SCURRY TOME 2 : LA FORÊT IMMERGÉE


 Scurry est de retour, et c'est une bien bonne nouvelle, tant cette série nous a plu l'an dernier. Pour rappel, il s'agit d'un monde où les humains semblent avoir disparu et où les animaux sont désormais livrés à eux-mêmes, pour survivre et trouver de la nourriture. Nous suivons en particulier une colonie de petite souris, deux personnages plus précisément du nom de Wix et Pict. La seconde citée vient de s'enfuir, mais elle a été capturée par une fauconne, qui l'emporte bien loin vers la montagne. Le petit Wix pour sa part, qui est secrètement amoureux d'elle, met tout en œuvre pour la retrouver. Pendant ce temps, une machination politique est ourdie dans la colonie des souris, afin de contraindre ses habitants à abandonner le refuge, pour tenter de trouver de quoi subsister dans la ville abandonnée. L'échiquier politique des humains est reconstitué à dimension animale; on y trouve les mêmes manigances, les mêmes conflits d'intérêts, et cela se mêle à un récit intime et d'aventure, où on tremble pour deux petites créatures en apparence sans défense, immergées dans un monde particulièrement cruel. Car oui, le règne animal, cela peut sembler plein de tendresse et d'émerveillement au premier regard, mais les animaux entre eux n'ont que faire des bons sentiments lorsque vient le moment de se nourrir et de se remplir la panse. Les faucons capturent les souris et sont attaqués par les corbeaux, les loups rôdent dans les bois et déchirent et broient les proies qu'ils croisent, les castors règnent en maître sur le lac, où ils ont construit un barrage avec l'aide plutôt forcée des autres rongeurs des environs. Avec au final la création d'un lac artificiel qui menace toute la forêt et risque d'avoir des répercussions terribles. Le tout est raconté avec beaucoup de poésie, et en même temps une bonne dose de suspens. Ces bestioles sont mises en images de manière absolument remarquable par Mac Smith. 


La leçon de mise en page confine au talent cinématographique. Pour nous faire vibrer, frissonner, avec les mésaventures de ces souris perdues dans une nature hostile, Mac Smith sait jouer avec grande habileté de toutes les cordes possibles, c'est à dire le cadrage, la perspective, les effets de mise à distance, le dynamisme Chaque planche est un mini récital, qui donne une impression de réalisme incroyable, pourtant obtenue à partir d'un dessin traditionnel (pas de swipe facile, l'artiste est simplement doué!). Dans ce second tome, de nouveaux animaux s'ajoutent au cast, entre une tortue massive, un élan majestueux, des renardes sorcières bien étranges, des écureuils, les castors, un serpent... Et le mieux dans tout cela, c'est que chaque brique s'ajoute aux précédentes pour former un tout homogène, qui fait sens. Passée la surprise du premier tome, Mac Smith parvient cette fois à ajouter une vraie bonne dose d'aventure à l'état pur. Il y est question d'être traqué, de construire un barrage, d'échapper au déluge qui vient, et chaque fois c'est l'ingéniosité, le courage, et une bonne dose de chance, qui vont venir au secours de petites souris qui ne baissent jamais les pattes. En fin de volume, vous trouverez un cahier de croquis fort pertinent, où il est possible de constater à quel point les crayonnés de Smith sont beaux. L'artiste vous présente lui-même les nouveaux animaux ajoutés à son bestiaire magnifique, et on tourne la dernière page avec une seule et unique envie, vite avoir entre les mains le troisième et dernier tome d'une trilogie recommandée pour tout le monde! 



