PUNISHER CERCLE DE SANG / LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE MALTEMPO


 Double dose aujourd'hui, avec la réédition d'un clasique du Punisher dans la collection Must Have de Panini et le podcast BD de référence, celui du Bulleur. On commence avec Frank Castle :

Le meilleur moyen de tester le potentiel d’un personnage, avant de se lancer dans un mensuel on going  déficitaire, c’est de lui consacrer une mini série, le temps de prendre le pouls du lectorat. En ce sens, Cercle de sang, le premier vrai récit du Punisher lancé en janvier 1986, est particulièrement réussi. Prévu initialement en quatre parties, il est in extrémis prolongé à cinq, devant l’ampleur du succès et la nécessité de donner au scénariste l’espace vital minimum pour développer tout son scénario. Annoncé en couverture comme one of four dès le premier volet, le cinquième numéro est lui gratifié d’un five of five de dernière minute. Ce premier jet sera à la base du succès monstre du personnage, que l’ère des temps et une certaine radicalisation diffuse de la violence avaient fini par rendre inéluctable. Frank Castle y fait des premiers pas en solo pas toujours très bien affirmés ou définis, mais qui le porteront très loin. On le retrouve dès la première planche prisonnier du quartier de haute sécurité de Ryker’s Island, mais pas du tout intimidé. Pour lui, la prison, c’est pratiquement un gymnase idéal pour s’entrainer au détriment des pauvres codétenus qui ont la malchance de croiser son regard. Tous les autres malfrats ont pour le coup l’impression d’être piégés, enfermés avec ce justicier implacable, qui désire transformer son compagnon de cellule en animal domestique et obéissant, dès la première nuit ! Parmi les autres détenus, nous trouvons toute une ribambelle de pourris de premier ordre, des matons corrompus, et même le célèbre Puzzle ou Mosaïque selon la traduction du moment, Jigsaw en Vo. Ce dernier a eu le visage horriblement mutilé en passant à travers une verrière, suite à un affrontement avec Castle. Il règne en petit despote sur une partie de la prison de Ryker’s mais va bien vite déchanter ! Autre pointure en détention, la caricature mafieuse Carlo Cervello (dit le Cerveau, c’est très original tout ça) et son sicaire dévoué du nom de Grégario. Prévoyant de s’évader bien vite de l’enfer carcéral, ils impliquent le Punisher dans le projet, pour mieux le poignarder dans le dos. Mais tout ce plan finit par tomber à l’eau, et la mutinerie terminée, notre héros se retrouve dans le bureau du directeur, non pas pour y subir une peine atroce et attendue, mais pour apprendre l’existence de la Trust, une association de citoyens dits responsables, qui désirent nettoyer la société de la lie qui la ronge. Pour venir à bout de ces parasites, il faut donc pactiser avec le diable, et Castle semble être l’homme de la situation pour ces ronds de cuir machiavéliques, qui lui rendent la liberté dans le but d’en faire un de leurs pions. Ce qui sera vite impossible, lorsque notre justicier se rendra compte que les méthodes employées mettent en grand péril la vie de tas d’innocents, et s’émancipent de toutes valeurs morales. Le Punisher massacre à tour de bras, mais rien ne peut lui ôter son éthique professionnelle…



A l’époque, le Punisher n’a pas encore de définition caractérielle définitive. On le voit par exemple tomber bêtement dans les filets d’une belle asiatique qui l’enjôle avec ses caresses  (et plus…) et le conforte dans son choix de bosser pour la Trust. Comment Castle a-t-il pu être aveugle à ce point, et ne pas flairer le danger, se dira l’habitué des sagas de Garth Ennis ? Idem quand il règle ses combats à mains nues, en poussant un cri de ninja ou de karatéka, là où aujourd’hui il enfoncerait certainement un bon coup de genoux dans les parties intimes ou la mâchoire. Coté crayonnés aussi, notre Punisher 1986 a encore de la marge. Mike Zeck en fait un justicier d’âge mur et qui laisse trop transparaître ses émotions violentes ( la surprise, la consternation… ) à la limite de la caricature. Certes, il n'a pas son pareil pour le faire bondir, s'enfuir, vibrer, tel un animal sauvage dans une jungle de béton. Et quelle maestria dans le jeu des ombres, sur les corps. Le scénario de Steven Grant tient globalement bien la route et il fait abstraction des origines du personnage ; seuls quelques renvois dans les pensées intimes nous ramènent au Viêt-Nam, mais le novice en la matière n’en apprendra guère sur le passé du Punisher. Par contre, il a l’intelligence de doter Castle d’une certaine logique destructive, en le poussant à monter les gangs les uns contre les autres et à développer ce concept d’organisation, de respect du chef qui fédère, et donc d’une élimination systémique et presque mathématique du problème mafieux. Cotés dialogues et couleurs, il faudra bien entendu tenir compte de l’époque, pour comprendre et justifier certaines naïvetés lexicales, une certaine logorrhée ampoulée et des tons empruntés aux trips sous Lsd. Mais à une époque où le Punisher est entré par la grande porte dans la plupart des bédéthèques qui se respectent, avant d'être remisé au placard par les pontes de Marvel, dans un grand acte de lâcheté éditoriale, il faut savoir apprécier. Sans être indispensable si on est peu attiré par le Punisher, voilà un volume Must Have qui saura en séduire plus d’un parmi les amateurs de gros flingues et de lutte mafieuse, ou simplement de comics vintage. 



Et comme promis, le podcast LE BULLEUR : 




Dans le 162e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Maltempo que l'on doit à Alfred et qui est édité chez Delcourt dans la collection Mirages. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :
- La sortie du deuxième tome des Mémoires du Dragon Dragon, un tome baptisé Belgique, c’est chic, que l'on doit au scénario de Nicolas Juncker, au dessin de Simon Spruyt et c'est édité chez Le Lombard
- La sortie de l'album Une nuit avec toi que l'on doit à Maran Hrachyan et aux éditions Glénat dans la collection 1000 feuilles
- La sortie de l'album Les petites reines que l'on doit à Magali Le Huche qui adapte ici un roman jeunesse de Clémentine Beauvais et que publient les éditions Sarbacane
- La sortie de l'album Hiver, à l'opéra, titre que l'on doit à Philippe Pelaez au scénario, Alexis Chabert au dessin et c'est édité chez Grand angle
- La sortie de deuxième tome de Jumelle baptisé Dépareillés, série que nous devons à Florence Dupré La Tour et aux éditions Dargaud
- La sortie de l'album À quoi pensent les Russes, titre que l'on doit à Nicolas Wild et à l'éditeur La boite à bulles.








