SUPERMAN #1 : DAWN OF DC ET LE RETOUR DE SUPERMAN


 L'heure est venue de revenir à quelque chose de plus classique et rassurant pour les lecteurs. On retrouve donc un Superman placé dans un contexte plus ou moins connu de tous. Le héros a repris ses marques à Metropolis, aussi bien en temps que défenseur officiel de la ville (lors d'un combat contre Livewire, à l'occasion d'un mariage en péril) qu'en tant que le journaliste Clark Kent, sous les ordres directs de la nouvelle rédactrice en chef provisoire du quotidien Daily Planet, l'inénarrable Lois Lane. Lorsque Superman est aux affaires, c'est-à-dire occupé à combattre un ennemi, il entend désormais la petite voix de Lex luthor, pourtant prisonnier, qui lui donne des conseils sur la meilleure manière de défaire son opposant. Bien évidemment, nous sommes très loin du pacifisme et de la compassion que démontrent habituellement l'Homme d'acier. Celui-ci essaie de ne pas écouter et il n'en fait qu'à sa tête. Il apprend également avec surprise que c'est lui qui hérite des entreprises LexCorp, depuis l'emprisonnement de leur grand patron. Pour l'occasion, la compagnie change même de nom, pour être rebaptisée Supercorp, ce qui a le don d'embarrasser un Superman qui n'a clairement pas la fibre entrepreneuriale. L'histoire se corse quand il s'agit de se confronter au Parasite qui se déchaîne en ville; c'est là que Superman va réaliser que non seulement il va devoir protéger le monde de ses ennemis, comme le veut la tradition, mais aussi de ceux de Luthor. Ce dernier, plus machiavélique que jamais, est présenté par Joshua Williamson sous un nouveau jour. Le scénariste a décidément les mains partout et parvient à truffer ce premier numéro de tout un ensemble de nouvelles pistes à explorer, qui en font une parution très dense et en même temps très simple à lire. Le dessin de Jamal Campbell souffre d'une impression un peu froide à première vue, mais l'artiste est capable de réussir de splendides visages avec des expressions d'étonnement ou de plaisir convaincantes. Sa mise en page est audacieuse et il fait vivre tout ce premier numéro avec une maestria évidente. Dawn of DC s'annonce donc sous les meilleurs auspices pour Superman; la série a l'intelligence de rassurer les anciens lecteurs en les faisant revenir au bercail, tout en jalonnant le parcours du retour de sub plots qui devraient les surprendre et les "accrocher" à nouveau. On attend de voir, mais il est clair que les prémices sont plus que bonnes.





RADIANT BLACK TOME 2 : FAIRE ÉQUIPE (MALGRÉ TOUT ?)


 Heureusement que Delcourt a placé en exergue du tome 2 de Radiant Black une page de résumé, qui permet de situer l'action et qui sont les personnages, car autrement le lecteur qui déciderait de prendre l'aventure en route serait totalement perdu. C'est que nous sommes d'emblée dans la suite du premier volume, à savoir un combat sans merci entre les quatre différentes expressions du Radiant, chacune représentée par une couleur différente, et un mystérieux ennemi qui est clairement venu pour les exterminer, au prétexte qu'ils représentent une menace pour notre planète. D'un côté nous avons une totale inexpérience et le manque de coordination des héros, puis de l'autre un adversaire très coriace, qui parait beaucoup plus maître de lui et qui de surcroît à la fâcheuse capacité de se recharger en puisant dans l'énergie des Radiant. Les combats sont spectaculaires avec une mise en couleur qui oscille entre le magnifique et l'impression d'en faire un peu trop, au point de flirter avec les limites du lisible. Néanmoins Marcelo Costa (et Natalia Marques) a vraiment un talent indéniable quand il s'agit de faire sauter les planches à la figure du lecteur, et c'est en effet un comic book survitaminé qui nous est donné ici à lire. Mais pas que, car le scénario de Kyle Higgins est aussi capable de nous émouvoir, notamment la relation entre les deux amis Nathan et Marshall. Le premier est à l'hôpital, dans le coma, et vraisemblablement il ne se réveillera plus; son pronostic vital est engagé. Le second a donc récupéré l'énergie du Radiant Black et il tente de faire de son mieux pour qu'on pardonne ses bêtises, tout en en voulant à mort à la jeune Satomi (Radiant Red), qui est responsable du drame de son ami. Une relation amicale d'ailleurs très forte qui donne lieu à des scènes touchantes dans la chambre d'hôpital, avec l'espoir qui s'amenuise au fil des jours, jusqu'à la grande décision de tout tenter, d'aller au-delà de l'univers connu, d'exploiter des pouvoirs encore mal maîtrisés pour faire revenir celui que tout le monde estime être perdu. Au passage, cela signifiera aussi affronter la vérité, la vérité vraie, celle que l'on se cache parfois, de peur de s'y confronter. 



Les quatre individus qui ont reçu chacun des pouvoirs dérivés du Radiant (en touchant une sorte de trou noir qui apparaît dans l'espace-temps) possèdent des personnalités différentes, ce qui permet d'équilibrer les scènes où ils se retrouvent et de créer de la tension, mais aussi de la dynamique dans cette équipe qui n'en est pas une. D'ailleurs, le dernier des six épisodes présents dans ce second volume est consacrée à une jeune fille, Meghan Camarena, qui porte le costume rose. Son activité principale est d'être une influenceuse/streameuse sur Youtube. Toute son existence tourne autour de son travail sur les réseaux et il suffit d'une simple panne de micro pour que elle ne puisse plus répondre aux attentes de ses fans. Le détail est important car c'est en voulant se procurer un nouvel appareil que sa vie va basculer définitivement. On notera une volonté farouche de Higgins de faire parler ses personnages comme de véritables jeunes, quitte à caricaturer exagérément les expressions et les tics de langage. C'est particulièrement flagrant dans le dernier épisode mais c'est aussi quelque chose dont on se rend compte dans les cinq précédents; il y a par endroits quelques petits détails au niveau de la traduction qui nous font tiquer, pour être parfaitement honnête. Appartenant à la génération des quadras, voire même désormais des quinquas (quasiment), j'ai toujours du mal avec ce français, lorsqu'il est aussi maltraité, mais j'ai toutefois bien conscience que c'est aussi une réalité irréversible. Dernier point, cette série se voudrait être une sorte d'antidote pour ceux qui sont en manque de "Invincible" (la série de Kirkman) ou qui aimerait retrouver l'esprit des comic books d'antan, comme par exemple les premiers pas de Spider-Man. C'est vrai qu'il y a un côté rafraîchissant et juvénile dans cette histoire, mais tout ceci est fortement parasité par un scénario beaucoup plus complexe qu'e ce qu'on pourrait deviner, avec des enjeux qui tardent à réellement se dessiner, au point qu'à certains moments l'histoire se fait même un peu brouillonne. Radiant Black est donc assez paradoxal : il y a un énorme potentiel dans ce titre, les pages sont réellement accrocheuses et donnent envie de s'y plonger, mais nous sommes toujours à la croisée des chemins, c'est-à-dire en équilibre entre une grande réussite promise à un avenir brillant et quelque chose qui vise un peu trop haut et risque de redescendre, tel un soufflet avorté. On attend le tome trois pour se prononcer avec plus de justesse.





