JOKER/HARLEY CRIMINAL SANITY : LE TUEUR ET LA PROFILEUSE


 Il est extrêmement difficile d'écrire aujourd'hui une histoire originale et intéressante qui mette en scène le Joker et Harley Quinn, tant les rapports entre les deux personnages ont été abordés sous de multiples points de vue, encore et encore, jusqu'à en dévorer la substantifique moelle. Alors, pour produire quelque chose d'inédit, la meilleure solution est de briser les codes établis et de s'affranchir totalement des versions que nous connaissons déjà, et surtout renoncer à la fameuse continuity. Kami Garcia a la chance de pouvoir proposer un album dans la collection du Black label de DC, autrement dit nul besoin de respecter ce qui s'est déjà déroulé et ce qui est prévu pour l'avenir; elle a la liberté totale d'inventer et de proposer un Joker et une Harley Quinn qui ne ressembleront en rien à ce que vous avez déjà lu. Par exemple, Harleen Quinzel est ici une profileuse au service de la police de Gotham, extrêmement douée, et elle a obtenu des résultats universitaires en psychologie et chirurgie tout simplement brillants, même si elle n'est pas connue pour toujours respecter les procédures dans le détail. De son côté, le Joker est un criminel qui a fait parlé de lui il y a quelques années, en assassinant notamment des hommes ayant tous eu des problèmes de violence paternelle (autrement dit des pères qui maltraitaient leurs enfants). Il a quelque peu disparu de la circulation mais il semblerait qu'il soit de retour, au grand dam des forces de police de la ville, qui sont bien désemparées devant de nouveaux meurtres. Il faut dire que ceux-ci sont particulièrement cruels et mis en scène d'une manière aussi spectaculaire que terrifiante, rappelant à chaque fois une œuvre d'art célèbre, comme par exemple l'Homme de Vitruve de Leonardo de Vinci ou bien la Vénus aux tiroirs de Salvador Dali. Il faut une compétence chirurgicale certaine pour arriver à ces compositions affreuses, où les corps sont démembrés et recousus, retravaillés pour ressembler à des statues ou des tableaux morbides. Le rôle de "Harley Quinn" est donc de comprendre qui est l'homme derrière ces atrocités, d'en dresser un portrait à travers sa manière d'agir, les indices qu'il peut laisser, non pas par négligence, mais les témoignages de son modus operandi, qui est tout aussi parlant qu'une trace d'ADN. Si l'album s'appelle Criminal Sanity, c'est aussi tout simplement parce que ce Joker là ne ressemble pas au dingo qui tue tout ce qui bouge, tout en poussant des gloussements  hystériques, ou bien qui se balade avec un costume affublé d'une fleur géante à la boutonnière, qui vous asperge de son jet d'eau acide. Il s'agit au contraire d'un homme extrêmement préparé, méticuleux, qui ne laisse rien au hasard, et dont la terrible et inexorable motivation répond à une pratique pensée et maîtrisée. Bref, comme le dit la scénariste, un super prédateur, auquel les proies ne peuvent échapper. 


Un Joker rajeuni, terrifiant de banalité en apparence, assez beau garçon ténébreux, mais dont le parcours familial et semé de drames sert de moteur, de déclencheur à une pulsion mortelle et égocentrée, nourrie par une absence totale d'empathie envers autrui. Tout est factice, construit, et ce Joker là (qui a d'ailleurs un nom, un prénom, un passé, tout est révélé) n'est pas le fils du chaos de Gotham, mais un artiste du mal, qu'il met en scène, jouant la surenchère pour occuper les feux des projecteurs. Harleen Quinzel a de son côté de très bonnes raisons personnelles de lui en vouloir, de préférer le voir mort que derrière les barreaux. Ses talents évidents font qu'elle est à la fois la meilleure arme du GCPD pour remonter jusqu'à lui, et dans le même temps, son pire ennemi. Elle prend une décision éminemment discutable (cet instant crucial dans le scénario, dont je ne partage pas la pertinence et la crédibilité) qui vient faire basculer le récit dans quelque chose d'autre, probablement moins précis et enlevé. C'est toujours la question éternelle, avec les comics américains, quand les méchants (ou parfois les héros eux-mêmes) sont aux prises directes avec le système judiciaire, carcéral, ou sécuritaire (les coups d'éclats au commissariat, au tribunal, en prison...). La vraisemblance se prend un atémi dans les cervicales, même si tout ce qui a précédé se voulait développé sous le sceau d'un certain pseudo réalisme. Là réside le point noir de ce Criminal Sanity, qui est pour le reste grandement réussi, car effrayant, vraiment. Le dessin n'y est pas pour rien, avec le choix de planches qui flirtent avec le photoréalisme, où tout est cliniquement présenté, des plis et des textures des habits, aux sentiments et réactions criants de vérité sur les visages des "acteurs". Mico Suayan réalise l'essentiel, c'est à dire les pages dans le présent, en noir et blanc sursaturé, alors que Mike Mayhew (prestation fugace ultraréaliste) et Jason Badower dépeignent les flash-backs en recourant à la couleur, ce qui est une inversion des codes attendus (le passé "éclaire" le présent?). L'album propose l'intégralité de la mini série en huit volets, y compris un numéro spécial composé des différentes pièces du dossier de Harleen (le dénommé "secret files") où la poésie des aquarelles de David Mack occupe quelques fiches. Malsaine et "moderne" dans son approche et son esthétique, cette sortie de fin d'été a le mérite d'être un vrai pas de côté dans la caractérisation des deux personnages phares. Sans avoir besoin de convoquer Batman et la ribambelle de justiciers bariolés de Gotham, dont l'existence n'est ici évoquée que par touches vagues et discrètes. 