DEN : UNE OEUVRE MAJEURE DE RICHARD CORBEN CHEZ DELIRIUM


L'œuvre de Richard Corben, c'est chez Delirium que cela se passe. Avec une série de rééditions de prestige, des albums légendaires savamment nettoyés, retravaillés, qui feront date, à coup sûr pour tous les fans de cet artiste absolument extraordinaire. Un an après le sublime Bloodstar, le traitement de jouvence est appliqué à un autre bijou : Den. Il s'agit en réalité d'une histoire aussi simple que fantastique. La sublimation de soi, l'incarnation du rêve que peut nourrir chacun d'entre nous de se réveiller un beau matin dans un corps "étranger", doté d'une musculature impressionnante, sur une planète inconnue où l'aventure et le fantasmagorique nous attendent à chaque instant. Den est au départ un jeune adolescent (David Ellis Norman) qui hérite des livres et journaux de son oncle décédé. En parcourant les pages d'une sorte de testament, il découvre une lettre qui lui est destinée, avec les instructions pour mettre au point un mécanisme technologique rudimentaire, qui va lui permettre cependant de créer un portail vers un autre univers. Un univers dans lequel l'apparence physique, la puissance, le courage sont décuplés; où le "héros" est intégralement nu. Où la nudité joue d'ailleurs un rôle important, ne semble nullement gêner ou repousser ses habitants et constitue même une des clés du succès de la série, qui mêle aux ambiances et inspirations issues du travail d'Edgar Rice Burroughs, un parfum érotique porté par des anatomies généreuses, voire abondantes et toujours minutieusement soulignées par un trait attentif au moindre détail, d'une richesse sidérante. La grande variété des ambiances et des lieux évoqués flirte en bien des pages avec ce que nous appelons souvent (par paresse ?) le kitsch, mais qu'il faut ici prendre dans une acceptation tout sauf négative. La générosité et l'inventivité d'un Corben en roue libre est à replacer dans un contexte précis, celui des années 1970 et de revues comme Metal Hurlant (ou Heavy Metal pour la version américaine), grâce à qui des générations entières ont eu accès aux rêves éveillés d'artistes fabuleux et se sont nourris à la science-fiction et la fantasy la plus débridée. Tout ce que vous lirez dans cet album événement est le fruit d'une liberté totale, voire d'une improvisation qui se déploie au fil du temps. Ou comment un personnage né pour un court-métrage animé en 1968, devient un héros sur le papier cinq ans plus tard, puis une des pierres angulaires d'un genre glorieux et de l'épopée de Corben, qui pour l'occasion varie aussi les techniques propres à son dessin et la mise en couleurs, notamment.



Les aventures fabuleuses de Den en terre étrangère sont d'autant plus passionnantes et déroutantes que celui qui est en réalité un jeune homme du Kansas se rend compte que la plupart de ses rencontres le reconnaissent, ou en tout cas que sa vue semble évoquer des souvenirs à bien du monde. Le colosse navigue dans l'inconnu et chacun de ses pas le guide vers de nouveaux rebondissements : que ce soit pour protéger sa bien aimée, pour donner l'assaut au château d'une reine maléfique et s'emparer d'un sceptre magique appelé le Locnar, tout autour de lui relève du fantastique, de l'improbable, du merveilleux et soulignons-le une nouvelle fois, de l'érotisme, puisque ici les corps semblent non seulement taillés pour le combat mais aussi parfaitement calibrés pour l'amour. Den découvre le plaisir physique (et tout un catalogue de positions) avec une jolie blonde appelée Kath, elle aussi transfuge de la Terre traditionnelle, où elle exerçait le métier d'écrivaine. Elle a en commun avec notre héros une exubérance charnelle bien en phase avec la liberté figurative des années 1970. Le sexe de Den, la poitrine de sa compagne, celle de la reine sorcière qu'il doit affronter (et avec qui il doit avoir des rapports sexuels) semblent parfois disproportionnés dans le feu de l'action, presque des entraves baroques pour des personnages dont l'instinct vital est fait d'une curieuse fusion d'eros et thanatos, qui s'explique en partie par une inexpérience ou une privation que les deux protagonistes ont pu rencontrer dans leur dimension originelle. Ici, loin des tabous et des règles castratrices d'une société pudibonde, ils s'adaptent très vite, leurs corps sublimés à l'unisson. La grande saga de Den (initiée avec l'équivalent du graphic novel VO Neverwhere) est une terre de contraste, entre la beauté gironde des personnages principaux, véritable ode à l'hédonisme, et l'horreur et le grotesque des nombreuses créatures qu'ils défient et qui peuplent une dimension que personne ne peut inscrire dans un temps ou un espace précis. Une impossibilité de définir, de localiser, qui signifie alors une liberté totale. Celle de se perdre, de ne plus se souvenir, de (re)construire en s'affranchissant de la morale ou de la logique. Den repousse tous les murs dans l'esprit du lecteur. Ceux qui le séparent de l'imaginaire, ceux qui l'enferment dans une étroitesse existentielle ou encore un puritanisme encombrant. Corben fait acte de création totale et la lecture de Den souffle tout sur son passage, emportant les préjugés et la grisaille du quotidien avec elle. Ce qu'on attend d'un chef d'œuvre en bande dessinée, à bien y penser.



Sortie prévue le 3 novembre
Cette édition de Den propose des planches restaurées à partir des originaux par José Villarrubia, une préface inédite de Mike Mignola et un excellent article de Bruce Jones sur l'art de Richard Corben. Traduction de Doug Headline.
Et pour Bloodstar, lisez ici

Enfin, pour l'édition limitée de prestige de DEN chez Delirium, consultez la page Facebook de l'éditeur !


Et si vous en voulez encore, 
rendez-vous sur notre page communautaire ! 