MOON KNIGHT : BILAN CONTRASTÉ POUR LE CHEVALIER LUNAIRE


 Quand j'étais adolescent, à la fin des années 80, il y avait trois personnages Marvel que j'aurais rêvé de voir adaptés sur grand ou petit écran. Daredevil, le Punisher, et pour finir Moon Knight. Pour les deux premiers c'est chose faite, et grâce à Netflix, on peut même considérer que le pari a été remporté haut la main. Restait donc à trouver la bonne incarnation pour le Chevalier de la lune, et là, c'est une autre paire de manches, car il faut être sincère, ce n'est pas le personnage le plus facilement identifiable de l'univers Marvel, pour le grand public. Mais ces temps derniers, tout est permis; l'impression est qu'à terme nous allons retrouver au sein de l'univers cinématographique la quasi-intégralité des héros et méchants qui peuplent nos bandes dessinées. D'entrée de jeu, le premier épisode annonce la couleur et se veut plutôt rassurant. Tout d'abord car Oscar Isaac est un acteur de grande qualité, qui convient très bien à un individu aussi torturé et fragmenté que peut l'être Moon Knight. Il suffit de plonger brièvement dans son regard pour prendre le pouls de ce qui se trame dans sa tête. Nous faisons la connaissance de Steven Grant, qui vend des souvenirs dans la boutique d'un grand musée de Londres (la National Gallery). Sa passion pour la culture égyptienne est son plus grand atout, dans un lieu où bien des pièces historiques sont répertoriées et offertes au public; par contre son instabilité mentale est un vilain défaut invalidant. Le type souffre d'insomnie et de crise de somnambulisme, au point qu'il lui est nécessaire de s'attacher au lit au moment de dormir. Il a également des crises psychotiques et ce qui semble être de terribles visions, qui convoquent créatures de la mythologie égyptienne et dangers bien réels. Face à celui-ci, quand il est sérieusement menacé, Steven constate dans le reflet des parois réfléchissantes à sa portée qu'il y a une autre personnalité enfouie en lui, celle de Marc Spector, un mercenaire rompu au combat à mains nues et à l'usage de toutes les armes, capable de se tirer des pires situations, en utilisant les moyens les plus extrêmes. Oui mais voilà, lequel des deux est l'original? Ce qui est en train de bouleverser la vie de Steven, est-ce la réalité, ou simplement de la folie? Et cette Layla qui débarque chez lui et prétend être la femme de Marc Spector, puis qui lui intime de cesser de jouer la comédie et d'abandonner cet accent  anglais affecté, qui normalement ne le caractérise pas, qui est-elle vraiment ? La série joue habilement sur les hallucinations, les ellipses narratives qui sont aussi autant de tranches de vie volées, la fragmentation d'une réalité qui n'apparaît jamais comme telle, mais comme une possibilité, une interprétation, qui est sujette à remise en cause totale, en un raptus. 



S'il y a par contre un point qui est plutôt déroutant, mais finalement amplement prévisible, ce sont les incursions de l'humour au sein d'une trame qui devrait être principalement dramatique. Même en présence de créatures cauchemardesques, ou embarqué dans une course-poursuite meurtrière au volant d'un véhicule, les blagues et autres trouvailles cocasses rythment les mésaventures d'un Steven Grant dépassé, qui n'a pour porte de sortie que l'effacement, au profit de Marc Spector, donc de Moon Knight. Le costume apparaît lui de manière surnaturelle, et change à l'instant, selon celui qui le porte. Si on apprécie fortement de voir également la version "Mister Knight" adaptée à l'écran, on regrette cependant qu'il soit montré comme un pitre, dans les grandes largeurs. Même Khonshu, prétendu dieu lunaire égyptien, peine à transmettre ce sérieux noble et grandiloquent qui devrait être le sien; nous sommes bien loin des sombres atmosphères de Moench et Sienkiewicz, lorsque le personnage de Moon Knight gagna ses galons au sein du panthéon du genre. Reste le méchant de l'histoire, qui à ce point est un ancien "héraut" de Khonshu, Hollow (Ethan Hawke), qui depuis a entrepris de servir le pouvoir terrifiant de Ammit, une autre divinité, bien plus maléfique. Et c'est là que la série s'embourbe notablement. Les épisodes trois et quatre sont principalement des versions bon marché d'Indiana Jones en Egypte, où le spectateur doit jongler entre ésotérisme de pacotille et moments de tension assez convenus (des glissades au bord du précipice, des combats plutôt stériles...). On arrive même à un désintérêt presque total à la croisée de ces deux segments, tant on peine à avancer, malgré quelques maigres révélations sur l'origine des rapports entre Layla et Marc Spector. Comme toujours, Steven Grant est alors un simple prétexte à des gags épuisants (comme avec le tombeau d'Alexandre le Grand) et quelques scènes flirtent avec l'embarrassant. La reste par contre relève d'un coup la barre, avec cette fois un scénario qui s'en va puiser à pleines mains dans les travaux récents (et splendides) de Jeff Lemire. C'est là que la folie intrinsèque du personnage peut exploser, c'est là que tout à coup le spectateur également doit revoir sa copie, reformuler ce qu'il pense savoir, et c'est le meilleur moment de la série, la transition qui lui permet enfin de correspondre à nos attentes, et de mériter qu'on achève ce voyage fantasque et fantastique, dans la fragmentation de l'individualité, d'un héros qui n'en est pas forcément un. Moon Knight ne restera pas comme la meilleure série présentée sur Disney +, pour avoir trop voulu étreindre, quitte à emprunter des chemins de traverse sans charme, réalisant des détours inutiles, voire nuisibles. C'est dommage, car certaines fulgurances sont bel et bien réelles, elles, et avec un peu plus de sérieux, et un peu moins de blagounettes, il y avait matière à laisser un excellent souvenir. 