NEWBURN TOME 1 : LE POLAR DE CHIP ZDARSKY CHEZ URBAN COMICS


 Quand vient le moment d'écrire un nouveau polar, la première chose à faire est probablement de proposer un personnage central charismatique, intrigant, capable de se débrouiller dans les situations les plus complexes. Easton Newburn est de cette trempe. Cet ancien agent des forces de l'ordre de New York a finalement abandonné la police pour le rôle très ambigu d'avocat/détective privé au service de la pègre. Pour être plus précis, ce sont les différentes familles mafieuses de la ville qui règlent ses émoluments, à chaque fois qu'elles ont besoin de ses services. Un meurtre est commis, la tension monte entre plusieurs factions criminelles, c'est alors à Newburn de déterminer qui est le coupable ou de trouver une solution pour apaiser les esprits. Et jusqu'à présent, il exerce ce nouveau sacerdoce avec une grande maîtrise de soi et des résultats toujours convaincants. Sorte d'Humphrey Bogart ou de Cary Grant moderne, il parvient toujours à utiliser ses informations comme de véritables armes et son pouvoir de déduction est immense. Si Easton préfère opérer en solitaire, il va cependant recruter une charmante jeune femme afro-américaine prénommée Emily, qui cache elle aussi un lourd secret, révélé dans les deux derniers épisodes de ce premier tome. Newburn travail vite et bien mais il est en permanence contraint d'effectuer un numéro d'équilibriste, sur un fil tendu au-dessus d'un précipice immense. Tout le monde a besoin de lui, tôt ou tard, mais en réalité, il semblerait que ce soit notre homme qui utilise les autres. Un chef Yakuza est assassiné, un des héritiers d'un clan italo américain est liquidé chez lui, une vague de crime au motus operandi identique à chaque fois fait frissonner la ville, la police veut mettre la main sur le meurtrier de l'un des siens, peu importe le problème, Easton est mis à contribution et on compte sur lui pour que tout s'arrange. Chip Zdarsky empiéterait-il sur les plate-bande du maître en la matière, à savoir l'extraordinaire Ed Brubaker?



Quiconque a récemment lu les aventures d'Ethan Reckless (publiées chez Delcourt) pourra faire un rapprochement entre les deux univers. Dans cette manière de partir d'un fait brut, de le disséquer, d'en approfondir les ramifications, de filtrer tout ça à l'aune d'un personnage isolé et perspicace. Sauf qu'ici Newburn est moins désemparé; c'est un type qui a une carrure et des états de service qui forcent le respect, et c'est aussi un des points de repère décisifs de l'organisation sociale et criminelle de la ville. Dans un accès de rage inédit, il finit d'ailleurs par l'affirmer, New-York est à lui ! Dans un premier temps, Zdarsky nous laisse à penser que les différentes affaires qui impliquent son personnage n'ont pas de véritable lien, mais c'est une illusion, car au fur et à mesure des pages, l'ensemble commence à prendre forme et tisse une toile d'araignée complexe et inéluctable, qui enserre et unit les différents protagonistes. Dès lors, chaque pas doit être effectué avec une grande prudence; un accident survenu dans le passé, une information tenue secrète, tout fait sens et peut déboucher sur des conséquences aussi inattendues que tragiques. Le récit est mis en image par un autre grand habitué du genre, lui aussi concerné par notre comparaison avec Reckless. Jacob Phillips est en effet le fils de Sean, le dessinateur de l'autre grand polar du moment, dont il est de surcroît… le coloriste ! Pour Newburn, il se charge de tout, du lay-out aux couleurs. Si la maîtrise semble un ton encore en dessous de celle du paternel, on en approche déjà le niveau sidéral. Nous apprécions particulièrement cette décision évidente de ne pas tenter d'appliquer un jeu d'ombres et de lumières en tout point respectueux de la véracité canonique, mais plutôt de créer une tension, une ambiance aussi feutrée que suffocante, par l'application de touches contrastées, qui débordent régulièrement des contours ou des limites attendus. Le style est carré, sans fioriture, suffisamment âpre pour évoquer à merveille cette violence rentrée qui n'attend que le bon prétexte pour exploser. Newburn se lit vite et sans reprendre son souffle; ce premier tome a déjà tous les airs d'un petit classique, avec un protagoniste qui s'immisce sans le moindre effort au panthéon récent du genre. Pour dix euros, prix de découverte jusque fin avril, c'est une affaire en or ! 





GHOST WORLD : L'ADIEU À L'ADOLESCENCE PAR DANIEL CLOWES


 Les protagonistes de Ghost World sont deux jeunes filles en dernière année de lycée, et le moins que l'on puisse dire, c'est que leur existence n'est pas des plus passionnantes. Elle est rythmée par des micros événements que Daniel Clowes utilisent savamment, pour décrire l'ennui, l'absurde, avec humour et discernement. Enid est sarcastique, voire très souvent cynique, et son sens de l'observation est enrichi par une ironie décapante, quand elle porte un peu d'intérêt au monde qui l'entoure. Sa meilleure amie s'appelle Rebecca, c'est une petite blonde qui a tendance à vivre dans l'ombre de son "binôme". Enid est d'humeur changeante, tout comme d'ailleurs ses cheveux, qui peuvent adopter de nouvelles coupes/couleurs; à défaut d'avoir une opinion sur tout, elle a surtout des opinions. Elle commente en continuation tout ce qui passe à la télé, les relations avec les garçons ou tout simplement ce qui lui tombe sous la main. Nous tenons là un duo parfait pour s'attarder sur ce qui constitue aux États-Unis, dans les années 90, la génération X. Une génération qui n'est pas parvenue à s'imposer et qui a donc accepté assez rapidement la domination des aînés, les baby boomers, plus nombreux, plus entreprenant mais aussi socialement mieux établis,  avec des perspectives plus alléchantes. Nos deux héroïnes par exemple ne semblent pas être très pressées d'entrer dans l'âge adulte… et pour cause, elles n'ont aucune illusion sur ce que cela signifie et leurs attentes semblent déjà mornes et désabusées, alors qu'en réalité l'existence ne fait que commencer pour elles. Peut-on être déjà déçu par une expérience avant même de l'avoir éprouvée ? Il semblerait alors que oui. Clowes  utilise le regard de ces deux spectatrices non agissantes pour dépeindre la réalité quotidienne avec un ton très caustique. C'est aussi l'occasion de prendre des petites revanches personnelles, comme lorsque Enid consulte une revue appelée Sassy, qui avait commis le crime de lèse majesté de publier un dessin de l'auteur, sans sa permission. Bien entendu, à l'âge qu'ont les deux jeunes filles, le sexe et les relations sentimentales occupent une part importante de leurs considérations, quand elles devisent sur le monde qui les entoure. Les jeunes garçons mais aussi les hommes plus mûrs semblent souvent hésiter entre la figure du psychopathe en puissance et celle du loser patenté, et même lorsqu'il s'agit d'une séance de dédicace où Daniel Clowes apparaît en personne, c'est toujours avec de l'irrévérence, du second degré et un poil de défaitisme que ça se produit. 



