes de ce comic,book d'obtenir les droits leur permettant de mettre clairement en scène des super-héros comme Superman ou Spider-Man. On doit souvent se contenter de vagues silhouettes ou de références subtiles, qui font comprendre de qui il s'agit. Par exemple, nous avons l'impression de voir apparaître Batman en prison, dans la pénombre. Par contre, de nombreux artistes ont aussi permis à Cates de jouer avec leurs créations (comme le Madman de Michael Allred, les détectives du Powers de Bendis et Oeming, ou encore le Savage Dragon de Larsen). À ceci il faut ajouter les séries précédentes du scénariste, comme par exemple God country, qui consentent de mettre en scène d'autres héros et personnages pour l'occasion. Mais en fait, ils sont tous plus ou moins au second plan, car la protagoniste de cette histoire, au départ, est une jeune fille qui travaille dans un comic shop, une certaine Ellie. 


Ellie est une jeune fille adepte du cosplay, dont les parents ont disparu pendant l'événement de Denver mentionné ci-dessus. Autres personnages importants, Otto, le propriétaire hippie un peu bourru de la boutique de comics où Ellie travaille, puis Ryan, le fils du pasteur Lowe, qui a fait de la lutte contre "ceux issus des bandes dessinées" sa grande cause. Et pour finir la petite Ava, une enfant mystérieuse droit sortie d'un comic book, comme l'indique son apparence physique (avec les fameuses couleurs tramées d'autrefois, c'est à dire ces lignes de points si caractéristiques). Quatre personnages dont les destins se croisent inévitablement et qui donnent lieu à une aventure pleine de rebondissements. Ava veut retourner avec sa famille, qui est restée à l'intérieur du Dôme tandis qu'Ellie est prête à l'aider, parce que sa mère et son père s'y trouvent aussi, et sont peut-être encore en vie. Y a-t-il un moyen de franchir la barrière? Oui, peut-être, si on en croit l'existence d'un homme qui peut transporter des gens des deux côtés du dôme. Ce héros a un grand "S" sur la poitrine et semble très puissant. Vous avez compris de qui il s'agit? Tout faux, ce n'est pas un kryptonien, en tous les cas! Cates se penche sérieusement sur des sujets comme le fanatisme, l'étroitesse d'esprit, et utilise tous les fantasmes nauséabonds de Fredric Wertham, le psychiatre à la base d'une épuisante croisade contre l'immoralité supposée des comics, dans les années 50. Pour laisser exploser son amour du média, et surtout sa grande connaissance, les deux allant souvent de pair. Il parvient clairement à s'amuser comme un fou, et le lecteur en profite grandement. Si dans un premier temps on ne peut que tiquer devant les dégâts que causent réellement ces super personnages, on se rend vite compte que le gouvernement, et les "humains réels" ne sont pas en reste, utilisant la détention, la torture, et de sordides expériences, pour atteindre leurs propres buts. Geoff Shaw est dans un état second, et signe au passage ce qui pourrait bien être le meilleur travail de sa carrière, tant il parvient à faire tenir debout ce projet baroque et ambitieux, à travers des planches d'une grande beauté, avec des visages humains, vivants, expressifs, et un sens du merveilleux, du mouvement, qui explose régulièrement dans des scènes de grand impact plastique et émotif. Crossover est une œuvre de méta bande-dessinée surprenante et cohérente, divertissante et intelligente; Et ce premier tome, proposé au prix extrêmement alléchant de dix euros(!) n'est que la partie émergée de l'iceberg. Dans les prochains épisodes, ce seront les créateurs des séries eux-mêmes qui vont tenir le haut du pavé! Impossible alors de renoncer à Crossover, qui est une de ces séries régulières qu'aucun amateur de comics américains ne peut décider de snober. Sortie cette semaine, à vos réservations! 





