NEMESIS RELOADED : MARK MILLAR SECONDE MANCHE


 Mark Millar a donc décidé de se pencher sur le personnage le plus célèbre qu'il a inventé jusqu'ici, pour en offrir aux lecteurs une version ajournée, disons un peu plus moderne et explosive que ce qui a été fait jusque-là. C'est une opération assez classique, qui permet en général de maintenir les super-héros en vie, mais là nous avons affaire à un anti-héros qui se complaît dans la violence et le chaos ; et le moins que l'on puisse dire, c'est que la barre, qui était déjà assez haute, a désormais été placée à une hauteur qui fait qu'elle ne risque pas d'être atteinte par tout le monde. Sans compter les lecteurs eux-mêmes, qui risquent eux d'être en partie choqués. Car oui, il y a dans ces pages un discours nihiliste profond, notamment contre la police et les institutions, qui est tellement radical qu'on peut à la fois s'étonner et se réjouir que ça puisse sortir sans la moindre censure. Ça démarre très vite avec un vieil homme et sa femme, surpris dans leur demeure par un Némésis extrêmement malin. Une petite scène qui permet de comprendre d'emblée que le nouveau dessinateur du titre, Jorge Jimenez (superstar actuelle des comics chez DC) va être dans un grand soir, très inspiré, capable de proposer une mise en page, un storytelling totalement jouissifs et explosifs, qui vont se mettre au service du scénario de Millar. Nous plongeons à Los Angeles, terre de nombreux gangs locaux et du nouveau maire Costello, alors que Nemesis promet un grand plan qui va bouleverser radicalement le visage de la ville en 7 jours. En attendant, il s'en prend à tous ceux qui dirigent la pègre en Californie et prépare une intervention de choc, lors d'un meeting du nouveau maire, qui est bien décidé à financer outrageusement les forces de l'ordre pour combattre le crime. Difficile de ne pas aimer tellement ça ressemble à du Tarantino croisé avec Fincher ; c'est un coup de poing dans l'estomac ! Des débuts absolument ronflants et expéditifs, droit au but, pleine lucarne. Même si je répète, ça ne sera pas du goût de tout le monde, c'est certain. 



BIG UNDER #1 CATACOMBES : PARIS S'EFFONDRE CHEZ 404 COMICS


 L'Inspection Générale des Carrières a pour mission de surveiller le sous-sol du territoire, après les effondrements dramatiques de la rue d'Enfer, à Paris, en 1774. Une catastrophe géologique est donc à la base de la naissance de ce service, toujours actif à notre époque. Le directeur actuel se nomme Pierre-Guillaume Alain-Serré, et il a une fille (Sophie), qui semble avoir disparu depuis plusieurs jours. Personne ne se préoccupe de cette absence inexpliquée, sauf son unique amie, Sonia, qui commence à se poser pas mal de questions, au point de se confier à son groupe de potes, et de les embarquer dans une aventure rocambolesque et périlleuse. Dez, Berry et Kim appartiennent également à cette jeunesse marginale qui traîne ses doutes et son ennui le skate à la main, tiraillée entre le désir de vouloir appartenir à une communauté ou un collectif, l'envie de se singulariser, et simplement le besoin naturel d'exister et d'être acceptée "au naturel", quelles que puissent être les orientations sexuelles ou les aspirations existentielles de chacun. Virgile Iscan parvient à animer toute cette petite compagnie, à la crédibiliser et à la rendre attachante, en pimentant les conversations avec un parler assez proche de la réalité, des expressions et des raccourcis dialectiques propres à ce qu'on peut entendre aujourd'hui dans n'importe quel lycée de France. Pas de quoi s'en vanter, littérairement parlant, mais c'est ainsi : les boomers que nous sommes ne sont pas appelés à s'exprimer ou juger, juste peuvent-ils constater. Et ici, ça marche. Autre filon narratif, les observations et les premières conclusions de deux membres de l'IGC, qui se basent sur des souvenirs universitaires et de nouvelles explosions préoccupantes dans les sous-sols de Paris, pour essayer de comprendre ce qui se joue dans les entrailles de la capitale. Le risque qui pointe le bout de son nez est celui d'un effondrement massif, pur et simple, ce qui voudrait dire l'évacuation de Paris, de tous ses habitants. Vous avez dit panique assurée ?



Assez rapidement, le mystère s'épaissit. Sonia et sa bande tentent de pénétrer au domicile du père de Sophie, pour trouver des indices susceptibles d'expliquer sa disparition. Mais rien ne va se passer comme prévu (même si ce sera le prétexte à une belle vue des toits de Paris), et les adolescents vont se retrouver nez à nez avec l'incarnation des pires horreurs du racisme, du rejet de l'autre, de la monstruosité (in)humaine, au sens propre comme au sens figuré. On bascule alors vers l'épouvante, ou en tous les cas un récit plus effrayant qu'il ne semblait au premier abord, concept renforcé par l'apparition d'un nouveau personnage dans la dernière partie, qui confirme le caractère dérangeant et déroutant de l'ensemble. Alex Nieto brille avant tout par son sens de la narration, sa façon de tenir en vie l'intérêt du lecteur d'une planche à l'autre, y compris dans des passages plus statiques où ce sont les dialogues "fleuries" et les interactions entre adolescents qui rythment la progression du récit. Il faut bien l'admettre, les expressions faciales, les visages tout courts, ne sont pas toujours extraordinaires, avec un petit côté caricatural qui a l'avantage de ne pas surcharger les vignettes, mais n'est pas systématiquement du plus bel effet. Le travail de Fabiana Mascolo aux couleurs permet cependant de valoriser l'ensemble, de lui apporter une vitalité réelle. Comme c'est désormais une tradition, 404 Comics propose une édition soignée et imprimée de manière "responsable", avec un papier assez épais et au rendu mat, qui correspond tout à fait ce que nous pourrions souhaiter. Big Under est donc une création originale française qui incarne facilement son temps, avec des personnages qui ont besoin de peu pour fonctionner, même dans l'absence (Sophie et Sonia) ou quand le scénariste charge un peu la mule, avec un chouia de jeunisme exaspérant par endroits, ou quelques portraits caricaturaux, voire grotesques (les Rats que Sonia et ses amis doivent affronter). On a parlé de Stranger Things à la française ou de récit à la John Hughes pour définir Big Under, mais sa contemporanéité et sa capacité à saisir le moment présent sont des qualités qui permettent d'en faire un produit honnête et plutôt attachant. On peut ne pas être (clairement) le cœur de ce cible de cette bande dessinée, tout en en reconnaissant la qualité, et la valorisation qu'en fait l'éditeur. D'où l'envie de pousser plus loin les investigations, et l'attente de la suite, que vous pourriez être nombreux à désirer. 