C'est dans les numéros 11 à 18 de la revue indépendante Eightball que Clowes a publié pour la première fois cette histoire, qui constitue la seconde parution du catalogue de l'artiste chez Delcourt, qui se lance dans la reconstitution de son œuvre, avec la Bibliothèque de Daniel Clowes. Après l'absurde du Gant de velours pris dans la fonte, la désillusion précoce de Ghost World; des débuts réjouissants ! S'agissant d'adolescentes, Enid et Rebecca parlent forcément beaucoup de sexe, comme toutes celles qui ont peu l'occasion de le faire, et elles blatèrent sans hésitation ni tabou. Le sexe est une arme, un besoin et n'a pas grand-chose à voir avec l'amour. Il n'y a rien de romantique dans les relations avec le genre opposé, la vraie relation d'un couple ressemble en fait à celle établie entre Enid et Rebecca. Elle connaît des hauts et des bas, se nourrit de l'influence que l'une exerce sur l'autre, et vice-versa, titille parfois les limites de l'homo sexualité, mais ne franchit pas le pas. Au lendemain de l'annonce de l'éventuelle admission d'Enid à l'université -et donc d'une éventuelle séparation- les choses se corsent réellement pour la première fois. Enid et Rebecca ont constitué un monde fermé, qui commence et finit avec elles, mais nous autres lecteurs savons que tôt ou tard les amitiés changent, se transforment, s'achèvent. Surtout que le jeune Josh est entré dans l'équation, un garçon de dix-neuf ans, le seul qui semble recueillir un peu des faveurs et de l'attention des deux demoiselles, ce qui fera naître chez elles des sentiments différents, jamais éprouvés auparavant. Clowes ne transforme pas cette situation en un triangle amoureux classique de la comédie romantique, mais il en fait plutôt un tournant décisif dans leurs vies respectives. Enid et Rebecca suivront plus ou moins consciemment des chemins différents qui les conduiront à se séparer. L'ensemble est écrit avec justesse, des dialogues justes et ciselés, qui à défaut se se vautrer dans le jeunisme forcené (si Clowes avait proposé cela vingt ans plus tard, qui sait…) font mouche et peuvent même être très touchants. Une lumière quasi irréelle, faite de teintes bleutés et olivâtres, accentue l'idée d'un huis-clos étouffant et répétitif, avec notamment une composition classique et rigoureuse des planches. Au passage, pour être complet, Ghost World est aussi un film, sorti en 2001, avec Thora Birch et Scarlett Johansson. Vous pouvez le voir, pour prolonger l'expérience. 





PHOTON #1 #2 #3 : MONICA RAMBEAU SUPERSTAR


 Monica Rambeau est loin d'être une inconnue dans l'univers Marvel; elle a même eu son heure de gloire à l'époque où elle était cheffe de fil du groupe des Avengers, durant la période de Roger Stern. On l'appelait alors Captain Marvel et elle arborait une magnifique coupe afro-américaine et un costume blanc très seyant. Elle apprenait surtout ce que signifie avoir de très hautes responsabilités, tout en ne se sentant pas totalement à la hauteur. Le premier numéro de la nouvelle série qui lui est consacrée se charge de rappeler tout ceci et de donner au novice quelques éléments permettant de comprendre le personnage. On fait connaissance avec la famille, le passé,, mais aussi la personnalité de Monica qui possède en outre le don fabuleux de surfer sur tout le spectre énergétique, de se dématérialiser en un clin d'œil d'un point à l'autre de la planète. Nous la suivons alors qu'elle se rend dans le Sanctum Sanctorum du Docteur Strange, à qui elle vient restituer une pierre au pouvoir fabuleux, capable d'altérer la réalité. De la s'en suit un combat aussi rapide qu'impromptu avec une ennemie gigantesque et au corps fluide, qu'elle terrasse aidée par Spider-Man. On pourrait croire à une parenthèse stérile sauf que celle qui a été battue est en fait une brillante scientifique, qui vient avertir que Monica/Photon est destinée à anéantir le monde, tôt ou tard. Cette dernière n'y crois pas trop et alors qu'elle s'envole pour se vider la tête, elle se retrouve victime d'une sorte de blackout et se réveille sur un bateau très loin de là où elle devrait être, dans un univers qui ne ressemble pas spécialement au sien. En tous les cas différent de celui qu'elle a quitté. Nous revoici devant les Avengers (formation et costumes) dont elle était autrefois leader. Tout a changé autour d'elle, y compris les liens familiaux. Elle est désormais mariée avec Jericho Drumm et la réalité semble sur le point de s'effondrer sur elle-même, avec l'intervention inattendue d'une nouvelle… Beyonder. Si le premier numéro est une introduction assez lente et Al Ewing semble d'abord concentré sur une forme de résumé, plutôt que sur l'écriture de son récit, la suite change radicalement de ton. C'est assez frais et fun et ça ne peut que faire plaisir aux fans de Monica, qui se lamentent de son absence depuis longtemps. D'autant plus qu'aux dessins l'Italien Luca Maresca est un très bon choix. Sorte de dépositaire de l'esprit Marvel, avec un trait classique qui s'adapte toutefois très bien à l'air moderne (la synthèse parfaite de deux époques opposées) il est ici présent épaulé par Ivan Fiorelli, pour un résultat fini qui devrait séduire le plus grand nombre.  Faute d'être révolutionnaire voire incontournable, la dernière série consacrée à Photon est donc un bon prétexte pour mettre en lumière un personnage qui a trop souvent dû se contenter de vivre dans l'ombre, ces dernières années.