Le temps que nous y sommes, découvrez la série de McKay et Cappuccio en vidéo ! C'est le dernier Moon Knight en date, bientôt chez Panini. 

DESCENDER VOLUME UN : UNE INTÉGRALE POUR LEMIRE ET NGUYEN

 


Vive les duos, quand le mariage produit ce genre de petite merveille. Prenez d'un côté Jeff Lemire, un des scénaristes les plus prolifiques et intéressants de ces dix dernières années, de l'autre Dustin Nguyen, un dessinateur qui manie les aquarelles comme Maradona domptait le ballon. Vous obtenez Descender, une bien belle saga de science-fiction touchante, qui à son terme a donné naissance à une suite (un peu moins inspirée, même si de bonne facture) intitulé Ascender (et le tome 4 arrive chez Urban Comics, en même temps que cette intégrale qui nous occupe aujourd'hui). Descender est une histoire de robots, et d'humains guidés par la peur, et l'ignorance. Mais peut-on les blâmer pour autant? Lemire, grand spécialiste des récits intimistes et philosophiques, a ces derniers temps laissé libre cours à son amour (et son talent) pour la science-fiction, et c'est dans cette veine que s'inscrit ce titre très attendu. L'auteur nous offre d'emblée une coalition de huit planètes et invente un univers futuriste où l'humanité a recours aux robots pour toutes les tâches du quotidien. Jusqu'au jour où pour une raison inconnue lorsque débute le récit, cette propension à la robotique est source d'un terrible drame, à tel point que la décision de traquer et d'anéantir ces constructions si utiles autrefois finit par être adoptée et mise en œuvre. Dix ans plus tard, un jeune garçon s'éveille, dans une colonie minière abandonnée. Son seul compagnon est un chien, du nom de Bandit. Ah oui, détail d'importance, le gamin fait partie du modèle Tim, petits robots familiers qui ont connu leur ère de gloire quinze ans auparavant. Nous comprenons, grâce au croisement des deux lignes narratives du récit (le réveil de Tim et la catastrophe causée par des robots géants) que les deux événements décrits vont se répondre et se nourrir, et qu'ils sont intimement liés, mais bien malin qui réalisera comment, et pourquoi. Dans le "codex" du modèle Tim (c'est à dire son Adn artificiel, ou son code source) se trouve le secret de ces titans de métal qui ont attaqué et détruit des mondes et qui ont provoqué ce retournement populaire et cette chasse aux sorcières technologique. Parfait prétexte pour aller enquêter dans l'intime de cet automate, ses rouages, ses souvenirs. 