HUMAN TARGET : LES DOUZE DERNIERS JOURS DE LA CIBLE HUMAINE


 Si vous ne connaissez pas vraiment Christopher Chance, alias la cible humaine, personne ne vous en tiendra rigueur. Certes, il a été le héros de nombreux petits récits de complément publiés il y a de cela plusieurs décennies et aussi au centre d'une série à succès, scénarisée par Peter Milligan. On a pu voir en outre Human Target à la télévision, dans une série que je n'ai personnellement jamais regardée et qui propose une itération différente du personnage qu'on retrouve aujourd'hui dans les comic books. Pour ce grand récit en douze parties publié en une seule fois chez Urban comics, c'est le scénariste Tom King qui est à la baguette. Bonne nouvelle, en général quand il se concentre sur un héros moins connu, voire ignoré et qu'il a la possibilité de le modeler de la manière qu'il souhaite, sans devoir s'astreindre à des règles canoniques castratrices, c'est là qu'il peut donner sa pleine mesure. Ici, l'intention est même dans finir avec Chance, de lui offrir un dernier baroud d'honneur, avant qu'il meurt. L'ambition est annoncée dès la première page : on comprend qu'une sorte de compte à rebours est enclenché et nous revenons au tout début de l'action, à travers une succession de flashback d'une case chacun. Il reste douze jours à vivre, pas un de plus, à un Christopher qui a pour spécialité de prendre le visage et l'apparence de celui qui l'emploie, se faisant ainsi assassiné à la place de la vraie victime, de manière à pouvoir ensuite mener l'enquête et démasquer l'assassin. Il a été engagé par Lex Luthor, le célébrissime milliardaire et génie du crime, mais les choses ne se sont pas passées exactement comme prévu. Il y a bien eu, certes, un tireur qui s'est manifesté, mais ce n'est pas cela qui a condamné notre Human Target, c'est un café qu'il a pris quelques minutes avant de monter sur scène, dans un meeting, et qui contenait un poison particulièrement retord et élaboré, qui nécessite des connaissances et une technique dont très peu de personnes disposent sur cette planète. Les premiers indices l'amène à se tourner vers les différents membres de la défunte Justice League Internationale, à commencer par la très jolie Ice.



 Entreprendre une relation avec Ice, c'est l'assurance de se retrouver avec un obstacle de poids : Guy Gardner, le Green Lantern le plus anticonformiste qui soit, ancien petit ami de la jolie héroïne glacée et qui n'a jamais véritablement compris que leur histoire était terminée. Tom King prend un malin plaisir à tourner en dérision ce personnage mal dégrossi, mais aussi à nous présenter le reste de la Justice League International, avec par exemple Booster Gold et Blue Beetle en têtes d'affiche. Chaque épisode est censé représenter un des jours qui reste à vivre à Christopher Chance; telle la construction d'un roman de Chandler, il faut s'armer de patience et additionner toutes les pièces du puzzle, peu à peu, pour vraiment comprendre ce qui a pu se passer, qui a pu empoisonner notre cible humaine et pourquoi. Si le scénario est loin d'être d'un abord évident pour tous le dessin de Greg Smallwood permet lui de conserver une lisibilité totale. Le trait est d'une pureté raffinée, la construction des planches est merveilleuse, l'alternance des atmosphères, en fonction de ce qui est en train de se dérouler, remarquable. Grâce notamment à une jolie variété chromatique rétro et un découpage qui s'adapte au temps long de King et sait s'adapter aux petites choses, à ces menus instants et gestes, qui scandent le rythme de cet album. Il existe un parallèle évident entre Human Target et Heroes in crisis, également scénarisé par Tom King; une filiation que l'on retrouve à travers le flux de conscience continu de Christopher Chance, les différentes pistes qui progressent grâce à une introspection et une remise en question de la vérité établie, à chaque rencontre ou à chaque fait nouveau élaboré. Là où le scénariste est le plus fort, c'est lorsqu'on lui laisse la possibilité de jouer avec le sous-bois de l'univers super héroïque, de s'éloigner des grands récits à super pouvoirs pour aller gratter ce qui se cache derrière et mettre à nu une (super) humanité fragile, parfois pathétique et risible. Un travail de déconstruction qui est accompli ici à merveille et qui fait de Human Target une des trois ou quatre meilleures œuvres de King ces dernières années. Une excellente surprise qui mérite vraiment que vous lui laissiez une chance.

Mentionnons, pour conclure, l'introduction lumineuse et le travail à la traduction de Maxime Le Dain. Pas que des banalités et de la répétition, mais un texte pertinent et agréable à consulter, avant d'entamer l'ouvrage. 






 

 

SWAMP THING GREEN HELL : JEFF LEMIRE ET L'ENFER VERT


 On nous promet la fin du monde depuis longtemps, que la planète sera bientôt inhabitable… alors, avec Jeff Lemire, on fait un bond dans le temps et on se retrouve directement à une époque où l'inévitable est arrivé. Une situation catastrophique au niveau écologique, qui a aussi des répercussions sur ce qu'on appelle les Parlements, les représentants des forces fondamentales de la nature que sont la Sève, le Sang et la Nécrose. Chacun de leur côté, ils aimeraient que la situation s'améliore pour qu'il puisse à nouveau étendre leurs pouvoirs respectifs, mais il se rendent compte que rien de tout cela n'est possible sans auparavant faire table rase de ceux qui ont survécu, pour repartir vraiment à zéro. C'est du côté de la Sève que se trouve la pensée la plus extrémiste, d'où le besoin de recourir à un nouvel avatar, que vous connaissez sous le nom de Swamp Thing… et qui ici va apparaître avec une identité inédite. À ce sujet, c'est là que Jeff Lemire développe, une fois encore, un récit basé sur la famille, avec un père et sa fille et une relation menacée par de triste événements, des meurtres et des pillages, jusqu'à ce qu'un de ces forbans improvisés soit transformé en une créature des marées et devienne le nouveau "joujou" de la Sève. Que faire dans ce cas, si ce n'est se tourner vers un vieux phare abandonné dans lequel réside le magicien le plus aimé/détesté de l'univers DC Comics. Un John Constantine vieillissant, mais qui a toujours plus d'un tour dans son sac, y a élu domicile… et c'est dans sa boîte à malices que repose la seule chance de l'humanité. Première chose à faire, s'entourer d'alliés, de bons alliés. 


C'est résolument vers l'horreur que se tourne cette nouvelle œuvre du canadien Jeff Lemire, pour le Black Label de DC comics. Autrement dit, une histoire hors continuité qui peut s'affranchir de ce qui a été fait avant et qui n'est pas censée avoir des conséquences réelles ou suivies. Il est épaulé dans cette aventure par Doug Mahnke, un de ces dessinateurs au style plutôt réaliste, qui font la fortune de la Distinguée Concurrence depuis des années. Du reste, la plupart des pages sont vraiment saisissantes et on y trouve pléthore de scènes choquantes, avec des tiges qui s'enfoncent dans les orbites et des plantes qui décapitent des êtres humains, par exemple. À côté de tout cela, Lemire ne peut pas s'empêcher de porter un regard particulier sur un destin familial et de tempérer la noirceur ambiante par l'amour qui peut exister entre un père et sa fille. Il utilise aussi des concepts avec lesquels il a déjà brillé il y a quelques années, lors du grand redémarrage que furent les New 52, avec le personnage d'Animal Man. Ce dernier est mort mais c'est sa fille Maxine qui prend le relais, en tant qu'Animal Woman, dans les pages de cet "enfer vert". C'est aussi l'occasion de revoir celui qui pour la grande majorité des lecteurs s le seul et véritable Swamp Thing, à savoir Alec Holland, qui jouissait de sa tranquillité post-mortem, dans une sorte de sous dimension réservée aux avatars de la Sève. Il est donc obligé de quitter l'esprit de sa femme et de sa fille pour à son tour se mêler à une tragédie bien réelle et s'opposer à ses anciens patrons, qui se sont choisis un autre avatar et ont décidé d'initier un carnage. L'ensemble tient globalement bien la route et permet de lire ce qui ressemble alors à une sorte d'appendice apocalyptique à ce que Lemire et Snyder avaient écrit en leur temps, sur Animal Man et Swamp Thing. Une conclusion qui reste d'ailleurs ouverte à quelque chose d'autre, si on en croit la dernière vignette, qui incarne un peu une promesse d'avenir.