SUICIDE SQUAD BLAZE : SIMON SPURRIER ENFLAMME LE BLACK LABEL DC


Je pense qu'il est presque inutile de vous rappeler le concept de la Suicide Squad : un groupe de criminels qui se voient proposer des remises de peine contre une série de missions dites "suicide" de la part d'une agence gouvernementale secrète, pilotée par Amanda Waller, qui ignore royalement ce que signifie l'éthique. Ce qui est nouveau dans cet album, c'est que la fine équipe composée de Harley Quinn, du Peacemaker, de Captain Boomerang et King Shark va se voir adjoindre un petit peu lot de parfaits inconnus, de la véritable chair à canon utilisée pour un objectif dramatiquement meurtrier. En effet, voilà que depuis quelques temps une créature au pouvoir incommensurable est lâchée sur la planète. Elle n'obéit à aucune de nos règles sociales, si ce n'est l'assouvissement de ses pulsions primaires, comme par exemple manger, se reproduire, déchaîner la violence. Cet ennemi est tellement formidable que même lorsque Superman est envoyé face à lui, c'est pour se prendre une rouste mémorable et finir d'une bien triste manière. Vous l'aurez compris, aller s'y frotter c'est l'assurance d'y laisser des plumes, des os et pire encore. Le discours de fond est en fait intéressant, puisqu'il s'agit de se poser la question de ce qui empêche des individus psychologiquement instables de se comporter comme les véritables patrons de la Terre, à partir du moment où nous nous habituons à la manifestation de leurs dons extraordinaires et que nous n'avons aucune contre mesure efficace à leur opposer, si les choses dérapent. Simon Spurrier est un auteur britannique qui a la particularité d'écrire de nombreuses œuvres d'anticipation où la science débridée occupe une place importante dans l'intrigue. Il est ici épaulé par Aaron Campbell, un dessinateur que nous avions déjà apprécié énormément dans un autre titre publié par Urban comics, Infidel. Sa capacité à créer des planches en apparence brouillonnes mais en réalité extrêmement fouillées et animées par une ambiance glauque, menaçante ou cafardeuse, est des plus pertinentes vu le ton de l'histoire qui nous intéresse aujourd'hui. Blaze pousse le concept de la Suicide Squad à son paroxysme; puisque le groupe est de toute manière monté de toutes pièces dans l'optique d'un trépas prématuré, autant que celui-ci devienne inéluctable et spectaculaire, face à quelqu'un ou quelque chose qu'on ne parvient pas à cerner, à arrêter, et qui laisse derrière lui des types dévorés et vidés de leur sang, un peu partout où il passe.


L'histoire est racontée du point de vue de Michael Van Zandt, un prisonnier qui a clairement quelques problèmes d'estime de soi et fait une fixation sur celle avec qui il a eu une relation sentimentale, elle aussi emprisonnée et incluse dans le nouveau projet d'Amanda Waller. Ces détenus anonymes et hautement sacrifiables vont se voir inoculer plus ou moins les mêmes pouvoirs que ceux de celui qu'ils sont censés chasser; autrement dit, ils vont accéder à des dons incommensurables qui vont être encore augmentés dès l'instant où l'un d'entre eux meurt. Il s'opère comme une sorte de redistribution des pouvoirs et évidemment, à chaque fois, un temps de vie encore plus limité (car oui, le côté négatif de tout ceci c'est que l'espérance  de rester en vie baisse drastiquement. Un compte à rebours inexorable) Spurrier offre un récit très sombre et en même temps non dénué d'humour. Il suffit par exemple de parler de ce dont vont avoir besoin le Peacemaker et sa bande, pour tenter de mieux comprendre leur adversaire. Indice, c'est en rapport avec la pilosité masculine… Certains passages peuvent sembler confus, notamment lorsque le scénariste mêle réflexion intime, sentiment de ne pas être à la hauteur, impression de vide et d'incapacité de trouver des stimuli, pour affronter ce qui se prépare. Une forme de neurasthénie existentielle qui vient se confronter à une histoire très violente où les dégâts sont considérables. Mais je le répète, les dessins de Campbell servent magnifiquement le propos et au bout du compte, il s'agit d'un nouvel album fort intéressant à mettre au crédit du Black Label. Quand il n'y a aucune continuité réelle dont il faut tenir compte, quand il y a la possibilité de se lâcher et d'écrire des histoires qui peuvent partir dans les directions les plus inattendues ou les plus choquantes, on a souvent de bonnes surprises et des mini série qui ne peuvent que nous donner l'envie d'investir. Si vous êtes habitués et amateurs du style de Spurrier, Blaze est fait pour vous. 






ANT-MAN & THE WASP QUANTUMANIA : KANG ET PAS GRAND CHOSE D'AUTRE...


 On ne pourra pas nous reprocher d'être des pessimistes convaincus; c'est ainsi que nous allons aborder avec entrain et clémence la critique de Ant-Man et la Guêpe : Quantumania. Parce qu'il y a du positif à retirer dans le film ? Oui, ça peut sembler audacieux, mais je vous assure, on peut tout de même trouver quelque chose, en grattant un peu. Tout d'abord, il convient de considérer qu'il s'agit du lancement officiel de la phase 5 de l'univers Marvel cinématographique, aussi il était capital de proposer un nouveau super vilain imposant, destiné à incarner le fil rouge conducteur des prochains longs-métrages. Et là, très bonne pioche, puisque ce Kang (en partie apprécié dans la série Loki, mais je gardais des réserves) est beaucoup plus menaçant, dramatique, hautain et puissant au cinéma. Jonathan Majors a achevé de nous convaincre durant ces deux heures où il est véritablement la star d'un scénario qui ose parfois flirter avec le ridicule le plus absolu. Est-ce bien surprenant, si on considère que Jeff Loveness (Rick & Morty) fait partie de ceux qui ont écrit ce Quantumania ? Il fallait s'attendre à quelque chose d'impertinent, qui vient titiller l'absurde, qui n'a pas peur de se prendre les pieds dans le tapis en regardant ouvertement et crânement du côté du mauvais goût. Par exemple, Modok, dont les origines totalement retravaillées et les apparitions lunaires oscillent entre le coup de génie second degré et le foutage de gueule généralisé. Un autre point positif du film est qu'il ne nécessite pas forcément d'avoir vu tout ce qui a été fait avant pour en profiter. Certes, le spectateur entré par hasard dans la salle appréciera probablement moins les interactions familiales qui se sont instaurées entre les différents personnages; néanmoins, il n'est pas bien difficile de comprendre qui est qui et qui fait quoi, le film ne proposant aucune profondeur introspective particulière. Il commet d'ailleurs la gaffe --dès les premières minutes- d'anticiper une des révélations majeures, c'est-à-dire les rapports qui peuvent exister entre le Kang que nous avons déjà cité et Janet Van Dyne, qui a passé 30 ans dans l'univers subatomique, où le tyran temporel a été momentanément exilé. On ne perd pas non plus trop de temps pour rentrer dans le vif du sujet. Les scènes routinières et le prélude inévitable n'occupent pas trop d'espace, à peine l'occasion de faire le point, d'assister à une sorte de dîner de famille, et on plonge de suite dans ce qui va être le noyau dur du film, un univers fantasmagorique où rien ne ressemble à ce que nous connaissons, où chaque plan sera un prétexte pour convoquer des créatures monstrueuses, improbables, des décors à la croisée du surréalisme et de l'œuvre de Jack Kirby. Tout ça aurait pu être grandiose si les effets spéciaux avaient été à la hauteur, mais par moments on se rend à l'évidence, beaucoup de points sont assez bâclés et les bonnes intentions ne sont pas systématiquement transposées comme elle le devraient. On devine la panne d'inspiration, un cadre artistique bancal, le monde quantique ne sera jamais exploité comme il aurait pu et dû l'être. Voilà, ce sera tout pour ce qui nous a plu ou qui mérite notre attention dans Ant-Man et la Guêpe. Maintenant, venons-en à la partie la plus délicate, c'est-à-dire les raisons pour lesquelles, à notre avis, Quantumania ne laissera aucune trace particulière dans l'histoire du genre au cinéma.




