SALAMANDRE : LES FLEURS DE LA DICTATURE CHEZ 404 COMICS


 Dans la très grande majorité des cas, les chroniques d'albums en bande dessinée commencent par aborder le récit en lui-même. Pour une fois, nous allons faire une exception et nous intéresser au contenant, c'est-à-dire la qualité exceptionnelle de l'édition de Salamandre que propose 404 comics : un grand format luxueux à dos rond, magnifié par une sorte de tapisserie florale agréable au toucher, avec titre et nom de l'auteur en surimpression gaufrée. À ce niveau-là, ce n'est plus de la bande dessinée mais c'est un plaisir coupable; la simple prise en main est susceptible de provoquer un petit frisson au plus exigeant d'entre vous. Sinon, pour l'histoire, sachez qu'elle se développe autour d'un petit garçon de onze ans appelé Kasper Salamandre. Le héros du gamin, c'est le paternel, dont le métier est d'effectuer des plongées périlleuses dans les profondeurs sous-marines. Le mot héros est employé à bon escient car le petit a l'habitude de dessiner des sortes de comic books dans lesquels son père vit des aventures encore plus formidables que dans la réalité. Seulement voilà, lorsqu'on exerce un métier dangereux, le risque est que tôt ou tard cela finisse mal. Du coup, après le drame inéluctable, le petit Kasper s'efface dans une sorte de dépression silencieuse, uniquement rythmée par le tic-tac de la montre de son père, un objet censé porter chance mais qu'il avait oublié le jour de l'accident fatal. La mère de Kasper décide d'envoyer son fils en vacances, chez son grand-père. Voici venir un personnage énigmatique, difficile à cerner, qui habite de l'autre côté du "voile de fer". Car oui, dans l'univers de Salamandre, le monde est divisé en deux factions bien distinctes, que nous appellerons la République de Montparnasse et le Monolithe, deux univers très différents où les concept de liberté et d'expression artistique n'ont absolument rien à voir.



I.N.J. Culbard, le scénariste de Salamandre, est d'origine polonaise, et ce grand écart entre deux mondes que tout oppose est une manière sublimée de revenir vers et franchir le Rideau de fer du communisme. L'expression d'une volonté propre et d'une opposition politique paraissent à déconseiller fortement ici, dans un récit où les artistes sont d'ailleurs mis au ban d'une société qui n'accepte pas le refus d'un conformisme d'état. Même les fleurs peuvent être source de contrebande, et donc objet et symbole d'une forme de liberté, de résistance. Des fleurs qu'il faut arroser, entretenir, comme le talent artistique de Kasper (il dessine) ou de sa tante isolée et considérée par beaucoup comme une sorcière (elle sculpte et peint); autrement l'inspiration (ou la nature) finira par flétrir, et aussi belles soient-elles, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, puis se brûlent. Kasper est dérouté, perdu, aussi bien dans un contexte social où tout est interdit, mais qu'il ne comprend pas dans le détail (autrement il aurait eu une approche différente des activités secrètes de son grand-père), qu'en lui-même, c'est-à-dire comme muré dans la perte douloureuse ce celui qui fut le phare de sa vie, avant l'accident. Pas de librairie, pas de fête en famille (on mime la danse et la musique, arts prohibés), dans le Monolithe, tout est tabou, sans que la menace ne soit caricaturale, dans la répression. Au contraire, les deux personnages qui incarnent chacun la manifestation du pouvoir, du contrôle, usent et abusent d'une forme de flegme ou de bonhomie factice (ou pas, d'ailleurs), ce qui démontre que le pire est encore quand la bienveillance supposée s'affiche en lieu et place de la férocité de l'interdit (toute référence avec notre existence actuelle est bien sûr voulue). Pour le dessin, Culbard s'applique à employer ce qu'on qualifiera de "ligne claire", dans un style qui évoque beaucoup plus Hergé ou plus récemment, ce que Louis Alloing a produit dans le très beau et doux-amer Demain, série publiée chez Delcourt. Avec un usage de la couleur qui permet de bien isoler et différencier les deux univers juxtaposés, comme un filtre qui absorbe l'art, donc la vie. Salamandre est une œuvre étonnante, accomplie, touchante et naïve par endroits. Même le climax ne verse pas dans le grand drame déchirant, et les adieux qui s'opèrent, en début et fin d'ouvrage, sont plus de l'ordre de la pudeur, du non-dit. C'est beau et singulier, voilà tout. C'est déjà beaucoup. 





LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ENVIRONNEMENT TOXIQUE


 Dans le 148e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Environnement toxique, album que l'on doit à Kate Beaton et aux éditions Casterman. 

Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec : 

- La sortie de l'album À la recherche de l'homme sauvage, titre que l'on doit à Frédéric Bihel qui est sorti chez Delcourt 

- La sortie de l'adaptation du roman de Marc Dugain La chambre des officiers adapté en bande dessinée par Philippe Charlot au scénario, Alain Grand au dessin et c'est co-édité par Jean-Claude Lattès et les éditions Grand angle 

- La sortie de l'album Par la force des arbres, adaptation d'un roman d'Édouard Cortès que l'on doit à Dominique Mermoux et c'est édité chez Rue de Sèvres 

- La sortie de l'album Carnet de prison que l'on doit à Galien et aux éditions Steinkis 

- La sortie du deuxième tome de Mégafauna baptisé le livre des délices et des infortunes, que l'on doit à Nicolas Puzenat et aux éditions Sarbacane 

- La réédition de Jo, Zette et Jocko que l'on doit à Hergé dont l'intégrale est disponible chez Casterman







