BRIAN K.VAUGHAN : L'ENTRETIEN BILAN SUR SON TRAVAIL ET L'INDUSTRIE DES COMICS

Brian K Vaughan s'est livré à la revue Vulture, offrant une vision pertinente et intéressante sur le petit monde des comics en 2016. Je vous propose un résumé librement adapté en vf ce mercredi, d'une interview qui comprend son joli lot de vérités.

Quelle est ta journée de travail  type?

Je commence très tôt, bien plus tôt que ce que je voudrais. Je suis père de deux petits-enfants que j'emmène à l'école tous les jours, puis c'est le moment où j'écris, en général de 9h du matin à 18h. C'est très différent de quand j'ai commencé, quand j'écrivais de minuit à 8h du matin, et je passais la journée à dormir comme un vampire.

Tu as déclaré sur Twitter que les comics sont une industrie qui rapporte des millions de dollars sur le dos des pauvres créateurs, à qui on évite de faire comprendre leur vraie valeur. Pourquoi une telle affirmation?

Je pensais au variant covers, à ces Bd qui sortent avec 6 ou 7 versions différentes... à ces marchands qui achètent cent copies juste pour en avoir une seule spéciale... je me suis dit : mais ces artistes qui dessinent les variant sont-ils plus payés? En fait ce sont les éditeurs qui retirent un véritable avantage de ce phénomène. En réalité il y a beaucoup d'argent qui circule dans l'industrie du comic books, et les maisons d'édition aussi en tirent profit. Au cours des ans il faut comprendre que le tarif à la page continue de stagner, voire même se réduit... j'aimerais voir plus d'artistes combattre pour ce qui est juste et obtenir ce qui leur revient

Tu penses vraiment que les dessinateurs reçoivent un salaire plus bas que les scénaristes?

C'est sûr! Mais si tu cherches à savoir qui est le plus mal considéré, ce sont les lettreurs. Ils sont vraiment sous-payés. Le travail des dessinateurs est souvent plus difficile que celui du scénariste, il demande un effort physique plus grand, et plus de temps. Un scénariste peut faire une page en une heure, un dessinateur peut y mettre un jour ou deux. Souvent les scénaristes sont aussi des écrivains, il est normal pour eux de se concentrer sur l'aspect de l'écriture, mais les comics sont avant tout un médium visuel, le dessinateur devrait avoir une plus grande part de l'attention, des bénéfices, des droits d'image, mais ce n'est pas toujours ainsi.

 Pour plus de justice et d'équité quelles corrections pourrait t-on apporter dans le futur?

C'est toujours intéressant de bosser pour Marvel, DC, Dark Horse, Valiant, mais les personnages ont plus besoin de créateurs que les créateurs ont besoin de ces personnages. Donc si tu es un artiste et que tu pense mériter une augmentation, il faut la demander! Autrement mieux vaut parier sur soi-même,  et créer quelque chose qui nous est propre. Un triomphe modeste peux changer ta vie

Tu reviendrais en arrière pour lire une de tes "vieilles oeuvres"?

Honnêtement je préfère prendre mes distances avec ce que j'ai fait dans le passé... à la limite si on me ramène un vieux numéro de X-Men pour que je le signe, ça peut passer, mais la plupart du temps je préfère lire le travail de quelqu'un d'autre.

Parle-nous un peu de Y the last man et Ex machina, qui ont été écrits après le fameux 11 septembre. Comment cela a-t-il influencé ton travail?

Le premier de numéro de Y a été écrit avant le 11 septembre, et Pia Guerra (la dessinatrice) se trouvait à New-York, lorsque c'est arrivé. Y est un comic-book immergé dans l'humorisme macabre consécutif à cet événement, entre comédie et tragédie, comme quand les gens essayaient tous de boire un verre ensemble, de se regrouper, se retrouver. Par contre avec Ex Machina j'ai essayé de donner un sens au monde après l'avoir vu depuis le toit de mon appartement à Brooklyn, avec tous ces immeubles écroulés, j'ai essayé de trouver un sens politique, une raison pour ce concept d'héroïsme.

en est l'adaptation de Y pour le cinéma ?

