I.N.J. Culbard, le scénariste de Salamandre, est d'origine polonaise, et ce grand écart entre deux mondes que tout oppose est une manière sublimée de revenir vers et franchir le Rideau de fer du communisme. L'expression d'une volonté propre et d'une opposition politique paraissent à déconseiller fortement ici, dans un récit où les artistes sont d'ailleurs mis au ban d'une société qui n'accepte pas le refus d'un conformisme d'état. Même les fleurs peuvent être source de contrebande, et donc objet et symbole d'une forme de liberté, de résistance. Des fleurs qu'il faut arroser, entretenir, comme le talent artistique de Kasper (il dessine) ou de sa tante isolée et considérée par beaucoup comme une sorcière (elle sculpte et peint); autrement l'inspiration (ou la nature) finira par flétrir, et aussi belles soient-elles, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, puis se brûlent. Kasper est dérouté, perdu, aussi bien dans un contexte social où tout est interdit, mais qu'il ne comprend pas dans le détail (autrement il aurait eu une approche différente des activités secrètes de son grand-père), qu'en lui-même, c'est-à-dire comme muré dans la perte douloureuse ce celui qui fut le phare de sa vie, avant l'accident. Pas de librairie, pas de fête en famille (on mime la danse et la musique, arts prohibés), dans le Monolithe, tout est tabou, sans que la menace ne soit caricaturale, dans la répression. Au contraire, les deux personnages qui incarnent chacun la manifestation du pouvoir, du contrôle, usent et abusent d'une forme de flegme ou de bonhomie factice (ou pas, d'ailleurs), ce qui démontre que le pire est encore quand la bienveillance supposée s'affiche en lieu et place de la férocité de l'interdit (toute référence avec notre existence actuelle est bien sûr voulue). Pour le dessin, Culbard s'applique à employer ce qu'on qualifiera de "ligne claire", dans un style qui évoque beaucoup plus Hergé ou plus récemment, ce que Louis Alloing a produit dans le très beau et doux-amer Demain, série publiée chez Delcourt. Avec un usage de la couleur qui permet de bien isoler et différencier les deux univers juxtaposés, comme un filtre qui absorbe l'art, donc la vie. Salamandre est une œuvre étonnante, accomplie, touchante et naïve par endroits. Même le climax ne verse pas dans le grand drame déchirant, et les adieux qui s'opèrent, en début et fin d'ouvrage, sont plus de l'ordre de la pudeur, du non-dit. C'est beau et singulier, voilà tout. C'est déjà beaucoup.
SALAMANDRE : LES FLEURS DE LA DICTATURE CHEZ 404 COMICS
LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ENVIRONNEMENT TOXIQUE
Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :
- La sortie de l'album À la recherche de l'homme sauvage, titre que l'on doit à Frédéric Bihel qui est sorti chez Delcourt
- La sortie de l'adaptation du roman de Marc Dugain La chambre des officiers adapté en bande dessinée par Philippe Charlot au scénario, Alain Grand au dessin et c'est co-édité par Jean-Claude Lattès et les éditions Grand angle
- La sortie de l'album Par la force des arbres, adaptation d'un roman d'Édouard Cortès que l'on doit à Dominique Mermoux et c'est édité chez Rue de Sèvres
- La sortie de l'album Carnet de prison que l'on doit à Galien et aux éditions Steinkis
- La sortie du deuxième tome de Mégafauna baptisé le livre des délices et des infortunes, que l'on doit à Nicolas Puzenat et aux éditions Sarbacane
- La réédition de Jo, Zette et Jocko que l'on doit à Hergé dont l'intégrale est disponible chez Casterman
SUPERMAN LOST #1 : L'ODYSSEE DE LA SOLITUDE POUR SUPERMAN
CLEAR : SNYDER ET MANAPUL "FILTRENT" LA REALITE
BATMAN THE KNIGHT : DEVENIR BATMAN AVEC ZDARSKY ET DI GIANDOMENICO
JUDGE DREDD PAR AL EWING : SOURIEZ C'EST LA LOI (CHEZ DELIRIUM)
RED ZONE #1 : LA GUERRE FROIDE REVIENT CHEZ AWA AVEC CULLEN BUNN ET MIKE DEODATO
OMNIBUS CAPTAIN AMERICA PAR ED BRUBAKER TOME 1 : UN CYCLE REMARQUABLE !
