SOULFIRE : LA SCIENCE-FICTION FANTASY DE MICHAEL TURNER


 Fantasy et science-fiction font-elles bon ménage? La question peut se poser, et trouve une réponse fort positive avec Soulfire, dont Delcourt vient de publier l'intégrale par Michael Turner en ce mois de juin. C'est la fête aux années 90 et 2000 chez l'éditeur, après Fathom, et le trentième anniversaire de Spawn ! En fait, il existe tant de liens ou d'analogies entre les deux genres cités en début d'article, qu'il est parfois difficile de marquer la frontière. Nous pourrions dire, pour justifier la démarcation, que le genre fantasy nécessite l'acceptation et l'emploi d'une magie fort puissante, là où la science-fiction se propose souvent de recourir à des solutions narratives et des inventions plus techniques ou sociétales. Soulfire, titre présenté sur l'étiquette Aspen Comics en 2003, puise dans les deux camps. Si l'histoire se propose d'embrasser différentes lignes temporelles, elle prend son essor principalement dans le futur, avec un groupe de personnages dont nous faisons très tôt la connaissance. Malikai est un gamin (un jeune ado) particulièrement recherché, un orphelin débrouillard que rien ne destine à devenir l'enjeux de pouvoirs qui le dépasse, dans un premier temps. Il est entouré de son ami P.J, une sorte de punk surfeur à la coiffe héritée de Dragon Ball, et de la belle Sonia (Phoebe). Dans le monde de Malikai, la technologie a fait de grands bonds en avant, et sa passion pour les interfaces virtuelles en est un excellent exemple. Son univers va changer drastiquement le jour où débarque une magnifique guerrière ailée, qui l'entraîne dans une course poursuite jusqu'aux iles Hawaï, avec des dragons droit sortis de contes fantastiques, et d'autres intervenants badass et solidement armés comme l'énigmatique Benoist. Soulfire fait alors la part belle aux courbes délicieuses de Grace, cette créature magnifique dotée d'ailes et qui est chargée de protéger Malikai, de lui monter la voie qui devra être sienne. C'est elle qui est reproduite sur une longue série de couvertures régulières et variant, comme un des arguments de vente les plus convaincants, pour une série qui est visuellement un plaisir coupable. C'est elle qui est l'élément qui fait la jonction entre les promesses et les prophéties dont Malikai est abreuvé, et la dure réalité, faite de combats, de trahisons, de découvertes douloureuses (imaginez vous avec des ailes qui poussent dans le dos, et des dons fabuleux que vous découvrez au moment où vous pensez que vous allez mourir, vous verrez bien…) 



Soulfire est un titre un peu particulier, car le regretté Michael Turner, ici à l'apogée de sa créativité, et épaulé au départ par les conseils avisés de Jeph Loeb, n'aura jamais eu l'occasion d'achever l'ouvrage commencé. Après avoir réalisé les six premiers épisodes, c'est son ami Joe Benitez, un artiste brillant depuis devenu célèbre grâce à Lady Mechanika, qui poursuit l'histoire en s'aidant notablement des notes et des ébauches disponibles, jusqu'à atteindre le dixième numéro. Turner est au faîte de son style, disions-nous. Ses planches sont particulièrement "cinématographiques" et audacieuses, elles débordent d'une énergie fougueuse, entre dragons impétueux, silhouettes féminines plus élégantes et tentatrices que jamais, et un montage frénétique, qui n'oublie cependant pas de rester lisible. Tous les personnages sont rapidement introduits et l'introspection psychologique n'est qu'ébauchée, pour privilégier une forme d'humour détaché (mais Malikai est ses amis sont très jeunes, que voudriez-vous de plus, le raisonnement par la pensée présocratique ?). Le principe de Soulfire est simple. La magie dominait autrefois le monde, mais son influence et son pouvoir ont décliné, et elle a fini par disparaître presque totalement. Malikai ne le sait pas (et pour cause, c'est un gamin insouciant voire irritant) mais il est le Samusara, c'est à dire le "porteur de lumière", celui qui va devoir rallumer la magie, un jour prochain. Mais l'âge des merveilles promis est tributaire de sa capacité à dompter ses nouveaux dons, et de l'opposition du perfide et multimilliardaire Rainier, qui a de toutes autres visées sur l'avenir du monde. L'ensemble constitue une opposition entre la magie et ses possibilités illimitées, et la science et son raisonnement plus aride et logique, comme deux pôles distants qui se repoussent sans cesse, tout en présentant dans le même temps des points communs inéluctables. Ajoutez à ceci la sensualité et l'esprit des temps des années 1990, que Michael Turner parvient à transmettre à tout instant, magnifiquement épaulé par les couleurs de Peter Steigerwold, Beth Sotelo e Christina Strain, et vous obtenez une sorte de document historique vraiment agréable, que Delcourt nous sert sur un plateau, agrémenté de l'aperçu de six pages d'une autre série de Michael Turner, Ekos, dont le développement a été stoppé au profit de Soulfire, après le vote des fans de l'artiste. Le genre de (re)lecture qui tombe à point pour un été brûlant. 



SPECIAL STRANGE : LE GRAND RETOUR AVEC ORGANIC COMICS & ORIGINAL WATTS


 Si comme moi vous avez déjà atteint un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, il est probable que vos premières lectures super-héroïques en langue française remontent à l'époque de Lug, c'est-à-dire des revues mensuelles comme Strange ou Nova, directement en kiosque. Je mets volontairement Special Strange de côté; c'est là-dedans que nous avons découvert les X-Men par exemple, ceux de la grande époque Claremont et Byrne. Nous y trouvions aussi Spider-Man, ou plus tard les New Warriors. Et même si un beau jour nous avons eu la surprise et le désespoir de lire une simple page laconique nous annonçant l'arrêt de ces publications, il n'empêche que ces fondations restent encore aujourd'hui très solides et que c'est grâce à l'éditeur lyonnais que les super-héros Marvel ont pris racine en France. Aussi, lorsque le projet d'exhumer Special Strange a été présenté sur Internet (vive le financement participatif), inutile de vous dire que de nombreux nostalgiques ont tout de suite commencé à s'impatienter frénétiquement. Nous devons cette nouvelle mouture à Organic Comix et à Original Watts, associés ici pour ce qui est un véritable retour aux sources. Dès la couverture (une des couvertures, la classic B edition) qui évoque sans détour une des plus célèbres créations de Bob Layton, le logo, le format, nous comprenons que nous avons entre les mains un hommage aussi appuyé qu'élégant et réussi. Le sommaire permet d'ailleurs de remonter directement à cette époque bénie ou internet n'existait pas, et où il fallait hanter les environs de la Maison de la presse locale pour connaître les derniers exploits de Mikros et de sa bande de copain super-héroïques (c'était dans Titans, autre magazine légendaire). Bonne nouvelle, la série de Jean-Yves Mitton est inséré au programme des réjouissances que nous abordons aujourd'hui. Mais pas que, ou plutôt, pas qu'eux. On va jeter un œil sur le sommaire, en commençant par ce shoot de nostalgie, avant de reprendre le fil chronologique des pages.