ULTIMATE X-MEN L'HOMME DE DEMAIN : LE PREMIER OMNIBUS VOUS ATTEND


 Des mutants partout. et forcément, des humains mécontents, frustrés, bien décidés à laisser la haine s'exprimer. C'est la situation qui sert de préambule à la série Ultimate X-Men, de Mark Millar. Le paroxysme de tout ce qu'on nous a déjà raconté auparavant. Les Sentinelles, ces robots chasseurs de mutant  sont autorisés à intervenir en plein New-York et ne se privent pas de traquer leurs proies en public, d'ailleurs souvent solidaire avec les machines destructrices. En face, les individus dotés du facteur X se divisent en deux factions. Celle soutenue par Charles Xavier défend la cohabitation entre les espèces, et entame une campagne de recrutement pour créer un groupe de jeunes mutants volontaires et enthousiastes. Et l'autre, la bande de Magneto, qui revendique la suprématie mutante, et organise des attentats pour se faire entendre, semant mort et discorde, alimentant la peur et l'effroi. Au milieu, le plus badass de tous, Wolverine, que Magneto décide d'envoyer en mission chez Xavier, pour l'assassiner. Infiltré comme une taupe chez les X-Men, Logan apprend peu à peu que les valeurs et les méthodes de Charles peuvent aboutir à un résultat louable, d'autant plus que Jean Grey, la rouquine désinvolte et télépathe du groupe, lui a tapé dans l'œil et partage avec lui ses nuits endiablées. Le lecteur s'amuse vite à découvrir les différences existantes entre cette version Ultimate des mutants, et celle plus classique de l'univers Marvel traditionnel, et les détails du recrutement des membres sous les ordres de Cyclope. La première vraie mission consiste ainsi à aller secourir Bobby Drake, un jeune mutant qui maîtrise la glace, avant d'aller se frotter à la confrérie des mauvais mutants, où officient la sorcière Rouge et Quicksilver, frères et sœurs, et enfants de Magneto. Pas de tergiversation ou d'introduction lente et poussive, Ultimate X-Men démarre pied au plancher et déroule sa trame dans un festival d'action et de rebondissements, sans perdre personne au passage : quiconque a déjà croisé les X-Men au détour de l'un de leurs comic-books se rendra compte que nous ne sommes pas en terrain si inconnu que cela…. Gambit, par exemple, vous connaissez ? Le cajun se retrouve affublé d'une jeune orpheline dont les parents viennent d'être assassinés par des mafieux et il tente tant bien que mal de la protéger de Hammerhead et ses sbires. Nous passons ensuite aux choses sérieuses et nous retrouvons le groupe de mutants de Xavier engagé dans une tournée promotionnelle à travers l'Europe. Mais dès la première étape à Londres ils doivent modifier leur plan pour se rendre au large de l'Écosse, là où sévit le fils caché du mentor télépathe, qui vient de se réveiller d'une longue léthargie et qui possède le don d'investir le corps de ses victimes tout en les consumant. Face à légion les X-Men ont fort à faire et sont poussés dans leurs derniers retranchements; ils ne sortent pas indemnes de la bataille puisque le jeune Bobby Drake est sérieusement blessé et se retrouve à l'hôpital. En toile de fonds, les intrigues sentimentales ne manquent pas, avec notamment Hank Mc Coy qui renonce à l'amour de Tornade parce qu'il n'est pas certain que les sentiments de cette dernière sont réels (Xavier l'a t-elle poussé à le désirer?) et qui entame une correspondance assidue, sur le chat, avec un faux profil qui va causer bien des ennuis, ou bien la dualité Scott Summers/Wolverine, à couteaux tirés pour les beaux yeux de Jean Grey.



Les Ultimate X-Men, c'est une version plus désabusée, plus ironique, plus "à la page" des mutants que vous connaissez. Peu à peu, les personnages et leur background s'affichent, dans une version différente de la mouture traditionnelle. Si le titre va peu à peu perdre en intensité, les 20/30 premiers épisodes sont de très bonne facture et se relisent toujours avec délectation. Mark Millar a utilisé ces pages comme tremplin pour le grand saut, qui le conduira ensuite aux sommets de la gloire, avec cette touche irrévérencieuse qui désacralise tout ce qu'il aborde. Adam Kubert se permet d'épater la galerie avec des planches qui assurent le service pour ce qui est du dynamisme et de l'action. Le cadrage et le découpage permettent de rendre encore plus vivant cette lutte pour la suprématie, et les personnages présentés sont plus jeunes et "branchés" que les X-Men traditionnels. Seul hic, c'est aussi le cas dans les dialogues, où certaines remarques détonnent, ou ne semblent pas pertinentes dans la bouche de ces mutants là; mais encore une fois, il s'agit d'une autre version, dont il faut accepter et apprécier la subtile différence, au risque de voir Xavier utiliser ses pouvoirs sur ses propres élèves, où Tornade combattre à distance, en restant cachée loin des sentinelles qu'elle foudroie. Outre Kubert, notons Esad Ribic (ici encore à la recherche d'un style personnel, avec des dessins d'une qualité bien moindres par rapport à ce qu'il fournit aujourd'hui) ou encore Chris Bachalo, qui semble se limiter dans la folie et l'inventivité, on l'a vu plus inspiré avant et après. A défaut d'être toujours subtil et d'une profondeur fascinante, Ultimate X-Men est un titre qui n'a pas honte de sa nature, c'est à dire un divertissement riche en vitamines, qui joue avec les codes d'une série mythique, qu'il décompose et recompose pour en faciliter l'accès. En Omnibus, pour ne rien louper ! 




DÉMONS : LA NOUVELLE COLLABORATION SNYDER/CAPULLO CHEZ DELCOURT


 L'éternelle lutte du bien contre le mal, mais cette fois revisitée par le duo magique Scott Snyder et Greg Capullo. Il s'agit de Démons, une série en trois volets (We have Demons, en VO) publiée par Delcourt en ce mois de janvier. Si vous avez suivi les récents événements orchestrés par Snyder dans l'univers DC Comics, vous savez qu'il a cette passion pour l'utilisation de métaux antiques aux pouvoirs fabuleux, qui ont des répercussions sur les événements d'aujourd'hui. Ici, on nous raconte qu'à l'aube des temps plusieurs météorites ont apporté sur Terre deux matériaux aux propriétés opposées. L'Auréole représente le bien, le meilleur enfoui en chacun de nous, et a donné naissance à des oasis ou certaines légendes comme la fontaine de jouvence. La Corne, par contre, fait ressortir le pire qui est caché en nous et transforme les pauvres victimes en monstres assoiffés de sang, prêts à déchiqueter et éviscérer tout ce qui se tient sur leur passage. Ces individus, contrôlés par le mal, ont également la particularité de jurer comme des charretiers : de leur bouche sortent les pires insanités, les pires ordureries, ce qui rend les dialogues particulièrement drôles, avec le contraste entre l'horreur et le grotesque de la situation et ce que profèrent à longueur de temps les assaillants. La jeune est jolie Lam Cullen va peu à peu apprendre l'existence de cette dichotomie éternelle et la manière dont elle ravage la planète Terre en secret. Il faut dire que son père, qu'elle a toujours vu comme un géniteur aimant et dévoué à sa famille, était en secret un de ceux qui ont pour mission de défendre la Terre des exactions des Démons. Le type n'était pas seul mais il était membre d'une espèce de super groupe, des agents affublés de costumes blancs et chacun d'une lame, qui s'active au contact d'une présence maléfique. Bref, à la mort du paternel, le rideau tombe.



