HOTELL CHEZ BLACK RIVER : UN SECOND SÉJOUR DANS L'HORREUR


 Ne disposant pas des chiffres de vente officiels sur le marché français, je ne pourrai pas vous parler de triomphe. Toujours est-il que Hotell, aux États-Unis, a rencontré un succès mérité, au point que les lecteurs ont convaincu les créateurs d'investir pour une seconde saison de cette série horrifique, aussi malaisante que bien ficelée. Pour rappel, le Pierrot Courts est un hôtel en apparence miteux, situé au bord de la route 66, dans un coin perdu de l'Amérique, où presque personne ne passe et encore moins d'infortunés s'arrêtent pour la nuit. Et ceux qui le font, en règle générale, ne vivent pas assez longtemps pour le regretter. Comme dans le premier volume, mais d'une manière plus organique, différentes trajectoires vont se télescoper et les destins individuels développés dans chaque épisode former un tout cohérent. Ainsi, il est fait mention dès le départ d'un gang de motards ultra violents, qui va occuper le devant de la scène dans le dernier épisode. En attendant, on fait la découverte d'une famille en pleine décomposition, expulsée de son domicile et qui tente de fuir l'inévitable, en refusant qu'elle n'a plus aucun avenir devant elle. On fait aussi la rencontre d'un dessinateur qui cherche l'inspiration et qui va la trouver, en contemplant et recopiant le tableau de Pierrot qui se trouve à l'entrée de l'hôtel. Ce dessinateur, c'est bien entendu Dalibor Talajic lui-même, qui se met en scène avec un joli clin d'œil, dans une réflexion sur le rôle de l'artiste et même une petite critique acerbe de ceux qui font une distinction très snob, entre véritable travail artistique et bande dessinée. Dalibor Talajic est d'ailleurs pour beaucoup dans le succès de Hotell; quand vous essayez de mettre sur pied un comic book d'horreur, l'écueil principal à éviter c'est celui d'en faire de trop, de vouloir absolument choquer le quidam sans se rendre compte que tout est dans le dosage et la manière de représenter l'innommable. Talajic s'en tire à merveille, avec une pointe d'humour et de distanciation, tout en osant saisir l'insupportable dans les moments clés. Le rythme qu'il donne à cette histoire correspond parfaitement aux intentions du scénariste John Lees et au final, ce sont nous les lecteurs qui en profitons clairement.


Bien évidemment, les clients qui s'arrêtent pour passer la nuit au Pierrot Courts ont en général des choses à cacher, une face sombre qui va par ailleurs causer leur perte. Et puis, on rencontre quelqu'un de très différent, un voyageur et son chien, qui depuis toujours lui a été fidèle mais qui est désormais très malade, et qu'aucun vétérinaire n'est parvenu à guérir. Dans l'espoir d'un traitement, l'homme se met en route et s'acharne à trouver une solution là où il n'y en a plus; et c'est intéressant, car c'est probablement un des aspects de ce second volume de Hotell, à savoir le lâcher prise, être capable à un moment donné de comprendre qu'il n'y a plus rien à faire, si ce n'est payer le prix, l'addition, avant de sortir de table. Impossible de s'enfuir, la vie (ou la mort) finit toujours par vous rattraper, même quand elle se présente à vous sous l'apparence horrible et démoniaque d'un clown, dans un tableau, ou de manifestation surnaturelles dans un hôtel pratiquement abandonné. John Lees réussit donc le tour de force de nous convaincre une seconde fois, dans ce second volume peut-être même encore plus réussi, car mieux ficelé que le premier. Qui est assurément tout aussi malsain et dérangeant et capable d'atteindre son lectorat sans faire de concession, ou tomber dans la facilité. On retrouve aussi des personnages du premier tome, dont la belle Muriel Stansfield, qui est en train d'acquérir une importance presque semblable à celle de notre cher réceptionniste, Amphitryon de ces épisodes et on l'espère, des prochains, si un troisième volume venait à voir le jour.

La chronique de Hotell volume 1 : lire ici


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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : DEUX BD POUR TOUT SAVOIR DE MISSAK MANOUCHIAN


Dans le 170e épisode de son podcast, Le bulleur on vous présente le parcours de Missak Manouchian, récemment entré au Panthéon, à travers deux bandes dessinées sorties récemment chez Les Arènes BD et Dupuis. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Copenhague que l’on doit au duo Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Rijsberg, publié aux éditions Dargaud

- La sortie de l’album Le champ des possibles que l’on doit au scénario de Véro Cazot, au dessin d’Anaïs Bernabé et c’est édité chez Dupuis

- La sortie de l’album L’homme miroir que l’on doit à Simon Lamouret et aux éditions Sarbacane

- La sortie de l’album The Velvet underground, dans l’effervescence de la Warhol factory que l’on doit à Koren Shadmi et aux éditions La boite à bulles

- La sortie de l’album Sept vies à vivre que l’on doit à Charles Masson et aux éditions Delcourt dans la collection Mirages

- La réédition de l’album Mauvaises herbes que l’on doit à Keum Suk Gendry-Kim et aux éditions Futuropolis



 
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BLOOD MOON : HORREUR SUR LA LUNE AVEC LE LABEL 619


 Pour qu'un thriller soit bon et angoissant, il faut savoir planter le décor. Ici, c'est (bien) fait dès les toutes premières pages, avec une colonie minière sur la Lune, au tout début du 22e siècle. Il faut avoir un sacré courage pour aller bosser sur notre satellite, alors que les conditions de travail sont désastreuses et particulièrement dangereuses; mais c'est très bien payé et du coup les candidats continuent d'affluer, même si le taux de mortalité est beaucoup plus élevé que la moyenne. Une fois sur place, il n'y a pas grand-chose à faire, si ce n'est bosser, s'enfiler des shots de tequila et de whisky pour résister et fréquenter les filles de joie, dans des bordels rétro high-tech.  Mais cette morosité mâtinée de science-fiction sociale vole en éclat le jour où un premier meurtre est découvert sur cette colonie minière, appartenant à la société E-Mining. Le type assassiné a été mis en scène, un peu à la façon du Christ sur sa croix, mais pire encore, puisque il a été énucléé et éventré. Bref, quelque chose d'absolument horrible, qui ne laisse aucun doute sur le caractère malsain de ce qui s'est produit. Dès lors, nous entrons dans une forme de thriller scientifique assez efficace et sans concession. Qui dit thriller dit bien entendu quelqu'un chargé de l'enquête, qui va assumer, bien malgré lui, le rôle du héros, celui qui est chargé de faire émerger la vérité dans notre récit. Il s'agit d'un certain Benjamin, chef de la sécurité, qui va devoir comprendre qui est l'assassin et quelles sont ses motivations. Autre élément important qui pourrait le mener sur la piste des coupables, un tatouage avec deux initiales laconiques : BM. Pour ne rien arranger, le bodycount ne fait que commencer.