En fait nous en sommes aux effets spéciaux, c'est une série télévisée et le processus est très lent, il n'y a aucune nouveauté que nous pouvons aujourd'hui révéler.

Saga est aujourd'hui une grande porte d'entrée pour tous ceux qui n'ont jamais lu de comics. Est-ce que c'était le but?

Oui bien sûr. Quand j'ai commencé à écrire des comics, je voulais convertir les gens. Je me rappelle avoir lu -à l'époque de l'Université- le premier numéro de Preacher : il s'est répandu dans les dortoirs comme une maladie vénérienne, tout le monde aimait Preacher, homme ou femme, peu importe le milieu social. J'ai toujours voulu que Saga touche une base de lecteurs très large, et atteigne une majorité de personnes qui ne savaient pas encore aimer les comics.

Tu es connu pour ta dernière page, chaque numéro se termine par une pleine page qui met en scène un coup de théâtre ou une révélation. Quand as-tu commencé à faire cela de manière consciente?

Je crois que cela a commencé à cause de la série télé Buffy. Il y avait de formidables cliffhanger avant chaque pause publicitaire, l'objectif est de créer un moment fort en émotions de manière à instaurer le suspens, ne serait-ce qu'un instant; ce qui est nécessaire quand il s'agit de storytelling. Dans une série la fin d'un numéro est pour moi un défi,  c'est une responsabilité, il faut trouver une raison pour convaincre le lecteur d'attendre un mois entier, trouver le final qui rend cette attente la plus solide possible.

Si cela se passait à tes conditions, tu retournerais plutôt chez Marvel ou DC ?

Je pense que c'est terminé. J'ai eu de la chance d'écrire Batman, Spider-Man, et tous ces personnages de mon enfance. Il y a maintenant tout un tas d'artistes meilleurs, plus jeunes et affamés qui ont assurément de très bonnes histoires pour ces personnages.

Que possède la bande dessinée, que la télé ou le cinéma ne peuvent faire ou reproduire?

A la fin tout est une question d'argent. Chaque médium est en conflit entre l'art et l'aspect commercial. Au cinéma et à la télévision cet aspect est primordial, l'artistique vient à la fin, mais les comics sont suffisamment petits pour pouvoir mettre l'art au sommet des priorités. Bien sûr tu ne peux pas ignorer l'aspect commercial, mais par exemple si tu veux insérer une double page avec 300 personnages, tu n'as pas à penser au budget.

Aujourd'hui les comics servent de rampe de lancement pour tout un tas d'adaptations à la télé ou au cinéma... quelles sont les raisons selon toi?

Je crois que les gens réalisent que durant ces 20 dernières années les comics ont été l'incubateur de l'imagination la plus pure; c'est là-dedans que les personnes sont en mesure d'écrire des histoires sans avoir aucune préoccupation budgétaire. Les gens sont fous s'ils pensent que la BD est une bulle qui est sur le point d'exploser, ça ne se produira jamais.
C'est aussi une question générationnelle : de nombreuses personnes qui dans les années 80 on lu Watchmen ou bien The Dark Knight Returns sont aujourd'hui celle qui prennent les décisions dans les studios. Quand je suis allé à Los Angeles la première fois -il y a longtemps- c'était plein de stagiaires, tous des nerds, bien des années plus tard tous ces stagiaires sont devenu assistants et ils ont pu placer à leurs postes certains éléments leur correspondant... il a fallu des années pour cela mais à la fin les geeks on finalement pris le contrôle!