Il faut aussi bien comprendre qu'il est inutile d'attendre d'un film des Marvel Studios ce qu'il ne sera jamais en mesure ou ne souhaitera jamais offrir. C'est un produit calibré pour le plus grand public possible avec un cahier des charges systématiquement respecté, et même si la forme peut évoluer, s'aventurer en des territoires plus ou moins inexplorés, le fond, lui, restera le même. Par exemple, les traditionnelles dynamiques familiales basées autour de la nécessité que peuvent avoir deux, voire trois générations, de renouer des liens distendus ou inexistants. C'est ici le cas avec Scott Lang qui veut rattraper le temps perdu et être un bon père pour Cassie, elle-même bien décidée à gagner son indépendance tout en acceptant son héritage familial. C'est aussi désormais la volonté de désacraliser, pour ne pas dire ridiculiser, tous les personnages et tous les événements qui ont fait la gloire de Marvel au format comic book. Depuis la disparition de Thanos, plus rien n'est pris au sérieux et là encore l'approche potache l'emporte sur l'épique et le tragique. C'est en ce sens qu'il faut voir l'apparition de Bill Murray, à qui revient un rôle totalement superficiel et inutile. Si vous effacez sa prestation de l'ensemble et que vous remontez le film avec cette petite omission, vous vous rendrez compte qu'elle n'a absolument aucun impact sur ce qui a été dit avant et ce qui est raconté après. Pour finir, un jeu d'acteur assez stéréotypé. Les mimiques, la manière d'interagir, de singer certaines réactions de base sont reproduites à l'infini, d'un film à l'autre. Que ce soit Scott Lang, Tony Stark ou Peter Parker, le principe de fond est le même : aussi intelligent et audacieux soit-il, le héros va forcément en passer par des instants "benêts" durant lesquels il assume la panoplie du clown de service. Dans Ant-Man et la Guêpe, on notera également que Michael Douglas se prête un peu trop volontiers à l'exercice et qu'au contraire Michel Pfeiffer semble quasiment en léthargie, presque un corps isolé dans le long-métrage. L'ensemble est bien trop inconséquent, c'est-à-dire que tout ce qui se déroule durant ces deux heures semble se déployer sans conviction. Dès leur arrivée dans le monde quantique, les différents personnages sont scindés en deux groupes qui vont alors devoir tenter de se réunir, avant d'affronter la grande menace finale que représente Kang. Le scénario est aussi mince que celui d'un jeu vidéo d'arcade des années 1980 ou 1990, et l'intégralité de tout ce qui est proposé à l'écran n'est pas là pour édifier un univers inédit, stratifié et fascinant, mais pour servir les pitreries de la famille Pym et de Scott Lang/Paul Rudd, qui essaie de cabotiner, même dans les pires instants. D'ailleurs, poussons le raisonnement à son paroxysme : si tous nos "héros" avaient tous fini par rester piégés à jamais dans cette réalité subatomique, tous écrabouillés, ça n'aurait certainement pas empêché l'univers Marvel de continuer à aller de l'avant. En fait, ce Quantumania n'a pas grand-chose à raconter, c'est juste un long spot publicitaire pour nous prévenir que désormais Kang le Conquérant arrive, et dans la mesure où le temps et les réalités alternatives n'ont aucun secret pour lui et qu'il existe donc une infinité de variants possibles, tout est accepté, tout est permis. Ça tombe bien parce que j'ai beaucoup de mal à me convaincre qu'un type aussi puissant que lui, aussi incontournable, rencontre autant de mal à se débarrasser d'un super-héros dont le seul talent et de rapetisser ou d'agrandir sa taille, et de parler avec des fourmis. On parlera comme toujours de suspension de l'incrédulité nécessaire pour profiter pleinement d'un spectacle comme un film basé sur des super-héros, mais que les producteurs prennent garde à ce que le public ne soit pas non plus obligé systématiquement de suspendre sa patience. La nôtre commence sérieusement à être entamée et nous ne serions pas contre l'apparition de véritables enjeux, d'une densité épique qui fait dramatiquement défaut. C'est Bob Dylan qui disait que but de l'art, c'est d'arrêter le temps. Les deux heures d'Ant-Man et la Guêpe ne vont pas vous figer dans l'extase, plutôt vous convaincre que chez Kevin Feige on préfère servir un bon plat microondé (réchauffé par Payton Reed) plutôt qu'investir dans la haute cuisine. Avec les Marvel Studios, on mange beaucoup à la cantine… 



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA VENIN (SOLEIL DE PLOMB)


 Dans le 145e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Soleil de plomb, cinquième et dernier tome de la série La venin, série que l'on doit à Laurent Astier et aux éditions Rue de Sèvres. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- la sortie du premier tome d'In memoriam, un premier tome baptisé Manon que l'on doit au scénario de Mathieu Salva, au dessin de Djet et c'est édité chez Dupuis

- La sortie de l'album Blood of the virgin, un titre signé Sammy Harkham et édité chez Cornelius

- La sortie de Spiritus sancti, premier tome sur deux de L'élixir de dieu, diptyque que l'on doit au scénario de Gihef, au dessin de Christelle Galland et c'est édité chez Grand angle

- La sortie de l'album L'université des chèvres que l'on doit à Christian Lax et aux éditions Futuropolis

- La sortie de l'album L'ami que l'on doit au scénario de Lola Halifa-Legrand, au dessin de Yann Le Bec et c'est édité chez Dupuis dans la collection Les ondes Marcinelle

- La réédition d'Edmond, pièce de théâtre d'Alexis Michalik qu'adapte Léonard Chemineau et que réédite Rue de Sèvres à l'occasion des 10 ans de l'éditeur parisien