Une des particularités du Label 619, c'est de privilégier clairement la qualité à la quantité. Ne vous attendez pas à une inflation de sorties (dorénavant chez Rue de Sèvres) mais plutôt à des albums pleinement maîtrisés et longuement attendus, distillés avec parcimonie. Pour Blood Moon, qui est inspiré par le film de science-fiction Outland (sorti en 1981 et lui-même dérivé de Le train sifflera trois fois), le label accueille Fred Bones, qui constitue une recrue de choix, s'il en est. Vous lirez un peu partout que son trait anguleux, un poil caricatural et âpre n'est pas sans évoquer du Mignola, mais surtout (à nos yeux de profanes) du Phil Hester, illustrateur très talentueux qui nous a encore gratifiés d'un beau Family Tree avec Jeff Lemire, il y a deux ans. Bones gère tout comme un maître, y-compris la couleur, ce qui permet de restituer une ambiance très sombre, poussiéreuse, minérale ou métallique, jusqu'à la révélation finale qui est peut-être un poil au dessus de ce vers quoi le scénario semblait tendre. D'une enquête qui verse dans une forme de mysticisme glauque et horrifique, on aboutit à une illumination presque métaphysique et universelle, qui a elle seule aurait justifié une autre histoire ou un autre tome. Disons que les dernières pages dépassent, de loin, ce qu'on pouvait avoir en tête pour échafauder une hypothèse dans la compréhension du récit. Pour le reste, les codes du genre sont bien employés et assimilés, le dynamisme et la tranchant du dessin servent à merveille une histoire qui n'a rien de tendre ou de poétique mais transpire la frustration et la claustrophobie dès la première planche. On étouffe; respirer est un atout majeur sur ce genre de théâtre d'opération, d'où l'importance, comme il est rappelé à un certain point, de ne pas vomir dans son scaphandre au risque d'être condamné. L'air est vicié dans chaque case, la tension monte progressivement avec la certitude d'un complot qui gagne en ampleur, qui part sur la piste d'un délire sectaire et politique. Blood Moon ressemble admirablement bien à ce qu'on voudrait trouver et qu'on est habitués à lire avec le Label 619. Un "LowReader présente" qui fait le job et le fait bien. 

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DAWN OF TITANS TOME 1 : SORTIS DES OMBRES


 Que vous les appeliez les Teen Titans ou tout simplement les Titans, le fait est que notre joyeuse bande de super-héros joue un peu les seconds couteaux post-adolescents depuis des décennies. L'heure est peut-être venue de grandir et c'est exactement ce que Dawn of Titans propose, avec une formation qui devient en tout point l'équipe réserve de la Justice League : non plus des sidekicks enthousiastes qui apprennent le métier, mais des supers héros qui ont fait leurs preuves et qui sont prêts à suppléer les aînés plus connus. Du côté de la formation, guère de surprise puisqu'on retrouve les principaux membres des Titans, menés par un Nightwing toujours aussi positif et capable de motiver ses troupes. Le membre le plus abscons, c'est peut-être Wally West, car contrairement aux autres, il est marié, a deux enfants et il semble beaucoup plus adulte et mature (au moins sur la carte d'identité, plus que sur son comportement). C'est avec lui que nous ouvrons le premier arc narratif du titre, puisque quelqu'un lui a tiré dessus à bout portant et est parvenu à l'abattre. Wally consacre ces derniers instants à faire la seule chose qui lui est possible à pleine vitesse, des adieux à ses proches, avant de remonter le temps dans l'espoir d'empêcher l'inévitable. En parallèle, les Titans doivent intervenir à Bornéo lors d'un feu de forêt gigantesque et se frotter à Titano, une sorte de King Kong encore plus gros et dingue, assez facilement maîtrisé. Le lecteur a à peine le temps de s'habituer au récit de Tom Taylor et de profiter des planches toujours très soignées et d'une lisibilité exemplaire de Nicola Scott qu'il se retrouve avec un interlude en deux parties, extrait du crossover de l'été dernier, Knights Terror. Il s'agit d'explorer les cauchemars de tous les héros et vilains de l'univers DC, pendant que l'humanité est endormie. Les Titans sont prisonniers des mauvais rêves de… la Tour des Titans, l'édifice dans lequel ils ont établi leur quartier général, anciennement le terrible pénitencier de Blüdhaven, qui est en plein délire cauchemardesque et a embarqué les héros dans son univers onirique. Sur le papier, c'est loin de faire rêver (justement), mais en réalité, Andrew Constant et Scott Godlowski ne s'en sortent pas trop mal, sachant qu'il s'agit évidemment d'une histoire de commande, pour coller avec les ambitions globale de DC comics.




La nouvelle série des Titans démarre sur un faux rythme, mais qui n'est pas du tout désagréable. C'est aussi l'occasion de rencontrer un parasite extraterrestre et de se confronter à la nouvelle mouture de la secte du sang, qui est parvenue, en apparence du moins, à enrôler Garth dans ses rang. Mais la vraie bonne surprise de cet album, elle arrive ensuite. J'admets avoir été quelque peu décontenancé par le choix opéré du côté de chez Urban comics, c'est-à-dire présenter à la suite de la nouvelle série Titans l'autre production actuelle consacrée au groupe, c'est-à-dire World's finest : Teen Titans. Cette fois, ce sont les versions encore adolescentes des héros qui sont mises en avant; leurs vies et leurs problèmes quotidiens, tels qu'il pouvaient être il y a quelques années, mais dans une réécriture moderne, c'est-à-dire sur fond de téléphones portables, réseaux sociaux et autres diableries d'aujourd'hui. Dis comme ça, Mark Waid avait de fortes chances d'écrire n'importe quoi, mais une fois de plus, il démontre toute sa science et son savoir-faire en parvenant, mine de rien, à rendre très attachants tous les personnages, en leur offrant à chacun l'occasion de briller et en dépeignant une jeunesse finalement très crédible. Emanuela Lupacchino au dessin est un excellent choix car son style se marie très bien avec le ton de la série; ses planches sont d'une souplesse admirable, très agréable à regarder. C'est la dynamique entre les héros, plus que l'action, qui est essentielle. Notamment un jeune Robin castré par Batman, qui l'empêche de sortir, tandis que Kid Flash, Aqualad et Roy Harper forment un trio décomplexé et dysfonctionnel. On apprécie aussi de retrouver Bourdon et une Wonder Girl qui décide de vivre à 100 à l'heure. Le grand paradoxe, c'est que ce sont les pages qui me tentaient le moins avant d'ouvrir l'ouvrage et que ce sont celles qui me semblent les plus réussies au final. Même les couvertures de Samnee sont parfaites pour illustrer le propos léger mais pétillant. En conséquence, vous auriez grandement tort de ne pas laisser une chance au tome 1 de Dawn of Titans.