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SWEET TOOTH TOME 2 : LA SUITE DU CHEF D'OEUVRE DE JEFF LEMIRE

Depuis qu'une épidémie mystérieuse a décimé l'humanité, une nouvelle race est apparue sur la surface de la planète : des hybrides, enfants animaux, qui se substituent aux naissances normales, ces dernières n'ayant plus cours. Gus est l'un d'entre eux, avec ses cornes de cerf sur la tête, et son innocence. Il est une proie facile pour le cynisme d'un monde devenu ultra violent et individualiste. Orphelin, Gus a été recueilli par un certain Jepperd, un survivaliste violent mais au grand cœur, du moins en apparence. Car il a fini par le trahir et le livrer a une base d'expérimentations militaire. C'est là que nous retrouvons le jeune gamin avec ses nouveaux amis, qui comptent des hybrides à tête de chien, de porc, ou de lapin. Des créatures fragiles et bizarres, si gentilles et sans défense, destinées à être disséquées, torturées, de la plus horrible des manières. Aucune possibilité de s'échapper pour Gus et les siens, à moins que Jepperd revienne sur ses pas, victime de remords, et ne le délivre d'un avenir bien sombre. A chaque fois que nous faisons un pas en avant vers la résolution des problèmes qui minent les personnages, Jeff Lemire nous réserve un coup de théâtre nous replaçant dans une situation de stress et d'angoisse continuels. Si les hybrides sont pour la plupart dociles et en grand péril, certains sont aussi utilisés comme des animaux de chasse et dressés pour faire mal, très mal. La solidarité et la compassion sont les seules valeurs permettant à ce qui reste de l'humanité de s'en sortir, et de trouver un but pour ne pas se perdre, dans un monde qui a perdu toute logique. Gus détient de surcroît la clé de ce qui s'est vraiment passé, il est donc d'une importance capitale de mettre la main dessus, pour de nombreux individus. Jeff Lemire continue de nous bluffer avec une aventure absolument merveilleuse, qui fait appel aux sentiments les plus nobles, tout en étant riche en rebondissements et en approfondissements. La sensiblerie et la mièvrerie sont des choses fort différentes, et on s'en rend compte à la lecture de ce second tome de Sweet Tooth, qui est une leçon magistrale de narration, renonçant toujours à la facilité, et emportant le lecteur sur un road trip d'évasion des plus émouvants. Le dessin reste bien entendu très particulier car l'auteur canadien est loin d'être un épigone du photoréalisme; il se concentre sur les sentiments, les émotions, qui transparaissent des personnages. C'est pourtant ce qui fait aussi le charme de cette série, qui ne fait pas dans l'esbroufe et se concentre sur l'essence même de ce qui fait qu'on aime les comics, à savoir ce qu'ils sont capables de nous offrir, de nous transmettre, à quel point ils sont capables de nous toucher. Sweet Tooth est une lecture indispensable.



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CRISIS ON INFINITE EARTHS : UNE PAGE D'HISTOIRE AVEC MARV WOLFMAN ET GEORGE PEREZ

Souvent il faut savoir toucher le fond pour remonter. Axiome simpliste mais évident. En 1985, la maison d’édition DC comics fait grise mine, régulièrement laminée au niveau des chiffres de vente par la concurrence Marvel. La raison de cette déroute s’appelle la continuity, c'est-à-dire l’héritage de toutes les histoires passées, et à venir, qui fait que chaque univers super-héroïque acquiert une unité, une consistance, voire une crédibilité. En gros, c'est donc l'ensemble des intéractions entre séries et personnages, qui fait que si Flash attrape la grippe en janvier, il va contaminer Wonder Woman en février, et elle passera donc l'hiver à tousser, d'autant plus que l'amazone passe le plus clair de son temps en légère tenue... Tout de même, un atout non négligeable et attachant, qui se transforme parfois en chaînes lourdes à porter si mal gérées. En 1985 donc, DC comics ne sait plus trop quoi faire, avec ces nombreux univers parallèles, mondes alternatifs, chacun avec sa propre version des héros classiques ( Flash, Superman, Wonder Woman…) qui finissent par se confondre , se répéter, se mélanger, au point que le public n’y comprend absolument plus rien, et les histoires deviennent des casses têtes sans aucune logique. Ce fut donc le duo Marv Wolfman et Georges Perez qui se chargea du grand ménage de printemps, avec cet impératif : rendre à l’univers DC comics une simplicité, une fluidité de lecture, pour reconquérir le public déçu, et poser les bases d’un futur plus radieux. Leur trouvaille est ce vaste crossover, Crisis on Infinite Earths, qui sera élu par la critique et les fans le second plus important de ces cinquante dernières années. C’est tout dire. L'architecture comprend douze parties, mais les graines avaient été semé bien avant le début de la moisson, c'est fort naturel. L'Anti Monitor, le grand vilain de l'histoire, a commencé à pointer le bout de son (gros) nez deux ans auparavant, et au terme de Crisis Dc a pu capitaliser sur le succès et le nouveau statu quo pour patiemment réintroduire et relooké tout son parc de personnages et séries, durant des années. Il s'agit donc d'une page fondamentale de la vie de l'éditeur, et des comics tout court. 