NEXUS OMNIBUS 1 : LA GRANDE SCIENCE-FICTION DE BARON ET RUDE CHEZ DELIRIUM


 Nexus, une série fascinante, singulière, avec un protagoniste qui l'est tout autant. Les premières pages de ce qui sera une longue saga palpitante qu'aucun initié ne saurait refuser, s'ouvrent sur une interrogation : qui est donc ce justicier en costume, doté d'une visière et de pouvoirs apparemment hors du commun, qui s'immerge dans une sorte de liquide amniotique pour y vivre de terribles cauchemars, avant d'en sortir, animé par l'intention d'aller tuer ceux qui viennent sinistrement de peupler ses songes? Une chose est certaine, Nexus est puissant, incommensurablement, et c'est malgré tout un être humain, avec ses fragilités, son histoire tourmentée. Sa base d'opérations est une espèce de lune artificielle du nom de Ylum, où il s'est entouré d'une vaste communauté de créatures extraterrestres plus ou moins humanoïdes. Son "règne" est sous le signe de la concorde, du respect, pourtant ses actions savent être radicales quand le besoin l'exige. Sa carapace est percée le jour où débarque la belle Sundra Peale, qui parvient peu à peu à faire brèche dans son cœur, et sera la première femme qui aura l'honneur de partager son lit. Ce sera aussi celle qui recueillera ses confidences, prétexte parfait pour Mike Baron, le scénariste, qui a ainsi l'opportunité de dévoiler aux lecteurs les origines de Nexus, qui bien entendu contiennent une bonne dose de pathos. Que ce soit du côté du père (et ici Nexus, c'est à dire en fait Horacio Hellpop, se révèle l'héritier d'un despote soviétique dont la carrière est entachée de bien sinistre façon...) ou de la mère (qui connaît un destin tragique en se perdant dans les dédales infinis d'Ylum), Nexus est un personnage fragile, en quête d'attaches, qui pourraient le définir comme un véritable être humain, un adulte responsable et construit. Quand il s'unit physiquement pour la première fois avec Sundra, Horatio ne perd pas seulement sa virginité, comme il l'avoue lui-même, mais il effectue un premier pas vers l'acte fondamental de naître vraiment à la vie, d'en apprécier la valeur, la substance. Autrement, que reste t-il de cet homme dont la mission inlassable est de rêver aux crimes atroces des plus grands meurtriers de masse de la galaxie, pour ensuite aller les exécuter?  Où est vraiment la justice, quand l'homme (le bourreau?) qui l'apporte ignore jusqu'à l'origine de la pulsion qui dicte ses gestes? Nexus dispose d'un pouvoir qui défie l'entendement, mais justement, un pouvoir qu'il ne peut pas saisir, ne peut pas appréhender, juste exercer. Un cycle infini de cauchemars, de chutes, de régénérations dans ce bain primordial dont il ignore la composition, et qui fait de lui cette entité vénérée par certains comme un dieu ou un empereur romain, sans jamais se départir de la fragilité toute humaine qui le caractérise. 


Nexus, c'est aussi la grande science-fiction des annés 80, celle qui se permet de rêver les yeux ouverts, à chaque page, sans s'embarrasser des limites étroites de la crédibilité ou des faits matériels. On y croise des despotes dont les ressources en énergie proviennent de millions de corps décapités, dont les têtes sont devenues autant de moteurs, de réservoirs pour alimenter leurs délires de toute puissance. On y rencontre des êtres singuliers, aussi belliqueux qu'attachants, comme un certain Judah Maccabee, qui a pris Nexus comme modèle de vie, et dont le père est -par le plus grand des hasards - un des "lieutenants fidèles du héros. On saute d'un monde aquatique, à une visite sur Terre, dans les geôles de la planète, aux bars les plus miteux de l'univers. On se retrouve piégé dans un "monde bol", dont l'unique accès est une sorte de singularité de l'espace temps. On croise le chemin d'une ambassadrice/espionne, qui a des plans bien précis pour séduire Nexus et découvrir la vérité sur ses dons. C'est un feu d'artifice, et chaque salve resplendit et illumine la suivante. En fait, c'est en 1979 que le scénariste Mike Baron rencontre le dessinateur Steve Rude, pour la première fois. Baron envisage déjà Nexus, et il écrit et dessine dans le même temps, jusqu'à ce qu'un ami lui présente "quelqu'un qui dessine tout comme toi". Dès le premier regard sur le portfolio de Rude, c'est l'évidence qui s'impose, la partie graphique vient de trouver son exécuteur. Au départ le titre est publié par Capitol Comics, sous la forme d'un comic book en noir et blanc et grand format, qui apparaît d'emblée comme bien structuré, ambitieux, extrêmement ramifié. Le troisième numéro comprend même un disque flexible avec une bande-son créée par Baron lui-même, des bruitages, des dialogues. En mai 1983 Capitol opte finalement pour la couleur, avec Les Dorscheid, et Nexus entame son ascension vers le titre de bande dessinée culte de la décennie. On a rarement manié avec autant d'équilibre et de justesse le grand drame cosmique, la science-fiction la plus traditionnelle, l'humour (Nexus est truffé de scènes absurdes, désopilantes, subtilement décalées...). Steve Rude place son trait élégant, épuré, au service de planches qui évitent les artifices comme la peste, et peuvent apparaître délicieusement rétro, quelque part entre Jim Steranko et Alex Raymond. Son storytelling, la pureté de ses personnages, sont au dessin ce que pourrait être à la conversation orale  une discussion cultivée, truffée de termes charmants et volontairement datés. L'érudition au service du beau. Aucune vignette qui dépareille, aucune tentation de prendre des raccourcis ou de hâter le produit fini, chaque épisode est fouillé, inspiré, et contient matière à étourdir le lecteur, sans avoir l'air de s'y appliquer pour autant. Vous comprendrez alors que l'arrivée de cette intégrale au format omnibus, chez Delirium, constitue pour nous un de ces événements majeurs que vous finissez par accueillir sur vos étagères, en grande pompe. Ce ne sont pas les bons papiers qui manquent sur internet, ni les blogs/sites plus ou moins spécialisés; pour autant je vous mets au défi de trouver un critique ou simplement un lecteur attentif de Nexus, qui ne soit pas sorti conquis à jamais de l'univers imaginé par Baron et Rude. Plus qu'une lecture, plus qu'une expérience, Nexus pourrait bien devenir pour vous -comme ça l'est pour nous- un véritable acte d'amour. 