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THE MIGHTY : ANATOMIE DE LA CHUTE D'UNE ICÔNE SUPER-HÉROÏQUE


Ce n'est pas la première réinterprétation du mythe de Superman et ce n'est vraisemblablement pas la dernière. The Mighty est désormais disponible chez Urban comics, une dizaine d'années après sa parution chez l'éditeur Dark Horse, aux États-Unis. Comme la plupart du temps, ce sont les Américains qui ont décroché le gros lot : Alpha One est le super héros local qui défend la veuve et l'orphelin. Ses pouvoirs seraient dus à l'explosion d'une bombe atomique et depuis, il les place au service de l'humanité et principalement de la plus grande puissance mondiale, qui a instauré au fil des décennies d'activités de ce super héros (qui ne vieillit pas, ou presque) une force d'intervention spéciale, entièrement financée par tous les produits dérivés générés par sa popularité. Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si ce n'est que le chef de la sécurité, le capitaine Michael Shaw, vient d'être assassiné et que l'heure est venue de lui trouver un successeur. Ce sera Gabriel, jusqu'ici un de ses fidèles adjoints, qui a une particularité intéressante : lorsqu'il était petit, ses deux parents sont décédés tragiquement et il a été lui-même sauvé par Alpha One, qui est depuis devenu l'objet d'une sorte de culte personnel. Sa petite amie gère un bar et elle l'aide à garder les pieds sur terre, tout en lui rappelant la nécessité de consacrer du temps à sa vie d'homme et de famille, plutôt que tout miser sur un travail extrêmement chronophage. Dès lors, la relation qui va s'instaurer entre le super-héros sans peur et sans reproche et le nouveau superflic d'Amérique va être au centre du récit de The Mighty tandis que peu à peu, la belle vitrine va commencer à se lézarder, comme vous pouvez vous y attendre



Toute la difficulté pour Peter Tomasi, c'était d'être capable de prendre le contre-pied des attentes des lecteurs, sachant qu'il devait nécessairement, à un moment donné, mettre à mal la grandeur et la magnificence de son super-héros iconique. On s'attend tous à le voir disjoncter et commettre les pires atrocités, mais bien entendu, l'évolution et l'explication de son comportement sera beaucoup plus subtile que cela. Plutôt qu'une bande dessinée super héroïque catastrophe, The Mighty évolue vers un thriller passionnant, où chaque minute compte, où il semble quasiment impossible d'échapper au regard et aux sens aiguisés de celui qui sait tout, qui peut tout, qui voit tout et qui pourtant a aussi ses failles et ses secrets. C'est Peter Snejbjerg qui s'occupe du dessin, dans un premier temps, et si à première vue son travail peut sembler plutôt quelconque, c'est en réalité cette apparence de banalité mais cette lisibilité maximale qui permet au récit d'aller de l'avant, avec naturel, comme une évidence imparable. Au bout de quelques épisodes, il doit céder la place à Chris Samnee, mais il continue d'assurer la mise en page, gardant ainsi une unité de storytelling appréciable. Samnee, c'est un véritable génie dans la gestion de l'ombre et du volume des planches, on ne refuse jamais de le voir à l'œuvre dans un comic book. Urban Comics propose l'intégralité de la série, y compris des récits courts signés Keith Champagne et Leonard Kirk, qui approfondissent le rôle pernicieux de Alpha One. Le discours de fond, celui de savoir si l'humanité a besoin qu'on lui prenne la main et qu'on lui mâche le travail, ou si au contraire la liberté véritable, c'est aussi accepter de se tromper et de commettre les pires erreurs, est une fois de plus mis en lumière avec brio, dans un récit susceptible de plaire au plus grand nombre et plus que jamais d'actualité.



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WARLOCK RENAISSANCE : MARZ ET LIM POUR DE LA NOSTALGIE COSMIQUE


 Ok Boomer ! Ils sont malins chez Marvel, ils savent comment se mettre dans la poche les lecteurs nostalgiques qui ont acheté leurs épisodes mythiques des années 1990, quand l'univers cosmique Marvel était aux mains de Jim Starlin et de Ron Lim ! Après une mini série consacrée au Silver Surfer, place maintenant à Adam Warlock (Rebirth). Un épisode inconnu de l'existence de celui qui fut un temps l'être suprême de l'univers, à l'époque où il frayait en compagnie des Gardiens de l'infini et résidait temporairement sur l'île aux monstre de l'Homme-Taupe. Un épisode assez dramatique d'ailleurs, puisque dès l'ouverture on le retrouve en mauvaise posture. Un cocon est apparu (habituellement, c'est lui qui est à l'intérieur) et c'est une version féminine et vindicative qui en sort. La créature artificielle se fait appeler Eve Warlock et elle est venue remplacer sa contrepartie masculine, considérée comme imparfaite et juste une ébauche de ce qui doit venir. Les lecteurs retrouvent aussi Genis-Vell, le fils du premier Captain Marvel, alors en vogue dans les comics de la Maison des idées. Le rejeton est venu sur terre et va prêter main forte à Pip et Gamora, mais aussi au Docteur Strange, un des grands spécialiste dès lors qu'il s'agit d'investiguer dans les territoires mystiques de l'âme. Alors, vous raconter qu'il s'agit d'une aventure absolument incontournable, voire d'un chef-d'œuvre de la bande dessinée super-héroïque, ce serait clairement vous prendre pour des imbéciles. Mais je l'admets, je fais partie de cette catégorie de Marvel fans qui pour des raisons d'âge et de souvenirs attendris achètent de toute manière tout ce qui concerne Adam Warlock. On est bête en vrai, quand on vieillit. 


Cette aventure est donc l'occasion de rencontrer Eve Warlock, une version améliorée, upgradée d'Adam, qui voit le jour grâce aux bons soins du Maître de l'évolution, un de ces personnages un peu dingues, conséquences d'une période de créativité débridée et d'idées complètement fantasques mais fonctionnelles, que Marvel a eu en abondance à la bonne époque du Silver puis du Bronze Age. Ron Marz revient à ses vieux amours, c'est-à-dire écrire du cosmique, tandis que Ron Lim reste fidèle au poste et égal à lui-même. On peut difficilement trouver ses planches impressionnantes mais elles font le job, assurément, et conservent toujours cette empreinte très identifiable, même si l'encrage de Don Ho lui sied moins que celui d'un Tom Christopher de la grande époque. Le grand mérite de cet album, c'est de nous montrer à quel point Warlock est régulièrement sur le point de tout abandonner : c'est un héros malgré lui, sur les épaules de qui repose une charge la plupart du temps trop lourde, dont il se débarrasserait bien volontiers. Le monde de l'âme, dans lequel il se réfugie parfois volontairement, souvent parce qu'il y est replongé de force, agit comme un baume cicatriciel mais aussi comme une sorte de prison conceptuelle, dans laquelle le personnage préfère être enfermé plutôt que d'affronter l'âpreté de l'existence. Warlock, il est un peu comme nous tous; devant l'adversité, il semblerait souvent si simple de jeter l'éponge et de retourner dormir, en fermant les rideaux et les volets et en attendant des jours meilleurs. Mais il faut affronter l'adversité, il faut savoir se relever. C'est un peu le destin d'Adam, l'éternelle résurrection d'un personnage christique, qui même lorsqu'il traverse une histoire sans grands enjeux, parvient toujours à attiser notre intérêt.