L'histoire de Tim, le petit robot, nous est racontée par divers flash-back, à travers lesquels il suffira de peu de choses pour nourrir l'empathie et l'affection envers l'androïde pourtant si humain. Comme dans ses autres œuvres, les personnages sont la grande force de Lemire : souvent tourmenté et en quête de rédemption, Tim s'inscrit parfaitement dans cette tendance, et il est également en quête d'une généalogie, de repères qui le définiront et le justifieront, en tant que créature existante, même si synthétique. Beaucoup vont donner la chasse au pauvre Tim, dont le docteur Quon, un génie qui a eu le malheur de ne pas avoir su réagir à l'attaque des Moissonneurs. Quon semble au départ un personnage plutôt stéréotypé, mais au fur et à mesure que progresse le récit, il se révélera aussi très intéressant, plus tourmenté et mystérieux qu'il n'y paraît. Comme tous les autres intervenants, qui sont très attachants, même quand il s'agit de gros robots grossiers chargés du forage, qui peuvent se muer en assassins sympas. C'est le climat instauré par Lemire, et les dessins riches en couleurs, en suggestions et hautement inventifs (à tel point qu'on se prend à rêver à une adaptation moderne du cycle de Fondation d'Asimov au format comic book) de Dustin Nguyen qui prennent le lecteur par la main, et le guident vers un univers narratif truffé de promesses et qu'on devine d'une complexité jouissive. Certaines pages sont de véritables aquarelles d'une beauté fulgurante, comme dans le second épisode où nous suivons en parallèle l'évolution de l'action (la traque du robot Tim par des trafiquants - en couleurs) et les moments forts du passé qui illuminent les rapports entre les différents personnages (des planches sépias nous expliquent comment le petit robot a été conçu et son adaptation avec sa famille d'accueil). Jeff Lemire réussit le pari de nous placer en territoire aussi étranger que familier, en une seule et même occasion. Nous avons l'impression de lire une synthèse de tout un pan d'histoire de la science-fiction, aussi bien au cinéma qu'en bande-dessinée. Avec en toile de fond une traque, et donc une fuite (qui sera aussi un parcours initiatique) pour le petit héros de l'histoire, comme un écho à ce qui fut une des clés du succès de l'extraordinaire Sweet Tooth, indispensable série au format papier, malheureusement défigurée par une adaptation à l'eau de rose pour Netflix. Lemire humanise désormais tout un aréopage de créatures robotiques pour mieux nous parler de notre humanité, de ce qui nous caractérise et nous rend unique. Cette intégrale est l'occasion parfaite pour récupérer toute la saga, ou la conserver à jamais, dans un fort bel écrin. 




FLASH INFINITE TOME 1 : EN UN CLIN D'OEIL


 Le moins que l'on puisse dire, c'est que Wally West n'a pas été le personnage le plus choyé par les grands cerveaux qui dirigent et décident le destin des personnages chez DC comics. Celui qui avait mis du temps pour s'imposer comme le remplaçant de Barry Allen, dans le costume de Flash, a pourtant fini par devenir un des préférés des lecteurs; mais lorsque Barry fut de retour, l'impression était alors celle d'une présence encombrante. Pas de panique, à l'occasion des new 52 DC comics fait disparaître le remplaçant de l'équation, avant de le ramener timidement, tout en lui réservant au fil des ans une liste de déboires capables de décourager les plus solides des héros. Voilà qu'à l'occasion de Rebirth il revient sur le devant de la scène, oui, mais plus personne ne se souvient de son d'identité... et bien entendu son mariage avec Linda Park et ses deux enfants ne sont plus d'actualité. Pire encore, lorsque se fait ressentir le besoin de relâcher la pression et d'aller se soigner dans un institut spécialisé pour les symptômes dépressifs et post dépressifs des types à super pouvoirs, Tom King lui fait officiellement commettre un acte inconsidéré. Wally West devient alors le responsable de la mort de plusieurs personnages importants, et il faudra de longs mois, pour ne pas dire plusieurs années, pour vraiment parvenir à expliquer ce qui s'est passé clairement, tout en le dédouanement de la responsabilité de cette tragédie (le point final est à lire dans cet album, justement). Aujourd'hui Wally West est de retour en tant que Flash, néanmoins son désir de préserver sa famille, qu'il a enfin récupérée, fait que le choix de renoncer à sa double identité a quelque chose de logique. Wally décide même d'abandonner ses supers pouvoirs, car la tentation de les utiliser est trop grande. C'est ainsi qu'il demande l'aide de Barry Allen pour se connecter à la force véloce et se priver une bonne fois pour toutes de ce qui fait de lui un bolide exceptionnel.