Evoquer le Winter Soldier, c'est aussi toucher un mot de la retcon. Il faut entendre par là la contraction des termes anglais retroactive continuity, à savoir l'intervention sur la continuity (l'histoire et ses effets logiques, communément acceptés) propre à une série ou un personnage, pour introduire de nouveaux éléments qui vont apporter une lumière inédite sur des moments clés du passé, et en changer le sens ou les conséquences. Par exemple, ici, Bucky n'est pas mort lors de sa dernière mission, mais il a été récupéré par les communistes du Kgb qui en ont fait une arme reprogrammée. Mais même cette mort imaginée par Lee et Kirby était déjà un peu de la retcon en soi. Au départ, Bucky est gravement blessé et doit tout simplement prendre sa retraite, dans un très vieil épisode de 1948. C'est Betsy Ross, la petite amie de Captain America, qui le remplace sous l'identité de Golden Girl. Dans les années 50 pourtant, on voit revenir Bucky aux cotés d'un Captain très anti-communiste, jusqu'à la disparition naturelle du titre, sans autre drame, en 1954. La dernière mission de Captain America et Bucky est en fait une idée du duo Lee et Kirby, qui construisent cet artifice pour ajouter pathos et héroïsme à leur série, et présenter un Vengeur étoilé miné par le remords et hanté par cette tragédie. Steve Rogers s'est réveillé dans un monde qu'il ne reconnaît plus, auquel il est contraint de s'adapter, pour en devenir le plus noble des paladins, mais le sort funeste de son side-kick, réduit en charpie par l'explosion de la bombe du Baron Zemo, et ce maudit avion auquel il était accroché, est un des éléments fondateurs des motivations et de la personnalité de ce Captain America "moderne". Ed Brubaker réalise donc avec talent et sagacité un tour de force inouï, nous raconter avec conviction que ces 40 dernières années d'histoire étaient fondées sur une croyance biaisée, et que Bucky Barnes est bien en vie, sous l'identité du Soldat de l'Hiver. Fascinant, et à (re)lire dans la collection Omnibus, qui subit ces temps derniers une inflation inattendue de parutions (on ne n'en plaindra pas...) et qui permet au lecteur de régulier de s'adonner aux plaisirs de la lecture des comic-books, tout en pratiquant la musculation des biceps et avant-bras.
FLASHPOINT BEYOND : UN RETOUR ATTENDU CHEZ THOMAS WAYNE
LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : L’ANNÉE FANTÔME
Dans le 147e épisode de son podcast, Le bulleu vous présente L'année fantôme, album que l'on doit à Didier Tronchet et aux éditions Dupuis dans la collection Aire libre. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :
- La sortie de l'album Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne que nous devons au scénario de Danielle Masse, au dessin de Sylvain Dorange ainsi qu'aux éditions Delcourt dans sa collection Encrages
- La sortie de l'album Ange Leca, adaptation d'un roman de Tom Graffin par Jérôme Ropert pour la partie scénario, Victor Lepointe pour la partie dessin et c'est édité chez Grand angle
- La sortie de l'album Angela Davis que l'on doit au scénario de Mariapaola Pesce, au dessin de Mel Zohar et c'est édité chez Des ronds dans l'O
- La sortie de l'album Camille Claudel que l'on doit au scénario de Monica Foggia, au dessin de Martina Marzadori et c'est paru aux éditions du Seuil
- La sortie de Tombée d'une autre planète sur la vie de Patricia Highsmith, un album que l'on doit à Grace Ellis au scénario, Hannah Templer au dessin et c'est édité chez Calmann-Levy
- La sortie de l'album Psychothérapies que l'on doit au scénario conjoint de Jessica Holc et de Ghislain de Rincquesen, au dessin d'Émiliano Tanzillo et c'est édité chez Glénat dans la collection Vents d'ouest
- La réédition d'Un été indien, l'album que l'on doit au scénario d'Hugo Pratt, au dessin de Milo Manara et réédité dans une collection sortie en marge du festival d'Angoulême chez Casterman
SPIDER-GWEN : SHADOW CLONES #1 (REVIEW V.O)
BRZRKR TOME 1 : KEANU REEVES ET UNE SÉRIE EXPLOSIVE CHEZ DELCOURT
