NOT ALL ROBOTS : L'HUMANITÉ 2.0 SELON MARK RUSSELL


 Et si l'avenir de l'homme, ce n'était pas la femme, mais le robot ? L'idée n'est pas si saugrenue car vous l'avez peut-être remarqué autour de vous, la robotique/domotique est en train de gagner du terrain et la présence des robots et de plus en plus prégnante dans notre société. Tout ce que nous ne sommes pas en mesure d'accomplir avec efficacité et rendement peut ainsi être délégué à des outils mécaniques, qui nous remplacent sans jamais faire grève ou protester. Et les choses ne vont pas s'arranger avec l'intelligence artificielle, désormais capable de penser à notre place. Bref, l'univers que décrit Mark Russell, le spécialiste de la bande dessinée satirique avec un discours social pertinent, est de retour pour un album unique intitulé Not all robots. Nous sommes face à un univers où chaque famille, chaque foyer, possède son propre robot, qui passe le plus clair de son temps à travailler. Les humains ont été presque tous été privés de leurs emplois. C'est donc lui qui rapporte l'argent nécessaire pour faire vivre les être de chair et d'os, en échange de quoi ces derniers sont totalement soumis au bon vouloir de leurs bienfaiteurs; ils deviennent purement et simplement dépendants, ont été apprivoisés et neutralisés sans même que cela soulève trop de protestations. Certes, il y a parfois des bugs dans la machine et il arrive qu'un robot assassine toute sa famille, ou pire encore, qu'un de ceux qui ont la responsabilité de gérer la qualité de l'atmosphère dans les grandes villes-bulles que sont devenues les principales métropoles américaines échoue dans sa tâche… et empoisonne plus de 200 000 personnes qui décèdent. En fait, Russell avait dans l'idée de raconter une histoire de domination, de comment une partie de la population peut arriver à accepter la soumission, à subir sans pouvoir rapidement infléchir le cours des choses. Il est parti de l'affaire #metoo et d'une certaine forme de féminisme 2.0, pour écrire quelque chose de très intelligent, car pouvant être lu et apprécié à différents degrés. Not all Robots est résolument une excellente histoire, avant tout. 



Tout est si bien organisé et décidé que même une tragédie d'ampleur inédite n'est pas suffisante pour que les humains reprennent le dessus. Passivité totale, adaptation effrayante à l'exercice du pouvoir du plus fort. Le récit est pour sa part concentré au départ sur une famille où les opinions divergent (les Walters), et qui possède son propre robot domestique. Celui-ci passe beaucoup de temps enfermé dans la cave à fabriquer dieu sait quoi, semble souffrir de sa condition de travailleur et il subit le rejet et le manque d'amour de la part d'humains qui n'ont qu'une seule pensée en tête, la terreur de se réveiller un beau jour éviscérés par ce géant de métal. Le tour de force de Mark Russell, c'est donc de partir d'un sujet qui semble en apparence différent, c'est-à-dire la domination masculine et la difficulté pour les femmes d'obtenir reconnaissance et parité, pour en faire quelque chose d'autre, qui a une portée encore plus stratifiée. Certes il est question de la manière dont une partie de la population se soumet docilement où se trouve dans l'incapacité de réagir convenablement par rapport à une autre, mais il est indéniable que Not all robots incarne aussi une interrogation pertinente sur notre société ultra connectée, sur l'obsolescence programmée qui régit désormais aussi bien notre consommation que nos affects, à tel point d'ailleurs qu'à un moment donné les robots eux-mêmes sont victimes de cette manière de procéder, puisqu'un nouveau modèle plus humain et susceptible d'être accepté dans la population est mis sur le marché. Ce qui finit par remiser à l'état de conserves rudimentaires ceux qui représentaient encore la veille le sommet de la technologie!  Un tour de force scénaristique emprunt d'humour du début à la fin, avec tout un tas de clins d'œil et de remarques qui font mouche. Ajoutez à cela le talent habituel d'un Mike Deodato qui œuvre dans le style photo réaliste, tout en étant capable de présenter des créatures robotiques tout aussi crédibles, sans pour autant avoir la moindre affinité avec le genre. Allez-y donc, tentez de caractériser des personnages qui n'ont pas de visages, juste par leur langage corporel, par quelques mouvements, il en faut de la maestria ! Vous l'aurez compris, il s'agit là d'une des mini série les plus fascinantes et les plus réussies de l'éditeur Awa Upshot studios, qui a pour bonne habitude de nous fournir des titres variés et soignés. Un bon point à Delcourt qui ajoute à son catalogue une des vraies réussites indispensables de cet hiver.








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