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BUKOWSKI DE LIQUEUR ET D'ENCRE : UNE BELLE BIO ÉTHYLIQUE CHEZ PETIT À PETIT


 De Charles Bukowski, nous traçons aujourd'hui un portrait contrasté, celui d'un écrivain devenu célèbre pour avoir incarné la poésie du quotidien et des laissés pour compte, pour nous avoir légué une œuvre marinée dans l'alcool et les turpitudes. À tel point que ce splendide ouvrage disponible chez Petit à petit (adapté d'un roman graphique proposé en Italie chez Becco Giallo) insère nécessairement un préambule, qui fait appel au discernement du lecteur, capable de différencier la vie d'un auteur et ce que l'éditeur entend véhiculer comme message. On ose espérer en effet que le public en est encore capable. Bukowski, c'est une enfance fondamentalement malheureuse, avec une famille guère aimante, la sensation d'être dans l'incapacité de nouer des rapports sociaux, amicaux, sentimentaux satisfaisants, mais aussi l'accumulation de petits boulots frustrants (le principal étant au sein des services postaux américains, aliénants) qui amènent l'homme à réaliser que le travail ne représente qu'une entrave à sa liberté, aussi bien celle de jouir que d'écrire. Bukowski, c'est dans l'absolu des nuits entières passées sur une machine à écrire, un réveil tardif vers midi, le rituel passage aux courses de chevaux et bien sûr, de l'alcool en abondance, sous toutes ses formes. Cet album revient donc sur le parcours accidenté d'un cabossé de la vie, qui n'a pas son pareil pour décrire ce qui a première vue semble glauque, caché, pudiquement mis en retrait. Que ce soit ses différentes rencontres avec des femmes qui se terminent toutes par des séparations, la manière dont il envisage le sexe ou l'amour, Bukowski est ce genre d'individu d'un autre temps, qui brûle la chandelle par les deux bouts et utilise sa mélancolie cosmique pour créer, réaliser quelque chose qui, mine de rien, touche à l'universel, par sa banalité et son âpreté. 


Pour parvenir à dresser un portrait saisissant et assez crédible (il faut bien sélectionner, couper, romancer, adapter, c'est aussi une œuvre artistique), Michele Botton a bien entendu lu tous les romans (et les nouvelles, poésies…) de Bukowski, mais aussi trois biographies et l'excellente interview de Fernanda Pivano. Ce qui lui permet de trouver une voix sincère, qui n'est certes pas vraiment celle de l'artiste maudit, mais pourrait bien s'y substituer sans encombre, tant nous avons l'impression que l'écrivain est là, derrière les mots, pour nous guider, de ses crises d'acné juvénile à son dernier mariage heureux (moins malheureux). C'est une trajectoire mélancolique et vouée à la destruction qui nous est présentée. Celle d'un homme qui a très tôt été réduit à une souffrance personnelle non traitée, qui a cherché et malheureusement trouvé un substitut à l'enchantement perdu du quotidien, qui est également devenu son carburant, sa potion magique, pour réinterpréter et habiter le monde, à sa manière, sans illusions. Nous retrouvons avec grand plaisir Letizia Cadonici au dessin (couleurs de Francesco Segala), elle que nous avions eu grand plaisir à traduire sur Soleil noir, publié il y a quelques années par Shockdom. Ses silhouettes parfois dégingandées, son style à la fois éthéré et matérialiste, sa capacité à créer une ambiance cotonneuse et en même temps terriblement tangible et réaliste lui donne une force, une expressivité qu'on adore. La bande dessinée propose aussi tous les deux chapitres un ensemble de textes rédactionnels qui permettent de confronter l'histoire dessinée avec les faits réels, qui les complètent, qui nous donnent les informations nécessaires pour comprendre avec plus de pertinence la biographie exacte de Bukowski. Un ajout confié aux soins de Martin Boujol, actif sur les réseaux sociaux avec La nuit sera mots. Mine de rien, un ouvrage fortement recommandé et inspiré, disponible cette semaine chez Petit à Petit.  


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MADAME WEB : LE VIDE DERRIÈRE LA TOILE


 Certains médias ont pris l'habitude d'attendre les spectateurs à la sortie des salles, le mercredi, pour leur demander leur opinion sur les nouveautés du jour. Dans le cas de Madame Web, il convenait de se placer plutôt dans une des petites rues derrière le cinéma, là où débouchent les issues de secours qui permettent aux cobayes honteux de quitter l'établissement, sans trop se faire remarquer. Vous l'avez peut-être déjà lu ou entendu un peu partout, ce film est très mauvais; pour autant, vous avez peut-être cette fibre en vous, cette envie de vouloir croire à l'impossible, au complot. On vous aurait menti ! Et bien non, il n'y a rien à sauver dans Madame Web. Ou plutôt si, la plastique des actrices et en particulier de Dakota Johnson et Sydney Sweeney, qui ont su raviver notre intérêt pour leur long-métrage sur le red carpet américain, lors de la présentation officielle. Mais une fois sur grand écran, on frise la catastrophe industrielle majeure. En fait, tout est bancal, de l'histoire inexistante aux effets spéciaux absolument illisibles, qui viennent plomber une dernière demi-heure où on n'arrive même plus à comprendre ce qui est en train de se produire sous nos yeux. Cassandra Webb est une secouriste qui a la faculté de savoir ce qui va se produire à l'avance, une sorte de précognition qu'elle a hérité d'un peuple araignée et d'une bestiole au venin très particulier, dans la jungle du Pérou, que sa propre mère était venue découvrir. Cette dernière a été abattue de sang-froid par le grand méchant du jour, Ezekiel (Tahar Rahim), qui n'a aucune autre motivation si ce n'est de venger les avanies qu'il a subies quand il était petit et d'assouvir son besoin d'être toujours plus riche. Certes, il fait des cauchemars qui impliquent trois jeunes filles, en apparence trois cosplayeuses dans des costumes improbables, qui rappellent vaguement ceux des comic books (de Julia Carpenter, Anya Corazon et Mattie Franklin). Cette vision du futur trouve évidemment un écho dans le présent, avec nos trois adolescentes qui sont autant de caricatures telles qu'imaginées par un adulte dépassé. Et qui plus est, elles ne disposent absolument d'aucun pouvoir. Les flash forwards ne servent qu'à annoncer un événement qui n'aura jamais lieu. Traquées et pourchassées, les trois donzelles trouve l'aide de Cassandra qui les prend sous son aile. Nait alors une dynamique qui voudrait être pétillante et drôle, mais qui la plupart du temps est juste consternante.




