
Azzarello et Risso ont décidé de revisiter l’Ouest sauvage, les amateurs de westerns musclés et de fresques crépusculaires peuvent se frotter les mains. En fait, La ballade des frères Blood n’est pas seulement un western, c'est aussi une version moderne agrémentée de sauce 100 Bullets : brutal, ironique, tendu comme un ressort, avec ce parfum d’inéluctable et de sauvagerie qui plane sur chaque case. L’association n’est pas surprenante : après avoir décortiqué la violence urbaine sur cent numéros (et raflé au passage une moisson d’Eisner et de Harvey Awards), le duo s’attaque à la mythologie américaine la plus primitive, celle où l’homme à cheval asservit la nature vierge à ses désirs et le désert devient son royaume. Dès les premières pages, le décor est planté : Carter Cain, hors-la-loi sorti des geôles mexicaines avec la subtilité d’un taureau dans un magasin de porcelaine, règle ses comptes à coups de colt. Résultat : trois gamins se retrouvent orphelins de beau-père et embarqués dans une odyssée vengeresse, tandis que leur mère (Anna) est enlevée par un groupe de pistoleros, dont l'un semble le vrai géniteur des gamins. Daniel, l’aîné, joue les narrateurs malgré lui, tandis que ses deux frères (Simon et le surnommé “Jack Rabbit”) oscillent entre innocence enfantine et plongée brutale dans un monde où les ballent vont plus vite que la morale. Risso, qui troque ici le trait nerveux et tout en contraste brutal de 100 Bullets pour adopter une technique mêlant crayon et lavis, impressionne d'un bout à l'autre. Les couchers de soleil rougis rappellent autant les cartes postales du Far West que les carnages qu’ils éclairent. Le moindre plan large respire le désert, mais derrière la beauté du paysage affleure constamment la violence : ce même contraste que Sergio Leone a porté au cinéma, et qui trouve ici une transposition remarquable sur chacune des pages. La splendeur des étendues se mêle au sang qui éclabousse et le décor contribue tout autant que l'histoire à faire de cet album une réussite indiscutable.

Azzarello, fidèle à lui-même, économise les mots comme on économiserait les balles : chaque réplique fait mouche, chaque silence laisse à Risso le soin de déployer son imagerie hantée. Le récit n’épargne rien : trahisons, règlements de comptes, visions presque bibliques d’une famille maudite. Même les passages les plus dérangeants (le sang, mais aussi le sexe, encore que ça pouvait être pire, bien pire) rappellent que le western n’a jamais été un terrain pour les âmes sensibles, un imaginaire qui hésite sans cesse entre tragédie antique et expérience viriliste. Au fil des épisodes, l’histoire gagne en intensité. Les gamins croisent Chouette Enragée, une indienne hors-la-loi qui reflète leur propre perte, et l’ombre d’Anna, leur mère, se fait plus complexe à mesure que son lien avec Cain, son ravisseur, est dévoilé au lecteur. Vous vous attendiez à une quête familiale et un happy end larmoyant dans les jupons de la maman, vous allez être sacrément déçus, ou immensément ravis, c'est selon. Les choix moraux deviennent des impasses sanglantes, et chaque décision semble creuser un peu plus la tombe des protagonistes. De tout le monde, sans exception. Bref, cette Ballade réussit ce que peu de westerns en BD osent : manier le cliché pour mieux le dynamiter, puiser dans l’imaginaire du western spaghetti, pour en donner une interprétation moderne et mature. Les quatre épisodes se lisent d'une traite, vous prennent par le col et ne vous lâchent jamais, malgré quelques instants où une certaine confusion peut régner au milieu de ces visages burinés par le soleil qui tape dur . On en sort secoué, heurté, fasciné. Un des lectures majeures de l'année 2025, dans les librairies françaises.

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