SKULL AND BONES (SAVAGE STORM) : LES PIRATES D'UBISOFT CHEZ BLACK RIVER


 Il existe des albums qui sortent sous de meilleurs auspices que d'autres. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le pari Skull and Bones chez Black River Comic va avoir du mal à être tenu. Un peu d'explication ne fera pas de mal : il s'agit de l'adaptation au format comic book d'un jeu vidéo édité par Ubisoft, attendu comme le messie, censé être de très grande qualité et disponible depuis 2018. Censé, car en fait, son lancement a été l'objet de différents reports, le temps que les studios peaufinent, reprennent et améliorent l'ensemble. Tout devait être fin prêt pour mars dernier mais voilà, encore une fois, Ubisoft a choisi de jouer la montre et on parle maintenant de début 2024. Certains ont pu accéder à la version bêta sur invitation, mais tout de même, ce n'est pas la même chose. Bref, il s'agit là d'une mini série en trois parties,e qui était au départ prévu pour sortir en concomitance avec le jeu vidéo (en mars, en VO); du coup, nous tenons entre les mains un comic book basé sur quelque chose qui n'existe pas encore vraiment, avec donc l'incapacité de s'identifier à des personnages ou des actions qui sont encore tout à fait théoriques, et bien évidemment, sans pouvoir bénéficier d'un battage médiatique et publicitaire procuré par l'univers du gaming. De plus, il faut être honnête, le microcosme des pirates n'est pas franchement extrêmement à la mode en 2023. Bien peu de lecteurs semblent être encore attirés par ce segment de l'aventure et on peut donc craindre le pire pour ce qui est de l'accueil de Skull and bones en version française. Tout ce préambule ne doit pas non plus masquer la vérité, qui est qu'au bout du compte, nous avons pris plaisir à parcourir cette histoire, qui souffre par endroits de quelques rebondissements un peu brouillons, mais qui au final est de bien meilleure qualité que nombre de choses qui nous sont tombées entre les mains ces derniers temps, y compris en provenance des majors de l'édition. Mais je le répète, le pari est très loin d'être gagné…




Pour ce qui est de l'histoire en elle-même, le scénario est signé John Jackson Miller et James Mishler. Il s'agit d'une mini série en trois parties qui a été publiée d'abord aux États-Unis chez Dark Horse, comme par hasard en début d'année, lorsque le jeu devait enfin sortir chez Ubisoft. Au menu, des pirates qui s'affrontent avec notamment le terrible John Scurlock qui sillonne les océans, à la recherche de proies, pour mettre la main sur des butins fabuleux. On trouve de nombreux personnages féminins qui prouvent que la piraterie et le courage ne sont pas que l'apanage des hommes; c'est d'ailleurs un de ces personnages qui endosse le rôle principal à la fin de ces trois épisodes. Ceux qui sont ennemis peuvent aussi devenir alliés, lorsque les circonstances l'exigent : dans le cas présent, l'apparition du Commodore Vanderkill, qui représente la compagnie marchande hollandaise et qui se comporte comme un véritable tyran des mers. Comme si cela ne suffisait pas, un typhon s'abat sur la zone et dès lors, cela devient presque du chacun pour soi, sachant que le salut passe par des alliances intelligentes, le respect de certains codes d'honneur et de l'action, toujours de l'action. Franchement bonne nouvelle que les dessins de Christian Rosado et les couleurs de Roshan Kurichiyanil. L'ensemble est très sombre avec de splendides clairs-obscurs et des planches à la limite de l'expressionnisme, où le sang et les flammes sont particulièrement bien évoqués. On trouve dans le premier tiers de l'album quelques fautes au niveau du lettrage, qui auraient pu être facilement corrigées avec une relecture plus attentive, mais par la suite, cela s'améliore nettement. Skull and bones, c'est finalement une bonne petite lecture très recommandée pour les amateurs de récit de pirates, mais qui au milieu de la forêt des sorties actuelles et sans le soutien du jeu d'Ubisoft, s'apprête à connaître une vie éditoriale aussi périlleuse que les enjeux qui y sont présentés. Dommage.





 
 

NIGHT FEVER : BRUBAKER ET PHILLIPS POUR UN NOUVEAU POLAR


C'est déjà le retour du duo fabuleux, Ed Brubaker et Sean Phillips, les maîtres du polar américain, qui sont devenus ces dernières années aussi prolixes que géniaux. Pour cette nouvelle fournée, un album disponible chez Delcourt portant le titre de Night fever, nous retrouvons un agent littéraire américain, Jonathan Webb, qui est venu en Europe pour négocier de nouveaux titres pour les éditeurs. Il participe à un salon spécialisé et traîne une forme de spleen existentiel, devisant sur ce que signifie avoir réellement réussi sa vie. Seul dans sa chambre d'hôtel il en arrive à la conclusion que "le truc c'est qu'on peut en même temps réussir et tout rater". L'existence de Jonathan va toutefois basculer le jour où il va suivre dans les rues d'une ville indéfinie, jamais nommée (ambiance très italienne ou française toutefois), un couple élégamment masqué, vraisemblablement dirigé vers une de ces soirées secrètes où les notables du coin s'amusent, entre orgie sexuelle et consommation d'alcool et de drogue. Parvenu sur les lieux, Webb réussit à entrer en donnant une fausse identité au service de sécurité et il constate qu'il ne s'était pas trompé. Sa première réaction est de s'asseoir à une table de poker et de profiter du prêt impressionnant qu'on lui a consenti, lorsqu'il a décliné son faux nom. La soirée se passe merveilleusement bien, comme s'il était devenu quelqu'un d'autre, comme si en s'affranchissant de sa réalité quotidienne, avec ses banalités, ses doutes, ses incertitudes, il était parvenu à incarner enfin cet autre, tapi en lui-même, cette bête sûr d'elle-même qui ne se laisse démonter par rien. Autre fait d'importance, à la sortie de cette réunion secrète, il est renversé par une voiture, menacé par un type peu recommandable et sauvé par un certain Rainer, dont la violence n'a d'égale que le mystère.