SUPERMAN LOST #1 : L'ODYSSEE DE LA SOLITUDE POUR SUPERMAN


 La vie n'est simple pour personne. C'est d'autant plus vrai lorsque vous êtes un extraterrestre, dernier rescapé de votre monde, et que vous habitez en couple avec une journaliste dont les enquêtes ont des ramifications politiques et dont le job nécessite beaucoup de temps et d'engagement.  Pire encore, la situation est d'autant plus délicate que vous êtes vous-même un boy scout acharné, que vous sauvez la vie des gens lors de catastrophes mondiales ou de simples incidents d'automobile. Comme lorsque une conductrice perd le contrôle de son véhicule dans le début de cet épisode. Mais Superman Lost débute vraiment lorsque la Justice League est appelée pour résoudre un conflit militaire. Une situation délicate qui risquerait de créer de très sérieux ennuis avec la Chine. Au départ, on pense qu'un sous-marin chinois a sombré au large des eaux territoriales américaines, mais en fait, il s'agit d'un engin d'origine inconnu, probablement extraterrestre, qui menace d'exploser et de créer une singularité pouvant même avaler une partie de la planète.  Et bien sûr, le seul membre de l'équipe capable de se jeter tête baissée dans le problème pour le résoudre, c'est Superman. Sauf que l'explosion a bien lieu. L'Homme d'Acier parvient à contenir l'essentiel, pour autant, lorsqu'il rentre chez lui quelques heures plus tard, c'est pour se retrouver dans un état proche de la catatonie. On le sent bouleversé par ce qui s'est passé. Loïs Lane a du mal à communiquer avec lui et Batman débarque, plutôt penaud. L'horrible vérité se fait jour : ce qui pour nous a duré aussi peu était en fait pour Superman une question de 20 ans. 20 ans d'aventures perdus Dieu sait où à faire Dieu sait quoi. C'est ce que va nous raconter ce Lost de Christopher Priest, dont le premier épisode est très intéressant et promet de grandes pages épiques et intimes en même temps. Signalons que le dessin de Carlo Pagulayan est capable de se hausser au niveau, avec des planches de toute beauté qui captent aussi bien l'essence héroïque du personnage que sa vie quotidienne de tous les jours, sa relation avec Loïs. Et bien entendu, nous n'avons lu qu'un seul des 10 numéros de cette maxi série, mais l'envie de continuer est là et la sensation que nous tenons peut-être une des histoires de l'année est une évidence.




CLEAR : SNYDER ET MANAPUL "FILTRENT" LA REALITE


 Vous aimez la science-fiction mais vous appréciez aussi une bonne enquête policière ? Bienvenue dans l'univers de Scott Snyder et de son nouveau label Best Jackets, qui vous propose cette fois une série en collaboration avec Francis Manapul en six volets intitulée Clear. Nous faisons un bond en avant jusqu'à l'an 2052 pour nous rendre à San Francisco, dans un univers où tout le monde a accès à une technologie baptisée les Voiles. Pour faire simple, ça reprend le concept que nous utilisons tous sur internet et les réseaux sociaux (Instagram, par exemple). C'est-à-dire d'appliquer des filtres pour embellir la réalité lorsque celle-ci ne nous satisfait pas. Nous l'avons tous fait et c'est un bon moyen de rendre glamour des instants de vie qui sont en fait plutôt tristounets. Sauf qu'ici tout est poussé au paroxysme et chaque habitant évolue dès lors dans un univers de son goût, où le champ de vision est intégralement modifié par une fiction permettant de supporter la dureté de l'existence. Il faut dire qu'un conflit a éclaté quelques années auparavant entre les États-Unis et les pays du bloc communiste (la Chine en tête), une guerre que les Américains ont perdu à plate couture et qui a laissé bien des séquelles. Le personnage principal de Clear s'appelle Sam Dunes et c'est un détective capable d'utiliser des méthodes musclées et d'évoluer dans les marges de la légalité. Il a une particularité, celle d'être probablement le seul qui refuse d'utiliser un Voile, et il choisit donc d'observer le monde qui l'entoure tel qu'il devrait être normalement. Aucune illusion chez Sam, qui de toute façon doit aussi composer avec une blessure intime qui ne s'est jamais refermée : la perte de son enfant dans un accident et l'éloignement définitif avec sa femme. L'enquête va démarrer alors que celle-ci est décédé, apparemment suicidée, après s'être jetée du haut d'une des tours les plus hautes et huppés de la ville.  Dès lors, Scott Snyder va pouvoir faire preuve de toute son habilité de scénariste et y mettre quelque chose qu'il apprécie particulièrement, c'est-à-dire une intrigue très stratifiée qui n'en finit plus de réserver des coups de théâtre et flirte avec le bon vieux complotisme. Qui fait que rien n'est jamais ce qu'il semble être, au risque même de constater que le récit devient bien compliqué à suivre dans les deux derniers épisodes.


Snyder a parfois la tentation de complexifier un peu trop son récit, là où un peu de simplicité n'aurait pas fait de mal pour atteindre un climax parfait. Sam Dunes est un bon exemple de ces personnages pris dans la tourmente des faux semblants, quand chaque révélation, chaque pas en avant dans l'enquête, est en réalité un bond en arrière, obligeant à revoir l'intégralité de tout ce qui était tenu pour établi jusque-là. On soulignera par contre la peinture très saisissante de la société ultra moderne et tout aussi décadente présente dans Clear. Exploitation des individus (qui sont à un certain point masqués aux yeux des autres et apparaissent sous la forme de robots sans âme, une belle manière de parler de l'esclavagisme des êtres voués à un travail humiliant et répétitif), la domination d'une caste de nantis qui se croit tout permis et vit au-dessus (au sens propre comme au figuré) de la population lambda, tout cela rend cet album au final très agréable à lire, car en phase avec un présent que nous traversons tous. Le voile, c'est en fait l'illusion que nous acceptons pour que les choses perdurent sans que nous ayons à tous nous bouger collectivement pour que soit opérée une véritable révolution. Il est plus facile de fermer les yeux ou de regarder ailleurs que de se concentrer sur le mode "Clear". Enfin, les yeux, il faut tout de même les ouvrir car le travail de Francis Manapul est remarquable; ses planches sont tout aussi inventives que travaillées avec une justesse évidente, et le design du personnage principal, casque de moto sur la tête et traces de peinture sur celui-ci, le rend énigmatique, voire même effrayant. Le jeu des réalités superposées, des visions juxtaposées, est également assez bien rendu et nous prouve que l'artiste joue désormais dans la cour des très grands, d'autant plus qu'il est en forme notable dans ces épisodes. Clear est une sortie que nous recommandons sincèrement, même si elle peut sembler déroutante voire hermétique, quand arrive le moment d'aboutir à la conclusion.
Sortie le 29 mars. 






