L'histoire de Tim, le petit robot, nous est racontée par divers flash-back, à travers lesquels il suffira de peu de choses pour nourrir l'empathie et l'affection envers l'androïde pourtant si humain. Comme dans ses autres œuvres, les personnages sont la grande force de Lemire : souvent tourmenté et en quête de rédemption, Tim s'inscrit parfaitement dans cette tendance, et il est également en quête d'une généalogie, de repères qui le définiront et le justifieront, en tant que créature existante, même si synthétique. Beaucoup vont donner la chasse au pauvre Tim, dont le docteur Quon, un génie qui a eu le malheur de ne pas avoir su réagir à l'attaque des Moissonneurs. Quon semble au départ un personnage plutôt stéréotypé, mais au fur et à mesure que progresse le récit, il se révélera aussi très intéressant, plus tourmenté et mystérieux qu'il n'y paraît. Comme tous les autres intervenants, qui sont très attachants, même quand il s'agit de gros robots grossiers chargés du forage, qui peuvent se muer en assassins sympas. C'est le climat instauré par Lemire, et les dessins riches en couleurs, en suggestions et hautement inventifs (à tel point qu'on se prend à rêver à une adaptation moderne du cycle de Fondation d'Asimov au format comic book) de Dustin Nguyen qui prennent le lecteur par la main, et le guident vers un univers narratif truffé de promesses et qu'on devine d'une complexité jouissive. Certaines pages sont de véritables aquarelles d'une beauté fulgurante, comme dans le second épisode où nous suivons en parallèle l'évolution de l'action (la traque du robot Tim par des trafiquants - en couleurs) et les moments forts du passé qui illuminent les rapports entre les différents personnages (des planches sépias nous expliquent comment le petit robot a été conçu et son adaptation avec sa famille d'accueil). Jeff Lemire réussit le pari de nous placer en territoire aussi étranger que familier, en une seule et même occasion. Nous avons l'impression de lire une synthèse de tout un pan d'histoire de la science-fiction, aussi bien au cinéma qu'en bande-dessinée. Avec en toile de fond une traque, et donc une fuite (qui sera aussi un parcours initiatique) pour le petit héros de l'histoire, comme un écho à ce qui fut une des clés du succès de l'extraordinaire Sweet Tooth, indispensable série au format papier, malheureusement défigurée par une adaptation à l'eau de rose pour Netflix. Lemire humanise désormais tout un aréopage de créatures robotiques pour mieux nous parler de notre humanité, de ce qui nous caractérise et nous rend unique. Cette intégrale est l'occasion parfaite pour récupérer toute la saga, ou la conserver à jamais, dans un fort bel écrin.
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