Finalement, la question qui se pose c'est : qui sommes-nous tout au fond de notre inconscient, que sommes-nous capables de faire, si nous lâchons prise une bonne fois pour toutes, si nous mettons de côté la morale, nos petites habitudes, si nous cessons de nous préoccuper de ce que l'on attend de nous, pour agir sans même réfléchir ? Ici, la question se pose mais la réponse a de quoi glacer le sang. Après tout, avec Ed Brubaker, comme vous pouvez le deviner, ça se termine régulièrement avec une arme dans la main, un cadavre quelque part et une machination qui place la victime dans une bien mauvaise posture. Excellente nouvelle pour ceux qui orientent le choix de leurs achats en fonction du dessin, puisque Sean Phillips (que nous apprécions déjà grandement en temps normal) signe ici un de ces travaux les plus remarquables. Explication de la chose : il a préparé des planches au format double par rapport à d'habitude, ce qui lui donne la possibilité de traiter les détails, les visages, avec encore plus de minutie. Et cela se voit car l'intégralité de Night fever est extrêmement soignée, d'autant plus que la mise en couleurs du fiston Jacob continue de faire des merveilles pour ce type de récit, qui se déroule en très grande partie dans l'obscurité ou les lumières tamisées de salles fréquentées par des happy few. Tranquillement, sans prétendre au chef-d'œuvre absolu de leur carrière en commun, les deux compères Brubaker Phillips livrent une fois de plus une histoire passionnante et rondement bien menée, qui sert aussi de récréation bienvenue pour les deux artistes, ces temps derniers engagés comme dans des forcenés dans le projet Reckless, pour lequel ils ont produit cinq albums en deux ans. Une doublette qui est une garantie et dont je ne me lasse personnellement jamais.





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BLANCHE-NEIGE, ROUGE SANG - CHRONIQUE VAMPIRIQUE CHEZ BLACK RIVER


 L'histoire est connue de tous, mais jamais on ne vous l'a racontée comme s'apprête à le faire Neil Gaiman, un des auteurs les plus fascinants de l'histoire des comics modernes, et Colleen Doran, au sommet de son art de narratrice/illustratrice. Cela commence par une rencontre et une belle romance. Une jeune fille blonde séduisante qui fait la connaissance d'un roi au physique de rêve, au corps parfait. Elle l'épouse et entre les deux, c'est le véritable amour, l'union des âmes et des corps… jusqu'à ce que la nouvelle reine rencontre sa belle-fille. La véritable mère de cette dernière est morte en couche et depuis, la petite a grandie, nimbée de mystère; son apparition seule à de quoi troubler la reine. Un jour où les deux femmes peuvent enfin se parler, seule à seule, l'adolescente aux cheveux et au regard d'un noir profond plante ses jolies quenottes aiguisées comme des crocs juste sous le pouce de sa marâtre et commence à lui sucer le sang. Peu de temps après, c'est au tour du roi, son père, de dépérir jour après jour. Il semble perdre l'appétit, sa force vitale et son désir charnel l'abandonnent et son corps est recouvert de plaies. Vous l'aurez compris, le compte que vous avez probablement en tête, celui de Blanche-Neige, est ici présenté dans une forme singulière, une ode à la perversion et au vampirisme. Il y a quelque chose de dérangeant, de démoniaque, qui traîne des ces pages.



Il s'agit en fait de la seconde adaptation chez Black River d'une œuvre littéraire de Neil Gaiman, au format comic book. Et cette fois, c'est Colleen Doran qui s'y colle et l'artiste fait preuve d'une maestria assez impressionnante. Certes, la pagination est assez faible (49 planches) mais chacune d'entre elles et si belle, fouillée et inventive, qu'on y passe un certain temps, à s'arrêter sur les moindres détails et à en dégager une évidente poésie vénéneuse. Il s'agit bien sûr de l'inversion du conte traditionnel : la marâtre attire notre sympathie et elle est la seule à avoir compris le caractère et le potentiel maléfique d'une Blanche-Neige qui n'apporte que mort et destruction. Elle fera tout pour mettre fin aux agissements mortifères de la jeune fille mais ses efforts suffiront-ils à contrecarrer la menace ? Le style est extrêmement onirique et empreinte aussi bien au gothique qu'à l'art nouveau. On découvre à la fin de l'ouvrage, dans un riche cahier de bonus, que Doran est inspirée par un des maîtres dessinateurs irlandais du début du 20e siècle. La narration est proposée sous forme de pleines pages; nous échapperons ainsi au découpage séquentiel habituel de la bande dessinée, sous forme de cases et de bulles de dialogue. Le récit nous est compté par la reine elle-même et se présente comme l'échec tragique d'une lutte inégale et fatale. Quand on vous dit qu'il s'agit d'un travail remarquable; il suffit de considérez que vous lirez là le lauréat de l'Eisner Award 2020 de la meilleure transposition en comic book d'une œuvre publié premièrement sous un autre format. À ceux pour qui le rapport quantité prix est un dogme, cet ouvrage pourrait sembler de premier abord peut engageant, mais derrière l'aspect assez mince de la chose se cache une véritable œuvre d'art, qui possède un caractère et une ambiance magnifiques. Cette Blanche-Neige empoisonnée là nous a fait une forte impression et nous a donné l'envie de vite y retourner.



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L'ENFER POUR AUBE TOME 2 : PARIS ROUGE (CHEZ SOLEIL)


 Il y a une phrase qui résonne tout particulièrement dans ce second tome de L'enfer pour aube : lorsque la protagoniste, Angèle, fait remarquer à l'inspecteur Gosselin (qui la poursuit) que la violence est parfois une arme nécessaire et que lorsqu'il s'agit du peuple qui l'utilise, elle est systématiquement présentée comme illégitime, tandis qu'on a tendance à l'accepter quand ce sont les puissants qui l'exercent. Voilà un résumé presque parfait pour parler de certaines pages de l'histoire de France, notamment la Commune de Paris. Le terrible revers contre la Prusse et une misère diffuse dans notre pays avait amené un soulèvement d'ampleur impressionnante dans les rues de la capitale. Barricades, guerre civile, le peuple parisien avait décidé de faire sécession alors qu'en face les Versaillais (là où s'était réfugié momentanément le gouvernement) tentaient de restaurer l'ordre, par tous les moyens. La misère pousse parfois à des solutions extrêmes, mais même si ces solutions naissent sur un désir légitime d'équité sociale et de mieux vivre, dès l'instant où le sang coule, dans les deux camps, c'est l'embrasement et la certitude que le plus fort, le mieux armé finira par l'emporter. La Commune était pratiquement condamnée d'avance, d'autant plus que le genre humain est aussi cupide… quand il y a de l'argent en jeu, il est difficile de rester inflexible, de camper sur ses positions. Bref Angèle est notre assassin, c'est elle qui a semé la terreur dans Paris ( je vous ramène au premier tome de cette série pour comprendre ce qui se passe). C'est son histoire familiale dramatique, son père assassiné dans les camps de Satory, avant la déportation pour Cayenne, le drame qu'a vécu sa famille et celui de la Commune, qui la poussent, 30 ans plus tard, à chercher vengeance. L'histoire s'écrit dans le sang et la colère.