BATMAN THE KNIGHT : DEVENIR BATMAN AVEC ZDARSKY ET DI GIANDOMENICO


 Vous connaissez tous l'histoire, alors est-il encore nécessaire de la raconter, une nouvelle fois ? Chip Zdarsky prend le pari que oui, et nous livre une dizaine d'épisodes où une version inédite des origines de Batman est offerte aux lecteurs. Le jeune Bruce voit ses parents assassinés sous ses yeux, et depuis, ses nuits sont peuplées de cauchemars, qu'il ne parvient pas toujours à maitriser. Durant ses années d'étude, une sorte de sentiment de vengeance sur la vie et sur ceux qui tyrannisent les autres commence à poindre. Les camarades qui se comportent comme des harceleurs sont punis, avec les poings, puis avec la rouerie de celui qui est capable d'échafauder des plans complexes, portés par une intelligence supérieure. Ce Bruce Wayne là finit même devant le psychiatre, le redoutable Hugo Strange, ici chargé de soumettre son patient à des séances d'hypnose, qui se terminent par la énième démonstration que Bruce n'est pas le premier venu, et qu'il n'est pas aisé de le manipuler. A un certain point du récit, Bruce s'entend dire "tu es en train de forger ton armure, parce que tu crois pouvoir devenir invincible" : c'est bien de cela qu'il s'agit. Lire des livres, étudier toutes les techniques de combat rapproché, savoir devenir un parfait cambrioleur et se mêler aux criminels, ou en tous les cas à la mauvaise vie, pour en comprendre les mécanismes, voilà quelques-unes des missions que le jeune homme va devoir être en mesure d'affronter, s'il veut un jour devenir ce qu'il pressent pouvoir être. Mais il devra aussi fausser compagnie à son majordome (et père de substitution), Alfred, qui ne supporte pas l'idée de le voir se rabaisser, livrer des combats de rue pour s'endurcir. Le voyage initiatique, que l'on pourrait aussi nommer formation professionnelle, commence à Paris, dans la ville lumière. Bruce fait la rencontre d'une cambrioleuse plus âgée que lui (Lucie) qui n'est pas sans faire écho (vous l'avez deviné) à Catwoman, qu'il épousera bien plus tard. Dans la capitale française, il remonte la piste d'un tueur en série qui égorge ses victimes d'un coup de griffe, et se retrouve embarqué dans une machination qui le dépasse. Avant de se confronter à la mort d'un mentor, encore une fois. 


Le seul problème de cet album est situé dans la mécanique des faits, c'est-à-dire la répétition, une sorte de logique narrative qui se représente sous forme de cycles. Un coup en Corée du Nord ou en Russie, un coup en Colombie Britannique, à chaque fois Bruce Wayne est sur les traces de quelqu'un qui pourra lui enseigner un art particulier, c'est-à-dire une compétence qui lui permettra de devenir un jour Batman. Il est accompagné par Anton, un "collègue" qui semble être animé par des motivations différentes des siennes et qui est même capable de le dépasser dans beaucoup de domaines. Une amitié destinée à se briser lorsque les masques finissent par tomber et que Bruce se rend compte que la pureté d'intention qui l'anime n'est pas celle de son partenaire. Tout ceci débouche sur un grand final qu'on sent venir avec un peu d'expérience, juste après l'ambition démesurée de se frotter à la magie, lorsque Bruce Wayne se forme au contact du père de Zatanna Zatara, jolie magicienne avec qui il a noué une relation sincère depuis ses plus jeunes années. Si le récit n'est pas des plus anti conventionnels, il a au moins le mérite de combler des blancs dans une période de la vie de Bruce Wayne qui n'est pas si souvent abordée dans les comics; l'occasion de faire un petit mélange entre ce que proposait la trilogie de Nolan et la version de Matt Reeves, avec un justicier en devenir plus jeune et faillible. La colère est la volonté inflexible de ne pas guérir d'une blessure primordiale sont les carburants d'un homme qui gratte encore et encore une plaie béante et refuse de tourner la page. Un masochisme émotionnel nécessaire pour que le Dark Knight se cristallise, année après année. Zdarsky a un argument de poids pour l'aider dans ce tableau ambitieux, en la personne de l'Italien Carmine Di Giandomenico. Le style toujours aussi nerveux et incisif de ce dernier convient à merveille aux dix épisodes de The Knight. On sent qu'il a eu le temps et la motivation nécessaires pour donner le meilleur de lui-même; il n'y a pas une seule planche qui déçoit et la mise en page est un régal d'efficacité et d'énergie. Faire du Batman sans Batman, embrasser et éclaircir les nombreuses années qui forgent Bruce Wayne en son avatar encapé, ce n'est pas une sinécure. Cette histoire parvient à garder le cap et à ouvrir des pistes intrigantes, qu'il serait possible de creuser un peu plus à l'avenir. Voilà déjà en soi de quoi se réjouir, d'autant plus que c'est beau, très beau à feuilleter et à lire. 






JUDGE DREDD PAR AL EWING : SOURIEZ C'EST LA LOI (CHEZ DELIRIUM)


 La loi, c'est lui. Il en est l'incarnation. Certes, elle peut parfois être dure, rigide, intransigeante, mais c'est la loi. Et Dredd n'est pas là pour vous raconter ses atermoiements, pour faire dans la sensibilité et les circonstances atténuantes. Un personnage en fait bien plus complexe qu'il ne semblerait de prime abord, de retour chez Delirium avec un volume écrit par Al Ewing en personne. Rien que cette amorce devrait vous faire bondir sur votre siège et vous convaincre qu'il y a moyen de lire de bien jolies choses dans les prochains jours. Mais pour commencer, parlons un peu d'Al Ewing, avant Al Ewing. Je veux dire par là, avant la consécration chez Marvel, avant Immortal Hulk, Venom... Comme beaucoup d'autres artistes britanniques, c'est sur la revue 2000.AD qu'il a eu l'occasion de vraiment prendre son envol, avec Future Shocks et surtout des épisodes de Judge Dredd, ici compilés par Delirium dans un splendide album grand format et en couleurs. Le Dredd signé Al Ewing, c'est de l'humour décapant, et des clins d’œil très réussis aux comics populaires, dès les premières pages. Il est question de mutants, tout d'abord sous la forme d'un groupuscule qui souhaiterait que ces derniers soient les maîtres de la société, tout en ne faisant pourtant pas partie de cette catégorie génétique. Derrière le Professeur Clavier, c'est un certain Charles Xavier qui se cache, tout comme le lecteur amusé retrouvera des copies carbone hilarantes de Scott Summers et Jean Grey. Un autre mutant est ensuite la star d'une épreuve sportive d'un genre inédit, le Championnat du Monde du sexe. Le favori de ces épreuves insolites est frappé d'impuissance et il doit trouver un successeur en mesure de faire triompher son écurie. Ce sera un mutant dont le jumeau n'est autre que son propre sexe, et dont les performances sont assez éblouissantes. Dredd, de son côté, fait régner l'ordre et le fair-play, en évitant que le nouveau concurrent ultra doté ne se prenne une balle bien (ou mal) placée. Exprimé de cette manière, le concept peut sembler plus grivois que nécessaire, mais filtré à travers l'univers sérieux du Juge Dredd, ça crée un contraste très efficace, qui permet de démontrer, une fois encore, à quel point l'humour et le discours social sont des composantes essentielles d'une bande dessinée très souvent réduite à une apparence austère et fascisante.  



