Vous aimez la science-fiction mais vous appréciez aussi une bonne enquête policière ? Bienvenue dans l'univers de Scott Snyder et de son nouveau label Best Jackets, qui vous propose cette fois une série en collaboration avec Francis Manapul en six volets intitulée Clear. Nous faisons un bond en avant jusqu'à l'an 2052 pour nous rendre à San Francisco, dans un univers où tout le monde a accès à une technologie baptisée les Voiles. Pour faire simple, ça reprend le concept que nous utilisons tous sur internet et les réseaux sociaux (Instagram, par exemple). C'est-à-dire d'appliquer des filtres pour embellir la réalité lorsque celle-ci ne nous satisfait pas. Nous l'avons tous fait et c'est un bon moyen de rendre glamour des instants de vie qui sont en fait plutôt tristounets. Sauf qu'ici tout est poussé au paroxysme et chaque habitant évolue dès lors dans un univers de son goût, où le champ de vision est intégralement modifié par une fiction permettant de supporter la dureté de l'existence. Il faut dire qu'un conflit a éclaté quelques années auparavant entre les États-Unis et les pays du bloc communiste (la Chine en tête), une guerre que les Américains ont perdu à plate couture et qui a laissé bien des séquelles. Le personnage principal de Clear s'appelle Sam Dunes et c'est un détective capable d'utiliser des méthodes musclées et d'évoluer dans les marges de la légalité. Il a une particularité, celle d'être probablement le seul qui refuse d'utiliser un Voile, et il choisit donc d'observer le monde qui l'entoure tel qu'il devrait être normalement. Aucune illusion chez Sam, qui de toute façon doit aussi composer avec une blessure intime qui ne s'est jamais refermée : la perte de son enfant dans un accident et l'éloignement définitif avec sa femme. L'enquête va démarrer alors que celle-ci est décédé, apparemment suicidée, après s'être jetée du haut d'une des tours les plus hautes et huppés de la ville. Dès lors, Scott Snyder va pouvoir faire preuve de toute son habilité de scénariste et y mettre quelque chose qu'il apprécie particulièrement, c'est-à-dire une intrigue très stratifiée qui n'en finit plus de réserver des coups de théâtre et flirte avec le bon vieux complotisme. Qui fait que rien n'est jamais ce qu'il semble être, au risque même de constater que le récit devient bien compliqué à suivre dans les deux derniers épisodes.
Snyder a parfois la tentation de complexifier un peu trop son récit, là où un peu de simplicité n'aurait pas fait de mal pour atteindre un climax parfait. Sam Dunes est un bon exemple de ces personnages pris dans la tourmente des faux semblants, quand chaque révélation, chaque pas en avant dans l'enquête, est en réalité un bond en arrière, obligeant à revoir l'intégralité de tout ce qui était tenu pour établi jusque-là. On soulignera par contre la peinture très saisissante de la société ultra moderne et tout aussi décadente présente dans Clear. Exploitation des individus (qui sont à un certain point masqués aux yeux des autres et apparaissent sous la forme de robots sans âme, une belle manière de parler de l'esclavagisme des êtres voués à un travail humiliant et répétitif), la domination d'une caste de nantis qui se croit tout permis et vit au-dessus (au sens propre comme au figuré) de la population lambda, tout cela rend cet album au final très agréable à lire, car en phase avec un présent que nous traversons tous. Le voile, c'est en fait l'illusion que nous acceptons pour que les choses perdurent sans que nous ayons à tous nous bouger collectivement pour que soit opérée une véritable révolution. Il est plus facile de fermer les yeux ou de regarder ailleurs que de se concentrer sur le mode "Clear". Enfin, les yeux, il faut tout de même les ouvrir car le travail de Francis Manapul est remarquable; ses planches sont tout aussi inventives que travaillées avec une justesse évidente, et le design du personnage principal, casque de moto sur la tête et traces de peinture sur celui-ci, le rend énigmatique, voire même effrayant. Le jeu des réalités superposées, des visions juxtaposées, est également assez bien rendu et nous prouve que l'artiste joue désormais dans la cour des très grands, d'autant plus qu'il est en forme notable dans ces épisodes. Clear est une sortie que nous recommandons sincèrement, même si elle peut sembler déroutante voire hermétique, quand arrive le moment d'aboutir à la conclusion.
Sortie le 29 mars.
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