Philippe Pelaez trace ainsi un récit aussi intimiste que touchant, mêlant les les méandres de l'histoire et les rebondissements intimes et dramatiques d'une famille, qui pour avoir osé rêver tout haut, s'est retrouvé pris dans les filets d'une sombre histoire de trahison, où l'argent à jouer son rôle mortifère. Une des qualités de L'enfer pour aube, c'est la reconstitution historique minutieuse qui est proposée au lecteur, même si elle est un peu moins évidente dans cette seconde partie, dont une grande moitié est consacrée à des souvenirs de la Commune. Régulièrement, de fausses pages du célèbre supplément du Petit Journal de l'époque permettent de crédibiliser et d'incarner les événements qui sont décrits ici. Tiburce Oger au dessin est un choix que nous aimons et apprécions grandement depuis le départ. Son trait est à la fois fouillé, précis et capable de s'émanciper de la tentation du réalisme stérile, pour offrir une version personnelle et réellement dramatique, pour le coup, a bien des égards. Le tout baigne dans des lavis de gris qui apportent un cachet nostalgique à l'œuvre, avec des touches de couleur rouge ou cuivrée, qui mettent en valeur le sang mais aussi la chevelure et la fougue de notre jeune anti-héroïne. Bien des événements de l'actualité, qu'elle soit nationale ou internationale, peuvent trouver une explication dans le rapport de force entre les classes sociales, mais aussi dans l'héritage historique et personnel des protagonistes impliqués. L'enfer pour aube est une excellente démonstration de ce théorème; c'est aussi une histoire menée tambour battant, qui ne peut aboutir à un autre dénouement que celui qui nous est proposé ici, et qui se révèle d'une vraie richesse et qualité artistiques. C'est un de nos coups de cœur de ces derniers mois chez Soleil, nous attendions vraiment avec impatience cette suite et fin.




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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : STORYVILLE, L'ÉCOLE DU PLAISIR


 Dans le 161e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Storyville, l'école du plaisir que l'on doit au scénario de Lauriane Chapeau, au dessin de Loïc Verdier et qui est édité chez Glénat. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie du deuxième tome de Madeleine, résistante baptisé L'édredon rouge, titre que l'on doit au scénario conjoint de Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud, au dessin de Dominique Bertail et c'est publié chez Dupuis dans la collection Aire libre

- La sortie du premier tome sur deux de l'adaptation du roman d'Umberto Eco Le nom de la rose par Milo Manara, un titre édité chez Glénat

- La sortie du troisième tome de La fortune des Winczlav, un titre baptisé Danitza 1965 que l'on doit au scénario de Jean Van Hamme, au dessin de Philippe Berthet et c'est édité chez Dupuis

- La sortie de l'adaptation en bande dessinée du roman Indiana de George Sand, adaptation que l'on doit au duo Catel Muller et Claire Bouilhac ainsi qu'aux éditions Dargaud

- La sortie de l'album Je suis au-delà de la mort ! Que l'on doit L'homme étoilé et aux éditions Le Lombard

- La réédition de l'album Elle s'appelait Tomoji que l'on doit à Jirô Taniguchi et aux éditions Rue de Sèvres à l'occasion de leurs 10 ans





GENERATION X : L'INTÉGRALE DE LA SÉRIE DE LOBDELL ET BACHALO (1994-1995)


 S'il y a bien une chose que nous pouvons affirmer avec certitude, c'est que les années 1990 furent chez Marvel le triomphe des mutants. L'immense popularité des X-Men a bien entendu rapidement convaincu les pontes de la Maison des Idées qu'il y avait là un filon à creuser; autrement dit, ils ont vite admis la nécessité de multiplier les séries classées X, afin de truster les meilleures places des classement de vente des comic books. Bob Harras et Scott Lobdell étaient d'accord sur une chose en 1993, l'heure était venue de lancer un titre avec une formation de jeunots, des nouveaux venus modelés un peu sur ce qui avait été fait auparavant avec les nouveaux Mutants. Mais en l'occurrence, une génération plus en phase avec son époque et pas forcément axée sur l'aspect ultra violent et paramilitaire (X-Force occupait déjà ce créneau hardcore). C'est en effet l'interaction entre les personnages, leur inexpérience, leurs failles, qui vont faire tout le sel de Génération X, au départ. La formation est annoncée lors d'un crossover qui s'intitule le Complot Phalanx et là, il est difficile pour moi de rester neutre car nous sommes en train d'aborder mes années lycées/début de fac… et clairement, c'est toujours avec une petite larme à l'œil que je me tourne vers les productions Marvel d'alors. Il s'agissait de la tentative d'invasion de notre planète par une entité biologique extraterrestre, les Phalanx, une forme de vie techno-organique susceptible de se substituer à l'espèce humaine classique. Pour faire court, le corps humain devient alors une sorte d'extension siliconée, une machine répondante à l'appel d'un grand esprit collectif. C'est le point de départ pour la réunion de Génération X, dont les deux mentors vont être le Hurleur (Sean Cassidy), dans le rôle d'une sorte de baroudeur assagi qui se retrouve avec de nouvelles responsabilités (dont il s'acquitte plutôt bien d'ailleurs) et Emma Frost, la reine Blanche du club des Damnés, en phase de rédemption. La voir en charge de former des adolescents après la disparition tragique et coupable de ses Hellions est une étape fondamentale dans l'évolution de ce personnage. Les recrues, elles, sont originales et possèdent un sacré potentiel. Par exemple, sacrée trouvaille que ce Chamber, défiguré par la manifestation de ses pouvoirs, qui lui ont emporté toute une partie du visage. Il lui reste la télépathie pour communiquer et une aura énergétique qui s'étend depuis sa bouche, faisant de lui un paria parfait, gothique et tourmenté. On trouve aussi une des sœurs Guthrie, Paige, dont le nom de code est Husk, et qui peut changer de peau… littéralement. Un peu dégoûtant mais parfois très utile. 