La Crise est loin d’être simpliste : elle implique des dizaines de mondes différents, des centaines de personnages, des fers de lance classiques à d’obscurs héros de seconde zone. George Perez étale son génie au dessin, et réussit le tour de force de captiver l’attention par ses planches qui fourmillent de détails, jusqu’à la dernière case. Son grand atout est sa capacité à placer dans un même dessin une véritable nuée de super-héros en action, sans jamais bâcler le moindre croquis. Le grand méchant de l’histoire est donc tout nouveau, pour l’occasion. C’est l’Anti Monitor, pendant négatif du Monitor, une sorte d’observateur tout puissant de l’univers. Son désir est de faire disparaître à jamais les infinités de mondes et dimensions existantes, pour recréer un univers tout neuf et en être le despote absolu. Ce qui tombe bien car c’est aussi l’ambition de DC comics à l’époque ; repartir de zéro, anéantir les incohérences et faire table rase, pour reconstruire en paix. Pour une fois, le crossover tient toutes ses promesses, et le monde DC est bouleversé de fond en comble. Aucune série n’échappe à des remaniements, souvent radicaux. Des grands noms trouvent la mort, les séries repartent de zéro, et donnent l’occasion à Byrne de s’illustrer sur Superman : Man of steel ( il relance le personnage en réinterprétant ses origines, on en reparlera prochainement ) ou encore à Perez de reprendre Wonder Woman et Frank Miller de refonder Batman. Bref, Crisis est un tournant crucial dans l’univers DC, le point de départ idéal pour tous ceux qui voudraient se plonger dans les années 80 mais en ont le mal de tête rien qu’à envisager la chose. Armez vous de courage et de patience, et tentez donc de pénétrer cette grande aventure, qui détient les clés de tout un univers narratif. Préparez aussi vos mouchoirs si vous êtes un fan du bolide écarlate : car pour venir à bout d'une crise d'une telle ampleur, il fallait bien un sacrifice exemplaire, un bouc émissaire disposé à s'effacer pour que perdure l'univers. Barry Allen, la Terre, les Terres de chaque plan d'existence, te doivent une fière chandelle! Déjà présentée en Vf dans un superbe Absolute chez Panini, voici la version Urban, accompagné de son "Crisis Compagnon" que nous évoquerons dans quelques jours. Vous savez ce qui vous reste à faire.





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CIVIL WAR II KINGPIN #1 : WILSON FISK REVIENT AUX AFFAIRES

Quand le chat n'est pas là, les souris dansent... vous connaissez tous cet adage. C'est un peu ce qui se passe en ce moment chez Marvel, avec la seconde Civil War du nom. Pendant que les super-héros sont occupés à se taper dessus et se divisent en deux factions antagonistes, le sous-bois criminel s'agite plus encore lorsque Wilson Fisk est de retour en ville; Il avait passé quelques temps du côté de San Francisco, mais les bonnes vieilles habitudes ne meurent jamais, et le revoici très motivé et déterminé comme jamais à reprendre ce qui lui revient de droit. Certes le Caïd est actuellement un peu court en terme d'argent et d'hommes, et son travail quotidien ressemble autant à du bluff qu'à du trafic d'influence. Son discours vis-à-vis des super-héros est très cynique et pourtant en partie juste; il conteste notamment le fait que désormais ils utilisent Ulysses, un inhumain doté du don de voir et d'anticiper les crimes à venir, pour les stopper avant même qu'ils puissent se produire. Est-il juste d'incarcérer un criminel avant que celui-ci ait pu passer à l'action, sur la base de l'assurance qu'il allait le faire, que ce n'était qu'une question de temps? La prévention peut-elle justifier l'arrestation? Le Kingpin a un nouvel homme de main qui s'appelle Janus, et qui lui aussi semble être un inhumain; particularité du jeune homme il apparaît que ses actions échappent au pouvoir de Ulysses, ce qui en fait un individu recherché et important pour la pègre locale. Matthew Rosenberg nous raconte ici une histoire au vitriol, avec de l'humour ,de la tension. Et bien sur Wilson Fisk, dont le seul charisme suffit à faire naître le respect et la méfiance, au détriment de ceux qui veulent le trahir, comme Bushwacker qui se fait marcher dessus littéralement. Côté dessin le style de Ricardo Lopez Ortiz est très particulier et lorgne un peu du côté du travail de Michael Lark, au début des années 2000 sur Daredevil. Mais c'est beaucoup moins sombre, plus caricatural et humoristique : soyons honnêtes, par moment on découvre aussi certains visages pas forcément très esthétiques. En complément une histoire bonus nous raconte les origines de Janus, de sa rencontre avec Black Cat jusqu'au moment où il découvre ses nouveaux dons. Nous tenons là un tie-in correct, une sortie relativement intéressante, qui se lit facilement et qui a le mérite de brouiller davantage encore les cartes entre ceux qui sont censés faire le bien, et ceux qui se complaisent dans le mal. La Guerre Civile est cette fois avant tout un conflit moral et éthique. 