Dès votre plus jeune âge, l'école vous apprend la nécessité d'employer des conjonctions de coordination, l'importance d'établir une liaison entre différents paragraphes pour former un tout cohérent. Au cinéma également, les scènes doivent avoir une unité d'intention pour que le film reste crédible. Ici, ce n'est clairement pas le cas. Madame Web empile les poncifs et des raccourcis, à commencer par le peuple araignée qui sauve Cassandra, quand elle n'est qu'un bébé à naître, et dont l'apparence sur grand écran est profondément ridicule. Aucune caractérisation du grand méchant, comme nous l'avons déjà dit, aucune logique dans la réunion des trois adolescentes; pire encore, la transformation régulière d'Ezekiel qui ressent le besoin d'endosser un costume arachnéen bon marché, qui est d'un mauvais goût extrême, pour liquider ses adversaires. Qu'est-ce qui le pousse à se grimer ainsi, le mystère est vraiment déroutant. Cassandra, qui a un certain point du film décide de partir au Pérou sur les traces de sa mère et qui comme par hasard, en l'espace de quelques minutes, retrouve tout ce qu'elle est venu chercher, toutes les réponses à ses questions, c'est aussi un choix paresseux. Parce qu'il faut bien l'admettre, à un moment donné, plus personne ne savait comment les offrir aux spectateurs, ces réponses, alors on leur balance le tout au visage, histoire de signifier que ça y est, on est arrivé au bout du scénario et que désormais, jusqu'au crédits de fin, ça va être du grand n'importe quoi, en roue libre. Et en effet, la résolution de Madame Web s'accomplit dans une bataille ultime, sur le toit d'un entrepôt, totalement illisible ! Les personnages courent, frappent, tombent, la caméra les suit avec frénésie, tremble de partout, mais on n'y comprend absolument rien. C'est visuellement proche de l'épileptique et de l'amateurisme. Bref, il n'y a absolument rien à sauver dans ce long métrage qui met en scène un personnage totalement méconnu du grand public, qui n'a donc absolument aucune raison de donner sa chance à un produit bâclé, qui plus est incendié par la quasi-totalité des critiques. Sony compte bien récidiver un peu plus tard dans l'année avec Kraven et même un énième Venom; c'est un des plus grands mystères du 7e art que cette insistance pathétique. Certes, il s'agit de renouveler les droits d'exploitation des personnages, mais pour autant, doit-on se contenter de pitreries aussi grotesques ?






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ELRIC LE NAVIGATEUR SUR LES MERS DU DESTIN : LA GRANDE FANTASY CHEZ DELIRIUM


 Elric, la création la plus célèbre de Michael Moorcock, est de retour chez Delirium avec un second album qu'on peut qualifier, sans exagérer, de magnifique. Qui s'ouvre avec un protagoniste fragilisé, que nous découvrons errant sous une pluie battante, après avoir tourné le dos à Imrryr, la cité qui rêve, contraint d'utiliser avec parcimonie les drogues qui lui permettent de maintenir sa vaillance et son énergie. Il est traqué par des soldats de Pikarayd, qui voient en lui un espion Melnibonéen. À bout de forces, Elric s'endort dans une grotte, un abri bien précaire, puis se réveille victime de ce qu'il pense être une hallucination : un navire gigantesque apparaît, à bord duquel il va être accepté et faire la rencontre d'un équipage singulier. Le capitaine de ce vaisseau qui vogue à travers les dimensions, un aveugle énigmatique dont chaque réponse apporte de nouvelles questions, lui présente trois autres guerriers courageux (Corum, Erekosë et Hawkmoon), qui sont en fait l'incarnation d'Elric lui-même, dans d'autres dimensions ou plans d'existence. Un quatuor qui forme les quatre en un et qui va être chargé d'une mission aussi simple que périlleuse : sauver l'univers (ou plutôt, la myriade d'univers) en s'en allant détruire (par le feu, consigne impérative donnée aux assaillants) deux êtres fabuleux et jumeaux, Agak et Gagak, qu'il va falloir déloger jusqu'au cœur de leur repère. Seulement, une fois à l'intérieur d'une structure labyrinthique qui semble se défendre comme si elle était dotée d'anticorps, Elric et ses trois autres facettes vont se rendre compte que la réalité (encore que cette idée est bien changeante, dans cet ouvrage) est bien plus pernicieuse que ce qui est donné à voir. Nous sommes par ailleurs dans le domaine de la fantasy la plus débridée, où la force des songes et des mythes est égale à celle des biceps ou des armes. Tout est possible et peut advenir car tout à déjà eu lieu et se reproduira. Un peu à l'image de la littérature qui recycle depuis l'aube des temps des récits fondateurs pour les adapter à la sensibilité d'un lectorat chaque fois différent dans ses repères, sa culture. Plus qu'écrire, nous réécrivons. Et toutes ces histoires se répondent à travers l'espace et le temps, comme ce guerrier albinos à la recherche de soi-même, cet Elric qui va beaucoup apprendre (et si peu en même temps), dans ce second tome. 



Le long voyage à travers les jeunes royaumes est finalement emblématique de ce que signifie une aventure, une vraie. Impossible de vraiment déterminer ce qui nous attend au bout de la route, ce sont les étapes et le cheminement qui comptent. Elric, va d'une rencontre fantasmagorique à l'autre, possédant et en même temps possédé par Stormbringer, une épée qui se nourrit des âmes afin de donner sa pleine puissance, qu'elles soient amies ou ennemies. Le voyage d'Éric, adapté au format comic book par Roy Thomas, c'est un peu la préfiguration du multivers, cette possibilité d'aborder tous les possibles en même temps, de voler vers le passé et le futur tout en ignorant toujours si l'on se trouve dans le présent. C'est aussi la volonté farouche de lutter contre la nature intrinsèque et de laisser advenir ce qui doit être, voire même ce qui ne devrait pas être, afin d'évoluer. Sur les mers du destin, Elric est ainsi destiné à rencontrer un terrible sorcier qui va être à son tour victime d'une des pires malédictions qui soient, l'amour, mais aussi l'aveuglément, qui est une condamnation qui nous guette tous, tôt ou tard. C'est aussi la grande rencontre d'une sorte de dieu du chaos, dans la cité reculée et en apparence abandonnée de R'Lin K'Ren A'A, où veille un géant de jade immobile, qui pourrait bien être lié aux origines même d'Elric. Ce dernier est convaincu qu'il va enfin pouvoir découvrir là des éléments nécessaires à la compréhension de ses racines et donc, à travers ces informations, de sa généalogie, définir réellement sa place au sein de la grande tapisserie universelle. Mais s'il est un le motif que l'on retrouve à travers toutes ses aventures telles qu'écrites par Moorcock à la base, c'est celui de la cruelle déception, de la vanité du désir, de la quête philosophique et métaphysique sans fin, car probablement irréalisable. Tout ceci est mis en image avec une maestria jouissive par Michael T. Gilbert qui réalise le lay-out et quelques esquisses, et par George Freeman, qui donne vie à tous ces concepts fantastiques, avec des figures dramatiques, majestueuses et éthérées, et des couleurs qui se mettent parfaitement au service du récit, usant de tonalités rosâtres ou violacées assez enivrantes et hypnotiques. Les planches oscillent souvent entre une fantasy fantomatique et en même temps une attention minutieuse à certains détails, aux décors luxuriants qui accueillent les différents personnages. Le grand format adopté par Delirium et la qualité de l'édition ne font qu'accentuer encore le caractère indispensable de l'ouvrage et de la série, pour tous ceux qui sont des amateurs de ce style de récit épique. Tragique et grandiloquent mais aussi clairement poétique, le voyage d'Elric est universel dans sa conception et ses intentions. Comme le héros, il y a de fortes chances que nous atteignons le bout du parcours sans jamais comprendre véritablement où nous allons, ni qui nous sommes au fond.