Ceux que la société considère en réalité comme des freaks sont emprisonnés à San Francisco, mais ils vont vite devoir reprendre du service (et donc s'évader) pour contrer la menace de Maelström, un scientifique malheureux et frustré qui décide de se venger en créant de terribles catastrophes naturelles. C'est un vrai retour aux sources, dans un épisode spécial qui reprend les codes de l'époque, aussi bien dans la mise en couleur que dans la narration. Mitton n'est pas au dessin mais Oliver Hudson capture parfaitement l'esprit des temps d'alors. Les planches sont très classiques et fouillées, et le dessinateur parvient à nous convaincre amplement. Si vous aimiez les french comics dans les années 80, nul doute que vous allez passer un excellent moment. La première série publiée s'appelle de son côté Phantasmic Force; il s'agit d'une des créations tardives de Jack Kirby, qui n'a jamais connu les honneurs d'une version française digne de ce nom. Une histoire d'extraterrestres qui infiltrent notre planète dans l'espoir de répliquer les formes de vie qu'ils y rencontrent, pour asseoir leur domination et rétablir la communication avec un avant-poste installé depuis des temps immémoriaux. Même s'il s'agit d'épisode désormais très datés, on retrouve ce dynamisme et ce sens du merveilleux qui sera par la suite digéré et reproduit à sa manière par Rob Liefeld (et tout un pan des années 90). Il y a certes de la naïveté mais aussi beaucoup d'enthousiasme, et c'est une découverte à faire, réellement. Elle est d'ailleurs parfaitement documentée, avec un reportage très pertinent au sein d'un rédactionnel riche et pertinent. The mighty Titan de Joe Martino et Luca Cicchiti nous présente une histoire assez classique, celle d'un super-héros dont tout le monde ignore l'identité, y compris apparemment sa propre famille, et aux prises avec sa Némésis, un inventeur qui utilise ses prouesses technologiques et des hommes de main qu'il manipule, pour entretenir le sempiternel combat de l'homme de bien contre le mal incarné. C'est agréable à lire et plutôt intelligent, on ne s'ennuie pas. Pour terminer, Thierry Lancelot, qui fait partie des architectes du projet Special Strange, est lui-même le scénariste de la série The Orb, illustrée par Chris Orpiano. Le détenteur des pouvoirs de l'Orbe est en fait une sorte d'incarnation de la conscience collective des anciens représentants de la civilisation des Aleph. Un peu comme si les Gardiens de Oa (Green Lantern) fusionnait avec l'Intelligence Suprême des Kree, pour donner naissance à un Super Captain Marvel Quasar. Beaucoup d'influences qui font de ce titre ce qui se rapproche le plus d'une série "codifiée comic book américain de super-héros", et qui ne perd pas de temps en palabres, appuyant sur la pédale de l'accélérateur dès ce premier numéro, qui se termine par un de ces cliffhangers qu'aiment tant les lecteurs de revues sérielles (vous vous souvenez de Byrne sur Alpha Flight, dès le premier épisode, hein?). Une digne conclusion, très efficace, pour un Special Strange qui s'affranchit donc totalement des titres qui ont fait sa gloire, tout en conservant l'âme de ces productions, ici vivantes sous des formes subtilement différentes, mais absolument méritoires de votre intérêt et de votre curiosité. Vous trouverez aussi une longue interview/portrait de Bob Layton et le premier chapitre de ce qui sera la présentation des hommes et des femmes qui ont marqué les années Lug. Ne manque à l'appel qu'une bonne page du courrier des lecteurs (et pour ça il va falloir écrire, logique…) et l'opération fontaine de jouvence aura fait son effet. L'ensemble nous parait suffisamment structuré, crédible, et d'une qualité telle, que Special Strange a toutes les cartes en main pour aborder une seconde carrière prolifique. Welcome back !


Pour tout savoir, et vous procurer Special Strange :




LA SENSATIONNELLE SHE-HULK : L'OMNIBUS VERT DE RIRE AVEC JOHN BYRNE


 On ne va pas se mentir, business is business. La raison première à la base de la création du personnage de Miss Hulk, c'est bien entendu l'envie de surfer sur le succès de la série télévisée des années 1980n avec Lou Ferrigno, reproduire avec une femme ce qui avait déjà fonctionné parfaitement avec un homme (vous vous souvenez de l'Homme qui valait trois milliards et de Super-Jaimie, hein ?).  Sauf que cette fois, la version féminine n'a rien d'un monstre vert qui écume de rage mais elle est sculpturale, plantureuse et présentée très souvent de manière carrément sexy, y compris son alter ego Jennifer Walters, une avocate aussi vive plutôt discrète. Alors que Bruce Banner n'a aucun contrôle sur sa créature et traverse une existence des plus tourmentées. C'est néanmoins The Sensational She Hulk et non pas Savage qui permet au personnage d'entrer définitivement dans l'histoire. Autrement dit, c'est son passage entre les mains expertes de l'auteur complet canadien John Byrne qui va la faire entrer au Panthéon du genre. Si vous êtes un lecteur français qui a désormais dépassé un certain âge, vous l'avez probablement découverte sur les pages de Nova, en petit format, avec des planches amputées pour l'occasion. Nous n'avions jamais eu accès au format librairie pour ces épisodes devenus incontournables, et les voir débarquer dans une intégrale, c'est probablement un de ces cadeaux dont peu d'entre nous osions rêver il y a encore quelques mois. Lorsqu'un personnage de bande dessinée est conscient qu'il n'est pas vraiment un être de chair et de sang et qu'il entame un dialogue avec l'auteur ou le lecteur, ça s'appelle fracturer ou traverser le quatrième mur, et c'est exactement le processus récurrent que va utiliser Byrne. La géante de jade est consciente de n'être qu'un personnage et elle va utiliser toute la grammaire et les codes les comics à travers les épisodes, pour nous faire rire et nous interroger sur la dynamique même de la réalisation de ses propres histoires. Elle s'irrite contre son dessinateur, elle traverse l'espace en sautant d'une case à l'autre, on la voit même parcourir un vaste espace de pub sur une double splash page, là où normalement les comic shops plaçaient une longue liste de numéros à vendre. Miss Hulk est forte, elle est intelligente, elle est drôle, elle a du recul sur elle-même, un côté romantique, peut se la jouer fashion victim. Elle est toujours prête à se dévouer corps et âme à cette héroïsme qui fait le succès de Marvel. Bref, une recette parfaite pour une femme moderne, mais dans les années 1990. Avec en face une galerie de vilains assez pittoresques et pas toujours des plus impressionnants sur le papier, comme l'extraterrestre Xemnu et sa longue fourrure blanche, l'homme aux échasses ou bien encore les improbables Head Men. Voilà qui sont quelques-uns des premiers à se mettre en travers de sa route. Tant pis pour eux. 