Du côté des autres membres du groupe, nous découvrons ainsi Skin, dont les pouvoirs sont un peu semblables à ceux de Mister Fantastic, si ce n'est qu'ils sont totalement incontrôlables et se présentent comme une maladie de peau dégénérative, assez dégoûtante. Monet St. Croix est une pimbêche isolée et ultra intelligente, qui cache un lourd secret de famille destiné à vite se révéler, en présence de Penance, une créature dont il n'est pas possible de s'approcher sans se faire découper en fines rondelles. Synch, qui a la faculté de répliquer les pouvoirs des autres au contact de leur "aura" est tout de même plus fade, tandis que l'équipe de Generation X est complétée par Jubilé, directement rétrogradée de la bande des X-Men adultes, ce qui va lui permettre de frayer un temps avec des jeunes de son âge. Ceci a une importance notable car c'est, je le répète, un des points forts de la série : mettre en scène des adolescents qui ont certes un quotidien terrifiant, comme celui que peuvent avoir les super-héros, mais aussi des problèmes de cœur, des doutes ou tout simplement des tranches de vie tout à fait de leur âge. Le premier adversaire notable dont ils vont croiser le chemin est une sorte de vampire/parasite capable d'aspirer la moelle de ses adversaires. Il se nomme Emplate, il est terrifiant, notamment parce que le style de dessin de la série est terrifiant ! Chris Bachalo fait exploser la mise en page classique et le respect canonique des formes, pour remplir les épisodes de trouvailles insensées, utilisant à merveille le noir, les ombres, le mouvement des héros, les apparitions à effet, pour offrir un montage délirant qui va participer grandement au succès de Generation X. La petite bande va se consolider comme le ferait une famille (le scénario de Lobdell insiste pas mal sur ce point, notamment avec une parenthèse de Noël dans l'épisode 4 qui renforce cette idée) et les intrigues vont tout d'abord s'appuyer sur ce thème (qui est vraiment Monet ? Et Penance ?) et jouer de la frustration adolescente (Chamber se sait différent et voué à le rester, Jubilé n'accepte pas d'emblée la "rétrogradation" chez les ados). Et en toile de fond, Sean Cassidy et la Reine Blanche aiment se détester, mais peu à peu en arrivent à se comprendre et se compléter. Le genre de série Marvel que beaucoup se contentent d'évoquer rapidement, mais qui replacée dans le contexte de son époque, est un des exercices stylistiques et narratifs les plus aboutis de la Maison des Idées, dans sa phase "mutants à chaque coin de rue". L'arrivée en Intégrale est une sacrée aubaine pour ceux qui n'ont jamais ou juste survolé ces épisodes. 




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MALTEMPO : UNE NOUVELLE OEUVRE "BELLISSIMA" D'ALFRED CHEZ DELCOURT


 Il y a une part de souvenirs et une autre part d'Italie fantasmée, dans la manière qu'a Alfred de nous présenter le sud de la péninsule, pour ce qui constitue le troisième volet d'une sorte de trilogie dont chaque partie est totalement indépendante des deux autres. Ici, le personnage principal s'appelle Mimmo Maltempo; il a quinze ans et n'a qu'une seule idée en tête, s'échapper d'un quotidien morne et rêver au-delà des horizons bouchés qui lui sont proposés chaque jour. C'est que dans son village, entre les petits sabotages opérés par la mafia, la montée de l'extrême droite représentée par des jeunes désœuvrés et xénophobes, ou tout simplement le chômage, il n'y a pas grand chose d'autre à faire si ce n'est s'inventer une vie. Justement, voici que débarque une célèbre émission de télé italienne, qui organise un télé-crochet un peu partout dans le pays. Mimmo va donc demander à ses amis de se mobiliser à nouveau, reformer le groupe qu'ils composaient autrefois, pour se lancer dans des répétitions de dernière minute, avec comme objectif avoué de remporter le concours et avoir une chance de devenir, peut-être, une idole du rock n' roll. L'ensemble est présenté de façon douce amère, avec une bande de copains qui n'en sont pas forcément, des individualités qui ont clairement des failles, des zones d'ombre, le tout dans un petit théâtre humain où les heures semblent s'égrainer toutes identiques. Beaucoup de poésie donc, mais aussi de nostalgie, de désœuvrement, un sentiment de futilité face à une modernité qui n'arrive jamais vraiment jusque dans le petit village de Scamorza, là où tout ressemble à ces cartes postales sépia de l'Italie d'autrefois, celle qui nous font rêver et dans le même temps désespérer.

Coup de maître artistique signé Alfred, avec cette bande dessinée qui nous happe de la première à la dernière page et évite allégrement l'écueil des temps morts. Des planches de toute beauté jalonnent cette histoire, que ce soit pour nous plonger dans des paysages baignés de soleil où la mer et la vétusté romantique du village se taillent la part du lion, ou pour vibrer lors des parenthèses musicales, où une énergie contagieuse fait littéralement onduler et exploser les pages, le dessin, sous la forme de vibrations, d'échos, de personnages dont les formes se dissolvent dans la musique et assument une autre dimension, humaine et narrative. Pour être complet sur le sujet, signalons qu'Alfred est aussi l'auteur des paroles et de la musique de la "bande son" de sa bande dessinée, deux titres qui complètent une œuvre réellement touchante. Maltempo, un nom prédestiné, l'assurance d'avoir un temps ou un ton de décalage par rapport à l'instant présent, d'être comme en dehors de l'existence. Mais tout cela peut se corriger. On y croise des drames intimes, des vengeances mesquines, des personnages détestables ou solaires, même un fou inoffensif qui sillonne le village, jusqu'au moment où il se révèle être plus que cette apparition singulière et misérable, pour un coup de dé final inattendu. Maltempo défend un rêve, l'idée qu'on peut se réinventer et s'échapper, que la passion permet parfois d'instaurer cette parenthèse merveilleuse, qui ne dure peut-être pas, n'est pas l'assurance d'une révolution copernicienne, mais représente une fenêtre ouverte sur l'ailleurs et l'autrement. C'est cela qu'est cette bande dessinée d'Alfred. L'arrivée de l'inattendu et de l'hypothèse d'une chance, là où serpente la résignation, mais aussi la malavita toujours prête à accueillir ceux qui renoncent et ne rêvent plus. Tout bêtement beau, un album qui ne rechigne pas à transmettre des émotions, tout en évitant le pathos et les leçons de morale. Bellissima storia. 