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AVENGERS & X-MEN - AXIS (LA SAGA COMPLETE DISPONIBLE EN UN SEUL ALBUM)

Quelle place véritable pouvait-il y avoir pour un événement comme Axis, coincé entre les soubresauts de Original Sin et la grande révolution annoncée des Secret Wars? Aucune probablement, et cela se sent dès le début du premier épisode, qui ressemble plus à l'épilogue du run de Remender sur Uncanny Avengers qu'à à grand crossover made in Marvel. Il est difficile de se passionner pour un récit aussi peu passionnant, qui remet sur le devant de la scène un certain Onslaught, qui n'a pas laissé que des souvenirs impérissables dans la tête des anciens lecteurs (et je préfère taire le fort mauvais Onslaught Reborn de Jeph Loeb, une des pires histoires que j'ai pu lire un jour en comics). Onslaught est donc la fusion entre les esprits mauvais de Charles Xavier, et de Magneto. Sauf que cette foi-ci le maître du magnétisme est hors de l'équation, au point qu'il est un des antagonistes les plus sérieux de son ancienne incarnation. C'est le Crâne Rouge qui est associé à Xavier (pourtant mort) et qui donne naissance au soi-disant Onslaught le Rouge, dont les velléités racistes et eugéniques font froid dans le dos. Grâce aux pouvoirs télépathiques de l'ancien mentor des X-Men, il parvient à faire se dresser les uns contre les autres un peut tout le monde, et provoque une vague de haine au niveau mondial, en exacerbant les peurs et les doutes profonds. Rien de bien original, c'est déjà cet artifice qui dominait dans les premiers épisodes de la déjà citée Uncanny Avengers. Du coup les héros s'unissent et s'en vont tabasser le bon gros méchant du moment, qui a de son coté des sentinelles d'un nouveau genre, conçu en secret par Tony Stark, et dont la caractéristique est de s'appuyer sur les vieux dossiers secrets de la période Civil War, qui permettaient à Iron Man de tout savoir des caractéristiques et surtout faiblesses de ses semblables. Le reste du scénario est une ode à la violence gratuite. Tout le monde tape, sort ses pouvoirs, tombe, se relève, et Onslaught le Rouge vacille mais reste sur pieds. Jusqu'au triomphe apparent et le coup de théâtre final qui est tiré par les cheveux, voire totalement pas crédible. 