RED GOBLIN #1 : NORMIE OSBORN ET LE RECYCLAGE PERPETUEL


 Vous connaissez tous le petit Normie Osborn, un de ces personnages qui ont du mal à grandir et conservent un aspect juvénile depuis plusieurs décennies ? C'est le petit-fils de Norman Osborn, le Bouffon Vert des origines, et c'est le fils de Harry. Vous avez peut-être des souvenirs des années 1990, quand on le retrouvait dans les pages du Spider-Man dessiné par Sal Buscema, en train de tordre une figurine du tisseur en caoutchouc, avec sur le visage un rictus digne d'un futur serial killer ? Le gamin a très peu grandi donc, mais il a connu son lot de drames familiaux et clairement il n'est pas parvenu à s'émanciper de la dynastie des Bouffons. Récemment, il s'est lié d'amitié avec le fils d'Eddy Brock, c'est-à-dire Venom, qui a pris par ailleurs la relève du paternel. Dylan (c'est son nom) a fait un cadeau à son pote en lui cédant un fragment de symbiote, qui n'a pas besoin de fusionner avec son hôte, et qui lui permet alors de devenir un individu ultra dangereux, lorsque les circonstances le requièrent. Et là, il faut être honnête, l'histoire commence un peu à partir en vrille. Rascal (c'est le petit nom que le gamin a donné à son nouvel ami homicide) prend plaisir à déchaîner la violence, mais il aime tout autant le chocolat et à peur de se faire gronder par la maman de Normie. Ce dernier se retrouve pris dans une énième sombre affaire familiale et une tentative d'enlèvement du grand-père, désormais devenu un ancien vilain réformé, qui a fait amende de tout son passé délictueux, au point d'être un allié précieux pour Spider-Man depuis quelques mois. De l'action, de l'humour, le tout mélangé comme on pourrait le faire avec de l'eau et de l'huile. Alex Paknadel, le scénariste anglais qui officie ici, a la lourde tâche d'écrire cette histoire que presque personne n'a envie de lire. Avec des dessins pas forcément très folichon et l'impression bizarre que le même artiste dessine parfois avec deux styles différents (certaines planches de Jan Bazaldua sont beaucoup plus réussies que d'autres)… On assiste donc à quelque chose d'un peu bizarre qui ne rentrera pas dans les annales du genre et qui nous confirme qu'arrive le moment où les concepts sont pressés comme des citrons. Il faudrait peut-être penser à inventer du neuf au lieu de creuser toujours davantage. Avait-on vraiment besoin d'un nouveau Red Goblin dans le genre, je ne pense pas. D'autant plus que la dernière page de ce premier numéro ramène sur la scène un autre de ses "fils de" célèbres, qui ne font que confirmer la difficulté qu'ont les comics de tourner la page. Le recyclage c'est bon pour l'écologie, mais pas pour les lecteurs. 






COMME UN GANT DE VELOURS PRIS DANS LA FONTE : LA BIBLIOTHÈQUE DANIEL CLOWES CHEZ DELCOURT


 Clay Loudermilk se rend dans un cinéma miteux, pour la projection d'un film pour adultes, intitulé "Comme un gant de velours pris dans la fonte". Le public plutôt du genre interlope met la puce à l'oreille, on va lire des choses bien étranges dans cet album, pour sûr. La  projection est assez glauque, avec des scènes de domination pas très excitantes, mais ce n'est pas ça le pas le principal. Ce serait plutôt que Clay est persuadé de reconnaître son ancienne femme, dans la peau d'une des actrices. Du coup, il cherche à en savoir plus sur ce qu'il vient de voir, et les informations qu'il obtient lui sont soufflées par une sorte de médium qui officie dans les toilettes pour homme de l'établissement. Oui, le lecteur de passage, biberonné aux aventures de Batman ou d'Astérix, risque fort de ne pas trop savoir sur quel pied danser. Ici, l'histoire puise à pleines mains dans le surréalisme, l'absurde, la confusion entre réalité et cauchemar. Le personnage principal est immédiatement embarqué dans une quête qui fait du hors piste dès les toutes premières pages. La gérante du parking où se trouvait la voiture qu'emprunte Clay est une ivrogne qui vient vomir son alcool frelaté dans la bouche du malheureux. Il est ensuite arrêté par la police; un contrôle routier qui tourne au délire. Les agents sont persuadés qu'il est ivre au volant, ils l'embarquent, charge au passage une prostituée qu'ils vont "honorer" dans leur véhicule, avant de passer à tabac leur passager du moment, à qui ils proposent un combat à la loyale qui n'a rien de légal, ni de bien équitable. Roué de coups, Clay Loudermilk perd connaissance, et lorsqu'il revient à lui, c'est pour réaliser qu'il a atterri dans une espèce de secte, dont il tentera rapidement de s'échapper. L'occasion de reprendre l'aventure, et de rencontrer une jeune fille… pomme de terre. D'une mésaventure à l'autre, voici un homme qui oscille entre territoire inconnu et improbable, et réalité prosaïque et poisseuse. Le voile est mince, on s'y perd, les lignes se confondent, et la lecture se veut aussi déroutante que peu rassurante. Soyez les bienvenus dans l'univers underground et insolite de Daniel Clowes. 



Une des clés de lecture de cet ouvrage est assurément l'impossibilité de communiquer correctement, la différence qui peut exister entre le signifiant et ce qui est signifié, la manière dont chacun interprète et semble dans l'incapacité d'exprimer ce qu'il est aux autres. C'est pour cela que la galerie de portrait présentée semble aussi absurde et malaisante, avec notamment un homme dont les implants capillaires n'ont jamais été achevés, une jeune fille qui fume la pipe ou encore des intrus dans une chambre d'hôtel, qui viennent passer la nuit ou simplement uriner dans l'espace personnel de Clay. Une des phrases qui résume la situation sera alors "what's the frequency Kenneth" qui est prononcée à un moment dans le texte (référence à l'agression sans cause du journaliste Dan Rather, dans les années 1990) : il ne faut pas toujours chercher à comprendre ce qui se cache derrière les actes et les mots, et au contraire, saisir la vacuité d'une telle démarche, dans un monde qui de toute façon semble clairement progresser sur la tête. On a l'impression d'un univers construit sur le modèle des poupées russes, où un complot improbable peut contaminer l'histoire, à partir de petites mascottes publicitaires ou d'un smiley, où un chien sans orifice peut détenir sous son abondant pelage la solution à une énigme existentielle, ou plus surement, une autre illusion débouchant sur une fausse piste. La paranoïa et l'impuissance s'emparent de Loudermilk, des êtres, avec des relents de ce que Paul Auster a accompli en littérature (finalement de façon plus conventionnelle, c'est peu dire) dans sa trilogie new-yorkaise. Clowes dessine le tout avec une rigueur formelle régulière dans les planches, en évitant de céder à la facilité, c'est à dire en caricaturant ou déformant à l'extrême les personnages. Au contraire, c'est dans l'apparente banalité (effrayante) de ce qui est mis en scène que le décalage s'opère. Nous sommes en terrain connu, dans le même temps dans un espace aux règles insolites, où tout peut être son contraire, sans la moindre logique apparente. Cette histoire est aussi la première œuvre d'importance de Daniel Clowes, publiée au départ dans la revue underground Eightball, au début des années 1990. L'édition précédente, en France, est celle de Cornelius, tandis que Delcourt a récupéré les droits de l'artiste pour présenter l'intégralité de son travail, dans cette "bibliothèque" qui a déjà des airs de collection incontournable. 