Les démons que représente Greg Capullo sont un croisement entre les créatures d'Alien et le Violator de la série Spawn. L'un d'entre eux est en fait enrôlé parmi les forces du bien. Hellor possède un passé tragique; il est même d'ailleurs le responsable de l'amputation d'un avant-bras de la jolie Lam. Mais derrière le côté bourru brut de décoffrage se cache un être qui tente de tout faire pour dominer le naturel sombre qu'il abrite. C'est cela le discours principal de cette bande dessinée : nous avons tous en nous le pire et le meilleur de l'humanité et le choix final nous revient. Préférons-nous céder à la facilité ou au contraire lutter, pour tenter de nous améliorer ? Tout ceci est bien sûr exagéré à la énième puissance, sur fonds de guerre millénaire, de complotisme, de combats tranchants et de trahisons. Il s'agit d'un récit complet en trois grosses parties, qui a été publié d'une manière originale par Scott Snyder et sa nouvelle étiquette Best Jacket Press. Pour faire simple, nous tenons là une synergie intéressante entre le format digital et celui plus traditionnel sur papier. Les histoires sont publiées par Comixology Originals, la plateforme spécialisée dans les versions digitales, et dans le même temps, elles sont publiées chez Dark horse et distribuées dans les comic shops. Quant à Delcourt, ils ont investi dans l'affaire : l'éditeur sera le distributeur exclusif de cette nouvelle ligne d'albums en France. Je parle de nouvelle ligne car il y aura 8 parutions (pour le moment) en tout, avec des artistes d'exception aux manettes, comme par exemple Francis Manapul, Jock, Tula Lotay, Dan Panosian ou encore Francesco Francavilla. Clairement, il y a de quoi nous ouvrir l'appétit, d'autant plus que cette première livraison intitulée Démons correspond tout à fait à ce que nous pouvions attendre d'une nouvelle collaboration Snyder Capullo, c'est-à-dire une histoire décomplexée qui lorgne sur la décennie des nineties, chargée en adrénaline et qui en plus est capable d'être drôle, du début à la fin.






SPAWN UNWANTED VIOLENCE #1 : MIKE DEL MUNDO EN VEDETTE


 Comme vous l'avez déjà probablement compris, l'univers de Spawn n'en finit plus de s'étendre. Cette fois, nous avons affaire à une mini série en deux parties, deux parutions à la pagination généreuse portant le titre de Unwanted Violence. En fait, tout l'intérêt est de voir le personnage dessiné par Mike Del Mundo, qui est un des artistes les plus étonnants et appréciés du marché ces dernières années. Et il faut bien l'admettre, pas forcément le nom que je m'attendais à trouver sur une des séries créées par l'inusable Todd McFarlane. Pour faire court, disons que Spawn doit s'assurer les services de Freak, un démon qui tire tout son plaisir de la souffrance qu'il inflige à ceux qui sont coupables. En particulier dès lors qu'il s'agit de s'en prendre à des pédophiles, à des individus qui exploitent et torturent la jeunesse. C'est un thème assez récurrent dans la série Spawn ; très souvent nous avons affaire à des personnages ou des scènes qui sont en rapport avec ce sujet délicat, et ce depuis les touts début de l'aventure et l'apparition de Billy Kincaid. Ici, Spawn a besoin de cet allié un peu particulier pour remonter une filière qui lui pose problème, et c'est au Pérou qu'il va retrouver la créature démoniaque, alors qu'elle est en train d'exécuter une sorte de baron de la pègre local, qui se repait de chair fraîche. Comme toujours, nous n'avons pas l'impression de lire quelque chose de très original ; les enjeux ne se renouvellent pas et cela fait désormais trente ans que le malheur, la guerre éternelle entre le bien et le mal et les côtés les plus sombres de l'humanité sont exploités par un McFarlane qui ne respire pas la bonne humeur. Mais si ça marche encore et encore, c'est parce qu'il sait bien s'entourer, ici notamment avec un dessinateur dont le travail sur les textures et la manière de définir les contours des personnages, de les insérer dans des planches où les frontières chromatiques se troublent et où les formes se confondent, s'avère des plus intéressants. Spawn apparaît pour sa part de plus en plus manipulateur et même capable d'opérer des choix qui peuvent aller contre la logique, ou en tous les cas les attentes du lecteur. Rien de bouleversant donc, mais un solide travail graphique, pour une parution qui comme souvent chez Image bénéficie en outre d'un prix modéré, vu le nombre de pages. Rien que pour Del Mundo, on vous le recommande. 




AURORA TOME 1 PHÉNOMÈNES : LES ENFANTS DE L'AURORE ARRIVENT !


 Laissez-moi vous poser deux petites questions avant d'aborder la critique du premier tome de Aurora, disponible chez Soleil. Tout d'abord, savez-vous combien d'enfants naissent chaque jour en moyenne dans le monde ? Ensuite, pouvez-vous expliquer ce qu'est réellement une aurore boréale ? Dans le premier cas, le chiffre est de 220 000. Dans le second, sachez qu'il s'agit d'une masse de particules chargées que le soleil éjecte, et qui traversent l'espace jusqu'à entrer en collision avec la magnétosphère, c'est-à-dire le bouclier qui protège la Terre. Les deux événements se rejoignent un beau jour alors qu'une l'aurore boréale particulièrement spectaculaire est visible à travers tout le globe. Durant ces 24 heures là, 220 000 enfants vraiment particuliers vont naître. Dès leur naissance, on constatera qu'il ne pleure pas, ne semble manifester aucune émotion; et du reste, au fur et à mesure de leur croissance, les choses ne vont pas évoluer. Les petits gamins mutiques vont devenir des enfants au quotient intellectuel extraordinairement élevé, aux capacités physiques invraisemblables (au point de pouvoir à 3 ans se débarrasser d'une meute de chiens en colère). Pire encore, ces enfants semblent en mesure d'entendre des conversations très lointaines et avoir une sorte de lien étrange qui les unit, en prévision de ce qui s'annonce être comme un acte coordonné à l'échelle mondiale, une forme de prise de pouvoir, qui tôt ou tard risque d'advenir. Christophe Bec nous affirme que l'histoire lui est venue d'un bloc, tout à coup, un beau matin. Il a dû passer une nuit active au pays des songes car on a l'impression qu'il y a tout un univers qui est en germe dans ce premier tome, que nous partons pour quelque chose d'ambitieux et de malaisant, avec une nouvelle génération qui a tout pour vous impressionner et vous terroriser. Il y a d'ailleurs un petit côté Soleil Noir (que nous avions récemment chroniqué), publié chez Shockdom, dans Aurora, mais là où chez Sicchio les enjeux restaient somme toute circonscrits à une atmosphère, à un sentiment d'aliénation, nous entrons ici dans quelque chose d'autre, une forme de nouvelle humanité, que l'on pourrait d'ailleurs également qualifier d'inhumanité.