La religion est aussi tournée en dérision, avec un culte sectaire voué à la paresse et l'oisiveté la plus totale, qui s'avère être en fait un moyen détourné pour le terrible Démotivateur de mettre Mega-City One à sa botte. Quand l'inaction confine au nihilisme. Le pastiche est un genre qui réussit particulièrement bien à Al Ewing, comme lorsqu'il met en scène tous les acteurs ayant déjà interprété le rôle de James Bond, pour un hommage hilarant qui tourne au jeu de massacre, ou lorsqu'un fonctionnaire trop zélé tente de faire disparaître la tradition du Père Noël, au profit (économique et social) des Juges et de leur conception rigide de la Loi. Dans le premier cas, les personnalités et les tics de jeu des acteurs sont parfaitement illustrés, dans l'autre le discours est plus pertinent que jamais, dans une société où tout peut devenir arme de consommation massive. Le rire devient émotion avec « Une maison pour Aldous Mayous », où les drames du passé hantent toujours, bien des années plus tard, ceux qui tentent d'œuvrer pour la science et donc de réparer ce qui ne peut plus l'être. Le savoir ne peut s'opposer à l'inévitable, constat d'une tristesse poignante « Ce que le Hitler a vu » part sur des bases très alléchantes. Nous découvrons un musée où les plus grands noms de l'histoire (aussi bons, héroïques ou maléfiques soient-ils) sont interprétés par des acteurs immobiles, qui coûtent bien moins cher que des robots sophistiqués. L'habit fait-il le moine, ou pour être plus clair, celui qui doit revêtir chaque jour le costume et l'apparence d'Adolph Hitler, est-il condamné à la souffrance, la sienne, et celles des autres, qu'il entraîne dans son malheur, juste parce qu'il arbore la sinistre petite moustache, la mèche et l'uniforme ? Toutes ces histoires inédites nous montrent à quel point l'humour britannique est d'une puissance redoutable quand il s'agit de commenter ce que nous sommes devenus, comment nous organisons nos sociétés ubuesques et corrompues, à travers une science-fiction décapante et hautement intelligente. D'ailleurs la politique dans son plus simple appareil (sans jeu de mots) est au menu, avec un épisode intitulé « Gibier de potence » où il est question d'un ambassadeur qui pense être protégé de ses agissements immoraux par son immunité. Face au Juge Dredd et le caractère inflexible qu'il applique à toutes ses décisions, la corruption ne peut pas grand chose, et les meurtres et délits commis sont tous destinés à une juste punition, quel qu'en soit l'auteur. En bonus, un aréopage de dessinateurs, de styles, au service d'une des sorties indispensables de ce mois de mars. John Higgins, Simon Frazer, Paul Marshall ou encore Liam Sharp, pour les plus connus, devraient réjouir vos mirettes ébahies. Une parution parfaite pour une première sortie dans le monde de Dredd, ou pour prolonger le plaisir de ceux qui sont déjà conquis depuis longtemps. Chez Delirium, ça va sans dire. 




RED ZONE #1 : LA GUERRE FROIDE REVIENT CHEZ AWA AVEC CULLEN BUNN ET MIKE DEODATO


 En règle générale, quand on imagine une histoire où il est question de se rendre en Russie pour aller exfiltrer une femme qui détient des secrets nationaux, le héros est une sorte de James Bond, sans peur et sans reproche, au service du contre-espionnage; et il  n'hésite pas à défourailler et à enchaîner les cascades pour atteindre son objectif. Sauf que cette fois, les débuts de la nouvelle série publiée chez AWA intitulée  Red Zone sont bien différents. Le professeur Crane est un des plus grands spécialistes de l'art, de la culture et de la géopolitique russe; il enseigne aux États-Unis et c'est durant un de ses cours magistraux qu'il est contacté par un élève un peu spécial. En réalité, un agent gouvernemental qui lui explique que le pays compte sur son aide pour faire un saut à Moscou et y prélever une ancienne ballerine qui désire dorénavant passer à l'Ouest, et avec laquelle il a eu autrefois une relation. L'opération ne va évidemment pas se passer comme prévu - sinon nous n'aurions pas à lire une mini série en quatre parties - et après un dîner au cours duquel les conditions de l'opération changent de manière impromptue (il va falloir aussi emmener la fille dans les bagages), voilà qu'un véritable guet-apens explose et que la série prend une toute autre tournure. Notre professeur, déjà d'un âge certain (une version préretraitée de Vincent Cassel) et qui jusqu'ici avait l'air d'être particulièrement hors forme, va devoir faire preuve de ressources inimaginables pour sauver la vie de la (splendide) fille de celle avec qui il a autrefois partagé de tendres sentiments. Si on s'en tient aux premières pages, il n'a aucune chance de réussir… sauf que lorsqu'on lit les dernières, on se rend compte que peut-être Cullen Bunn ne nous a pas tout dit et le rebondissement est assez sympathique. D'autant plus que le dessin est confié à Mike Deodato, qui avant de s'en aller chez DC Comics pour dessiner Flash, nous sort une énième prestation irréprochable avec des planches photoréalistes de fort impact, selon un découpage qu'il affectionne désormais régulièrement et qui permet de donner un ton cinématographique à la progression du récit. Nous tenons là une publication qui ne va certainement pas révolutionner le genre mais qui possède en soi tous les ingrédients pour nous garder en haleine jusqu'à la fin du printemps. En tous les cas, nous, on a bien l'intention d'aller jusqu'au bout.




OMNIBUS CAPTAIN AMERICA PAR ED BRUBAKER TOME 1 : UN CYCLE REMARQUABLE !


 Ils sont bien rares, ces personnages marquants, dans les comic-books, qui passent l'arme à gauche et restent morts pour de bon. Le Captain Marvel des origines, le père et la fille Stacy (pourtant revenue par le biais d'une autre dimension, sous l'avatar de Spider-Gwen), une poignée d'autres. Dont faisait partie, jusqu'il y a quelques années, un certain Bucky Barnes, alias le side-kick de Captain America durant la seconde guerre mondiale. Il trouva son trépas suite à l'explosion en plein vol d'un avion allemand, alors qu'il était accroché à la carlingue. Intrépide, mais malchanceux. Ce drame faisait partie des éléments fondateurs de la tragédie de Steve Rogers, et personne n'avait osé ramener véritablement Bucky, sous peine de lynchage sur la place publique. Quand Ed Brubaker arrive sur la nouvelle mouture de Captain America, en 2002, il brise le tabou et tente l'impensable. 41 ans plus tard, Bucky lives again. Mais ce retour n'est pas forcé, ou juste destiné à relancer des ventes en berne, il s'insère dans une trame délicieuse, un véritable mécanisme de précision diabolique. Lentement, Brubaker tisse sa toile. Crâne Rouge est abattu dès le premier épisode qu'il écrit. Un cube cosmique semble en jeu. D'anciens ressortissants du Kgb complotent dans l'ombre. Des proches de Steve Rogers (Jack Monroe, qui fut aussi son partenaire pour un temps assez bref) sont assassinés. Le S.h.i.e.l.d est aussi de la partie, avec Nick Fury et ses lourds secrets, à peine partagés avec Sharon Carter, ancienne petite amie de Cap', elle aussi prise comme une mouche sur les fils poisseux du destin. Et derrière tout cela, la silhouette inquiétante d'un ancien agent soviétique, le Winter Soldier, le Soldat de l'Hiver, qui n'est autre que celui que vous avez deviné (et de toutes façons vu au cinéma et sur Disney +, ce n'est plus de la nouveauté, ce récit) ! C'est du très grand art, une fresque géopolitique et super-héroïque convaincante, dessinée avec talent par un Steve Epting plus automnal que jamais, avec ce trait légèrement désuet, rétro, qui colle si bien au propos de cet omnibus. Mike Perkins et Lee Weeks sont deux autres choix de grande qualité, rien à redire à ce niveau, on est gâté. Un tel succès artistique et populaire que le Soldat de l'Hiver est devenu la star du second film dédié au Vengeur étoilé, et qu'il est depuis un des personnages les plus solides, sur lequel Marvel semble pouvoir s'appuyer, y compris pour le passage au format série. Il est mort à nouveau (une feinte, dans Fear Itself, par exemple) mais en réalité toujours sur le pont, prêt à relever les défis du XXI° siècle qui se dresseront devant lui, y compris assurer l'intérim quand Steve Rogers se fait porter pâle. 