Certains font des reproches à Byrne depuis longtemps, notamment lorsqu'il est scénariste, pour sa tendance à multiplier les pistes secondaires, quitte ensuite à recourir à des artifices peu crédibles pour boucler ses histoires. Ce n'est pas complètement faux, mais ici c'est justement ce qui fait la force de Miss Hulk : faire feu de tout bois avec une carte blanche pour employer l'ironie, le second degré en tant qu'armes de distraction massive, et ça marche diablement bien ! Quant au Byrne artiste, le dessinateur, on sait qu'il n'est pas le plus doué pour mettre en scène des enfants ou dans la différenciation des faciès, mais quand il s'agit de mettre à profit la souplesse de son trait pour en dégager une héroïne aussi moderne que séduisante, il est pratiquement intouchable. Beaucoup de planches sont d'une beauté plastique totale et évidente et d'ailleurs, lorsqu'il a abandonné quelque temps le titre, et qu'il a été remplacé par d'autres du calibre de Bryan Hitch, la différence s'est vue tout de suite. La Miss Hulk de Byrne s'assume, se plaît, s'affiche, c'est un personnage qui n'a plus rien de tragique, mais qui devient le centre de l'attraction, l'objet du désir. Et pas seulement. Au fil des épisodes, Byrne nous permet de comprendre ce que son héroïne a à dire. Ses pensées, ses rêves, ses moments d'exaltation et de déprime, à travers le jeu continu déjà évoqué du franchissement du quatrième mur, parfois même littéral, comme lorsqu'elle arrache une page blanche et déchire le feuillet, sont la sève même de ce run de légende. Bien que Miss Hulk apparaisse à moitié nue sur la couverture de nombreux numéros, il n'y a jamais eu le moindre voile de sexisme dans ces illustrations. L'impression est celle d'un personnage qui, si elle avait pu choisir, aurait probablement elle-même décidé d'être ainsi représentée. Parce qu'elle a conscience d'être sculpturale, sûre d'elle au point de sembler égocentrique. La couverture du premier numéro de Byrne est en soi un manifeste programmatique d'une clarté éblouissante. Regard intense, tenue encore plus provocante qu'à ses débuts, mais aussi poings serrés et muscles tendus. Dans la main de la belle géante, une copie de The Savage She-Hulk # 1, tandis qu'une bulle de dialogue met instantanément les choses au clair. Il s'agit de se laisser tenter, sous peine de se retrouver avec tous les exemplaires des X-Men (de Byrne) en confettis… Bonne idée d'ailleurs de reproduire cette illustration pour l'omnibus français. Byrne s'amuse d'un bout à l'autre, truffe sa prestation de pin-up pages assumées, insère des résumés en début d'épisodes qui sont autant de moments où l'héroïne prend les lecteurs à parti, ne cesse de commenter le processus créatif des comics et leur industrie, à travers les propos délirants d'un personnage plus vivant que tous les autres, à tous points de vue. Un grand moment de l'histoire Marvel, en fait, qu'il fallait absolument faire (re)découvrir dans un noble format. 



 

 

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : FEUILLES VOLANTES


 Dans le 130e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Feuilles volantes, album que l’on doit à Alexandre Clerisse, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Rien ne sert de m’aimer que l’on doit à Jean-Christophe Morandeau et aux éditions La boite à bulles

– La sortie de l’album Partir, sur les chemins de Compostelle que l’on doit à Lili Sohn et aux éditions Casterman

– La sortie de l’album BFF que l’on doit au scénario conjoint de Thomas Cadène et Joseph Saffiédine, au dessin de Clément C. Fabre et c’est édité chez Delcourt

– La sortie du septième tome des Cahiers d’Esther intitulée Histoires de mes 16 ans édité chez Allard éditions

– La sortie du premier tome sur deux de Céleste « bien sûr monsieur Proust » que l’on doit à Chloé Cruchaudet et aux éditions Soleil dans la collection Noctambule

– La sortie en intégrale de la série Les beaux étés que l’on doit au scénario de Zidrou, au dessin de Jordi Lafebre et c’est édité chez Dargaud




 

 

SAISON DE SANG : LE POUVOIR DU DESSIN ET DU SILENCE (LES COMICS CHEZ DUPUIS)