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ULTRAMAN LES ORIGINES : MARVEL TOKUSATSU


 Avec un peu d'audace, et le sens des affaires, on peut parvenir à produire des choses inattendues, qui ont le mérite de réjouir pas mal de monde, d'horizons différents. Ce fut le cas par exemple quand Marvel annonça un partenariat avec Tsuburaya Productions. Ultraman, héros créé par Eiji Tsuburaya en 1966, allait donc intégrer l'univers de Spider-Man et consorts, ce qui est une double surprise, car non seulement c'est un personnage qui y est totalement étranger, mais même en terme stylistique, de genre, il s'agit d'une approche fort éloignée. Nous sommes dans ce qu'on appelle le "tokusatsu" et Ultraman est extrêmement populaire au Japon. Pour simplifier, disons que chez nous ce sont plutôt les Super Sentai (c'est à dire les Power Rangers) qui incarnent la catégorie. D'ailleurs, Marvel ne s'y est pas trompée car le scénariste de Rise of Ultraman n'est autre que Kyle Higgins (en collaboration avec Mat Groom), qui a déjà montré l'étendue de son talent chez Boom! avec le titre des Rangers aux multiples couleurs (publié en vf chez Glénat Comics). Ici, le nouvel hôte "humain" s'appelle Shin Hayata. On ne nous le présente pas comme un type dont la vie est une grande réussite, puisqu'il n'est pas parvenu à convaincre la United Science Patrol de le recruter (pour faire court, une version nippone du Shield de Nick Fury, qui gère les affaires courantes, principalement les grosses crises à base de kaiju, ces monstres omniprésents au Japon). C'est Kiki, son amie, qui a atteint cet objectif, pour autant sa présence, son expertise, sont plus ou moins nécessaire. Notamment quand Kiki est impliquée dans une première mission de terrain qui semble être trop délicate pour son inexpérience. Shin donne certes un coup de main, mais il hésite au moment de neutraliser l'étrange forme lumineuse d'origine extraterrestre qui vient de s'échouer sur Terre. Au bout du compte, il entre en contact avec elle, geste imprudent qui va avoir des répercussions formidables sur son existence.