REFUGE(S) : ACCUEILLIR DESSINER COMPRENDRE TRANSMETTRE AVEC LAURENT LEFEUVRE


 Quand vous risquez votre vie à chacun de vos pas, que vous laissez derrière vous votre famille, votre patrie, vos souvenirs, ce n'est pas pour le plaisir de partir en villégiature. Et si vous n'avez toujours pas compris ceci, la lecture de Refuge(s), signé Laurent Lefeuvre, devient alors indispensable. A deux reprises, le dessinateur rennais a été chargé de réaliser une sorte d'enquête journalistique en bande dessinée sur l'accueil des réfugiés, en Bretagne. La première partie de l'ouvrage se concentre sur ceux qui viennent du Darfour, du Soudan, de l'Érythrée, à la suite du démantèlement de la soi-disant "Jungle de Calais" en 2017, tandis que la seconde, plus récente, est datée 2002 et se penche sur la situation des Ukrainiens fuyant l'invasion de leur pays par l'armée russe. Le premier écueil évident dans ce genre de travail c'est la tentation de capter l'attention du lecteur en l'immergeant dans un bouillon de pathos et de lui tirer des larmes, d'une page à l'autre. Ce serait mal connaître l'auteur de l'ouvrage, qui se lance d'emblée (sans aucune idée reçue ni sans savoir par avance face à quoi ou qui il va se retrouver confronté) dans une sorte de reconstitution d'entretiens, de rencontres, de moments intimes, qui deviennent alors une chaîne de transmission. Les planches défilent telles des cartes postales, instantanés saisis sur le vif, des bribes d'existence qui prennent corps sur la papier. Cela peut-être aussi le silence, un regard perdu ou tout simplement une sorte d'infographie, pour mieux nous expliquer à quel point l'administration peut-être à la fois une bouée de sauvetage ou un mécanisme ubuesque. Pour dessiner quelqu'un, il faut déjà prendre le temps de l'observer, et prendre le temps d'observer quelqu'un, c'est commencer à le considérer, à cerner ses singularités, pour le faire véritablement exister en tant qu'être humain, unique. C'est tout le travail délicat de Laurent Lefeuvre, qui parvient à donner à chacun des demandeurs d'asile qu'il croise ces instants de considération précieux. Les portraits interrogent, et montrent, ce qu'on préfère habituellement taire ou cacher dans la masse, en niant justement l'unicité de l'individu, pour le fondre dans une masse indifférenciée et donc menaçante ou insaisissable. Un détail, une anecdote, une pose, bref, un homme. Enfin, on peut voir, première condition pour ensuite comprendre, sentir. 


La seconde partie est plus périlleuse que la première car il s'agit des réfugiés Ukrainiens accueillis en Bretagne… et clairement, c'est un sujet d'actualisé brûlant, susceptible de se montrer clivant parmi les lecteurs. Le seul parti pris qu'adopte ici l'auteur est celui du drame des déracinés, le fait de devoir tout perdre, tout abandonner; ce n'est pas un traité politique expliquant en quoi l'agresseur est condamnable et comment le juger, d'autant plus que la politique de Poutine fait des victimes dans son propre camp, puisqu'il y a également des Russes (et ils sont nombreux) qui fuient leur patrie. Laurent Lefeuvre est aidé dans sa tâche par une jeune traductrice prénommée Anna, qui va être une sorte de trait d'union entre ces nouveaux arrivants et la tâche qui incombe au dessinateur. Après quelques pages qui contextualisent intelligemment ce qui se passe actuellement, notamment grâce aux repères historiques et géographiques qui échappent encore à beaucoup, on se plonge dans un nouveau carnet de bord fait de personnalités que l'on croise, qui nous dévoilent des tranches d'intimité ayant la force d'un message à la fois unitaire et collectif. Chaque histoire est différente et pour autant, chaque histoire recoupe le même des déracinement. Les problèmes ne sont pas non plus ignorés, comme le fait que les bénévoles ne sont pas toujours à la hauteur de leur tâche ou en tous les cas parfaitement formés pour l'accomplir, dans le meilleur des cas. C'est par contre un très bel hommage rendu à une solidarité humaine nécessaire, dans une terre (la Bretagne) qui n'est pas forcément des plus riantes ou glamour à vivre tous les jours, mais qui recèle des trésors d'authenticité. Quant au dessin en lui-même, l'artiste est assez fidèle à ses habitudes, avec cette capacité de saisir l'instant sur le vif, ce miracle des traits, des lignes nerveuses qui éructent sur le papier, non pas pour former un dessin photo réaliste irréprochable, mais quelque chose qui parle directement aux sentiments, chargé en expressivité, avec une utilisation magnifique de la couleur et du clair-obscur, qui dessinent parfois une mélancolie insondable sur les visages. Un très bel album publié chez Komics Initiative, tout d'abord proposé en financement participatif, puis désormais accessible à tous. J'ai eu le plaisir d'obtenir un exemplaire au dernier festival d'Angoulême (remerciements sincères à Mickaël Géreaume) qui plus est dédicacé par Laurent Lefeuvre, avec un de ses sketchs dont il a le secret. Je ne sais pas si vous avez compris, mais je suis fan, tout bêtement. 





NOT ALL ROBOTS : L'HUMANITÉ 2.0 SELON MARK RUSSELL


 Et si l'avenir de l'homme, ce n'était pas la femme, mais le robot ? L'idée n'est pas si saugrenue car vous l'avez peut-être remarqué autour de vous, la robotique/domotique est en train de gagner du terrain et la présence des robots et de plus en plus prégnante dans notre société. Tout ce que nous ne sommes pas en mesure d'accomplir avec efficacité et rendement peut ainsi être délégué à des outils mécaniques, qui nous remplacent sans jamais faire grève ou protester. Et les choses ne vont pas s'arranger avec l'intelligence artificielle, désormais capable de penser à notre place. Bref, l'univers que décrit Mark Russell, le spécialiste de la bande dessinée satirique avec un discours social pertinent, est de retour pour un album unique intitulé Not all robots. Nous sommes face à un univers où chaque famille, chaque foyer, possède son propre robot, qui passe le plus clair de son temps à travailler. Les humains ont été presque tous été privés de leurs emplois. C'est donc lui qui rapporte l'argent nécessaire pour faire vivre les être de chair et d'os, en échange de quoi ces derniers sont totalement soumis au bon vouloir de leurs bienfaiteurs; ils deviennent purement et simplement dépendants, ont été apprivoisés et neutralisés sans même que cela soulève trop de protestations. Certes, il y a parfois des bugs dans la machine et il arrive qu'un robot assassine toute sa famille, ou pire encore, qu'un de ceux qui ont la responsabilité de gérer la qualité de l'atmosphère dans les grandes villes-bulles que sont devenues les principales métropoles américaines échoue dans sa tâche… et empoisonne plus de 200 000 personnes qui décèdent. En fait, Russell avait dans l'idée de raconter une histoire de domination, de comment une partie de la population peut arriver à accepter la soumission, à subir sans pouvoir rapidement infléchir le cours des choses. Il est parti de l'affaire #metoo et d'une certaine forme de féminisme 2.0, pour écrire quelque chose de très intelligent, car pouvant être lu et apprécié à différents degrés. Not all Robots est résolument une excellente histoire, avant tout. 