Avec Christophe Bec au scénario, nous avons déjà l'assurance qu'on ne fera pas dans la demi-mesure. L'auteur est habitué à nous embarquer dans des vols au long cours et ses séries ont de l'étoffe et de la suite dans les idées. Il récupère ici une des peurs les plus prégnantes de notre société, à savoir les épidémies et les virus (il est fait mention du covid, par ailleurs) pour écrire quelque chose d'autre, de beaucoup plus subtil et pernicieux, à savoir toute une génération d'individus potentiellement très dangereux et dont le développement risque de signifier l'asservissement de la race humaine. Il suffit par exemple de voir comment se comporte un de ces petits héros qui grandit au sein d'une famille milliardaire, avec comme père un oligarque russe roi des affaires. La manière dont il tyrannise toute la famille et les domestiques, dont il se plaît à humilier son entourage et dulcis in fondo, le mal dont il fait preuve quand il orchestre une mort, que son intelligence supérieure lui permet de maquiller en suicide ou accident. Stefano Raffaele est pour sa part excellent, son trait particulièrement expressif et réaliste se met au diapason du scénario et il parvient à exprimer l'effroi et l'horreur qui s'annonce, avec des planches du plus bel effet et dont la construction s'avère diablement efficace. On se surprend à détester cette génération inéluctable, qui sait se montrer odieuse et monstrueuse, que rien ne semble en mesure d'arrêter puisqu'elle grandit dans l'anonymat et le secret, jusqu'au moment où elle se révélera pour prendre le pouvoir. Aurora est prévue pour être une série en six volumes, au rythme de deux parutions annuelles; au terme du premier chapitre, les enjeux sont donc parfaitement posés, tout ceci alors que la véritable fuite en avant n'a pas encore commencé. Le monde est déjà condamné et ne sera plus jamais le même, mais personne ne le sait encore, sauf le lecteur, qui attend déjà avec impatience la suite.






HULK VS THOR DRAPEAU DE GUERRE : 60 ANS ET DES BOURRE-PIFS


 Le monde des comics et de la bande dessinée est actuellement sur le pied de guerre avec l'apparition de l'intelligence artificielle, qui permet au quidam moyen de se rêver artiste, le temps de créations originales aussi spectaculaires qu'il faut bien le dire, stéréotypées. Et bien, la lecture de ce véritable combat des titans que représentent les festivités pour le 60e anniversaire conjoint de Hulk et de Thor n'est pas loin de ressembler à la version scénaristique de cette évolution douteuse. Nous pouvons admirer Donny Cates, qui est parvenu à se faire rémunérer le scénario de ces cinq épisodes, pour ce qui représente probablement un travail rédigé en quelques minutes sur un coin de table, dans un café, entre le dessert et l'adition. En gros, Hulk et Thor se tapent dessus depuis soixante ans; leur puissance respective font qu'ils sont deux adversaires amis et ennemis, que les lecteurs apprécient retrouver dans leur embardées sauvages. Ici, les revoilà tous les deux contraints de cogner dur durant une centaine de pages, à coups de marteau, à coups de poing, à coups de tête. Hulk est accusé d'un drame survenu à El Paso, dont il n'est pas véritablement responsable. Thor est écrasé par le poids les responsabilités, depuis qu'il est le nouveau souverain d'Asgard après la mort de son père Odin, dont la conscience est désormais préservée dans le marteau Mjolnir. Tous les deux connaissent une phase assez particulière, à la limite de la schizophrénie. Thor parle à son marteau, donc à son père, et il est le seul à entendre sa réponse, tandis que Hulk n'est plus qu'une sorte de vaisseau réceptacle pour un Bruce banner qui le pilote à distance. Une des trouvailles les plus -au choix- jouissives ou stupides de toute l'histoire éditoriale du colosse vert. Un moment donné d'ailleurs, ils sont tous les deux surpris d'entendre l'adversaire converser avec une présence que l'autre ne peut percevoir. Donny Cates s'amuse bien, aussi la véritable question qu'il va maintenant falloir se poser est : et nous alors, allons-nous en retirer le même plaisir ?


Alors qui est le plus fort entre Thor et Hulk ? La réponse est constituée par l'addition d'un nombre invraisemblable de coups; et encore, il n'est même pas certain que nous soyons fixés définitivement. Par contre, ce qui est sûr, c'est que Donny Cates ne recule devant aucune rodomontade scénaristique : vous voudriez voir l'effet que ça ferait si les radiations gamma finissaient par contaminer Thor ? Vous auriez envie de voir un Hulk brandir le marteau enchanté Mjolnir ? Vous voudriez assister à un nouveau combat entre un Hulk plus en colère que jamais et Iron Man, dans une nouvelle armure Hulkbuster taillée pour l'espace ? Oui je vous l'ai dit, il ne faut pas demander quelque chose de raffiné au niveau du scénario. On assiste en réalité au développement typique d'un jeu d'arcade des années 1980, où il suffit de taper rapidement sur la manette pour terrasser l'adversaire. Les deux personnages sont aussi victimes des éléments et des conditions extérieures, ils n'ont plus trop leur destin entre leurs mains, mais il aurait été souhaitable et possible d'apporter tout de même un peu plus de subtilité et de profondeur à l'histoire. Mais de toute évidence, Donny était déjà en train de préparer son départ hâtif de la série Hulk, sur laquelle il ne laissera finalement aucun souvenir impérissable. Au dessin, Martin Coccolo nous démontre que si Marvel l'a choisi pour faire partie de la génération montante, la dernière mouture des Young Guns, ce n'est pas un hasard. Orchestrer des chocs à la manière Marvel, les rendre vivants, explosifs et toujours très lisible, c'est quelque chose qu'il sait faire à merveille. C'est du coup la partie graphique qui est la plus intéressante dans ces cinq épisodes qui sont clairement à prendre comme une récréation jouissive, comme un grand moment de régression, pour fêter un double anniversaire important. Cela dit, ces temps derniers chez Marvel, la régression et la jouissance sont des excuses un peu faciles pour oublier parfois que les enjeux sont quasi inexistants. Et tous les lecteurs alors, qui aiment le pathos et la grandeur du Marvel Universe, vous n'auriez pas tendance un peu à les négliger ?






LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : RÉVOLUTION TOME 2 ÉGALITÉ


 Dans le 143e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Égalité, première partie du second tome de Révolution, saga que l'on doit à Florent Grouazel et Younn Locard, éditée chez Actes sud sous le label L'an II. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie du premier tome sur deux prévus de Kléos, celui qui rêvait de gloire que l'on doit au scénario de Mark Eacersall et Serge Latapy, au dessin d'Amélie Causse et c'est édité chez Grand angle

- La sortie de l'album Médiator, un crime chimiquement pur que l'on doit au scénario conjoint d'Irène Frachon et Éric Giacometti, au dessin de François Duprat et c'est édité chez Delcourt

- La sortie de l'album Freud, le moment venu, un titre signé Suzanne Leclair, épaulée ici par William Roy, qu'édite La boite à bulles

- La sortie de l'album Souviens-toi que tu vas mourir signé par Dobbs au scénario, Nicolas Genzianella au dessin et c'est édité chez Glénat sous le label Comix Buro

- La sortie de l'album Les enfants du rêve chinois, un titre signé par Luxi et édité chez Sarbacane

- La réédition de Liberty, album que l'on doit doit au duo Éric Warnauts et Guy Raives ainsi qu'aux éditions Le Lombard





BLUE IN GREEN : LA SUBLIME ENVOLÉE DE RAM V CHEZ HI COMICS


 Erik Dieter est saxophoniste; c'est un passionné de musique jazz et même s'il a vraisemblablement beaucoup de talent, il est passé à côté d'une opportunité, celle de faire carrière, pour ne pas avoir saisi l'instant quand il s'est présenté ou pour ne pas avoir été assez persévérant. Du coup, il enseigne la musique le samedi matin et se contente d'une existence quelque peu morne, loin de ce qu'il aurait probablement désiré. Les choses vont commencer à changer quand arrive le décès de sa mère, qui l'oblige à rentrer chez lui, pour retrouver une sœur qui elle a su être présente durant toute la maladie, qui a emporté celle qui vient de partir. Erik doit se confronter à nouveau avec un milieu dans lequel il ne se sentait plus à l'aise et qui ne lui a pas laissé uniquement des bons souvenirs. Il retrouve toutefois une femme qu'il a autrefois aimée, mais qui l'a finalement délaissé pour se marier avec un autre et faire des enfants. Ce qui va faire basculer sa vie, c'est la découverte d'une simple photo sur laquelle figure un musicien en action, littéralement envoûté par la musique qu'il joue. Qui est l'artiste présent sur ce document ? Un mystère qui s'ajoute à celui d'une mère particulièrement énigmatique, dont au final Éric ne sait pas grand-chose. C'est une enquête qui démarre dès lors, une enquête qui pourrait bien placer notre saxophoniste devant ses démons, ses peurs, mais aussi ses ambitions, à la recherche de l'identité de l'homme mystérieux. Erik s'absorbe en lui-même et dans la musique, il perd lentement le fil de la réalité et le récit nous emmène dans un territoire inconnu, où on se sent à la fois à l'aise et étranger, où l'on est en tous les cas happé par ce qui ressemble à une œuvre d'art totale, dont on admire chaque page.



La grande qualité de Blue in green, c'est la manière dont se répondent ou se confondent les différentes strates qui peuvent participer à la création d'un comic book. Difficile de dire si ce sont les mots, la prose de Ram V qui ont inspiré les dessins de Anand RK, si c'est ce dernier qui a distillé sa magie au fil des pages et sublimé le travail du lettreur Aditya Bidikar, ou si tout ceci a fortement influencé le scénariste pour écrire une œuvre singulière et magnifique. Toujours est-il qu'on reste bouche bée devant de très nombreuses planches, qui ont très souvent cet aspect peint que nous connaissons chez David Mack par exemple et qui jouent habilement des frontières poreuses qui existent entre l'onirisme et la réalité, entre le quotidien prosaïque d'un homme à la recherche de ses racines et la métaphysique, voire l'épouvante, ce qui se cache dans son esprit et qui n'a jamais été abordé frontalement jusque-là. D'ailleurs, il est même possible d'oublier carrément le sujet principal de Blue in green. Erik rencontre-t-il véritablement le surnaturel ou est-il victime de visions ? L'histoire d'amour (re)naissante puis immédiatement avortée avec Vera, une ancienne petite amie, va-t-elle être importante ou ne sera-ce qu'une station sur un chemin de croix perturbant ? Est-ce une réflexion sur la nécessité de brûler la chandelle par les deux bouts, consumé par le désir de l'art, ou au contraire une mise en garde sur ce qui attend celui qui se laissera séduire et inconsidérément tourmenté par ses muses ? Lisons-nous un drame familiale et intime ou une plongée glaçante et lente dans l'horreur ?Rarement nous refermons un album en considérant qu'il existe autant de réponses que de lecteurs, et même - et c'est cela qui est extraordinaire - l'interrogation n'a peut-être aucun sens ! Ce qui compte, c'est un peu la même chose que ce qui peut importer dans de nombreux disques de jazz, c'est le sentiment qui se dégage, l'émotion qui peut prendre aux tripes… si ce n'est qu'ici on ne fermera jamais les yeux pour se laisser transporter, mais au contraire, on les gardera grand ouverts jusqu'à la dernière planche et son insondable tristesse. Bref, vous pouvez très bien faire l'impasse sur ce titre, si vous ne lisez uniquement que du super-héros en costume bariolé. Inversement, si vous prétendez avoir entre les mains quelque chose d'aussi insaisissable que bouleversant, je vous recommande fortement d'investir dans ce qui sera (on peut déjà le dire, même si nous sommes en janvier) une des sorties marquantes de l'année 2023 sur le marché français. On n'obtient pas un Eisner Award par hasard, après tout. Au passage, n'hésitez pas à caresser la très belle couverture que vous a réservé Hi Comics, avec son effet "vinyle/micro sillons" des plus réussis. C'est de l'art jusqu'au bout du bout des doigts, que demander de plus ? 

(sortie mercredi 18 janvier)






ROGUES : LES LASCARS REPRENNENT DU SERVICE AVEC JOSHUA WILLIAMSON


 Les Lascars. Rogues, en version originale. Il s'agit d'un groupe qui comprend quelques-uns des ennemis préférés - ou détestés, c'est selon les avis - de Flash. Ils ne font pas dans la sobriété puisque la plupart sont dotés de costume et de gadgets assez fantasmagoriques, comme le plus célèbre d'entre eux, le Captain Cold, un nom à vendre du poisson pané surgelé, qui passe le plus clair de son temps engoncé dans une veste polaire à capuche, avec dans les mains un pistolet réfrigérant qui lui sert à commettre les pires larcins. Mais Leonard Snart n'est plus ce qu'il était. Bien des années ont passé depuis ses exploits funestes et il est désormais employé comme contremaître en entreprise. Un travail nécessaire pour sa réinsertion dans la société et payer ainsi sa dette. L'ancien criminel à réformer reçoit régulièrement la visite d'un agent de probation qui s'enquiert de ses conditions de vie, et surtout qui vérifie qu'il n'est pas tenté de retomber dans ses travers, par exemple en bidouillant de nouveaux appareils lui permettant d'utiliser la cryogénie à des fins peu recommandables. Tout bascule lorsque celui qui fut Captain Cold se rend compte qu'il est en fait méprisé et que sa nouvelle existence des plus ternes ne le mènera nulle part. Alors, l'idée qui lui traverse l'esprit est simple : un dernier coup d'éclat, pour empocher une somme astronomique. En réalité, mettre la main sur des lingots et pouvoir bénéficier d'une retraite dorée, sans avoir besoin de passer par les fameux régimes spéciaux que notre gouvernement actuel s'évertue à détruire. Évidemment, ce n'est pas quelque chose qu'il pourra faire seul… aussi il se lance dans une campagne de recrutement, tout d'abord en sollicitant l'aide de sa propre sœur Lisa, puis celle d'anciens coéquipiers au sein du groupe des Lascars donc, comme le Maître des miroirs (drogué et interné dans un institut de sevrage) ou encore le Charlatan, Heat Wave, Magenta ou Bronze Tiger. Tout ce beau monde a rendez-vous en Afrique, dans le royaume tenu secret de Gorilla Grodd. Rien que l'idée de pénétrer chez ce souverain simiesque a de quoi donner des sueurs froides. Mais Snart sait convaincre ses anciens alliés, quitte à ne pas forcément toujours employer des moyens licites et loyaux.



