BATMAN IMPOSTER : DERNIÈRE LECTURE AVANT "THE BATMAN"


 Il y a quelque chose de familier et en même temps de totalement différent, dès les premières pages de cet album. Si nous sommes bien plongés dans l'univers de Batman, rien ne ressemble à ce que nous sommes coutumier de lire. C'est que l'esthétique est ici bien plus proche du film à sortir en salle, que des comics actuels; d'ailleurs, même physiquement, ce Batman là ressemble avant tout à Robert Pattinson. C'est "un héros" plus fragile, plus instable, que celui capable de se mesurer à Darkseid ou d'emmener la Justice League dans des missions improbables. Il ne disparaît pas de manière surnaturelle devant les yeux du commissaire Gordon, mais utilise tout un système de poulies à travers la ville, pour se déplacer et assurer ses effets. De même, un réseau de motos est disséminé à travers Gotham, et c'est le moyen de transport privilégié qu'il emploie. C'est donc un Batman particulièrement urbain et tâtonnant qui nous est proposé, un homme qui depuis trois ans mène une croisade sans fin, qui semble porter quelques modestes fruits, mais qui l'oblige à se mettre en danger chaque nuit. Au point que lorsqu'arrive l'aube, son corps et son esprit sont parcourus par de nouvelles blessures, systématiquement. C'est d'ailleurs ainsi que s'ouvre Batman Imposter, lorsque la chauve-souris débarque chez la psychothérapeute Leslie Thompson, qui le connaît bien pour s'être occupé du jeune Bruce Wayne après l'assassinat de ses parents. Sérieusement blessé, il finit alors par être recueilli et soigné chez la thérapeute, qui découvre que sous le masque se cache son ancien patient. Dès lors, en échange d'une thérapie matinale tous les jours, elle promet de garder le secret de la double identité; une forme de petit chantage pas forcément inutile, puisque ce Batman là semble avoir sérieusement besoin d'ancrage et de repères. Le pire arrive lorsqu'une vague de meurtres inédite traverse Gotham. L'assassin n'est autre que Batman, comme démontré par les vidéos de surveillance, alors que les victimes sont d'anciens criminels qui ont échappé à la justice ou n'ont pas été suffisamment punis. On le sait tous, le Dark Knight ne tue pas, et pourtant les images parlent clairement. Cette fois les méthodes sont expéditives, et la ligne de démarcation est bel et bien franchie !



En fait, ce Batman là n'a pas réponse à tout, et on pourrait même exagérer en répliquant qu'il n'a de maîtrise sur rien. Quand il effectue une incursion pour obtenir des informations, il ne frappe pas assez fort la sentinelle de garde, qui peut donner l'alarme. Quand il trouve sur sa route une jeune et jolie inspectrice qui remonte la piste des nombreuses motos abandonnées dans Gotham (seul un milliardaire généreux comme... Bruce Wayne, pourrait se permettre de tels engins), il tente de l'attirer dans ses filets, mais en tombe amoureux, au point que c'est lui qui est pris au piège de cette relation. C'est un Batman obsédé et imparfait, un héros qui n'a pas encore les épaules assez larges pour assumer sa croisade, et d'ailleurs, l'absence de référents logistiques et aimants (comme le majordome Alfred, qui a cherché à se débarrasser du petit Bruce Wayne, dont le comportement était proprement hystérique) ou d'alliés dans la ville (le commissaire Gordon autrefois, mais lui aussi est "tombé" pour avoir collaboré avec le Dark Knight) en fait une âme perdue, solitaire, faillible au plus point. Mattson Tomlin (auteur de quelques films, pas tous brillants, comme le bien mauvais Project Power, Mother/Android, ou du scénario du Batman de Matt Reeves) a le mérite de trouver encore à dire sur le personnage, en le plaçant dans une situation de crise, esseulé, en humanisant ses faiblesses et ses doutes. L'ambiance est sombre à souhait, les ombres mangent littéralement la ville et les planches, et le découpage syncopé d'Andrea Sorrentino, qui joue des onomatopées, des petits détails pour souligner les chocs, le déséquilibre, à travers des contrastes paroxystiques, est grandement apprécié. Jordie Bellaire aux couleurs accentue encore ces effets chromatiques, et on est presque à la limite de la lisibilité, parfois, tant la lumière semble disparaître par endroits. L'imposteur, pendant ce temps, c'est celui qui ose faire ce que ce Batman là rêve probablement d'accomplir, sans jamais se permettre de franchir le pas. Il tue, il raisonne, il organise, c'est presque lui qui se comporte comme le Batman traditionnel, dans sa manière de garder un coup d'avance. L'imposteur c'est alors aussi cette version de Tomlin, ce Dark Knight soudain descendu de son piédestal, contraint à une psychothérapie matinale quotidienne, amoureux et malmené, ce Batman étrange, humain, avatar vulnérable mais non pas moins passionnant ou tragique.


 



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