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BATMAN KILLING TIME : BRACAGE PUZZLE AVEC TOM KING ET DAVID MARQUEZ


Le fait est que si je vous raconte que cette histoire commence par un braquage à la banque centrale de Gotham, impliquant plusieurs personnages costumés de la ville comme Catwoman, le Pingouin ou le Riddler, vous allez me répondre que ça ressemble furieusement à quelque chose que vous avez déjà lu un nombre incalculable de fois. En général, ça se termine de la même manière : un projecteur qui déchire le ciel de Gotham, une chauve-souris qui apparaît et qui tabasse les criminels ou les poursuit, jusqu'à récupérer le butin. Cette fois, ce qui change, c'est la narration de Tom King, le scénariste. Tout cet album, du premier au dernier épisode, présente une chronologie des faits extrêmement fragmentée; il arrive que d'une page à l'autre nous sautions du présent au passé proche, sans oublier des renvois à l'époque de l'Antiquité, lorsque le roi Penthée, selon la légende, fut démembré par les Ménades. Ce qui importe donc dans Killing Time, c'est l'objet qui a été dérobé à la banque, une relique d'une importance telle que tout le monde est sur sa piste. Et lorsque le Pingouin se fait un violemment tabassé par ses alliés qui retournent leur veste, le prétexte est bon pour engager un nouveau personnage appelé l'Aide, qui ferait passer Batman et ses techniques de combat pour un jeune débutant fragile, ayant encore tout à apprendre. Bref, l'histoire progresse de manière (en apparence) très chaotique et c'est petit à petit que nous récoltons les informations et associons les pièces du puzzle les uns aux autres, pour former une grande tapisserie échappant aux règles classiques de l'univers DC. Puisqu'il n'y a pas ici de continuity à respecter, juste une histoire à savourer.


Enchaînons tout de suite avec ce qui pourrait en rebuter certains, c'est-à-dire Tom King et sa petite manie de se laisser gagner par la digression, de vouloir ajouter couche sur couche, au point par moments de perdre une partie de ce qu'il voulait raconter en cours de route. Par exemple ici, il n'est pas certain que toutes les incursions dans le passé, notamment l'Antiquité, soient réellement pertinentes. De plus, il exagère avec cette tendance à porter un regard omniscient sur l'intégralité de l'action et nous inonde de détails dont en réalité on peut parfaitement se passer. Killing Time aurait probablement gagné à être un graphic novel publié en une seule fois, plutôt qu'une mini série. Et encore, nous sommes gâtés puisque Urban Comics nous permet de lire l'intégralité sans devoir patienter entre chaque numéro, comme les lecteurs américains. David Marquez est présent pour donner beaucoup d'énergie à une histoire qui par endroits en manque un peu. Ses personnages sont qualifiés par l'éditeur de semi-réalistes; en effet, les figures, les expressions, le matériel employé relève d'une recherche de crédibilité figurative et évidente, mais certaines scènes, certains cadrages sont totalement improbables et destinés à dynamiter l'ensemble, pour offrir un comic book chargé en adrénaline. L'ensemble est beau ou en tous les cas correspond parfaitement à ce que l'on veut trouver dans une histoire de super-héros de ce type. Killing Time soufre finalement d'un manque d'ambition. King est excellent lorsqu'il prend un personnage de derrière les fagots et qu'il exploite ses failles, son passé, ce qu'il signifie, qu'il le réinvente totalement. Ici, il se contente de nous proposer un Batman qui n'est pas encore le grand Batman que nous allons connaître, de jouer avec quelques morceaux de la mythologie, sans réellement les pervertir. Il essaie d'associer le Riddler et Catwoman, pour former une doublette dérangeante et criminelle. S'il n'y avait ce personnage de l'Aide qui est lui, par contre, franchement réjouissant avec sa manière de palabrer tout en ridiculisant Batman au combat. Un album qui reste plaisant globalement, mais qui est loin d'atteindre tout le potentiel que l'on aurait aimé y découvrir.



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ENOLA HOLMES - LE JEU DANGEREUX DE MYCROFT (CHEZ BLACK RIVER)


 Aujourd'hui, la perméabilité entre les différents médias est une évidence pour presque tout le monde et c'est aussi une ressource précieuse pour le catalogue de Black River Comics. Par exemple, le personnage d'Enola Holmes, la sœur cadette de Mycroft et du plus célèbre Sherlock, a connu le succès dans les romans de Nancy Springer, puis une adaptation réalisée par Netflix. Vous pourrez d'ailleurs noter que Enola, dans cet ouvrage, est en fait identifiée sous les traits de l'actrice Millie Bobby Brown, de manière à entretenir les liens entre ces différents médias, les deux films qui existent à ce jour (cette parution s'insère justement entre les deux). Comme cela pouvait être aisément prévisible, le récit est globalement une enquête, qui démarre lorsque le frère de Enola, Mycroft, est enlevé par un groupe d'anarchistes, au moment même où le nouveau ministre de l'Intérieur entame une profonde réforme de la police de Scotland Yard, qui jusqu'ici a fait chou blanc dans ses tentatives d'arrêter les agitateurs sociaux. En plus, ces derniers bénéficient clairement de la complicité d'agents qui laissent filtrer des informations réservées, d'où la nécessité de court-circuiter la hiérarchie, pour en répondre directement et uniquement au ministre de compétence. Le tout avec beaucoup de brio et une couche de noirceur en moins, par rapport à ce que nous pouvions attendre de la version comic book.



Une des bonnes nouvelles de cet album, c'est le dessin de Giorgia Sposito. Il y a là-dedans une grande luminosité, et ce sont aussi les couleurs de Enrica Angiolini qui y sont pour beaucoup. Le lecteur découvre une élégance évidente dans les planches qui lui sont proposées, à commencer par une vraie richesse de détails dans les arrières cases mais aussi une grande attention aux visages, aux expressions ,notamment les regards (et les traits des acteurs) qui sont très crédibles. Et surtout, l'ensemble est aéré, agréable à lire, l'album se parcours d'ailleurs assez rapidement, car les textes et didascalies sont finalement peu nombreux, ce qui n'est pas sans créer un bel effet au final. Il est évident que nous ne sommes pas réellement le public cible de Enola Holmes, dont je n'ai personnellement jamais lu les œuvres écrites signées Springer, néanmoins l'honnêteté est de reconnaître que ce récit fignolé par Mickey George est suffisamment pétillant et rondement mené pour mériter de figurer sur les étagères d'un peu tout le monde, quel que soit le style de comic book que vous privilégiez en temps normal. Cette enquête basée sur un kidnapping, avec Enola Jones en héroïne intrépide et un garçon des rues comme aide de camp, peut aussi être vu comme le genre de lecture à mettre entre les mains d'adolescent qui hésite encore à se lancer dans les comics, rebuté par l'idée de pénétrer dans l'univers des super-héros. Celui d'Enola Holmes est accueillant et attachant et peut constituer une porte d'entrée très sympathique. 




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COSMOPIRATES TOME 1 : CAPTIF DE L'OUBLI (JODOROWSKY / WOODS)

 Xar-Cero est typiquement le genre de mercenaire sur lequel on peut compter. Si vous avez une mission à exécuter, soyez certain qu'il ir...