 Première surprise pour le lecteur de passage, il n'y a pas de dialogue ou de didascalie dans Saison de sang. Parfois nous y trouvons quelques mots échangés, mais dans une langue qui n'a rien d'humain et qui nous est donc incompréhensible. Tout ici va se jouer au niveau du dessin, mais encore du storytelling, c'est-à-dire la capacité de présenter une action et agencer un récit uniquement grâce à l'art graphique. Le sens du détail, la mise en couleurs seront alors également de la partie en tant qu'éléments capitaux de cet album. Bonne nouvelle, Matias Bergara est un dessinateur exceptionnel aux influences multiples, de Moebius, la ligne claire, à toute la scène sud-américaine (et même un soupçon de manga), son trait ne ressemble en fait à rien d'autre, tout comme sa capacité à rendre vivant chacune des cases. Son association avec le scénariste Simon Spurrier a déjà donné de petits bijoux par le passé, notamment Coda (même s'ils ne se sont jamais rencontrés dans la vraie vie !), et c'est avec un grand plaisir que nous les retrouvons ensemble pour ce qui représente un défi majeur et audacieux. Au départ, nous découvrons un géant en armure qui se tient au sommet d'une montagne glacée, avec dans sa main une jeune enfant nue qui se réveille. Alors que le géant entame la descente, très vite ils vont être attaqués. La violence graphique va exploser et Bergara va d'emblée débuter son show personnel, fait de paysages merveilleux, de scènes apocalyptiques, de trouvailles permanentes qui changent du tout au tout, d'un chapitre à l'autre, renouvelant l'émerveillement et le sentiment de terre(s) vraiment étrangère(s). La complexité au service de la simplicité, la beauté comme prélude au malaise ? Bergara prévient sur ses intentions : " D'un côté, nous voulions être super clairs et super précis sur tout ce qui se passe dans chaque case et chaque page. D'un autre côté, nous voulions créer un monde très profond et stratifié, chaque case devenant une fenêtre sur un nouveau monde. Une bande dessinée muette est intéressante, et c'est un bel exercice d'innovation narrative, mais nous ne pouvions pas nous contenter de ça. C'est aussi une histoire fantastique, donc nous devions créer et habiter ce monde avec complexité ". Pour ce qui est de la trame en soi, il faut que le lecteur lise les quatre parties de l'album pour assembler les différentes pièces du puzzle, et avoir une vision d'ensemble révélatrice sur ce dont il s'agit vraiment. 


Ce n'est pas non plus un hasard si cette l'histoire se présente dans sa forme originelle avec 4 parties distinctes, qui représentent autant de saisons. C'est qu'il y a dans le récit une idée de cycle, de permanence à travers les générations. La nécessité de toujours aller de l'avant et d'ailleurs l'impossibilité même de faire marche arrière, comme cela est le cas dans l'existence, au sein de Saison de sang, est un des fils conducteurs. Le désir de se retourner conduit à l'apparition de tempêtes de vortex, de pièges qui font que la jeune fille inconnue, qui n'est à aucun moment nommée ou définie, ne peut accomplir ce qu'elle souhaiterait faire. Il lui faut encore et toujours repartir, aller de l'avant. Un des moments les plus chargés en émotion est lorsqu'elle parvient à découvrir ce qui se cache à l'intérieur du géant en armure qui la protège. Une scène qui dès lors place le lecteur sur la voie de la compréhension de ce qu'il est en train de lire concrètement, et qui trouve une conclusion lumineuse et éloquente dans les toutes dernières cases. Simon Spurrier fait ici un très bon travail, avec un matériau assez simple au départ, mais c'est surtout Bergara qui est à féliciter, car en l'absence de texte, il est contraint de renforcer l'impact des émotions, autrement dit de ces petits détails expressifs qui font que chaque personnage doit directement communiquer quelque chose au lecteur. Idem pour les paysages fantasmagoriques qu'il convoque, l'équilibre à trouver entre le spectaculaire, le merveilleux et en même temps le toujours très lisible n'était franchement pas évident. Une difficulté qu'on peut étendre au coloriste Matheus Lopes, qui se démontre également à la hauteur de ce qui est artistiquement un des albums les plus aboutis de l'année, très probablement. On ne peut donc que se réjouir de l'arrivée des comic books (ici en provenance d'Image Comics) chez Dupuis, avec une première sortie qui en appelle d'autres, d'autant plus que le format deluxe devrait séduire un lectorat habitué à lire autre chose que du comics et que le traitement des effets sur la couverture es splendide. Quand le contenant et le contenu s'accordent, il y a des chances pour que ça marche, non ?




BREAKWATER : L'AMITIÉ ET L'HUMANITÉ SELON KATRIONA CHAPMAN


Bienvenue à Brighton, une station balnéaire du sud de l'Angleterre, à l'ambiance cotonneuse. Pour être plus précis, bienvenue au Breakwater, qui est un grand cinéma de quartier en perte de vitesse. Si les lieux furent autrefois somptueux et très fréquentés, c'est loin d'être le cas aujourd'hui. On y retrouve la vie quotidienne de plusieurs employés et tout particulièrement Chris, une quadragénaire assez anonyme et dont la vie sentimentale et amicale est pratiquement au point mort. Elle est chargée un beau jour d'accueillir le petit nouveau, le dénommé Dan(iel). Gay, asiatique, adepte de la fête et toujours disponible et sympathique avec les autres, il ne va pas tarder à trouver sa place au sein de l'établissement et à convaincre Chris de s'ouvrir un peu. L'histoire se concentre aussi sur d'autres personnages qui travaillent dans le cinéma, et notamment un jeune gamin de 16 ans un peu paumé, qui n'a pas trouvé sa place dans le système scolaire et qui a quelques difficultés pour se fondre dans le moule de la vie professionnelle. Tous ces individus effectuent des tâches très routinières mais qui ont au moins l'avantage de ne pas être trop stressantes ou de demander une qualification et une concentration sans faille; en retour il faut parfois gérer l'insatisfaction du public, qui n'hésite pas à être désagréable, ou supporter de petites humiliations au quotidien, comme nettoyer toutes les saletés que laissent les spectateurs désobligeants derrière eux. Et là, je vous sens venir… mais tout ce que nous avons pu lire jusqu'à maintenant, cela peut-il suffire à faire d'un album une grande et belle épopée, ou bien ces portraits d'âmes en peine, esseulées et fragilisées, sont-ils à eux seuls l'essence même de cette bande dessinée au rythme lent et à la longue envoûtant ? La réponse est oui et non à la fois, mais clairement il faut bien comprendre qu'ici aucun effet spécial ne viendra interrompre votre lecture, qui ressemble à une expérience humaine aussi banale que poignante. C'est ce qui en fait le charme.