 Evoquer le Winter Soldier, c'est aussi toucher un mot de la retcon. Il faut entendre par là la contraction des termes anglais retroactive continuity, à savoir l'intervention sur la continuity (l'histoire et ses effets logiques, communément acceptés) propre à une série ou un personnage, pour introduire de nouveaux éléments qui vont apporter une lumière inédite sur des moments clés du passé, et en changer le sens ou les conséquences. Par exemple, ici, Bucky n'est pas mort lors de sa dernière mission, mais il a été récupéré par les communistes du Kgb qui en ont fait une arme reprogrammée. Mais même cette mort imaginée par Lee et Kirby était déjà un peu de la retcon en soi. Au départ, Bucky est gravement blessé et doit tout simplement prendre sa retraite, dans un très vieil épisode de 1948. C'est Betsy Ross, la petite amie de Captain America, qui le remplace sous l'identité de Golden Girl. Dans les années 50 pourtant, on voit revenir Bucky aux cotés d'un Captain très anti-communiste, jusqu'à la disparition naturelle du titre, sans autre drame, en 1954. La dernière mission de Captain America et Bucky est en fait une idée du duo Lee et Kirby, qui construisent cet artifice pour ajouter pathos et héroïsme à leur série, et présenter un Vengeur étoilé miné par le remords et hanté par cette tragédie. Steve Rogers s'est réveillé dans un monde qu'il ne reconnaît plus, auquel il est contraint de s'adapter, pour en devenir le plus noble des paladins, mais le sort funeste de son side-kick, réduit en charpie par l'explosion de la bombe du Baron Zemo, et ce maudit avion auquel il était accroché, est un des éléments fondateurs des motivations et de la personnalité de ce Captain America "moderne". Ed Brubaker réalise donc avec talent et sagacité un tour de force inouï, nous raconter avec conviction que ces 40 dernières années d'histoire étaient fondées sur une croyance biaisée, et que Bucky Barnes est bien en vie, sous l'identité du Soldat de l'Hiver. Fascinant, et à (re)lire dans la collection Omnibus, qui subit ces temps derniers une inflation inattendue de parutions (on ne n'en plaindra pas...) et qui permet au lecteur de régulier de s'adonner aux plaisirs de la lecture des comic-books, tout en pratiquant la musculation des biceps et avant-bras.  



FLASHPOINT BEYOND : UN RETOUR ATTENDU CHEZ THOMAS WAYNE


 Face à l'inacceptable (comme peut l'être la mort d'une mère adorée), même les super-héros peuvent opérer des choix catastrophiques. En voulant corriger quelque chose qui n'aurait jamais dû l'être, Barry Allen a par exemple créé la réalité que nous connaissons sous le nom de Flashpoint. Un événement particulièrement important puisqu'au terme de cette parenthèse, DC comics à viré de cap en lançant la grande opération des New 52. On croyait cet univers de Flashpoint définitivement enterré, après la mort du Batman de là-bas (c'est-à-dire le père de Bruce, Thomas Wayne) qui s'est sacrifié pour la bonne cause, victime des rayons de Darkseid. Seulement voilà, lorsque Thomas se réveille à nouveau chez lui et que tout semble être revenu en arrière, à un point de stase qui n'aurait jamais dû être, c'est que quelque chose cloche, une erreur dans le programme qu'il faut encore une fois corriger. Thomas va donc s'y employer et la première des choses à faire, c'est de retrouver le Barry Allen de cette réalité là pour lui expliquer qu'il est l'homme au centre de toute cette affaire et le forcer à recouvrir ses pouvoirs de Flash. Ceci de la même manière qui avait été mise en œuvre la première fois, c'est-à-dire une décision expéditive, Barry attaché à une chaise, foudroyé par une installation électrique sommaire. La première tentative il y a douze ans s'était soldée par un succès et donc par Flashpoint; celle-ci va être un échec complet car il y a quelqu'un dans l'ombre qui tire les ficelles et s'arrange pour que Thomas Wayne ne parvienne pas à ses fins. Pendant ce temps-là, dans notre univers à nous (celui canonique où se déroulent les aventures des super-héros DC comics) Batman mène l'enquête. Un simple globe, une boule à neige, a attiré l'attention de celui qui est bien décidé à sauver son père (lui-même désireux de faire revenir son fils, assassiné à sa place). Vous trouvez cela complexe ? Vous n'avez pas tort. Geoff Johns continue de jouer avec les réalités alternatives et les couloirs du temps, au risque de complètement s'emmêler les pinceaux. On rase plusieurs fois le casse-tête le plus effrayant et pour autant cette nouvelle histoire, intitulée Flashpoint Beyond, réussit à retomber sur ses pieds et même à proposer des instants très inspirés et fascinants.