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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LA NEIGE ÉTAIT SALE


 Dans le 169e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente La neige était sale, adaptation en bande dessinée d’un roman de Georges Simenon par Jean-Luc Fromental au scénario, Bernard Yslaire au dessin et qui est édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l’album Le lierre et l’araignée que l’on doit à Grégoire Carle et que publient les éditions Dupuis dans la collection Aire libre

- La sortie de l’album Le dictateur et le dragon de mousse que l’on doit au scénario de Fabien Tillon, au dessin de Fréwé et c’est édité chez La boite à bulles

- La sortie de L’étudiante anglaise, premier tome sur deux de Zoé Carrington, le nouveau diptyque de Jim sorti aux éditions Grand angle

- La sortie de l’album Vivian Maier, claire-obscure que l’on doit au scénario de Marzena Sowa, au dessin d’Émilie Plateau et que publient les éditions Dargaud

- La sortie de l’album Audrey Hepburn, un ange aux yeux de faon qui prend place dans la collection 9 1/2 des éditions Glénat et que l’on doit au duo Jean-Luc Cornette au scénario et Agnese Innocente au dessin

- La réédition en intégrale de Fleur de nuit, album que l’on doit à Giovanna Furio pour le scénario, Marco Nizzoli pour le dessin et c’est édité chez Glénat.



 
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BOLITA : LE DERNIER CHEF D'OEUVRE DE CARLOS TRILLO CHEZ ILATINA


 Rosmery Ajata est une jeune bolivienne qui habite dans un des bidonvilles de Buenos Aires. Préoccupation majeure pour les gens de sa classe sociale, trouver un petit emploi, généralement mal payé et qui jouit d'une très faible considération. Pour Rosmery, ce sera (grâce à la recommandation d'un évêque) un poste de femme de ménage chez un couple fortuné d'origine allemande. Un couple pour le moins étrange, puisqu'il s'agit en fait de deux jumeaux qui vivent sous une sorte de régime marital, en grand secret. Tout cela, notre jeune domestique le découvre assez rapidement, grâce à son sens de l'observation et sa tendance à aller fouiner là où elle ne devrait pas, mettre le nez dans les affaires (sales) des autres. C'est que nous rencontrons là une sorte de petite détective en puissance, un peu trop curieuse, qui va se retrouver inexorablement au centre d'une histoire beaucoup plus complexe qu'elle ne semble à première vue. Ce qui au départ est louche et malsain devient carrément criminel. Il va être rapidement question de la résurgence du nazisme ,du docteur Mengele et d'une histoire d'inceste qui pourrait bien avoir des ramifications jusqu'au Vatican. Au milieu de tout cela, c'est un portrait saisissant qui nous est offert. Celui d'une jeune fille qui souhaite s'émanciper et ne pas être réduit aux stéréotypes de genre et sociaux qui devraient normalement lui être réservé. Qui vit une liaison physique et bancale avec un flic (Toco) ripoux, qui est éprise de littérature. Qui se trouve grosse et moche (on pourrait la qualifier de callipyge, elle a un charme indéniable) mais garde la tête haute, en toutes circonstances. 

Cette histoire est signée Carlos Trillo, un des maîtres de la bande dessinée argentine, qui compte à son actif une longue liste de chef d'œuvres incontestables. Nombre d'entre eux ont été réalisés en compagnie du dessinateur Eduardo Risso, adoubé par le microcosme du comic book américain depuis sa prestation majeure dans 100 Bullets (avec Brian Azzarello) et sur Batman. Son style est toute de suite identifiable : un noir et blanc d'une grande élégance, un trait épuré et géométrique qui lui permet d'exceller dans la représentation de l'espace urbain et des volumes domestiques (ici, des bidonvilles aux résidences cossues de Buenos Aires, tout est retranscrit comme un témoignage saisissant et minutieux), une manière habile de mettre en scène la tension érotique tout en la tenant à distance par le ridicule, l'outrance ou l'ironie. Le duo bien rôdé met au point une tranche de vie réaliste et décadente, un coup d'œil qui suinte l'injustice de classes et la corruption, l'érotisme et le poids d'une société encore par trop patriarcale, où les jeunes filles doivent avant tout miser sur un corps et ses formes pour exister, où l'homme se sert, surtout s'il en a les moyens. Sans négliger l'influence de l'église, qui ne sort pas indemne de cette histoire. Elle est ici dénoncée comme une institution majeure mais en lien direct avec les pires travers de la politique et de la finance. C'est elle qui tire les ficelles et façonne les esprits, à travers la télévision, les traditions, les liens avec le pouvoir. La "Bolita" du titre, c'est-à-dire la petite boule, cette bolivienne anonyme et assignée à vivre dans la marge de ceux qui possèdent et décident, endosse le costume encore un peu trop grand de la rébellion, de ces petites mains au féminin qui osent parfois dire non, quitte à en payer le prix ou s'autoriser quelques faiblesses, certes bien utiles. Malheureusement, Carlos Trillo nous a quittés à l'improviste, alors que la publication de Bolita, en épisodes, n'était pas encore achevée sur les pages du magazine argentin Ferro. On ne peut que se prendre à rêver de l'ampleur que ce personnage, cette série, aurait pu assumer autrement. Ces 80 pages sont lumineuses et admirablement bien troussées, mises en valeur dans un album à la hauteur du contenu, disponible chez ILatina. Une révélation, pour ma part, que cette maison d'édition passionnante, découverte à l'occasion du Festival d'Angoulême. On en reparlera ici-même, très vite et souvent. 