Katriona Chapman, l'artiste qui écrit et dessine ce roman graphique (le second de sa carrière) ne verse pas dans l'autobiographie; toutefois elle part d'éléments de sa propre existence. Par exemple, elle a véritablement accompli la tâche qui est celle des personnages de ce livre, durant une phase de sa jeunesse. C'est un récit humain et touchant donc, qui explore également les conséquences de la maladie psychique. Sans rien vous révéler sur la seconde partie du récit, disons qu'il y est question aussi des troubles de l'esprit, des conséquences que cela peut avoir sur l'individu qui en souffre, mais aussi sur ses proches, qui décident de l'aider. Jusqu'où convient-il de prêter main forte à qui est dans cette situation, et à partir de quand est-il préférable de couper les ponts pour se protéger soi-même ? C'est Dan lui-même qui évoque à un moment donné l'idée de s'éloigner des personnes toxiques. Il est donc question de ça ici, aussi, l'amitié, se trouver, se fréquenter, rendre la vie de l'un plus belle grâce à la présence de l'autre, mais aussi savoir fixer des limites et comprendre quand une relation devient parasitaire. Les petits portraits s'empilent et se croisent, se connectent pour faire de ce Breakwater une tapisserie sensible et sans artifice illustrée avec un trait charbonneux et mélancolique. L'ensemble est en effet réalisé en noir et blanc, et quitte assez peu le décor du cinéma, et ses coulisses, dont une grande partie abandonnée et qui recèle pourtant bien du potentiel. Comme si les lieux eux mêmes ne pouvaient pas correspondre pleinement aux attentes d'un monde moderne et compétitif, auquel se heurtent également les acteurs de cette chronique délicate. Katriona Chapman livre là un exemple remarquable de ce que peut être un regard transcendant, c'est à dire qui efface momentanément la grisaille et la routine du quotidien, pour aller saisir derrière ce qui se joue, et l'illumine. Sans pour autant le métamorphoser, ou prendre le chemin des rêves, juste le révéler, mieux le comprendre, pour l'accepter. Anatomie de l'humain, avec pudeur et clairvoyance. Disponible dès maintenant chez Futuropolis. 




Notre numéro de juin, 84 pages, gratuit :

BATMAN CHRONICLES 1987 VOLUME 1 : LA NOUVELLE COLLECTION URBAN COMICS


 La nouvelle collection Batman Chronicles pourrait être vaguement rapprochée de ce que propose Panini avec ses intégrales; mais ici il s'agit d'un album à la pagination encore plus conséquente et présenté doté une couverture souple, ce qui le rend particulièrement maniable. De plus, si les épisodes de Batman sont édités dans leur ordre chronologique à partir de 1987, ils sont aussi espacés par des articles critiques, des éditoriaux ou tout simplement la traduction de la page du courrier des lecteurs des albums Vo, et c'est un plus indéniable pour le lecteur curieux. Le choix de l'année de départ pour ce projet n'est pas innocent; nous sommes en effet au lendemain du grand crossover Crisis On Infinite Earths qui change la donne pour l'univers DC, et c'est aussi l'époque où des scénaristes au talent fou sont en train de révolutionner la manière même de faire des comics, à commencer par Alan Moore et ses Watchmen. Le génial scénariste irascible livre d'ailleurs une vingtaine de pages dans un annual présent dans ce premier tome (une triste et touchante histoire d'amour avec le troisième Gueule d'Argile du nom). Quand je parle de révolutionner la manière de faire des comics, Batman n'échappe pas à ce procédé. Ainsi nous trouvons dans ces Chronicles la saga en quatre parties Batman Year One de Frank Miller et David Mazzucchelli, qui s'ouvre fort justement par l'arrivée de deux personnages fondamentaux à Gotham, le commissaire Gordon, qui vient d'être muté et va devoir apprendre à composer avec la faune interlope locale et la corruption de la police, mais aussi Bruce Wayne, dont les parents ont été assassinés lorsqu'il était jeune et qui s'est absenté pendant de nombreuses années, le temps de se former à l'étranger pour fomenter sa lutte contre le crime à venir. Est-il bien utile de revenir sur cette histoire que vous devez tous probablement connaître, et qui redéfinit les premiers pas d'un héros ici présenté comme quelqu'un d'inexpérimenté et d'imprudent, mais qui peu à peu commence à s'adapter à sa croisade, d'autant plus qu'il trouve en Gordon un allié précieux pour le seconder et l'aiguiller ? BYO est magistralement orchestré par deux artistes au talent conséquent et dont le style tranche un peu par rapport au reste de notre album. Il suffit par exemple de comparer avec les deux premiers épisodes qui précèdent qui sont eux l'occasion de plonger dans une ambiance bien plus vintage.



Max Allan Collins, Jim Starlin et Dennys Cowan racontent l'histoire d'un individu à la psyché perturbée, un ancien flic aux méthodes expéditives dont la famille a été assassinée. Un geste tragique qui le pousse à vouloir rendre justice à sa manière sous le costume de Batman, une version ultra-violente et déviante du héros, assumée par un psychotique qui finit par douter même de son identité, et se prendre pour l'original. Un récit en deux parties, pathétique et poignant. Les autres épisodes de la série Batman présents dans ce premier volume permettent de se familiariser avec un petit loubard qui traîne dans Crime Alley et qui est orphelin. Jason Todd est appelé à devenir le nouveau Robin, malgré la promesse qu'avait fait le Dark Knight de ne plus être épaulé par un gamin dans ses enquêtes. Jason n'a rien du Robin traditionnel; son éducation est à faire et sa première rencontre avec le super-héros qui va le prendre sous son aile se déroule lorsqu'il essaie de lui voler les pneus de sa Batmobile, pensez donc ! Les deux compères vont vite devenir un duo dynamique notamment quand il va s'agir d'affronter Harvey Dent -alias double face- qui est aussi le responsable de la mort du père de Jason. De grands noms se relaient pour illustrer ces aventures; citons entre autres Dave Cockrum, que tous les fans des X-Men connaissent par cœur, ou encore Chris Warner et Jim Aparo. Cerise sur le gâteau, un épisode complètement barré où le petit Jason intègre une école dirigée par une vieille dame d'âge respectable, mais dont les mœurs le sont beaucoup moins. Sous l'apparente placidité d'une directrice d'école alternative et indépendante, elle enseigne la criminalité à tous ceux qui tombent sous sa coupe. Il y a souvent des touches d'humour dans ces épisodes, et Batman lui-même commente certaines de ses mésaventures avec un bon mot. Même si les récits sont un peu datés et la mise en couleurs trahie son époque, le dessin lui reste très souvent de haute facture et globalement on passe un excellent moment de lecture. En complément, il est possible de retrouver le graphic novel Son of the Demon qui nous relate la relation entre Bruce Wayne et Talia Al G'hul, qui va donner naissance au petit Damian, dont nous connaissons aujourd'hui très bien les aventures. Je passe beaucoup plus vite sur cette histoire réalisée par Mike Barr et Jerry Bingham, car nous l'avons déjà abordée à plusieurs reprises au travers des différentes éditions qu'Urban Comics nous a proposés. C'est là aussi un récit très important et réussi, qui fait partie de ces histoires que tout fan du personnage se doit absolument de connaître et de posséder. De bons débuts donc pour ces Batman Chronicles, qui à défaut de présenter uniquement de l'inédit ou de l'inattendu pose les premiers jalons d'une collection qui devrait en ravir plus d'un.