Le retour à l'âge de Flashpoint, c'est aussi pour Geoff Johns la possibilité de jouer une partition connue tout en effectuant une série de variations intéressantes et intrigantes. Comme Thomas Wayne qui utilise le Pingouin comme son aide de camp, une sorte d'Alfred 2.0. Un Pingouin qui est lui-même censé veiller sur le jeune fils de Harvey Dent, après la mort de ce dernier. Le gamin est élevé un peu comme un Robin potentiel, c'est-à-dire qu'on lui permet d'apprendre le maniement des armes et des explosifs, à un âge où normalement on se contente de fréquenter les réseaux sociaux. C'est aussi l'opportunité de retrouver le Superman de l'univers Flashpoint. Le héros a été longtemps retenu prisonnier d'un projet top secret du gouvernement où il a été éhontément exploité; on pourrait croire qu'il nourrirait alors un sentiment de revanche, au moment de sa libération, surtout lorsqu'il apprend que le peuple dont il est originaire, les Kryptoniens, n'ont pas tous disparu comment le suppose, mais au contraire semblent se diriger vers la terre pour une invasion programmée, dont il pourrait bien être la tête de pont. N'oublions pas non plus le Joker au féminin, c'est-à-dire Martha Wayne, jamais remis des drames vécus. Rien ne va se passer comme prévu et ce retour à Flashpoint est l'occasion de prolonger l'aventure et de mettre en lumière certaines zones d'ombres pas toujours bien éclairées de la saga. En plus, au niveau du dessin, Xermanico livre une prestation remarquable, qui ressemble même par endroit à une masterclass. C'est devenu un artiste au style très léché, qui n'a rien à envier aux plus grands noms travaillant actuellement pour la Distinguée Concurrence. Notons aussi des planches réalisées par Mikel Janin, qui n'a de toute façon plus rien à prouver. Alors oui, cette lecture pourrait déconcerter ceux qui ne connaissent pas grand-chose à l'univers parallèle originel de Flashpoint, mais pour les autres c'est un complément bien plus malin et pertinent que ce que nous pourrions attendre (avec quelques clins d'oeil méta-comics comme les allusions à la 5G avortée et le sens même des deux lettres DC). Une lecture qui globalement ne déçoit pas.





LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : L’ANNÉE FANTÔME


 Dans le 147e épisode de son podcast, Le bulleu vous présente L'année fantôme, album que l'on doit à Didier Tronchet et aux éditions Dupuis dans la collection Aire libre. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :


- La sortie de l'album Gisèle Halimi, une jeunesse tunisienne que nous devons au scénario de Danielle Masse, au dessin de Sylvain Dorange ainsi qu'aux éditions Delcourt dans sa collection Encrages


- La sortie de l'album Ange Leca, adaptation d'un roman de Tom Graffin par Jérôme Ropert pour la partie scénario, Victor Lepointe pour la partie dessin et c'est édité chez Grand angle


- La sortie de l'album Angela Davis que l'on doit au scénario de Mariapaola Pesce, au dessin de Mel Zohar et c'est édité chez Des ronds dans l'O


- La sortie de l'album Camille Claudel que l'on doit au scénario de Monica Foggia, au dessin de Martina Marzadori et c'est paru aux éditions du Seuil


- La sortie de Tombée d'une autre planète sur la vie de Patricia Highsmith, un album que l'on doit à Grace Ellis au scénario, Hannah Templer au dessin et c'est édité chez Calmann-Levy


- La sortie de l'album Psychothérapies que l'on doit au scénario conjoint de Jessica Holc et de Ghislain de Rincquesen, au dessin d'Émiliano Tanzillo et c'est édité chez Glénat dans la collection Vents d'ouest 


- La réédition d'Un été indien, l'album que l'on doit au scénario d'Hugo Pratt, au dessin de Milo Manara et réédité dans une collection sortie en marge du festival d'Angoulême chez Casterman





SPIDER-GWEN : SHADOW CLONES #1 (REVIEW V.O)


 Tout commence par un de ces combats habituels, face à des supers vilains venus d'un univers parallèle. Le Vautour, le Rhino, Kraven, ils sont tous aisément défaits par notre Gwen d'une autre dimension, qui ne se rend toutefois pas compte que son triomphe a aussi des répercussions tragiques sur quelqu'un d'autre… Puis c'est un bond en avant dans le temps, à l'issue duquel nous retrouvons notre jeune héroïne dans son quotidien, notamment son travail chez une sorte d'épicier/spécialiste en smoothie. Tout semble aller pour le mieux et elle obtient même un rendez-vous galant avec celui qu'elle convoite depuis quelques temps; seulement voilà, à la sortie du travail, elle décide de se mêler d'un cambriolage, et à partir de là, elle va se retrouver nez à nez avec une adversaire assez particulière. En fait, il s'agit d'elle, mais une version d'elle-même couplée avec le Docteur Octopus. Emily Kim nous présente alors une lutte sans merci qui se termine par une révélation importante : la méchante de passage ne l'est peut-être pas forcément. Elle serait en fait manipulée par un appareil électronique qui a été apposé sur sa nuque. Gwen parvient à le désactiver et elle décide alors d'enquêter sur l'identité de celle qu'elle vient d'affronter et qui lui ressemble autant. Elle est persuadée - et nous le sommes tous - qu'il s'agit alors d'une itération d'elle-même, venue d'une autre dimension, mais en fait il va s'avérer que nous avons affaire plutôt à un clone. Comme elle le fait remarquer, c'est comme s'il s'agissait d'un enfant illégitime qui comporterait aussi bien les schémas psychiques de Gwen que ceux appartenant au Docteur Octopus. En plus, il s'avère que ce travail de synthèse peut-être répliqué et donc rien n'empêche de nouveaux clones tout aussi bizarres de vite voir le jour, pour semer la zizanie. C'est bien entendu ce qui va arriver dans les prochains numéros, avec notamment un cliffhanger qui nous présente le prochain croisement. Avec Kei Zama aux dessins, on a clairement plus l'impression de lire un manga en couleur qu'un comic book américain traditionnel. L'action est particulièrement engageante et bien représentée; de ce côté-là, il n'y a rien à dire. Par contre, le style anguleux, caricatural, les effets visuels propres à la bande dessinée japonaise, ne sont vraiment pas ma tasse de thé et l'ensemble manque de charme, de pureté, de classe tout simplement. Alors oui, il s'agit ici de lorgner vers un public jeune, de donner un sacré coup de pied dans la fourmilière et de s'amuser avec notre chère Spider Gwen. Pour autant, c'est du vite lu vite oublié et ça n'est même pas particulièrement joli à feuilleter. Bref, Marvel a beaucoup teasé cette série mais elle n'a vraiment rien d'indispensable. 