Ce nouveau titre qui débarque en ce mois de mars chez Delcourt est totalement explosif. L'action est présente dans chaque épisode, et par action il faut entendre la représentation décomplexée de scènes de massacre, qui vont de visages explosés en gros plan au moyen d'un bon coup de poing en pleine face, jusqu'au cheval écartelé à mains nues. Accrochez-vous car BRZRKR appuie sur l'accélérateur, du début à la fin, jonglant entre des scènes tirées d'un passé lointain, qui apportent les premières pierres à l'édifice de l'histoire intime du personnage, et le présent où il est exploité par ceux qui voient en lui une ressource un peu naïve, c'est-à-dire les Américains. Bien entendu, une des principales attractions de cet album réside dans la présence de Keanu Reeves à l'origine du projet; d'ailleurs, le personnage principal n'est pas sans rappeler un croisement entre John Wick et le Wolverine des débuts, celui qui ignorait un grand nombre de pans de son propre passé. Le scénario a été supervisé et étoffé par Matt Kindt, qui est un de ceux qui ne trahissent jamais. Le type possède une expérience à toute épreuve dans le domaine et sait apporter de la profondeur aux personnages qu'il dépeint. La fine équipe a ensuite été complétée par Ron Garney, dont la mise en page et le trait incisif rappellent très souvent ceux de Frank Miller. L'artiste a progressé de manière exponentielle depuis les années 1990 : de promesse certaine mais encore à affiner, il est devenu au fil du temps aussi versatile que brillant, comme nous l'avions constaté il n'y a pas si longtemps sur les pages de Conan. L'aventure est censée être proposée en trois albums chez Delcourt, mais des numéros spéciaux viennent d'être annoncés aux States, et il n'est pas dit que BRZRKR ne soit pas là pour s'installer dans une durée initialement plus modeste. Il convient de bien savoir quel type de produit on acquiert, avant de se lancer dans la première incursion de Keanu dans le monde des comic books. La violence explicite et le récit encore nimbé de secrets à dévoiler en font assurément un des incontournables du genre, dont la noirceur et le déroulement ne dépareilleraient pas sur grand écran, dans un bon blockbuster estival.
LE VIETNAM JOURNAL DE DON LOMAX CHEZ DELIRIUM : LE VOLUME 6 (KHE SANH)
Ne négligeons pas le bref récit en fin de ce sixième tome, intitulé Raid Zippo. On y fait la connaissance avec un soldat du nom de Tim Sheffield, qui intègre un nouveau bataillon en remplacement d'un collègue qui vient de sauter sur une mine. Histoire de rappeler que prendre part à ce conflit, c'est signer un chèque en blanc à la mort, qui est libre de l'encaisser au moment de son choix. Le novice essaie de se faire des amis, de communiquer, mais il perçoit de l'animosité dans les rangs. D'une part, car le meilleur moyen de gérer cette précarité humaine est encore de ne pas trop s'attacher, de ne pas prendre le temps de découvrir les autres. D'autre part car l'inexpérience est source d'hésitations, d'approximations, et une fois l'assaut engagé, cela se traduit par des pertes sèches, des tragédies évitables. Et la première mission de Tim est loin d'être couronnée de succès. Mais il va persévérer, et surtout atteindre ce degré de sidération où les actes les plus insensés, les plus héroïques, deviennent accessibles et envisageables à celui qui a renoncé à sentir, comprendre, pour devenir et incarner la mission, aussi symbolique puisse t-elle être (comme de porter sur le dos les corps des camarades tombés). Tim Sheffield, de bleusaille ignorée dont on se méfie, deviendra alors un maillon de plus dans la transmission de la fraternité en guerre. Soyez tous les bienvenus dans l'antichambre de votre fin ! Lomax livre ainsi avec son Vietnam Journal un des récits journalistiques les plus poignants du vingt-et-unième siècle, au format comic book. On ne remerciera jamais assez Delirium pour nous permettre de revivre et mieux comprendre tout cela. Sans romance ou pathos, la vérité brute, à vif. Dernière remarque pour ceux qui prendraient la série en cours : chaque album peut-être lu de manière indépendante, évidemment, puisque il s'agit à chaque fois d'une des nombreuses tranches de vie du conflit qui est mise à l'honneur (façon de parler). Vous voici avertis, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
FORGOTTEN BLADE (CHEZ ANKAMA) : TZE CHUN ET TONI FEJZULA POUR TUER UN DIEU
COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)
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UniversComics Le Mag' 45 Septembre 2024 84 pages Dispo ici : https://www.facebook.com/groups/universcomicslemag/permalink/1049493353253...
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UniversComics Le Mag' 42 Mai 2024. 84 pages. Gratuit. Téléchargez votre numéro ici : https://www.zippyshare.day/odVOvosYpgaaGjh/file ht...