THE BOYS SAISON 3 : TOUS LES COUPS SONT PERMIS


 S'agissant de la troisième saison (déjà !) pour la série The Boys, il convient de résumer un peu les événements, avant de s'y jeter. Les bases sont donc les suivantes: Annie/Starlight (Erin Moriarty) a été de nouveau acceptée en tant que membre des Sept, après avoir été qualifiée de traître pour s'être heurtée au Homelander (Antony Starr). Elle avait révélé que Stormfront (Aya Cash) était en réalité une nazie; l'image publique du Homelander a été ternie par son implication sentimentale avec Stormfront, qui au passage a connu une fin effrayante (elle n'est pas vraiment morte, mais brûlée vive et mutilée à jamais); The Deep (Chase Crawford) a échappé à la secte qu'il avait rejoint pour regagner la faveur des Sept, après des allégations d'agression sexuelle (notamment une fellation forcée avec Starlight); et Billy Butcher (Karl Urban) vient de pleurer la mort accidentelle de Becca (Shantel VanSanten) atomisée par le regard calorifique de son fils Ryan (Cameron Corvetti), lui aussi doté de pouvoirs. La troisième saison commence alors avec Butcher, Hughie (Jack Quaid), Frenchie (Tomer Capone), M.M. (Laz Alonso) et Kimiko (Karen Fukuhara), que nous retrouvons près d'un an après la fin du cliffhanger de la saison 2. Nous plongeons d'emblée dans un monde saturé de films de super-héros (tiens donc…) qui rejouent des événements tirés de la vie "réelle" mais d'une manière qui correspond à la doctrine gouvernementale et économique de Vought, la grande multinationale à la base du phénomène des super-héros de The Boys. La côte de popularité du Homelander tire la tronche, et Starlight, au contraire, est la petite chouchou du public, puisqu'elle est la seule à conserver de cette candeur, cette fraîcheur, qui chez les autres est devenue du cynisme à l'état pur. L'élément qui relance très vite les débats est en fait une double piste narrative fascinante; D'un côté Butcher entre en possession d'un dérivé du composant V qui permet à Vought de fabriquer des "soldats à super pouvoirs". Cette version dote qui se l'injecte de dons provisoires, et elle n'est pas sans risque mortel, cela va de soi. De l'autre, le pauvre Hughie réalise qu'il n'est pas au service d'une agence chargé de réguler l'activité des super, mais que sa propre directrice est elle aussi une personne capable de faire exploser ses antagonistes à distance, et qu'elle a des liens affectifs voire familiaux avec le grand patron de Vought. Bref, Butcher avait raison , Faut-il nécessairement employer les grands moyens, et faire fi de toute morale, pour lutter contre l'hypocrisie et le fascisme latent qui guettent ? 




Les deux grandes idées sur lesquelles prend son envol cette 3e saison sont présentes depuis le début de la série; d'un côté il y a le parcours personnel de celui qui est un des personnages clés, c'est-à-dire le Homelander. Créature artificielle exploitée tout au long de sa vie, peut-on vraiment lui en vouloir s'il a développé ce caractère si particulier, cette personnalité aussi discutable que très souvent repoussante ? La vie n'a pas été tendre non plus avec celui qui n'a jamais connu les affects d'une famille et le véritable respect des autres, qui ne voient en lui qu'un sauveur, un cobaye, quelqu'un a exploiter, un produit marketing, sans oublier bien sûr ceux qui en ont peur. L'évolution qui le concerne, dans cette troisième saison, est donc particulièrement bien vue et intéressante. L'autre point, c'est cette espèce de complotisme généralisé qui est vraiment l'essence de The Boys. Le gouvernement ment au peuple, les multinationales ont pris le pouvoir, les agences gouvernementales font leur petite cuisine et même la brigade formée par Butcher doit composer avec les petits mensonges et les coups de sang de leur chef, mais aussi des autres membres respectifs. Hughie, jusqu'ici, avait toujours été l'élément un peu naïf pris dans la tempête, mais cette saison 3 fait également évoluer les choses sur ce point, puisque peu à peu il se rend compte que son angélisme naturel n'est probablement pas adapté à une situation qui le dépasse largement. Le tout est comme d'habitude encadré par des scènes choquantes, drôles, impensables ailleurs, que ce soit des luttes et des performances scatologiques, ou la représentation d'un sexe géant dès le premier épisode. Quand une tête explose ou qu'elle est coupée et séparée du tronc, c'est toujours représenté en gros plan, avec forces détails, et rien n'est éludé. C'est ce qui fait la beauté de The Boys, l'impression qu'on peut aller au bout des choses, qu'il n'y a pas de limite et que le délire ne sera pas censuré. Comme le discours de fond reste particulièrement bien étayé et argumenté, et que chaque personnage est approfondi correctement, il est clair que la série reste très recommandable, pour ne pas dire indispensable. Une excellente transposition sur petit écran, qui n'a pas à rougir par rapport au comic book de départ, de Garth Ennis. Ce n'est pas si courant, finalement. 