Joshua Williamson est décidément partout. Il écrit cette fois une sorte de polar désabusé, une aventure aussi dramatique que drolatique par endroit.  Ses Lascars sont des individus au bout du rouleau, usés jusqu'à la corde, qui avaient raccroché pour une bonne raison. Ce n'est pas la vie qui les a rattrapé, c'est juste l'égoïsme et l'égocentrisme de Cold, qui les embarque dans un casse du siècle mal préparé et destiné de toute façon à échouer. Il y a beaucoup d'humour dans les dialogues et on sent qu'en réalité l'équipe réunie est trop hétérogène et brisée pour arriver à quelque chose. Mais ce n'est guère mieux sur le versant africain : Gorilla City est certes une ville moderne mais la manière dont elle est perçue, dont semble fonctionner son organisation interne, n'échappe pas à une bonne dose de sarcasme. A commencer par un Roi Grodd qui doit endosser le costume du souverain contraint au grand écart entre traditions simiesques et capitalisme effréné. Du coup, il y a de la trahison à tous les étages, chez tout le monde, et ça ressemble à une sorte de bande dessinée synthèse d'un comic book moderne et d'un film de Quentin Tarantino. C'est alors qu'on se rend compte que les dessins de Leomacs sont parfaits pour le on de cette histoire. Pour le coup, nous avons un véritable style européen, proche du western caricatural, avec des planches au rythme effréné et impayable, truffés d'onomatopées qui s'intègrent à l'action et l'accélère davantage. Un délire qui ressemble a de la BD parodique et d'humour, sans jamais céder à la facilité. Car en fin de compte, le dessin en lui-même reste de belle facture et d'une maîtrise réelle (même s'il faut le renfort de trois assistants différents pour venir à bout du dernier chapitre). Les amateurs de comics qui ne se prennent pas foncièrement au sérieux et qui jettent un regard neuf et désenchanté sur des personnages en déshérence vont trouver leur bonheur. Rogues, c'est non seulement attachant, mais c'est aussi un récit jouissif et malin, qui n'oublie pas d'arborer un souvenir narquois au plus sombre de ses pages. Du vrai bon Black Label !





L'OMNIBUS X-STATIX CHEZ PANINI : TIME IS NOW !


 N'allez pas croire que Marvel Comics a toujours connu la gloire et les paillettes, au long de ses longues décennies d'existence. Il y eut aussi des périodes de vaches maigres, voire carrément l'ombre menaçante d'une faillite, vers la fin des années 90, lorsque furent appelés au chevet de l'éditeur une belle brochette d'artistes iconoclastes, de Brian Bendis à Joe Quesada (qui devint le grand rédacteur en chef), en passant par Garth Ennis, Mark Millar ou …Peter Milligan. Comme tous les grands scénaristes anglais, ce dernier avait fait ses preuves en terre d'Albion sur la revue 2000AD, avec Bad Company, une sorte de spin-off à Judge Dredd (avant de débarquer chez DC pour Shade the Changing man ou Animal Man). Milligan est irrévérencieux, caustique, et il saisit parfaitement l'air des temps qui changent. C'est à lui qu'est confiée une mission problématique : sauver X-Force de l'oubli. Oui, cette série lancée en fanfare par Rob Liefeld une centaine de numéros auparavant, et qui fut théâtre des exploits testostéronés de Cable ou Deadpool, entre autres. La nouvelle mouture présente d'un coup un roster complétement retravaillé, constitué de nouveaux venus un peu paumés et nombrilistes, dont le moindre exploit est filmé et diffusé dans une grande émission de télé réalité continue. Le scénariste puise à pleines mains dans la méta bande-dessinée, et propose une satire efficace du contexte super héroïque habituel. Les membres les plus identifiables de son équipe sont vaniteux et colériques (Tike, alias the Anarchist), pleins de failles et de faiblesses (Sensitive Man, appelé à devenir The Orphan, et le leader de X-Statix) ou encore provocateurs et irrévérencieux (la rafraichissante U-Go Girl). Avec un humour qui fait toujours mouche, Milligan va régaler, avec des sujets aussi sensibles et bienvenus que le racisme, l'homo sexualité (deux des membres de X-Statix font peu à peu faire leur coming-out), la course à la célébrité, ou encore le pouvoir de l'économie, des médias et du merchandising. 


Mais surtout, Milligan n'hésite pas à vite renouveler le cast, en faisant mourir au champ d'honneur ses personnages. Dès les débuts de sa prestation, la team perd celui qui était censée la mener, Zeitgeist. C'est ensuite le tour de nombreux autres, à tel point que lors du passage crucial du titre X-Force à sa nouvelle-nouvelle existence, en tant que X-Statix, c'est U-Go Girl, la belle Edie, qui tire sa révérence alors qu'elle est incontestablement un des piliers de l'histoire. X-Statix est en réalité au service d'un milliardaire de la Silicon Valley, qui tire les ficelles dans l'ombre, orchestre les campagnes médiatiques, et les combats pas toujours crédibles ou sérieux. Le but est d'exister devant les caméras, produire des bénéfices, vivre de gloire et de bons gros dollars. Tout est utile pour y parvenir. Exacerber les tensions, ou les créer de toutes pièces. Inventer un ennemi, qui en devient trop réel par la suite, ou encore semer le doute, la suspicion, sont autant de moyens de maintenir l'intérêt du public, à chaque instant, le tout sous l'objectif de Doop, une espèce de blob gélatineux tout vert, dont les pouvoirs sont au départ inconnus, et vont se révéler incommensurables. Certains grands moments de la série, qui va résister plus de trois ans, sont inoubliables et décalés, comme lorsque l'afro américain Tike prend ombrage de l'arrivée d'un autre héros de couleur dans l'équipe, ou lorsque les Avengers et X-Statix se défient, pour récupérer le cerveau de Doop, qui a explosé et dont les morceaux ont été semés à travers le globe. Au dessin, Mike Allred a donné une vraie identité visuelle originale à la série, avec des pages dynamiques, simples et immédiates, un trait épuré et mis au service de couleurs éclatantes, à la limite du criard par endroits, dues à Laura, son épouse. Du début à la fin X-Statix s'étire en situations fantasmagoriques, avec de la téléportation, des rayons d'énergie, des êtres on ne peut plus étranges (un membre provisoire de X-Statix a une relation fusionnelle avec sa planche de skate!) et des morts tragiques, mais qui jamais n'arrêtent une formation en représentation permanente, parabole jouissive du monde de l'entertainment moderne, où tout est bon, comme dans le cochon. En somme, l'arrivée de l'omnibus chez Panini sonne comme une divine surprise, même si le format (et donc le prix) en font une lecture hors de portée de certaines bourses. 