Évidemment rien ne va se passer comme prévu, sinon vous n'auriez pas cet album entre les mains. Parution qui constitue le premier tome d'une nouvelle ère pour le personnage, celle initiée avec la période dite "Infinite". Sous les yeux d'une foule admirative, Barry et Wally se mettent à courir pour pénétrer dans la force véloce, mais rien ne se passe comme prévu, sans que nous comprenions vraiment pourquoi (et d'ailleurs même lorsque les explications arrivent, il faut avoir un doctorat en science théoriques pour y comprendre quelque chose). Wally se retrouve isolé et projeté dans un passé très lointain, bien avant la préhistoire, sur une terre où vivent encore les dinosaures. Il est d'ailleurs attaqué par l'un d'entre eux, qui dispose aussi d'une super vitesse. Si on peut regretter que ces nouvelles aventures sont un peu trop chargées en humour, avec un ton badin, voire parfois carrément régressif, on apprécie beaucoup le fait que Wally se retrouve aux prises avec toutes les grandes époques importantes qui ont fait le succès de la série de comics The Flash. Le héros investit à certains momentanément le corps de personnes comme Jay Garrick (le premier Flash, ici face à Adoplh Hitler en personne), Impulse, ou bien le Reverse Flash, et ce sont autant de clins d'œil à des périodes différentes de la "légende écarlate", qui sont mises en valeur par un Jeremy Adams qui semble bien se divertir. Côté dessin, il y a bien entendu une liste impressionnante d'artistes qui se succèdent, chaque période, chaque situation étant mise en scène par un illustrateur différent. On trouve du beau linge comme Pasarin, Santucci, Peterson ou Lafuente, et c'est globalement décousu mais foncièrement beau. Un album qui s'avère plaisant à la lecture, qui souffre peut-être d'un manque de sérieux par endroits, à entendre dans le sens d'une trop grande volonté de divertir le lecteur au détriment du pathos, mais qui au final se révèle un assez bel hommage à la carrière de flash (des différents Flash), qui devrait ravir tout ceux qui aiment le héros, quels que soient ses incarnations à travers le temps. 




ED GEIN : AUTOPSIE D'UN TUEUR EN SÉRIE


Si le nom de Ed Gein n'évoque pas grand-chose pour vous, il est fort probable qu'après lecture de cet album publié chez Delcourt, les choses soient fort différentes, et pour longtemps! Nous sommes ici face à l'un des pires psychopathes de l'histoire américaine, un tueur en série aux actions monstrueuses, qui a par la suite inspiré des œuvres cultes comme le roman Psychose de Robert Bloch (porté à l'écran par Alfred Hitchcock) ou encore le terrible assassin du Silence des agneaux. Au départ rien ne prédispose le petit Ed à devenir le monstre qu'il sera ensuite, si ce n'est malheureusement sa famille. Et oui, rappelons-le, les brimades de l'enfance, l'ambiance dans laquelle on grandit sont très souvent à la base de névroses ou de comportements déviants qui peuvent alors gravement nuire au développement individuel, mais aussi à la société dans son ensemble. Avec une mère religieuse fanatique, un père alcoolique et soumis, et pour finir un frère qui semble être le "préféré de la famille", ou en tous les cas le plus débrouillard, Eddie n'a pas tiré le bon ticket à la loterie de la vie. Ne parlons pas de ses relations avec les filles, puis les femmes en grandissant... elles sont inexistantes! Pour lui l'univers féminin relève principalement du péché absolu, ce qui explique pourquoi il deviendra plus tard l'assassin de nombreuses d'entres elles, qu'il va découper méthodiquement, allant jusqu'à conserver puis utiliser les parties intimes et génitales. Oui vous avez bien compris, il faut avoir le cœur accroché pour lire cette bande dessinée. Attention, il s'agit de quelque chose de très fort, qui est absolument a déconseiller pour les plus jeunes ou les plus sensibles. Certaines pages sont particulièrement intenses, choquantes, et non seulement ce qui est décrit est difficilement soutenable, mais c'est aussi montré, illustré sobrement mais puissamment. 