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FATHOM : DANS LES PROFONDEURS DE L'OEUVRE DE MICHAEL TURNER


 Pour comprendre le succès et l'importance de Fathom, dont Delcourt propose l'intégrale en ce joli printemps, il suffit de laisser la parole à Geoff Johns, pour débuter. "Quand Fathom est sorti, j'ai été immédiatement captivé par le monde que Mike avait créé. Sa mythologie était aussi profonde que celle que l'on retrouve dans des œuvres comme Le Seigneur des Anneaux ou Star Wars. Il y avait une complexité dans Fathom que peu de comics possèdent…". Du reste, il s'agit là de l'une des bandes dessinées américaines les plus emblématiques des années 1990 et le meilleur travail du regretté Michael Turner, selon la plupart des critiques. L'héroïne de cette histoire est splendide et inoubliable.  Aspen est une jeune femme qui au départ ne se souvient de rien de son passé, mais elle découvre qu'elle a des pouvoirs liés à l'eau, à la suite d'un accident survenu dans une base sous-marine. A partir de ce moment, sa vie bascule : elle comprend qu'elle est issue d'une lignée d'êtres marins et qu'elle peut même exercer un pouvoir sur l'eau ; Aspen peut en décomposer les molécules et les transformer en armes et elle peut même se transformer elle-même en eau. Son passé est auréolé de mystère : dans les années 1980, un bateau de croisière, le Paradise, a mystérieusement disparu puis est réapparu surgissant de nulle part dix ans plus tard, avec à son bord la petite Aspen qui, au moment de sa disparition ne s'y trouvait tout simplement pas. Une fois adulte, en possession d'un doctorat de recherche, et après avoir participé aux Jeux-Olympiques (sa passion pour l'eau est dévorante), elle découvrira que se cachent dans les profondeurs de l'océan certaines races comme le peuple des Bleus, dominé par Killian et celui des Ténébreux, véritables dieux qui vivent dans des profondeurs inaccessibles aux humains. Toute cette histoire est présentée en variant les angles de vue, les narrateurs, et d'ailleurs les didascalies sont toutes caractérisées par un code couleur et une police de caractère propre à isoler et expliciter de quel personnage il s'agit, avant même qu'il soit nécessaire de lire le texte. C'est bien entendu le dessin qui attire l'œil d'emblée, avec non seulement les silhouettes très féminines (voire érotisées) de Turner, mais aussi cette impression de vastitude liquide, de sérénité marine, qui traverse l'intégralité de Fathom, avec le remarquable apport de J.D. Smith et Peter Steigerwald, qui transcende de nombreuses pages. 


Alors oui, le personnage d'Aspen incarne le stéréotype féminin en vogue dans les années 1990 : longiligne, visage magnifique, de grands yeux et des lèvres charnues, bref un modèle également utilisé par J. Scott Campbell ou encore toute l'armada des dessinateurs Image Comics. Parfois certaines poses laissent penser que la longueur de ses jambes correspond à deux fois le reste du corps, ou encore appartiennent au répertoire du contorsionniste le plus doué. Les personnages masculins ne sont pas en reste. Que ce soit Killian, ou le pilote Chance (et son frère), la testostérone abonde, la mâchoire est saillante et bien carrée, les muscles aussi nombreux que parfois improbables, avec une force et une virilité ultra développées. Le ton global du récit est initialement tragique et grandiloquent. Derrière des intentions écologistes et un discours de défense de l'environnement qui dénonce l'incurie des hommes, sa cache rien de moins que la fin du monde, des scènes apocalyptiques où toute vie menace de disparaître, où les océans pourraient bien se vider (!) ou l'eau des lacs et des mers forment des bulles géantes en lévitation au dessus de leurs surfaces, provoquant tsunamis et autres phénomènes catastrophiques. Après ce premier arc narratif bien sérieux et sombre, Turner a voulu adoucir un peu les choses en nous présentant le personnage de Baha, une sorte d'Achab qui implique Aspen dans sa chasse folle à un mastodonte des océans nommé Big Moe. Et là aussi, Turner se surpasse au dessin, notamment dans la représentation du vaisseau de Baha, le Spelunker, très fouillée et systématiquement offerte au lecteur sous de nouveaux angles de vue. Voilà qui s'appelle ne pas s'épargner ! Bien que Fathom ait été initialement publiée par Top Cow Productions, la série a été rapatriée par Turner lui-même chez son nouveau label indépendant, Aspen MLT Inc. Une décision qui a déclenché bien des controverses avec le label fondé par Marc Silvestri pour les droits du titre, et ceci alors que Michael Turner devait commencer à lutter contre une terrible maladie qui allait l'emporter très prématurément, en 2008. La certitude, en relisant les pages de Fathom, et très prochainement (nous en reparlerons très vite) celles de Soulfire, est que nous avons perdu là un artiste d'exception, qui avait encore tant à raconter et illustrer. Pour terminer signalons l'existence d'un crossover, dans lequel Aspen rencontre Witchblade et Lara Croft. Vous ne verrez pas celles-ci dans cette Intégrale, toujours pour ces questions épineuses de droits. Frustration quand tu nous tiens. 






LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : SPIROU L'ESPOIR MALGRÉ TOUT


 Dans le 129e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente la quatrième et dernière partie de L’espoir malgré tout, album que l’on doit à Émile Bravo, édité chez Dupuis. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Les reflets du monde — En lutte de Fabien Toulmé, un titre édité chez Delcourt dans la collection Encrages

– La sortie de l’album Les fleurs de la guérilla que l’on doit à Lorenzo pour le scénario, Léo Trinidad pour le dessin et aux éditions Les Arènes BD

– La sortie de l’album Soixante printemps en hiver que l’on doit au scénario d’Ingrid Chabbert pour le scénario, Aimée de Jongh pour le dessin et aux éditions Dupuis dans la collection Aire libre

– La sortie de l’album Automne en baie de somme que l’on doit à Philippe Pelaez pour le scénario, Alexis Chabert pour le dessin et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de l’album Djemnah les ombres corses que l’on doit à Philippe Donadille pour le scénario, Patrice Réglat-Vizzanova pour le dessin et c’est édité chez Delcourt

– La réédition de l’album Trompe la mort que l’on doit à Alexandre Clerisse et aux éditions Dargaud








 

 