Et là commence un autre chapitre fort différent de Axis. Je parle bien entendu de Inversion. Le pitch est simple, des vilains deviennent bons, et se comportent en héros pour sauver les miches de la veuve et de l'orphelin, et des gentils deviennent fort méchants, ou adoptent un comportement cynique et violent. Iron Man est lui un cas à part, en bon entrepreneur et ancien vendeur d'armes, a t-il vraiment besoin d'un coup de pouce pour basculer du mauvais coté? Bref, on change de cavalier, et dansez messieurs. Rick Remender est capable d'être un fichu bon scénariste, et mettre sur pieds une trame complexe et ramifiée ne lui a jamais fait peur. Mais ici il est pris dans la mélasse d'un grand nombre de tie-in ou de récits dérivés, où les inversions et ses répercussions sont développées et exploitées, ce qui fait qu'il doit se contenter de la ligne directrice forte, et y aller avec la grâce de l'éléphant qui rentre dans un magasin de porcelaine. Parfois ça fait mouche et c'est pertinent (comme Magneto, qui étant depuis toujours confiné aux zones de gris, n'est pas si affecté que cela par le cours des choses, ou encore Sam Wilson, qui est tendu et coupant comme une lame de rasoir) d'autres fois c'est plus anecdotique (Thor va jouer au casino, certains méchants convertis sont peu crédibles). Les dessinateurs présents dans Axis sont tous de grosses pointures, comme Adam Kubert, qui est loin de signer là le travail le plus remarquable de sa carrière, mais assure le job facilement. Même remarque pour Terry Dodson, comme s'il n'y croyait pas totalement non plus. Et Leinil Francis Yu est une valeur sûre, pour le trait détaillé et moins la construction de ses planches. Axis s'embourbe au fil des pages et atteint son climax dans des nombreuses pages de bataille rangée, où les personnages se tapent dessus et produisent de la testostérone au litre, sans que le lecteur ait grand chose à se mettre sous les yeux, en terme de réflexion ou d'inventivité. Il s'agit clairement d'un "event" de commande, qu'il fallait faire, car déjà programmé et rentrant dans la logique du "toujours sur le coup" imposé par Marvel à ses auteurs phares ces dernières années, mais ces épisodes s'oublieront rapidement et sont à classer au rayon des comics alimentaires, bourrés de calories et pas très sains pour la santé.




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JUSTICE LEAGUE REBIRTH : BRYAN HITCH EN PILOTAGE AUTOMATIQUE

La Justice League également a droit à son numéro spécial Rebirth. Le groupe vient de subir une perte importante, puisque Superman est mort! Du coup l'idée la plus brillante de Batman est d'engager -pour augmenter la force de frappe du team- Superman... oui car il y a un autre homme d'acier dans la ville, celui qui autrefois évoluait dans l'univers narratif d'avant les New 52 et qui est marié avec Loïs Lane, et père d'un enfant. Et il ne sera pas de trop pour repousser la menace du jour. Comme très souvent lorsqu'il s'agit de décrire un scénario apocalyptique, les auteurs ont recours à un méchant issu de l'espace. Ici il s'agit carrément d'une invasion alien avec un énorme parasite appelé le moissonneur (Harvester) et qui est venu décimer la planète. Et encore il semblerait qu'il ne soit que le précurseur d'une armée à sa suite... soyons honnêtes il n'y a pas une grande profondeur dans ce numéro paru cette semaine; pas le temps de faire dans l'introspection ou l'analyse de ce que ressentent les personnages, même le drame vécu par Wonder Woman (elle a perdu celui qu'elle aimait tout de même) est juste ébauché, et cela manque complètement de pathos. Bryan Hitch a choisi l'action, c'est sous cet angle qu'il nous présente cette vingtaine de pages censée faire la jonction entre les cinq dernières années chez DC Comics et ce qui nous attend dans les mois prochains. C'est bien cela le problème, le manque d'émotion. On entendrait presque l'éditeur murmurer derrière les héros "bon certes Superman est mort, mais on a tout de suite trouvé un remplaçant, en fait on l'admet on s'est planté ces derniers temps, et là il faut qu'on revoit notre copie, et vite" .
Hitch fait de son mieux au dessin; sur certaines planches c'est vraiment très beau et on se rend compte à quel point il est capable d'être efficace dès lors qu'il s'agit de s'attacher aux détails ou aux poses des personnages. Mais à d'autres endroits on a l'impression que l'artiste bâcle un peu des visages ou plusieurs cases, et le sentiment global est celui d'une précipitation coupable dans la représentation des combats et de l'urgence du champ de bataille. Certes Justice League Rebirth est très attendu et c'est probablement un des comics qui va se vendre le mieux ce mois-ci, mais puisque nous sommes là aussi pour être objectif et apporter une critique cohérente, notre conclusion sera plutôt négative. Et mis à part vous communiquer notre déception n'avons pas grand-chose d'autre à dire.