BATMAN SUPERMAN WORLD'S FINEST TOME 1 : LE DIABLE NEZHA


 Difficile de déterminer les raisons pour lesquelles le duo Superman Batman fonctionne aussi bien. Parfois présentés comme les deux meilleurs amis du monde, parfois antagonistes d'une rivalité malsaine, nous les avons vus à travers les époques marquer certains récits fondamentaux de l'univers DC Comics. La nouvelle mouture de World's Finest écrite par Mark Waid nous replonge, au niveau de l'ambiance, dans l'âge d'argent des comics , lorsque c'étaient  l'aventure, la succession de combats, les situations baroques et explosives qui faisaient le sel du récit plutôt qu'une introspection générale et étalée dans le temps, qui caractérise aujourd'hui ce qu'on appelle "les arc narratifs décompressés". L'histoire commence alors que plusieurs super vilains attaquent Batman et Superman : Poison Ivy fait des siennes à Metropolis, alors que le kryptonien est lourdement confronté à Metalo, dont le cœur de kryptonite s'avère être une arme redoutable. Il parvient à mettre à terre l'Homme d'acier et à le neutraliser presque définitivement en lui injectant de la Kryptonite rouge directement dans le cœur. Tout ceci provoque une réaction en chaîne mortifère dans l'organisme de notre héros qui va carrément frôler la mort. Pour le guérir, mais aussi pour comprendre ce qui se joue et venir à bout de ces criminels qui pointent le bout du nez, il va falloir l'union des forces surhumaines de Superman (à condition qu'il se remette bien entendu) et les capacités déductives du meilleur détective du monde, pour remonter la piste d'un certain Nezha, un diable issu de la Chine antique, qui après avoir été emprisonné durant des siècles, est parvenu à se libérer et réclame la domination sur le monde entier, rien que ça. Et comme ses pouvoirs sont en effet impressionnants, et que rien n'a de prise sur lui, on se prend à penser que ses désirs pourraient aussi devenir réalité. 



Du coup, Superman et Batman ont beau former une fine équipe, ça ne suffira pas pour venir à bout de la menace magique (et vous le savez, Superman a une seule limite évidente, les pouvoirs mystiques qui échappent aux lois de la nature). En renfort, il faudra qu'interviennent Robin (forcément, Dick Grayson est ici le side-kick de Batman) ou Supergirl, sans oublier la Doom Patrol, des outsiders que le grand public a appris à connaître aussi à la télévision, avec une série aussi inventive que sous estimée. Waid s'amuse et nous amuse. Les épisodes défilent très vite, ils baignent dans cette irréalité temporelle qui en font de petits bijoux du passé mais parfaitement actuels, truffés de petites touches humoristiques dans les dialogues. Aucun temps mort, aucune raison de s'ennuyer dans cette confrontation face à Nezha, qui occupe les cinq premiers numéros, et qui sont illustrés par un de ceux que nous adorons et que nous considérons comme un des talents les plus intéressants actuellement, c'est à dire Dan Mora. Le type joue à l'économie, n'abuse jamais dans la surcharge graphique, possède une capacité à aller à l'évidence, avec un parfum presque cartoony, tout en assurant un travail de grande beauté, des planches jamais banales ou bâclées. C'est beau, quoi dire de plus ? Le dernier épisode, qui est concentré en particulier sur Robin et ses mésaventures temporelles, est lui l'œuvre de Travis Moore, et il n'a rien à envier à ce qui précède. On attendait peu de cette nouvelle série, on a reçu beaucoup. Des combats orchestrés au millimètre, des légendes orientales et un saut dans un lointain passé, un adversaire digne de ce nom qui pousse les héros dans leurs derniers retranchements, de l'action, pure et dure, old school mais jamais démodée. Quand vous entendrez parler des comics comme un divertissement décomplexé et qui file la banane, vous pourrez désormais citer World's Finest en exemple, car c'est bien de cela dont il s'agit !


Et surtout, on ne le redira jamais assez, le moyen le plus simple de ne rien perdre et de soutenir Le Mag', c'est de cliquer ci-dessous :



SCORCHED : L'ESCOUADE INFERNALE DE SPAWN CHEZ DELCOURT


 Les Hellspawn sont plutôt du genre solitaire, on ne peut pas dire qu'ils recherchent la compagnie de leurs semblables ni même que c'est l'union qui fait leur force. Voir donc pour la première fois un aréopage de ces créatures infernales, avec bien sûr dans l'ombre la supervision d'Al Simmons alias Spawn, c'est la petite sensation de janvier. Troisième et dernière nouvelle série lancée par Todd McFarlane, Scorched est probablement celle qui est la plus difficile d'accès pour le néophyte qui ne connaîtrait pas bien l'univers de départ, qui a donné naissance à cette espèce de spin-off. Il y a en effet de trop nombreux intervenants, tous possédant des nécro-pouvoir set une sorte de symbiote, pour aborder sereinement ces pages en tant que grand débutant. Quand l'actualité rejoint la fiction : c'est en Russie que nous allons voyager, à la rencontre d'une organisation terroriste appelée la Bannière Noire, et d'un colonel particulièrement obtus et dangereux du nom de Khrouchtchev. Celui-ci a mis la main sur une technologie inédite, en réalité le premier symbiote infernal défectueux, qu'il utilise pour se transformer, lui et ses hommes, en véritable machines à tuer. Peste, un nom qui lui va comme un gant, est le simili Spawn à l'origine de ce qui pourrait être la fusion définitive et mortelle de l'être humain et du soldat des enfers. Quant à notre escouade infernale, elle intervient à sa manière, c'est-à-dire en faisant couler le sang et en se lançant tête baissée dans la bataille. La position de leader de ces écorchés est occupée par une femme. Jessica Priest est aussi Miss Spawn, ancien agente ultra efficace de la CIA, autrefois au service de Jason Wynne, l'homme qui a orchestré l'assassinat et la trahison contre Al Simmons. Jessica a renoncé à sa vie quotidienne et à sa petite fille pour sa propre croisade personnelle. On la retrouve ici entourée d'alliés précieux comme le Spawn Medieval, le mystérieux Rédempteur et le fameux Spawn Pistolero, que vous connaissez bien puisqu'il a déjà eu droit à sa propre série le mois dernier, dont vous pourrez retrouver la critique assez facilement dans notre magazine ou sur le blog.