Le travail réalisé par Harold Schechter est assez remarquable; la reconstruction des faits, quasi journalistique, permet de comprendre, à défaut d'excuser, ce qui a poussé un individu qui a grandi dans la frustration et l'ignorance de la vie réelle à devenir une créature déséquilibrée et probablement manipulatrice, comme en témoignent les scènes où il est interrogé par la police, les avocats ou les psychologues. C'est l'apparente banalité de l'individu qui accentue l'horreur de la situation. Au premier coup d'œil, rien ne permet de distinguer Ed, le citoyen banal, d'un assassin en série dont il faudrait se méfier. Certes, à bien y regarder, des indices sont disséminés tout au long de sa vie, et en effet, une fois que la vérité éclate, il s'avère qu'il aurait probablement été possible de comprendre où étaient passées certaines des victimes, de ces femmes enlevées et assassinées, et de percevoir à travers les propos du tueur des mots, des demi-aveux, qui deviennent évidents avec le recul. Mais avec des "si" on mettrait Paris en bouteille, alors pour ce qui est de mettre un serial killer en prison... Parfois il est nécessaire de combler les informations glanées par quelques petites libertés scénaristiques, mais ça n'est jamais forcé et cela sert toujours parfaitement un récit, qui est maîtrisé d'un bout à l'autre. Il faut dire que le dessin d'Eric Powell est également extraordinaire. Toute l'histoire se présente dans des tonalités de gris d'une élégance extrême, qui contrastent avec l'atrocité de ce qui est présenté. Le réalisme est ici parfaitement associé au style propre d'un artiste qui parvient à rendre haletante et tendue des séquences pourtant statiques, ou basées sur un regard, un mot, un non dit. Même le quotidien anodin devient menaçant et nous fait frissonner. Certaines pages sont pourtant chargées en didascalies, en informations, mais on les parcours très vite car une fois immergé dans la lecture, il y a comme une urgence à aller au bout de ce récit glaçant, qui en même temps nous contraint à certains endroits à marquer quelques poses, devant l'ampleur de la déflagration conceptuelle. Oui, Ed Gein est le genre de bande dessinée qui va creuser bien profond dans la psyché humaine, oui nous descendons là à un niveau rarement atteint dans l'abject en images, et en même temps, dans l'œuvre d'art aboutie. D'autant plus que l'édition proposée par Delcourt est de très grande qualité, avec notamment un carnet de croquis et quelques annotations bien utiles, qui en font un objet dont la place est sur les étagères de tout amateur de bande dessinée qui se respecte. Incontournable est un adjectif parfois galvaudé, mais certainement pas ici.



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : CELLE QUI PARLE


 Dans le 125e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Celle qui parle, album que l’on doit à Alicia Jaraba, édité chez Grand angle. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Cache-cache mortel à Bréhat, titre que l’on doit au scénario de Patrick Weber, au dessin de Nicoby et c’est édité chez Glénat

– La sortie de l’album Bagnard de guerre que l’on doit au scénario de Philippe Pelaez, au dessin de Francis Porcel et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de l’album Moon que l’on doit à Cyrille Pomès et c’est édité chez Rue de Sèvres

– La sortie de l’album La limite n’a pas de connerie que l’on doit à Emmanuel Reuzé et aux éditions Fluide glacial

– La sortie de l’album D’eau et de boue que l’on doit au scénario d’Adam Smith, au dessin de Matthew Fox et c’est édité chez Robinson

– La réédition de l’album Billie Holiday que l’on doit au scénario de Carlos Sampayo, au dessin de José Muñoz et c’est édité chez Casterman




 
 

