BRIAN K.VAUGHAN : L'ENTRETIEN BILAN SUR SON TRAVAIL ET L'INDUSTRIE DES COMICS

Brian K Vaughan s'est livré à la revue Vulture, offrant une vision pertinente et intéressante sur le petit monde des comics en 2016. Je vous propose un résumé librement adapté en vf ce mercredi, d'une interview qui comprend son joli lot de vérités.

Quelle est ta journée de travail  type?

Je commence très tôt, bien plus tôt que ce que je voudrais. Je suis père de deux petits-enfants que j'emmène à l'école tous les jours, puis c'est le moment où j'écris, en général de 9h du matin à 18h. C'est très différent de quand j'ai commencé, quand j'écrivais de minuit à 8h du matin, et je passais la journée à dormir comme un vampire.

Tu as déclaré sur Twitter que les comics sont une industrie qui rapporte des millions de dollars sur le dos des pauvres créateurs, à qui on évite de faire comprendre leur vraie valeur. Pourquoi une telle affirmation?

Je pensais au variant covers, à ces Bd qui sortent avec 6 ou 7 versions différentes... à ces marchands qui achètent cent copies juste pour en avoir une seule spéciale... je me suis dit : mais ces artistes qui dessinent les variant sont-ils plus payés? En fait ce sont les éditeurs qui retirent un véritable avantage de ce phénomène. En réalité il y a beaucoup d'argent qui circule dans l'industrie du comic books, et les maisons d'édition aussi en tirent profit. Au cours des ans il faut comprendre que le tarif à la page continue de stagner, voire même se réduit... j'aimerais voir plus d'artistes combattre pour ce qui est juste et obtenir ce qui leur revient

Tu penses vraiment que les dessinateurs reçoivent un salaire plus bas que les scénaristes?

C'est sûr! Mais si tu cherches à savoir qui est le plus mal considéré, ce sont les lettreurs. Ils sont vraiment sous-payés. Le travail des dessinateurs est souvent plus difficile que celui du scénariste, il demande un effort physique plus grand, et plus de temps. Un scénariste peut faire une page en une heure, un dessinateur peut y mettre un jour ou deux. Souvent les scénaristes sont aussi des écrivains, il est normal pour eux de se concentrer sur l'aspect de l'écriture, mais les comics sont avant tout un médium visuel, le dessinateur devrait avoir une plus grande part de l'attention, des bénéfices, des droits d'image, mais ce n'est pas toujours ainsi.

 Pour plus de justice et d'équité quelles corrections pourrait t-on apporter dans le futur?

C'est toujours intéressant de bosser pour Marvel, DC, Dark Horse, Valiant, mais les personnages ont plus besoin de créateurs que les créateurs ont besoin de ces personnages. Donc si tu es un artiste et que tu pense mériter une augmentation, il faut la demander! Autrement mieux vaut parier sur soi-même,  et créer quelque chose qui nous est propre. Un triomphe modeste peux changer ta vie

Tu reviendrais en arrière pour lire une de tes "vieilles oeuvres"?

Honnêtement je préfère prendre mes distances avec ce que j'ai fait dans le passé... à la limite si on me ramène un vieux numéro de X-Men pour que je le signe, ça peut passer, mais la plupart du temps je préfère lire le travail de quelqu'un d'autre.

Parle-nous un peu de Y the last man et Ex machina, qui ont été écrits après le fameux 11 septembre. Comment cela a-t-il influencé ton travail?

Le premier de numéro de Y a été écrit avant le 11 septembre, et Pia Guerra (la dessinatrice) se trouvait à New-York, lorsque c'est arrivé. Y est un comic-book immergé dans l'humorisme macabre consécutif à cet événement, entre comédie et tragédie, comme quand les gens essayaient tous de boire un verre ensemble, de se regrouper, se retrouver. Par contre avec Ex Machina j'ai essayé de donner un sens au monde après l'avoir vu depuis le toit de mon appartement à Brooklyn, avec tous ces immeubles écroulés, j'ai essayé de trouver un sens politique, une raison pour ce concept d'héroïsme.

en est l'adaptation de Y pour le cinéma ?