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THANOS : LA QUETE DE THANOS (AVEC LE SILVER SURFER)

Thanos est aussi un être doté d'une profonde réflexion. Lorsqu'il se plonge dans ses méditations, il en sort rarement quelque chose de bon pour l'humanité. Par exemple, contempler le puits de l'infini lui donne des idées morbides. Voici le Titan qui se met en quête des six joyaux qui une fois réunis, confèrent à leur détenteur un pouvoir divin, la toute puissance sur tous les aspects de la création (du temps à l'espace, de l'âme à l'esprit). Le but est effrayant : recevoir l'approbation de la Mort, pour qui Thanos semble particulièrement épris, et bien décidé à trucider la moitié de la population du cosmos en cadeau de fiançailles. Pour récupérer les gemmes en question, le diabolique méchant de l'histoire se lance dans une quête périlleuse, au terme de laquelle il arrache de haute lutte chacune des pierres précieuses. Le collectionneur, le Jardinier, et d'autres figures du panthéon cosmique, sont tour à tour défiés et terrassés par Thanos, au cours de duels mémorables qui scandent l'inéluctable : l'accession au statut de Dieu fou d'un nihiliste sérieusement mauvais, dans une des plus marquantes et spectaculaires sagas de l'histoire Marvel, orchestré par un Jim Starlin touché par la grâce. C'est du Thanos tel qu'on pourrait l'imaginer, à savoir retors au possible, calculateur, manipulateur (une des scènes se déroulant autour d'une partie d'échec est exemplaire en ce sens) mis également puissant, car il n'hésite pas à jouer des poings et montrer les crocs quand il le faut. 

Cette Quête de Thanos (Thanos Quest) avait déjà été publié par Semic, dans la collection Récit Complet Marvel, en apéritif à la légendaire Infinity Gauntlet (au départ titré Défi de Thanos en Vf). Il semblait inéluctable qu'un jour Panini se penche sur le sujet, et après une première présentation en kiosque dans les pages de Marvel Universe hors-série #8, voici une édition librairie de qualité. C'est l'amour, aussi pervers et narcissique qu'il puisse être, qui guide Thanos, un être aussi horrible et à part dans l'équilibre de l'univers, à envisager et ambitionner un génocide d'ampleur cosmique, qui sera réalisé par la suite dans Infinity Gauntlet. C'est aussi la solitude, celle d'un Dieu proclamé et menaçant, mais qui reste intrinsèquement solitaire et frustré de ne jamais pouvoir atteindre le but si simple et si compliqué à la fois de tout un chacun : trouver un instant de bonheur, de répit, dans une existence tortueuse.  Comme dans une des scènes finales, où le titan ne parvient à communiquer avec la Mort, sa bien aimée, qu'à travers la présence encombrante de ses "minions". Thanos, aussi puissant, dangereux, que pathétique. L'album comprend aussi plusieurs épisodes du Silver Surfer, avec l'ancien héraut de Galactus qui apprend le retour du Titan Fou (qu'il croyait mort), et qui se retrouve dupé par ce dernier, utilisé pour propager notamment un virus qui ravagera à son insu une planète peuplée de créatures innocentes. Le Surfer n'est qu'un pion impuissant dans ces pages signées Starlin et Ron Lim, qui furent publiées dans un petit format frustrant peu après leur sortie, sur les pages du défunt mensuel Nova. Un joli cadeau à faire donc aux fans des sagas cosmiques de Jim Starlin, qui est par ailleurs aussi le dessinateur de Thanos Quest, où son trait plus détaillé, et sa mise en page plus étoffée, contribuent à l'élaboration d'un petit chef d'oeuvre. Inutile de le répéter, nous recommandons sans condition aucune. 




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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ROUGE SIGNAL

 Dans le 206e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Rouge signal, album que l’on doit à Laurie Agusti, un ouvrage publié chez 204...