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PUNISHER ZONE DE GUERRE : LE PUNISHER DE DIXON ET ROMITA JR EN MUST HAVE


 Le Punisher n’a pas attendu l’arrivée de l’irrévérencieux Garth Ennis pour s’imposer auprès d’un large public, même si force est d’admettre qu’il traversait une bien mauvaise passe lorsque l’irlandais s’est penché sur son chevet. Pourtant, dès sa création sur les pages d’Amazing Spider-man, puis l’apparition d’une première mini série toute dédiée au personnage, Franck Castle a cristallisé une certaine radicalisation de l’opinion, une certaine vision de voir le comic-book, dans une Amérique marquée par l’ère Reagan et son impitoyable économie de marché dérégulée. Il fut même un temps où le Punisher était le héros de trois titres mensuels simultanément : la série Punisher, le Punisher War Journal  première mouture, et enfin Punisher War Zone, confiée à Chuck Dixon en 1992. Ce dernier, pour un premier arc narratif de toute beauté, est associé à John Romita Junior, qui n’a certes pas besoin de présentations. Cerise sur le gâteau, l’encrage est de Klaus Janson, qui a toujours excellé dans les ambiances urbaines et glauques. Bien entendu, à force de presser une orange, on en extrait tout le suc et il ne reste plus qu’un fruit vide et inutile, bon à jeter : en 1995, après avoir vécu 41 numéros durant, la War Zone doit rendre l’âme en même temps que ses consœurs, et le Punisher est amené à repartir de zéro. A force d’être partout, Castle a fini par se retrouver nulle part. Mais jetons un œil objectif sur les six premiers mois du titre, qui voient le Punisher employer une nouvelle méthode pour mener à bien sa lutte contre le crime organisé : plutôt que de liquider tout ce qui bouge en bon justicier solitaire, il décide cette fois d’infiltrer un clan mafieux (la famille Carbone) et de feindre d’être l’un des leurs (un simple homme de main aux méthodes expéditives) pour mieux les éliminer de l’intérieur. Castle utilise dans ce but un certain Mickey Fondozzi, un petit joueur au service des Carbone, qu’il terrorise dans une scène de torture que nous retrouvons telle quelle dans le premier long métrage consacré à l'anti-héros. Où on apprend que le pouvoir de la suggestion peut faire des miracles. Suspendu à des chaînes le torse à l’air, Mickey est menacé par la flamme intense d’un chalumeau. Le Punisher lui explique que l’intensité de la flamme est telle qu’elle commence par anesthésier les terminaisons nerveuses, d’où une première sensation de froid au contact de la peau. Puis il applique un esquimau gelé sur l’échine du malfrat ,pour le convaincre qu’il est en train de rôtir comme une dinde de noël. C’est drôle et ça marche ! Par l’intermédiaire de Mickey, donc, Castle infiltre les Carbone et profite pleinement des ambitions et de la suspicion des deux frères à la tête du clan (diviser pour mieux régner…) puis séduit la fille de l’un d’entre eux, Rosalie.




Pendant ce temps, nous suivons (dans le premier épisode) les affres de Microchip, le partenaire expert en informatique de notre héros, qui doit recourir aux services d’un psy pour assimiler et digérer la perte récente de son fils, sacrifié sur l’autel de la lutte contre le crime (dans la série régulière The Punisher, dans la collection Intégrale de Panini). La saga est bien rythmée, pleine de suspens, nous offre une version truculente d’un Punisher sans état d’âme et qui s’éclate dans son travail de sape, de l’intérieur. Romita Jr nous en donne une interprétation brillante et macho, catogan bien en vue, gros biscottos dehors et barbe de six jours. Il recourt également à des splash pages dont l'impact visuel est terrifiant et complétement en accord avec la figure légendaire du Punisher. Ne manque, pour les lecteurs d’aujourd’hui, que cette touche d’irrespect acide, cette verve ironique et massacrante qu’Ennis a utilisé par exemple (et d'autres l'ont imité) pour raviver une série moribonde. Mais l’ambiance est aussi sombre et impitoyable, si ce n’est plus, que dans certains des plus récents Punisher : Max que nous a proposé Panini. Chuck Dixon n'a pas cet humour subtil que manifesteront Abnett et Lanning, quand ils vont prendre en main le personnage avec Doug Braithwaite aux dessins. Son idée de Castle est celle d'un type violent, cynique, qui ne fait pas de concession ni ne souffre d'états d'âmes. Il accédera à la notoriété avec ces épisodes, sans oublier ceux de Batman pour DC Comics. Son style d'écriture fait de cet album un vrai film d'action sans temps mort, du Punisher urbain et presque caricatural dans le modus operandi. C'est diablement efficace ! Le numéro un original possède une die cut cover du plus bel effet : le Punisher qui canarde de face, avec en relief son arme qui se soulève et se détache de la couverture pour un effet « double couche » assez réussi. Les fans du personnage feraient bien, s’ils n’ont jamais lu cet arc narratif, de se ruer en librairie pour acquérir ce tome de la collection Must Have de Panini. Pour le film du même nom, par contre, laissez tomber : Punisher War Zone est certes sombre à souhait et veut respecter l'esprit des comics les plus crades, mais apparaît brouillon et presque amateur par moments. Il n'est sorti que pour le circuit dvd, pour vous dire. 




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MINDSET : LE POUVOIR DES ÉCRANS AVEC ZACK KAPLAN


 Ce serait un comble de notre part de vous demander de lever la tête à l'instant de vos écrans, alors que vous êtes en train de lire cette chronique probablement sur votre smartphone ou une tablette. Mais le fait est que toute notre société est aujourd'hui comme hypnotisée par l'information ou le divertissement, à travers les canaux digitaux et Internet. Zack Kaplan, auteur de science-fiction prolifique qui a lancé pas moins de quatre séries différentes lors des deux dernières années, est aux commandes de Mindset, publiée initialement chez Vault comics aux États-Unis, avant que Komics Initiative ne fasse l'excellent choix de l'adapter en français. Le personnage principal de cette histoire est un jeune développeur de la Silicon Valley, Ben Sharp, qui doit parachever ses études et obtenir le diplôme qui lui ouvrira grand les portes des principales boîtes informatiques locales. Seulement voilà, il a séché quelques cours importants et du coup, il va devoir réussir un petit exploit pour décrocher le précieux sésame lors d'une ultime nuit de travail, en compagnie de ses amis. Une nuit qui va être extrêmement importante pour la vie de ces jeunes hommes, puisque par le plus grand des hasards, ils vont mettre au point une application, faire une découverte qui va littéralement révolutionner leur quotidien et potentiellement aussi le monde entier. Imaginez qu'à travers une combinaison de couleurs et de sons, vous puissiez modifier l'état d'esprit des gens, comme opérer une sorte de reboot momentané du cerveau, qui vous donne aussi la capacité de leur faire faire plus ou moins ce que vous souhaitez, de les pousser à ressentir un fort enthousiasme pour n'importe laquelle de vos suggestions. Il existe deux manières de voir les choses, dès lors. Ou bien cette application peut-être considérée comme la meilleure manière de libérer l'humanité de l'emprise des réseaux sociaux et d'Internet, ou alors c'est une arme terrible, qui permettra à ceux qui la manient de faire fortune éhontément. De plus, lorsque l'histoire commence, Kaplan choisit un point d'entrée situé chronologiquement un peu plus loin dans le récit, juste après que Ben se retrouve accusé du meurtre de celui qui a financé son application. L'occasion de peindre un portrait très intéressant de ce héros malgré lui, qui oscille entre idéalisme, naïveté et fatalité.