Il faut dire que le pauvre Shin a reçu un bon coup de pression au moment d'appuyer sur la gâchette. Car ce vaisseau alien échoué fait écho à une "incursion" précédente, en 1966 (vous avez saisi la référence, hein?) que l'agence gouvernementale japonaise avait réglé de manière bien expéditive. En fait, il s'agit d'un représentant de la race des "Ultra", des individus dont la sérénité et le contrôle des émotions leur permettent de s'affranchir des invasions de kaiju (qui prospèrent grâce à la peur, la jalousie, les pensées noires) et qui prêtent main forte aux races moins "développées" qui n'ont pas ces facultés, et donc sont sujettes aux assauts de ces monstres redoutables. Pas de chance pour notre planète, une crise d'ampleur nous guette, et il n'existe qu'une façon de s'y opposer concrètement, faire en sorte que le représentant des Ultra et le pauvre Shin unissent leurs forces, au sens propre, en fusionnant. Ultra + Man = Ultraman. Derrière ce scénario basique mais clair, qui prend vraiment son temps pour s'épanouir mais ensuite se révèle intelligent et respectueux du cahier des charges des aventures de ce type, se cache une synthèse clairement réussie entre deux univers presque antithétiques, et pourtant complémentaires. Et où en sommes-nous du côté du style, du dessin? Bonne nouvelle, c'est Francesco Manna qui a hérité de cette série. Je vous mets au défi de trouver une seule planche, voire une seule vignette, où l'artiste italien semble accuser un coup de mou. C'est plastiquement fluide, très élégant, avec une vraie attention aux expressions, au dynamisme, y compris quand les scènes sont assez statiques (dans le premier numéro, beaucoup de dialogues que Manna porte à bout de bras). Vous pouvez agrandir n'importe quelle vignette de n'importe quelle page, vous finirez par apprécier la finesse de son trait, au point qu'on assiste clairement, mois après mois (allez voir son Carnage en ce moment...) à l'avènement d'une des grandes stars de cette décennie encore bien jeune. De quoi donner à cet Ultraman un bon capital sympathie et lui ouvrir les portes et les cœurs d'un lectorat assez varié. De quoi en faire aussi un franc succès? 



Et comme une bonne surprise ne vient jamais seule, sachez que Francesco Manna sera un de nos invités de choix au Play Azur Festival de Nice, les 14 et 15 mai prochains. En compagnie de Luca Maresca, Alessandro Cappuccio, Fabiano Ambu, Rosa Puglisi (Vorticerosa), Marco Russo, Benjamin Carret, et d'autres surprises à venir... Une artist alley 100% passion des comics et de la bd, dont on vous reparlera vite. Si vous ne pouvez pas être présent, mais que vous souhaite obtenir une commission de Francesco Manna (ou d'un autre artiste présent) n'hésitez pas à nous contacter en commentaire, ou encore mieux, à l'adresse universcomics.lemag@gmail.com 


Venez nombreux, moussaillons ! 

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UNIVERSCOMICS LE MAG' #22 AVRIL 2022 : WAR ZONE comics guerre et propagande

 


UNIVERSCOMICS Le Mag' #22
Avril 2022
84 pages Gratuit

Téléchargez-le ici :
#Lire en ligne

"WAR ZONE" Comics, guerre(s) et propagande.
Sommaire :
* La guerre, les comics, la propagande. Dossier du mois.
* Conseils de lecture. La guerre du Vietnam dans l'excellent Vietnam Journal chez Delirium, mais aussi 300 de Frank Miller, et le chef d'œuvre Maus.
* Derrière la carapace de COLOSSUS, un portrait psy inspiré signé #AnthonyHuard
* Flash Thompson, de héros à zéro. Flash part en guerre avec #AlexandreChierchia
* #Zagor / #Flash team up e collaboration inédite entre DC Comics et #SergioBonelliEditore
* Le cahier critique. On passe à la loupe l'intégrale Alpha Flight et Heroes Reborn chez Panini Comics France L'enfer pour aube chez Éditions Soleil Batman Detective (Infinite) chez Urban Comics Retroactive paru chez Les Humanoïdes Associés Soleil Noir publié chez Shockdom France Capitaine Vaudou dispo chez Éditions Delcourt et les films #TheBatman et le tout récent Morbius
* Le meilleur de la BD chroniqué avec le podcast #LeBulleur, qui vous emporte chez Rue de Sèvres Gallimard Presque Lune éditions Dargaud #Delcourt ou encore Futuropolis
* Preview ! On file découvrir le prometteur #RadiantBlack bientôt chez Delcourt Comics
* Preview double dose, avec le fort joli Chemin des hirondelles, qui va sortir chez #ShockdomFrance
* Le portfolio du mois d'avril
* La petite sélection VF librairie du mois d'avril

Merci beaucoup à #Aste17 pour la cover, et à Benjamin Carret Art Page pour le remarquable travail graphique.
Merci à vous tous, à celles et ceux qui pour nous aider partageront ce numéro, sur les réseaux sociaux, sur les forums. Le Mag' est mensuel, gratuit, pour vous, et c'est grâce à vous que le #23 débarquera en mai. N'oubliez-pas aussi que vous pouvez trouver tous les numéros en téléchargement direct ici : https://www.facebook.com/groups/universcomicslemag/files
Merci et bon mois d'avril ! !


COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...