En fait nous en sommes aux effets spéciaux, c'est une série télévisée et le processus est très lent, il n'y a aucune nouveauté que nous pouvons aujourd'hui révéler.

Saga est aujourd'hui une grande porte d'entrée pour tous ceux qui n'ont jamais lu de comics. Est-ce que c'était le but?

Oui bien sûr. Quand j'ai commencé à écrire des comics, je voulais convertir les gens. Je me rappelle avoir lu -à l'époque de l'Université- le premier numéro de Preacher : il s'est répandu dans les dortoirs comme une maladie vénérienne, tout le monde aimait Preacher, homme ou femme, peu importe le milieu social. J'ai toujours voulu que Saga touche une base de lecteurs très large, et atteigne une majorité de personnes qui ne savaient pas encore aimer les comics.

Tu es connu pour ta dernière page, chaque numéro se termine par une pleine page qui met en scène un coup de théâtre ou une révélation. Quand as-tu commencé à faire cela de manière consciente?

Je crois que cela a commencé à cause de la série télé Buffy. Il y avait de formidables cliffhanger avant chaque pause publicitaire, l'objectif est de créer un moment fort en émotions de manière à instaurer le suspens, ne serait-ce qu'un instant; ce qui est nécessaire quand il s'agit de storytelling. Dans une série la fin d'un numéro est pour moi un défi,  c'est une responsabilité, il faut trouver une raison pour convaincre le lecteur d'attendre un mois entier, trouver le final qui rend cette attente la plus solide possible.

Si cela se passait à tes conditions, tu retournerais plutôt chez Marvel ou DC ?

Je pense que c'est terminé. J'ai eu de la chance d'écrire Batman, Spider-Man, et tous ces personnages de mon enfance. Il y a maintenant tout un tas d'artistes meilleurs, plus jeunes et affamés qui ont assurément de très bonnes histoires pour ces personnages.

Que possède la bande dessinée, que la télé ou le cinéma ne peuvent faire ou reproduire?

A la fin tout est une question d'argent. Chaque médium est en conflit entre l'art et l'aspect commercial. Au cinéma et à la télévision cet aspect est primordial, l'artistique vient à la fin, mais les comics sont suffisamment petits pour pouvoir mettre l'art au sommet des priorités. Bien sûr tu ne peux pas ignorer l'aspect commercial, mais par exemple si tu veux insérer une double page avec 300 personnages, tu n'as pas à penser au budget.

Aujourd'hui les comics servent de rampe de lancement pour tout un tas d'adaptations à la télé ou au cinéma... quelles sont les raisons selon toi?

Je crois que les gens réalisent que durant ces 20 dernières années les comics ont été l'incubateur de l'imagination la plus pure; c'est là-dedans que les personnes sont en mesure d'écrire des histoires sans avoir aucune préoccupation budgétaire. Les gens sont fous s'ils pensent que la BD est une bulle qui est sur le point d'exploser, ça ne se produira jamais.
C'est aussi une question générationnelle : de nombreuses personnes qui dans les années 80 on lu Watchmen ou bien The Dark Knight Returns sont aujourd'hui celle qui prennent les décisions dans les studios. Quand je suis allé à Los Angeles la première fois -il y a longtemps- c'était plein de stagiaires, tous des nerds, bien des années plus tard tous ces stagiaires sont devenu assistants et ils ont pu placer à leurs postes certains éléments leur correspondant... il a fallu des années pour cela mais à la fin les geeks on finalement pris le contrôle!


A lire aussi :


www.facebook.com/universcomics
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous nous lisez? Nous aussi on va vous lire!

COSMIC DETECTIVE : POLAR ET SCIENCE-FICTION AVEC LEMIRE, KINDT ET RUBIN

Jeff Lemire et Matt Kindt, les démiurges derrière Cosmic Detective (chez Delcourt), avaient initialement décrit l'œuvre comme "un m...