BRZRKR TOME 1 : KEANU REEVES ET UNE SÉRIE EXPLOSIVE CHEZ DELCOURT


 B. Une simple lettre, pour un homme qui n'a pas de nom, ou en tous les cas qui ne se souvient pas en avoir eu. D'ailleurs, est-on bien certain qu'il s'agit d'un homme ? En réalité, ce serait plutôt un demi-dieu. Le fruit de la prière adressée à une divinité par l'épouse du chef d'une tribu primitive, subissant les assauts répétés d'envahisseurs, à une époque extrêmement reculée, il y a des dizaines de siècles de cela. L'incarnation d'un cadeau fait aux hommes, un outil formidable, en pratique utilisé dès le départ comme une arme unique. Unute, tel est le terme par lequel le "père terrien" de notre "héros" l'a désigné, dès ses premiers jours; c'est-à-dire celui qui est employé pour exterminer l'assaillant, pour commencer, puis dans le but de se défendre et de conquérir. Il faut dire que nous tenons là une machine à tuer qui a bien du mal à maîtriser ses instincts et qui possède en outre un facteur autorégénérant proprement extraordinaire. Il y a un petit côté Wolverine-bête sauvage qui se reconstitue chez lui, mais auquel il faut donc ajouter des origines mystiques et tragiques, perdues à travers les temps. Celui qui donne son nom à cette nouvelle série intitulée BRZRKR (le terme se rattache à l'expression to go berserk, c'est à dire devenir fou de rage) a en effet de très sérieux trous de mémoire; il ne parvient pas à recoller toutes les informations qui lui permettraient de comprendre ce qu'il est, d'où il est et donc où il va. Pour le moment, il a accepté l'aide du gouvernement des États-Unis, qui lui a promis en échange de missions régulières (qui ressemble à des opérations de charcutage politique) tous les moyens à disposition de l'Oncle Sam pour avancer dans sa quête identitaire. Au passage, les laboratoires tentent de le cloner ou en tous les cas de récupérer des précieuses données génétiques, grâce à son organisme exceptionnel et ses dons hors du commun. Nous avons parlé d'outil, puis d'arme, mais il ne faudrait pas non plus s'y méprendre : B est presque un jouet, c'est-à-dire un pion, dont on se sert au besoin mais qu'on manipule à travers des séances de psychothérapie et d'analyse qui permettent de s'assurer de l'obéissance et de la docilité du bonhomme. Jusqu'à ce qu'il explose… 



Ce nouveau titre qui débarque en ce mois de mars chez Delcourt est totalement explosif. L'action est présente dans chaque épisode, et par action il faut entendre la représentation décomplexée de scènes de massacre, qui vont de visages explosés en gros plan au moyen d'un bon coup de poing en pleine face, jusqu'au cheval écartelé à mains nues. Accrochez-vous car BRZRKR appuie sur l'accélérateur, du début à la fin, jonglant entre des scènes tirées d'un passé lointain, qui apportent les premières pierres à l'édifice de l'histoire intime du personnage, et le présent où il est exploité par ceux qui voient en lui une ressource un peu naïve, c'est-à-dire les Américains. Bien entendu, une des principales attractions de cet album réside dans la présence de Keanu Reeves à l'origine du projet; d'ailleurs, le personnage principal n'est pas sans rappeler un croisement entre John Wick et le Wolverine des débuts, celui qui ignorait un grand nombre de pans de son propre passé. Le scénario a été supervisé et étoffé par Matt Kindt, qui est un de ceux qui ne trahissent jamais. Le type possède une expérience à toute épreuve dans le domaine et sait apporter de la profondeur aux personnages qu'il dépeint. La fine équipe a ensuite été complétée par Ron Garney, dont la mise en page et le trait incisif rappellent très souvent ceux de Frank Miller. L'artiste a progressé de manière exponentielle depuis les années 1990 : de promesse certaine mais encore à affiner, il est devenu au fil du temps aussi versatile que brillant, comme nous l'avions constaté il n'y a pas si longtemps sur les pages de Conan. L'aventure est censée être proposée en trois albums chez Delcourt, mais des numéros spéciaux viennent d'être annoncés aux States, et il n'est pas dit que BRZRKR ne soit pas là pour s'installer dans une durée initialement plus modeste. Il convient de bien savoir quel type de produit on acquiert, avant de se lancer dans la première incursion de Keanu dans le monde des comic books. La violence explicite et le récit encore nimbé de secrets à dévoiler en font assurément un des incontournables du genre, dont la noirceur et le déroulement ne dépareilleraient pas sur grand écran, dans un bon blockbuster estival. 



Pour ne rien gâcher, BRZRKR sera adapté à l’écran, pour Netflix, sous la forme d’une série animée et d’un film dont le rôle principal sera interprété par Keanu Reeves ! C'est juste le début de la saga, croyez-moi ! 


LE VIETNAM JOURNAL DE DON LOMAX CHEZ DELIRIUM : LE VOLUME 6 (KHE SANH)


 Le principe est simple : installez une base américaine (Khe Sanh) dans une cuvette, susceptible de se transformer en piège inéluctable, et vous aurez la certitude que tôt ou tard un massacre aura lieu. C'est ce qui se produit dans ce sixième volume du Vietnam journal de Don Lomax. Comme d'habitude, la chronologie de la guerre du Vietnam est présentée de manière factuelle par celui qui l'a vécue de l'intérieur en tant que journaliste, au front. Cela offre un côté à la fois terrifiant, impitoyable et particulièrement humain, puisque lorsqu'on place le regard au niveau des assauts, ce ne sont plus des soldats mais des êtres comme vous et moi qui sonnent la charge, la fleur au fusil, avec leurs doutes, leurs peurs, leur noblesse ou leur lâcheté. Ici, l'armée américaine ne va pas rester sans réagir après avoir essuyé de si lourdes pertes (le massacre de la "Compagnie B"). Quand on sort les grands moyens, quand on possède un matériel de pointe et qu'on est capable d'envoyer un grand nombre d'hommes sur le terrain, quitte à s'en servir comme chair à canon, la riposte a de quoi être éminemment convaincante. D'autant plus qu'il reste des hommes dans la base, qu'il faut aller les exfiltrer, lever le siège, et donc s'emparer des collines aux alentours, en dégageant le terrain, en y détruisant "Charlie", c'est-à-dire l'armée ennemie Viêt-Cong. Il suffit de regarder le style de Don Lomax, cette hésitation perpétuelle (qui est en fait une qualité) entre la caricature et l'envie de proposer des expressions, des réactions réalistes, pour comprendre à quel point ce conflit est ambigu et échappe à toute idée de morale ou de description objective. Le lecteur plonge à nouveau dans l'enfer de la jungle, du bruit permanent, comme cela est souligné à plusieurs moments : la moindre accalmie semble irréelle tant la pluie de bombes habituelle transforme le paysage sonore des combattants, dans la moiteur du Vietnam, dévoré par une guerre absurde où la mort peut-être dissimulée derrière chaque tronc d'arbre ou sous chacun de vos pas. L'enfer existe, voici ses chroniques. 