CROSSOVER TOME 1 : KIDS LOVE CHAINS


Pour ceux qui ne le savent pas encore, un crossover est une histoire qui met en scène différents personnages qui en temps normal vivent des aventures séparées, dans leurs propres mensuels, mais qui pour l'occasion vont voir leurs destins entremêlés, dans ces mêmes titres respectifs. Cerise sur le gâteau lorsqu'il s'agit d'un crossover entre différentes maisons d'édition; des personnages qui a priori n'ont aucune chance de se rencontrer; et qui tout à coup vivent une histoire en commun. Donny Cates invente de son côté le crossover complètement dingo, à savoir Crossover, tout court, un univers dans lequel tout à coup apparaît l'intégralité des personnages de comics, toutes maisons d'édition confondues, depuis que le genre existe. Tout ce beau monde se tape dessus à Denver, qui pour l'occasion se retrouve enfermé sous un dôme impénétrable et mystérieux. On ne sait pas comment et pourquoi ils sont apparus dans le Colorado, mais par contre on a vite compris que les dégâts allait être considérables. Ce qui explique pourquoi lire des comics est devenu une activité répréhensible, particulièrement mal vue. Nous n'allons pas vous mentir, bien entendu impossible pour les artistes de ce comic,book d'obtenir les droits leur permettant de mettre clairement en scène des super-héros comme Superman ou Spider-Man. On doit souvent se contenter de vagues silhouettes ou de références subtiles, qui font comprendre de qui il s'agit. Par exemple, nous avons l'impression de voir apparaître Batman en prison, dans la pénombre. Par contre, de nombreux artistes ont aussi permis à Cates de jouer avec leurs créations (comme le Madman de Michael Allred, les détectives du Powers de Bendis et Oeming, ou encore le Savage Dragon de Larsen). À ceci il faut ajouter les séries précédentes du scénariste, comme par exemple God country, qui consentent de mettre en scène d'autres héros et personnages pour l'occasion. Mais en fait, ils sont tous plus ou moins au second plan, car la protagoniste de cette histoire, au départ, est une jeune fille qui travaille dans un comic shop, une certaine Ellie. 


Ellie est une jeune fille adepte du cosplay, dont les parents ont disparu pendant l'événement de Denver mentionné ci-dessus. Autres personnages importants, Otto, le propriétaire hippie un peu bourru de la boutique de comics où Ellie travaille, puis Ryan, le fils du pasteur Lowe, qui a fait de la lutte contre "ceux issus des bandes dessinées" sa grande cause. Et pour finir la petite Ava, une enfant mystérieuse droit sortie d'un comic book, comme l'indique son apparence physique (avec les fameuses couleurs tramées d'autrefois, c'est à dire ces lignes de points si caractéristiques). Quatre personnages dont les destins se croisent inévitablement et qui donnent lieu à une aventure pleine de rebondissements. Ava veut retourner avec sa famille, qui est restée à l'intérieur du Dôme tandis qu'Ellie est prête à l'aider, parce que sa mère et son père s'y trouvent aussi, et sont peut-être encore en vie. Y a-t-il un moyen de franchir la barrière? Oui, peut-être, si on en croit l'existence d'un homme qui peut transporter des gens des deux côtés du dôme. Ce héros a un grand "S" sur la poitrine et semble très puissant. Vous avez compris de qui il s'agit? Tout faux, ce n'est pas un kryptonien, en tous les cas! Cates se penche sérieusement sur des sujets comme le fanatisme, l'étroitesse d'esprit, et utilise tous les fantasmes nauséabonds de Fredric Wertham, le psychiatre à la base d'une épuisante croisade contre l'immoralité supposée des comics, dans les années 50. Pour laisser exploser son amour du média, et surtout sa grande connaissance, les deux allant souvent de pair. Il parvient clairement à s'amuser comme un fou, et le lecteur en profite grandement. Si dans un premier temps on ne peut que tiquer devant les dégâts que causent réellement ces super personnages, on se rend vite compte que le gouvernement, et les "humains réels" ne sont pas en reste, utilisant la détention, la torture, et de sordides expériences, pour atteindre leurs propres buts. Geoff Shaw est dans un état second, et signe au passage ce qui pourrait bien être le meilleur travail de sa carrière, tant il parvient à faire tenir debout ce projet baroque et ambitieux, à travers des planches d'une grande beauté, avec des visages humains, vivants, expressifs, et un sens du merveilleux, du mouvement, qui explose régulièrement dans des scènes de grand impact plastique et émotif. Crossover est une œuvre de méta bande-dessinée surprenante et cohérente, divertissante et intelligente; Et ce premier tome, proposé au prix extrêmement alléchant de dix euros(!) n'est que la partie émergée de l'iceberg. Dans les prochains épisodes, ce seront les créateurs des séries eux-mêmes qui vont tenir le haut du pavé! Impossible alors de renoncer à Crossover, qui est une de ces séries régulières qu'aucun amateur de comics américains ne peut décider de snober. Sortie cette semaine, à vos réservations! 





ALL-NEW VENOM T1 : QUI DIABLE EST LE NOUVEAU VENOM ?

 Avec All-New Venom , Marvel joue une carte bien connue mais toujours efficace : transformer l’identité du porteur du symbiote en un jeu de ...