JUDGE DREDD LES AFFAIRES CLASSÉES : TOME 7 CHEZ DELIRIUM


À chaque fois que j'ai l'occasion de discuter avec un lecteur de bande dessinée qui ne s'intéresse absolument pas au Judge Dredd,  l'excuse est plus ou moins la même : il s'agit selon lui d'un comic book violent avec pour protagoniste un personnage pseudo fasciste qui impose sa loi par la force; bref, le Punisher avec une moto et un insigne. Sauf que cette définition sommaire passe complètement à côté de son sujet, c'est-à-dire qu'elle ignore la drôlerie, le sarcasme, le commentaire politique et social qui sont présents
 dans la très grande majorité des aventures du juge. Si vous ne me croyez pas, vous pouvez toujours faire un tour chez Delirium, qui propose dans la collection Les affaires classées tous ces récits qui ont fait les grandes heures du magazine anglais 2000 AD. Nous en sommes au tome 7 qui couvre les numéros 271 à 321, c'est-à-dire les années 2104 et 2105, si nous nous en tenons à la chronologie inhérente à l'histoire. Et c'est une période particulièrement dramatique, puisque la Guerre de l'Apocalypse vient de se terminer. Du répit certes, mais quel est le nombre des victimes et l'étendue des dégâts, alors que la ville de Mega-City One est un chantier incroyable; tout est à reconstruire ou à refaire. Dès les premières histoires; nous avons droit à des tranches de vie savoureuses, comme par exemple le terrible Leglock, un robot catcheur qui assoit son autorité à travers la violence et l'art si particulier qu'il pratique. La ville est aussi l'objet d'une attaque singulière, celle de la Ligue des Fatties, qui veulent imposer la loi du plus gras. Les denrées alimentaires manquent, comme tout le reste d'ailleurs, et évidemment les plus obèses exigent plus de nourriture pour conserver leur bel aspect dodu bien gras. Une ode à l'égoïsme et l'individualisme qui frappe juste et qui nous fait bien rire. C'est ensuite l'apparition d'un mystérieux champignon vénéneux et radioactif, dont les spores provoquent d'horrible éruptions cutanées, puis la mort. Fongus, tel est le nom de ce fléau qui commence à se répandre un peu par hasard. La résolution de cette histoire passe par une morale fréquente dans Judge Dredd : pour le bien de la communauté tout est possible, y compris ce qui à nos yeux d'occidentaux bien élevés est considéré comme totalement amoral. La critique de la société des médias n'est pas épargnée, avec un animateur de jeux télévisés un peu raté, qui pour se venger de ses déboires enlève puis torture ses collègues, en les faisant participer au Jeu des jeux, truffé d'épreuves meurtrières. Et que dire de la nouvelle campagne publicitaire pour les produits Dégueu, qui parvient à convaincre la population de se nourrir de soupe de bactéries, de rondelles de serpent, bref du pire des déchets alimentaires ? John Wagner et Alan Grant ne connaissent pas de limite, leur imagination débridée fait feu de tout bois et c'est non seulement intelligent, mais je le répète, éminemment drôle !




Bien entendu, il n'est pas possible non plus de résumer Judge Dredd à une poilade permanente, la version comics des programmes de Rires et Chansons. Le titre est aussi une excellente incursion dans la science fiction et le commentaire social et politique d'anticipation, dans un futur pas si lointain où l'ordre et la justice ont été poussés à leur paroxysme, dans une mégapole où la moindre infraction est immédiatement sanctionnée par un corps des Juges implacable, emmené par son représentant le plus zélé, qui ne prend jamais de repos, et n'accorde ou ne s'accorde pas le moindre passe-droit. La loi c'est lui, la loi c'est la loi. S'il faut tirer dans le tas pour la faire respecter, le lawgiver est l'arme adaptée. Elle dispense la loi tout autant que la mort, la sanction est le pivot sur lequel repose le respect et l'obéissance des masses. L'histoire se déroule en "temps réel" ou tout du moins adopte une chronologie cohérente, ce qui explique par exemple les conséquences de la Guerre de l'Apocalypse, ou le retour d'anciens ennemis qui se liguent contre Dredd, comme Fink Angel et son frère Mean Machine (avec ce cadran numéroté de 1 à 4 sur le front, qui lui permet de régler le degré de violence qu'il s'apprête à commettre), manipulés par l'Enfant-Juge, depuis la planète Xanadu où il est en exil. C'est ce qui explique aussi la présence d'un juge de la grande cité rivale de East-Meg One, qui ignore l'issue défavorable pour son camp de la grande guerre qui s'est achevée, et s'octroie un baroud d'honneur pathétique et pétillant avant de rencontrer Dredd. On retrouve aussi d'autres personnages récurrents, comme cet aréopage de criminels qui se réunit une fois par mois, pour trouver le meilleur mois de commettre toute sorte de délits et de se débarrasser des Juges. En vain, ça va de soi. Les dessins de ces épisodes sont réalisés en grande partie par Carlos Ezquerra, créateur du personnage, dont le trait presque caricatural donne une patine indie encore plus poussée à la série, qui contraste avec les planches plus réalistes et en phase avec les comics de super-héros traditionnels que peut produire Ron Smith (ses "presque" splash pages sont superbes et ont un vrai impact visuel). Steve Dillon est aussi l'auteur de quelques pages, où il est question du sauvage Hagg le Trappeur, et son travail également est d'excellente facture. Un tome sept riche et qui n'ennuie pas un seul instant, et reste accessible de manière indépendante, même au lecteur encore vierge de la moindre incursion à Mega-City One. C'est réjouissant, intelligent, et ça fait partie du patrimoine culturel anglais, du haut du panier de ces dernières décennies. Grok alors, c'est disponible dès maintenant !




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INVASION COMICS sur vos écrans
Sommaire :
* #DoctorStrange in the multiverse of madness, analyse du film
* Les séries mal aimées. Chiche, on reparle de #BlackLightning #ThePunisher #Watchmen et #DoomPatrol
* Tout sur les droits #Marvel au cinéma avec #AlexandreChierchia. Un long dossier foisonnant.
* Interview MCU au Play Azur Festival de Nice. On parle comics et Marvel avec #AlessandroCappuccio #FrancescoManna et #LucaMaresca
* Le cahier critique, les meilleures sorties VF du mois de juin avec des titres publiés par Panini Comics France Éditions Delcourt 404 Comics Editions Anspach Urban Comics Delirium It Comics France
* 5 minutes deux fois par jour, preview d'un magnifique album à sortir chez Shockdom France *
* Le podcast #LeBulleur nous présente le meilleur de la #BD On part faire un tour chez Dargaud Éditions Glénat BD Les Arènes BD ou encore Grand Angle
* Portfolio, à la découverte de #PhounSat artiste venu d'Alsace, un habitué et un ami de notre Mag'
* Preview vo avec #Batman one bad day : #TheRiddler
* La petite sélection des sorties Vf de juin
Cover de Final Girl Edit, allez voir ça sur Instagram, c'est vraiment chouette!
Un merci particulier à Mighty #BenjaminCarret l'homme au travail derrière le graphisme des covers.
Et un merci sincère à vous tous qui nous suivez depuis DEUX ANS ! ! ! Pour que dure l'aventure, on compte sur vous. Il vousn suffit juste de ... partager. Sur FB, les réseaux sociaux, dans vos groupes, ne vous gênez surtout pas.
N'hésitez pas à nous laisser un petit retour en commentaire.
Ce numéro est tout entier rédigé avec une pensée pour l'immense #GeorgePerez.

LA NUIT DES LANTERNES CHEZ DELCOURT : LE DEUIL, LA COLÈRE, L'HORREUR

 Le personnage principal de cet album signé Jean-Étienne s'appelle Eloane. C'est une jeune femme qui retourne dans la maison familia...