Attention, la subtilité n'habite pas dans ces pages et si vous êtes clairement allergique à tout ce que Todd McFarlane et ses compères ont pu écrire et dessiner dans les années 1990, vous risquez une crise d'urticaire. Vous allez rencontrer ici des anges morts-vivants, le roi des vampires, des cyborgs alimentés à l'énergie nécrotique, le tout dans un contexte glacial, l'est de l'Europe, de la Biélorussie à l'Ukraine, en passant par la Roumanie et la Russie. L'habituel conflit entre les enfers et le paradis est en réalité placé au second plan; ce sont les agissements des humains, de ceux qui refusent de prendre parti pour l'un et l'autre camp, qui décident d'en découdre avec tout le monde, qui affrontent notre Escouade infernale. On trouve même des machines dont le carburant est du sang d'Antispawnn ou du sérum de Helspawn. Évidemment, nos joyeux drilles ont très peu confiance l'un envers l'autre, surtout lorsqu'on annonce qu'un traître réside parmi eux. Ce qui n'est pas si étrange car chacun a des ambitions différentes, à commencer pour plusieurs d'entre eux par retourner dans une époque ou un lieu qui leur est propre, ou tout simplement retrouver la famille, les affects. Sean Lewis et Todd McFarlane s'en donnent donc à cœur joie ici; ils placent dans le panier tout ce qui a pu être écrit, ce qui a été imaginé, osé, puis il décident de secouer fort, et ils peuvent servir très chaud dans l'assiette, jusqu'à ce que ça fume et que ça explose sous le palais. Stephen Segovia et Paulo Siqueira s'occupent de la partie graphique, qui est clairement un des points forts de l'album. Comme les différents personnages n'ont pas vraiment d'espace pour que soient exposés leurs sentiments, pour être caractérisés avec attention, ils ont la lourde tâche de happer le lecteur avec des costumes et des poses dynamiques, des pages où tous les rejetons infernaux trouvent une raison d'être (présents) dans Scorched, par ce qu'ils apportent concrètement (qui raisonne, qui se bat, qui obtient les informations…) plus que par ce qu'ils sont. Cette nouvelle série est alors un complément survitaminé au nouvel univers de Spawn en extension, plus qu'un produit qu'on pourrait recommander pour découvrir le personnage. Réservée aux amateurs conquis, qui ont décidemment beaucoup de chance ces mois-ci chez Delcourt.  





LE PUNISHER ENFIN DE RETOUR : LE ROI DES TUEURS


 Il y a deux caractéristiques qui sont essentielles pour comprendre le personnage du Punisher. La première, c'est bien entendu le drame fondamental qui pousse un homme à sombrer dans la vengeance et consacrer sa vie à abattre tous les criminels qui croisent sa route. Autrement dit, la perte d'une femme et de deux enfants, victimes collatérales d'un règlement de compte entre mafieux lors d'un pique-nique familial. L'autre élément clé, c'est le service de Franck Castle sous les drapeaux, durant la guerre du Vietnam. Les scénaristes qui se sont occupés du personnage ces dernières années se sont souvent posés la question de savoir quand est né vraiment le Punisher. Est-ce à la suite de cette fusillade ou était-il déjà présent dans l'âme et le cœur de Castle, quand il combattait dans la jungle, pour la patrie. Ici, le travail de Jason Aaron va également se concentrer sur une troisième piste, en remontant dans l'enfance de Castle et en y trouvant des épisodes particulièrement dérangeants, qui vont placer sous une lumière très différentes le Punisher. Un Punisher qui arbore désormais un nouveau logo, comme vous le savez tous. Il faut dire que l'ancien, le célébrissime crâne, a été récupéré par une catégorie d'individus peu recommandables, ce qui a poussé probablement hâtivement les dirigeant de Marvel à tout d'abord prendre du recul avec le personnage, pour ensuite le laisser revenir avec cette version modifiée. Certes, il n'y a pas que l'esthétique qui a subi un sérieux lifting, il y a tout le reste, comme par exemple la surprise insondable de retrouver notre Frank Castle en chef de fil d'une armée de ninjas, qui plus est appartenant à la secte mortifère de la Main. Et autre coup de théâtre incroyable, la résurrection de Maria, sa femme, cadeau empoisonné offert par les démons de la Main pour pouvoir ensuite le tenir sous leur coupe. Bref, Jason Aaron prend des risques, des gros, avec cette histoire qui sent la poudre et la polémique, et ose aller plus loin encore que le run de John Ostrander, dans les années 1990, quand le scénariste avait eu l'idée d'un Punisher devenu chef de file d'un clan de mafieux new-yorkais. Aurait-il retourné sa veste (en kevlar) ? 


Je vais me faire tout de suite l'avocat du diable : rendre à Frank Castle son épouse -et tenter d'en faire de même pour ses enfants- n'est pas quelque chose de complètement inédit, puisque la dernière tentative en ce sens, à l'époque du Dark Reign, s'est terminée à coup de lance-flammes, si vous vous souvenez bien. Peut-on vraiment faire du Punisher un simple exécutant, en lui proposant ce genre de marché ? Est-il ce type d'individu capable d'accepter un innommable compromis pour éprouver à nouveau le bonheur des joie familiales ? Très sincèrement, j'ai de fort doute là-dessus. Un Punisher au service de la Main (même devenu leur leader) ou en tous les cas qui essaie à sa façon de faire filer droit la secte, c'est évidemment le prétexte idéal pour redessiner son logo, tout en justifiant la couardise initiale par une opération logique et scénaristiquement plausible. Tout cela est capillotracté, vous l'aurez compris. Aaron n'a qu'une seule solution pour s'en sortir et transformer son run en quelque chose de vraiment réussi et qui mérite les louanges : à savoir retomber sur ses pieds dans quelques numéros, pour nous étonner et nous prouver que les apparences étaient trompeuses et qu'il y avait beaucoup plus que ce qu'il nous laissait supposer au départ. Nous qui suivons la série en VO sommes toujours dans l'expectative; il est encore pour l'instant impossible de déchiffrer ou véritablement comprendre où souhaite en arriver celui qui est aujourd'hui un des meilleurs scénaristes sur la place. Pile ou face, le jackpot ou la banqueroute. Au passage Frank Castle qui essaie de convaincre les ninjas assassins que tuer n'est possible qu'à condition de choisir consciencieusement ses victimes et de ne pas trucider ceux qui ne le méritent pas, ça aussi c'est un peu fort de café. Le récit est confié à deux dessinateurs différents, Jesus Saiz, qui parvient à nous bluffer avec une beauté froide et réaliste du plus bel effet, et Paul Azaceta, qui s'occupe de toute la partie liée au passé du petit Frank, à commencer par le récit de son tout premier meurtre, qui prouve que le gamin avait déjà en lui une inclination à la violence qui n'attendait que le bon détonateur pour exploser. On a rarement été aussi circonspect et indécis devant quelque chose comme le Punisher de Jason Aaron. Je le répète, il serait totalement malhonnête de dire qu'il s'agit de quelque chose de mauvais et tout aussi hasardeux de crier au génie. Nous avons la sensation de lire un produit encore trop énigmatique et qui avance masqué, qui a au moins le mérite de totalement dérouter le lecteur et de l'obliger à revoir sa conception même d'un des personnages phares de l'univers Marvel. Dérapage contrôlé et audacieuse figure artistique, ou triste glissade inéluctable et chute dans le ravin, l'adresse d'Aaron sera-t-elle à la hauteur de sa folie ? Profitez bien du tome 1, la réponse vous sera probablement livrée dans quelques mois. On croise les doigts.





COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...