
Est-il possible de prévenir l’avenir ? Peut-on vraiment savoir ce qui va se passer, et ainsi empêcher – ou au contraire favoriser – les grandes catastrophes qui bouleversent les civilisations ? C’est la question que se posent Les Enfants de Seth, une sorte de secte capable d’établir les thèmes astraux de certaines dates précises pour en tirer des enseignements sur le futur. Dans le troisième volume de Civilisations, une trilogie où l’astrologie se mêle à l’histoire antique, nous voilà projetés au IIIe siècle de notre ère, à une époque où l’Empire romain commence à se désagréger : lassitude, mauvais choix stratégiques, expansion démesurée devenue incontrôlable, perte de foi envers les dieux traditionnels au profit de la nouvelle religion catholique, sans oublier la menace des barbares aux frontières. Un menu qui n'augure rien de bon. Dans ce contexte peu idyllique, les empereurs se succèdent à un rythme effréné, et meurent souvent dans des conditions absurdes : ici, une rébellion de légionnaires lassés de jouer les maçons alors qu’ils s’étaient enrôlés pour guerroyer ; là, une mort foudroyante (littéralement parlant) interprétée à l’époque comme la manifestation de la volonté de Jupiter. C’est dans ce monde crépusculaire que ces Enfants de Seth tentent de sauver ce qui peut encore l’être. Leur pari ? Miser sur un simple soldat, Dioclès d'Illyrie, en qui ils perçoivent une figure exceptionnelle : dévouement, force et courage sont ses seules armes face à ce qui ressemble déjà à une fin de règne écrite 129 ans d’avance. Dit ainsi, et vu avec les codes du XXIe siècle, on pourrait s’attendre à un récit complotiste du type « je vous l’avais bien dit, tout était orchestré dans l’ombre ». Mais France Richemond va beaucoup plus loin. Son propos dépasse ce simple artifice narratif pour livrer une véritable leçon d’histoire, foisonnante certes, mais nourrie d’un ésotérisme puissant qui enrichit le récit, le complète, l’absorbe, bref : le rend encore plus captivant.

Bien sûr, nous savons que certains d’entre vous achètent une bande dessinée avant tout pour son dessin. Et vous serez ici comblés. Le travail de Federico Ferniani est d’une qualité remarquable : chaque planche est d’une minutie exemplaire, chaque vignette, chaque décor, chaque arrière-plan respire la volonté de ne rien laisser au hasard. Les expressions des personnages sont parfaitement réussies, et les figures féminines se distinguent par une grâce particulière, notamment Aula, une sorte de médium dont les dons exceptionnels lui permettent de se glisser incognito parmi les plus puissants et d’influencer le destin selon ses desseins. La mise en couleur d’Axel Gonzalbo magnifie l’ensemble : intime et subtile dans les scènes en intérieur, ample et majestueuse dans les panoramas d’architecture romaine, qu’il s’agisse de l’Empire d’Occident ou d’Orient. Seul petit bémol qu'il serait possible d'apporter, cette vision très négative de la décadence de l'empire, qui se meurt dans des orgies, des révolutions de palais, de la violence qu'on devine parfois un peu gratuite. On placera ça sur le compte de la nécessité de muscler l'entrejeu pour saisir le lecteur au collet et lui donner envie de tout lire d'une traite, sans respirer. Après Crète et l'Egypte, ce dernier volume consacré à Rome est probablement un épouvantail pour les professeurs d'histoire qui traquent les incohérences ou les outrances au nom de la vérité (que par ailleurs nous ne connaissons qu'à travers le prisme d'observateurs qui se contredisent, souvent). Je ne leur en veux pas, j'ai cette manie, moi aussi. Mais ce n'est pas le propos ici, pas tout le propos. Et l'album est si beau, si riche, que s'en passer pour cette raison serait quand même une bien mauvaise idée.

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