Il suffit de nous regarder, matin et soir téléphone dans la main, à scroller à la recherche de quelque chose qui n'a probablement aucun intérêt mais dont nous ressentons une sorte de besoin impérieux. Qui contrôle qui, alors ? C'est la technologie qui nous a transformés en pantins ou c'est nous qui l'utilisons, pour améliorer (du moins, c'est ce que nous pensons) notre quotidien ? Se forme ainsi une boucle de pensées, de laquelle il est extrêmement difficile de s'extirper et qui est au centre de Mindset. Une histoire de contrôle mental, de trahison des idéaux (et des amis, au passage) qui aboutit même à la mort, au meurtre. Zack Kaplan est capable de renverser le point de vue du lecteur à plusieurs reprises et il orchestre les rebondissements avec efficacité, au point qu'on se surprend à penser que nous tenons là un film déjà tout écrit, que nous pourrions bien retrouver sur une plateforme comme Netflix, prochainement. Le dessin de John Pearson, ou plutôt pour être exact l'approche graphique adoptée, est intrigante, quelque part entre Bill Sinkiewicz et Giulio Rincione (je ne me lasserai jamais de dire à quel point j'adore ce dernier). Il propose des planches souvent déconstruites et contaminées par des effets évoquant l'influence du digital et le grain de sable dans la machine, qui vient faire dérailler la connexion. Le contraste peut-être très marqué d'une page à l'autre, selon les situations, selon le niveau de conscience qui est évoqué et le renversement du point de vue. Mindset parvient à être résolument moderne sans pour autant devenir didactique ou lourd, dans l'évolution de son récit. Il ne s'agit pas (très loin de là) de la première critique de la société ultra connectée et des effets des réseaux sociaux; la plupart du temps, ce genre de produit à quelque chose de factice, d'opportun et ignore le concept de subtilité. Ici, ces intentions sont mises au service d'une véritable histoire et l'écriture sonne juste, d'un bout à l'autre. Une jolie réussite à retrouver chez Komics Initiative à partir du 23 février, sachant que l'album était aussi disponible en avant-première au festival d'Angoulême, où nous avons eu la chance de rencontrer l'éditeur et son enthousiasme débordant (avec des projets fabuleux dans la musette !)


 

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SOL-13 : L'UNIVERS SF DE JULIA VERLANGER CHEZ LES HUMANOS


 La science-fiction est à l'honneur chez les Humanoïdes Associés (l'éditeur est une référence !) avec Sol-13, un album qui nous permet de retrouver Jatred et l'univers de Julia Verlanger, autrice malheureusement disparue en 1985, à seulement 55 ans. Sol-13, c'est le nom d'une planète sur laquelle les colons humains ont été réduits en esclavage par une population locale appelée les Mokkais. Pour faire court, ces derniers ont subi une évolution climatique extrêmement défavorable et ils vivent désormais sous les océans. Ils ont cependant des atouts à leur disposition, des pouvoirs psychiques qui leur permettent d'entrer dans la tête de ceux qu'ils pourchassent, mais aussi une technologie très avancée qui leur consent de dominer, sans aucun problème, des colons réduits à un état de tribus primitives, sans armes ni défenses réellement efficaces. Du coup, ils vont régulièrement prélever les individus dont ils ont besoin pour exécuter leurs basses besognes, notamment extraire un minerai fondamental pour leur société et qui est à la base de cette domination. Au-dessus de tout cela, nous retrouvons la CDE, la Confrérie des étoiles, une sorte d'organisation des nations unies stellaires dont l'objectif est d'assurer harmonie et libre-échange dans l'univers, tout en évitant d'intervenir militairement dans des affaires qui ne la concernent pas. Une agente de la CDE, Eiko, a été envoyé en reconnaissance sur la planète Sol-13 mais elle a commis un acte d'imprudence et elle a été capturée par les Mokkais. Or, il se trouve que Jatred fut autrefois son instructeur et c'est donc lui qui prend la tête d'une équipe de sauvetage, qu'on envoie mener à bien une mission périlleuse. Il ne s'agit pas de débarquer en mode "vengeance aveugle" mais au contraire, d'opérer un acte ciblé pour récupérer la jeune imprudente et ensuite repartir. Sauf qu'une fois sur place, Jatred ne va pas pouvoir détourner le regard de ce qu'il voit et apprend.


Harry Bozino poursuit son travail d'adaptation de l'œuvre de Verlanger, après L'ange aux ailes de lumière et Hard rescue. Le moins que l'on puisse dire, ce qu'il le fait avec brio; l'histoire semble couler de source, ne présente aucun temps mort et reflète parfaitement une des grandes obsessions de l'écrivaine, à savoir la manière dont l'homme pourra un jour coloniser l'espace. Pour ce qui est du dessin, il est épaulé par un artiste argentin que nous avons déjà beaucoup apprécié chez DC, notamment avec la Suicide Squad : Federico Dallocchio. Son trait pur et riche en détails ne souffre d'aucun raccourci surfait. Sa prestation est d'autant plus importante que cet album nécessitait de représenter à la fois des paysages naturels, grandioses et inventifs (sous les mers, mais aussi de vastes plateaux brûlés par le soleil) et tout un attirail high-tech apporté par les hommes de la CDE ou employé par la civilisation Mokkai. Tout ceci fait donc de Sol-13 un album très plaisant à parcourir, qui évolue peu un peu en une sorte de révolte, avec un peuple de colons dominés qui s'appuie sur la force de frappe "terrienne", engagée bien malgré elle dans une intervention géopolitique dont il n'était pourtant absolument pas question au départ. Peut-on rester insensible à la souffrance des autres ? La réponse apportée ici est clairement non et c'est ce qui fera de Jatred un héros, après moultes hésitations. C'est aussi ce qui lui permettra de renouer les fils avec Eiko, après une longue brouille. Beaucoup d'action mais aussi de la réflexion, comme le veut la grande tradition qui a toujours accompagnée le meilleur de la science-fiction. Une édition soignée comme on en a l'habitude, avec les Humanoïdes Associés.



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COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...