Tout est si bien organisé et décidé que même une tragédie d'ampleur inédite n'est pas suffisante pour que les humains reprennent le dessus. Passivité totale, adaptation effrayante à l'exercice du pouvoir du plus fort. Le récit est pour sa part concentré au départ sur une famille où les opinions divergent (les Walters), et qui possède son propre robot domestique. Celui-ci passe beaucoup de temps enfermé dans la cave à fabriquer dieu sait quoi, semble souffrir de sa condition de travailleur et il subit le rejet et le manque d'amour de la part d'humains qui n'ont qu'une seule pensée en tête, la terreur de se réveiller un beau jour éviscérés par ce géant de métal. Le tour de force de Mark Russell, c'est donc de partir d'un sujet qui semble en apparence différent, c'est-à-dire la domination masculine et la difficulté pour les femmes d'obtenir reconnaissance et parité, pour en faire quelque chose d'autre, qui a une portée encore plus stratifiée. Certes il est question de la manière dont une partie de la population se soumet docilement où se trouve dans l'incapacité de réagir convenablement par rapport à une autre, mais il est indéniable que Not all robots incarne aussi une interrogation pertinente sur notre société ultra connectée, sur l'obsolescence programmée qui régit désormais aussi bien notre consommation que nos affects, à tel point d'ailleurs qu'à un moment donné les robots eux-mêmes sont victimes de cette manière de procéder, puisqu'un nouveau modèle plus humain et susceptible d'être accepté dans la population est mis sur le marché. Ce qui finit par remiser à l'état de conserves rudimentaires ceux qui représentaient encore la veille le sommet de la technologie!  Un tour de force scénaristique emprunt d'humour du début à la fin, avec tout un tas de clins d'œil et de remarques qui font mouche. Ajoutez à cela le talent habituel d'un Mike Deodato qui œuvre dans le style photo réaliste, tout en étant capable de présenter des créatures robotiques tout aussi crédibles, sans pour autant avoir la moindre affinité avec le genre. Allez-y donc, tentez de caractériser des personnages qui n'ont pas de visages, juste par leur langage corporel, par quelques mouvements, il en faut de la maestria ! Vous l'aurez compris, il s'agit là d'une des mini série les plus fascinantes et les plus réussies de l'éditeur Awa Upshot studios, qui a pour bonne habitude de nous fournir des titres variés et soignés. Un bon point à Delcourt qui ajoute à son catalogue une des vraies réussites indispensables de cet hiver.








SILVER SURFER GHOST LIGHT #1 : LA NOUVELLE MINI SERIE DU SURFEUR


 Ce qui est assez amusant avec la nouvelle mini-série du Silver Surfer, c'est que le personnage n'y apparaît quasiment pas, ou en tous les cas juste dans les dernières pages. L'essentiel de ce premier numéro est consacré à d'autres personnages, tout ce qu'il y a de plus normaux. La petite Toni Brooks et son frère, dont la famille a décidé de quitter New York pour s'installer dans la bourgade de Sweetwater, le genre de ville américaine de campagne où il ne se passe quasiment jamais rien. Enfin, pas tout à fait, puisque il y a quelques années de cela, l'intégralité de la population a oublié bizarrement tous les événements qui se sont déroulés durant l'espace de 24 heures ; même les caméras de surveillance n'ont rien enregistré. Si la famille de Toni s'est installée là, c'est parce que l'oncle de celle-ci y possède une belle demeure qui est désormais habitable, puisqu'il a été déclaré disparu. Tout le monde présume qu'il est mort mais il n'y a pas de corps à enterrer. Bref, le récit s'articule autour de conversations familiales, de petits clins d'œil à la musique jazz ou des années 1980, ou des interactions entre les différentes générations qui peuvent composer une famille. Rien de très super héroïque et en effet le rythme n'est pas des plus faramineux, mais ce n'est pas là que réside l'intérêt de l'histoire de John Jennings. C'est justement dans cette lenteur mystérieuse qu'on peut trouver du charme à un récit qui prend le temps de donner de l'épaisseur au cadre qui devrait servir à s'épanouir. Bien évidemment, les dernières planches proposent un mystère qui va être celui qui expliquera l'arrivée du Surfeur d'argent sur Terre, et ce qui va probablement se dérouler dans les numéros à venir. Si les dessins de Valentine De Landro sont assez agréables et ont une patine personnelle évidente, ils sont néanmoins assez éloignés de ce que l'on pourrait penser correspondre à une entité cosmique comme le Surfer. C'est assez paradoxal, car finalement, nous avons là une grosse vingtaine de pages qui semblent inoffensives et loin d'être du Marvel traditionnel et qui pour autant se révèlent assez attachantes, sans que l'on parvienne à vraiment s'expliquer pourquoi.




UNIVERSCOMICS LE MAG' #32 FEVRIER 2023 : THE MANY CRISIS OF DC COMICS

 


UNIVERSCOMICS LE MAG' #32
Mensuel #comics #BD
Février 2023. 84 pages. Gratuit.
Téléchargez-le ici :
#lire en ligne :
CRISIS ON DC COMICS
Sommaire :
* Les grandes "Crisis" de l'univers DC, des débuts aux New 52.
* Le #FIBD2023 Festival international de la Bande dessinée à #angouleme Nous y étions, on en parle.
* Sortie chez Delirium du premier tome de Grandville par #bryantalbot : Notre gros focus.
* Toujours le FIBD 2023 : album photos souvenir !
* L'actualité en VO, avec notamment une double dose de #MarkMillar
* Le cahier critique, les sorties du mois écoulé, verdict rendu chez Panini Comics France Delcourt Comics Urban Comics 404 Comics HiComics Éditions Soleil
* Le podcast #lebulleur vous présente le meilleur de la BD, à commencer par la Révolution chez Actes Sud Bd
* Preview, découvrez le pétillant IT from Space de #fabianoambu chez It Comics France
* Hommage au grand #nealadams
* Petit guide des sorties VF du mois de février
Cover #darkseid de Roberto Souza, confiée aux soins experts du Mighty #benjamincarret
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COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...