Ne négligeons pas le bref récit en fin de ce sixième tome, intitulé Raid Zippo. On y fait la connaissance avec un soldat du nom de Tim Sheffield, qui intègre un nouveau bataillon en remplacement d'un collègue qui vient de sauter sur une mine. Histoire de rappeler que prendre part à ce conflit, c'est signer un chèque en blanc à la mort, qui est libre de l'encaisser au moment de son choix. Le novice essaie de se faire des amis, de communiquer, mais il perçoit de l'animosité dans les rangs. D'une part, car le meilleur moyen de gérer cette précarité humaine est encore de ne pas trop s'attacher, de ne pas prendre le temps de découvrir les autres. D'autre part car l'inexpérience est source d'hésitations, d'approximations, et une fois l'assaut engagé, cela se traduit par des pertes sèches, des tragédies évitables. Et la première mission de Tim est loin d'être couronnée de succès. Mais il va persévérer, et surtout atteindre ce degré de sidération où les actes les plus insensés, les plus héroïques, deviennent accessibles et envisageables à celui qui a renoncé à sentir, comprendre, pour devenir et incarner la mission, aussi symbolique puisse t-elle être (comme de porter sur le dos les corps des camarades tombés). Tim Sheffield, de bleusaille ignorée dont on se méfie, deviendra alors un maillon de plus dans la transmission de la fraternité en guerre. Soyez tous les bienvenus dans l'antichambre de votre fin ! Lomax livre ainsi avec son Vietnam Journal un des récits journalistiques les plus poignants du vingt-et-unième siècle, au format comic book. On ne remerciera jamais assez Delirium pour nous permettre de revivre et mieux comprendre tout cela. Sans romance ou pathos, la vérité brute, à vif. Dernière remarque pour ceux qui prendraient la série en cours : chaque album peut-être lu de manière indépendante, évidemment, puisque il s'agit à chaque fois d'une des nombreuses tranches de vie du conflit qui est mise à l'honneur (façon de parler). Vous voici avertis, vous savez ce qu'il vous reste à faire.




FORGOTTEN BLADE (CHEZ ANKAMA) : TZE CHUN ET TONI FEJZULA POUR TUER UN DIEU


 Une gigantesque citadelle surplombe un paysage dantesque du nom de Terre des cinq rivières. Dantesque, le terme est juste, tant les décors, les ambiances, évoquent dans ce Forgotten Blade l'œuvre du célèbre poète florentin, la Divine Comédie et ses girons de l'enfer. On peut voir par moment des masses d'êtres humains pressés les uns contre les autres, entraînés dans les profondeurs sous forme de flots tourmentés, sombres et poisseux. Très vite, nous faisons la connaissance de Ruza le Crasseux, qui est principalement le plus célèbre guerrier de ce monde-là. Il est persuadé d'être également le plus fort et même si cela implique qu'il n'a pas nécessairement besoin  de le prouver à tous, il n'est pas contre un bon défi de temps en temps, histoire de garder la forme, d'imposer le respect et de confirmer que nul ne peut égaler son talent. D'autant plus qu'au cours d'un combat mémorable et expéditif, il a récupéré une arme fabuleuse, la Lame oubliée, un artefact extrêmement important pour notre récit et dont personne au départ ne soupçonne la véritable utilité. Ruza va croiser le chemin d'une chamane appelée Noa, en quête de vengeance depuis que ses enfants ont été exterminés. Elle n'a qu'une seule idée en tête, faire payer ceux qui ont provoqué le drame, c'est-à-dire la caste religieuse qui gouverne le royaume des cinq rivières. Une religion mortifère, qui impose une véritable tyrannie et considère la moindre opposition comme une hérésie, qu'il faut mater avec brutalité. L'Inquisition ne laisse pas de place au doute et elle trucide tous ceux qui relèvent la tête. Noa à une proposition à faire à Ruza. Puisque ce dernier aimerait bien se tester contre un adversaire à sa hauteur, quoi de mieux que d'aller affronter le Patriarche, c'est-à-dire celui qui est censé être le dieu à l'origine de ce monde. Le problème étant que pour y parvenir, il va falloir aussi pénétrer dans une citadelle qui semble imprenable. Et puis, le concept même de s'en aller tuer un dieu, ce n'est pas seulement un blasphème, c'est aussi quelque chose qui sur le papier a assez peu de chance de se réaliser… Et pourtant…


Tze Chun et Toni Fejzula atteignent l'objectif dès le premier épisode (nous tenons là une mini série en six volets, publiée en VO chez TKO). Un monde crédible, stratifié, une sorte de théocratie perverse qui suinte la cruauté et l'hypocrisie, animée par des personnages détestables, des outsiders charismatiques, des concepts mystiques et fantasmagoriques. Ruza n'est en rien héroïque, par essence, et c'est avant tout sa propre gloire et son nombril qui le motivent pour agir, tandis que Noa est une mère éperdue, qui a la nécessité de transformer la douleur de la perte de ses enfants en une colère agissante, qui se repose forcément sur les larges épaules et la lame enchantée de son allié de circonstance. Le tout confronté au péril des dogmes, cette injonction de s'en tenir à des textes qui n'ont de sacrés que le nom, de révérer une fantaisie, une construction humaine et biaisée qu'on appellera alors Dieu, ou Patriarche, ou comme on le voudra, pourvu qu'en son nom il soit possible de tenir sous le joug un peuple entier. Croire aveuglément, comme une des pires formes de tyrannie. Pourquoi Forgotten Blade fonctionne aussi bien ? Reste pour répondre à analyser le cas Toni Fejzula, artiste qui échappe à toute tentative sérieuse de compréhension depuis des années. Pour deux raisons. Tout d'abord, comment se fait-il qu'un créateur aussi original et génial ne sois pas l'objet des convoitises de tous les grands éditeurs américains, au point de le retrouver sur des projets de plus en plus faramineux ? Un des mystères du marché, assurément. Ensuite, cela fait des années que j'essaie de disséquer véritablement sa manière de travailler, cette façon assez étrange de créer de la beauté à partir d'une juxtaposition de traits, de ce qui semble être des taches d'ombre, des formes brutes et distordues, sans jamais être en mesure de reproduire un de ses dessins ou de percer le secret de cette équilibre architectural impressionnant. Ce n'est donc pas une surprise de le voir briller avec cette aventure ambitieuse, qui dévoile la représentation de tout un royaume, fait de perspectives audacieuses et confondantes, qui mêlent science-fiction débridée et rigueur formelle. Il donne de la profondeur, du volume, à en faire tourner la tête. Le tout est magnifié par des tons souvent olivâtres, ocres ou sablonneux, et constitue un travail fignolé dans les détails les plus infimes, sans la moindre anicroche ou solution de facilité. Forgotten Blade, disponible chez Ankama dès la fin de cette semaine, est une des beautés pures de ce début d'année 2023, susceptible de conquérir les lecteurs bien au delà des habitués exclusifs du comic book américain de super-héros. Qu'on se le dise, et qu'on le lise.




Toni Fejzula sera présent à Nice le 18 mars à partir de 14h, chez Les Fictionautes, comic shop rue Biscarra. Nous vous donnons rendez-vous pour une belle séance de dédicaces et découvrir l'album et l'artiste, venez nombreux ! 





COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...