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : 11 SEPTEMBRE 2001 LE JOUR OÙ LE MONDE A BASCULÉ


 Dans le 108e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente 11 septembre 2001, le jour où le monde a basculé, album que l’on doit au scénario de Baptiste Bouthier et au dessin d’Héloïse Chochois, édité chez Dargaud en partenariat avec le magazine Topo. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Bob Denard, le dernier mercenaire que l’on doit au scénario d’Olivier Jouvray, au dessin de Lilas Cognet et c’est édité chez Glénat

– La sortie de l’album Le jour où… le bonheur est là que l’on doit au scénario de BeKa, au dessin de Marko et c’est édité chez Bamboo

– La sortie de l’album Voyage autour de ma chambre que l’on doit au scénario d’Aurélie Herrou, au dessin de Sagar et c’est édité chez Glénat

– La sortie de l’album Animal social club que l’on doit à Hervé Bourhis et aux éditions Dargaud

– La sortie du premier tome du diptyque Madeleine, résistante basé sur l’histoire de Madeleine Riffaud, sur un scénario de Jean-David Morvan, un dessin de Dominique Bertail et c’est édité chez Dupuis

– La sortie de l’album Les filles du Kurdistan, une révolution féministe que l’on doit au scénario de Mylène Sauloy, au dessin de Clément Baloup et c’est édité chez Steinkis dans la collection Témoins du monde





LE WOLVERINE DE CHRIS CLAREMONT & FRANK MILLER


 Il est le meilleur dans sa partie. mais ce qu'il fait n'est pas toujours très ragoutant. Voici donc la devise de Serval, pardon, Wolverine, tel que le personnage était à son âge d'or, sous la plume de Chris Claremont et les crayons de Frank Miller. Un mutant qui tient tout autant de l'homme que de la bête féroce, dont il tente de réprimer les instincts primaires, sans pour autant y parvenir à tous les coups. Parfois la violence explose, et c'est avec hargne et passion qu'il déchiquète ses adversaires du moment. Cela peut se produire en présence d'un ours gris blessé et dangereux, ou bien face à des hommes de la Main, ces maîtres des arts martiaux et de l'assassinat rapide et furtif. Eloquente à ce sujet la scène où Logan perd les pédales devant les yeux de sa bien aimée Mariko, se disqualifiant ainsi à ses yeux, en voulant la sauver. Mais revenons à ce récit en quatre parties, fondamental, qui pose les jalons de lustres d'aventures à venir. Notamment car il permet de tisser les liens qui unissent le petit griffu au Japon, les rapports étroits (et sentimentaux) qui expliquent pourquoi Wolverine est un mutant versé sur la culture orientale. 

Mariko Yashida est la femme qu'il aime. Au point de confesser de pas pouvoir vivre sans elle. Un tantinet exagéré, mais c'est ainsi. Problème, la demoiselle est rentrée chez elle en orient, sans crier gare, et ne souhaite plus avoir de rapports avec son amant, sans lui fournir d'explications. C'est que son père, un des maîtres de la pègre locale, l'a mariée avec un anonyme homme d'affaires, et que au pays du Soleil Levant, les respect des traditions et le code de l'honneur sont des repères avec lesquels on ne plaisante pas. D'autant plus que derrière cette décision se cache aussi tout un plan qui même affairisme local, et machination pour se débarrasser de Wolverine, qui est jugé indigne d'être le compagnon de Mariko. Cette dernière est soumise au point de subir des violences conjugales, ce qui ne fait que décupler la colère d'un Logan qui finit par sombrer dans la déprime, vaincu par le géniteur dans un combat au sabre (en bois) et séduit par Yukio, une fille des rues, hautement dangereuse, qui a elle aussi des objectifs très personnels et cache une bonne partie de ses motivations à son amant canadien. Car oui, à l'époque Logan boit comme un trou, il aime le cigare, et ne dédaigne pas la chair fraiche et les nuits animalesques. Autre temps, autres mœurs. 

Toutes les premières années de Wolverine s'articulent autour de la recherche de la sérénité intérieure, de la domination du côté animal, qui n'attend qu'une bonne excuse pour surgir. C'est cet aspect particulièrement violent qui a séduit Yukio, qui l'a rendue complètement accro; inversement Mariko représente la femme inaccessible et posée, celle qui donne à Logan l'envie d'être différent, meilleur, de dompter la furie qui fait rage en lui. Mais à ne pas savoir choisir, ou en tous les cas à faire le mauvais choix au mauvais moment, Wolverine risque de tout perdre. Chris Claremont est bien entendu à son sommet ici, et il donne une interprétation classique et édifiante de ce qu'était autrefois le mutant canadien, lorsqu'il était en permanence nimbé de mystère, et que personne ne savait rien de ses véritables origines, de ses souffrances passées. Frank Miller est le dessinateur, et il est dans une période d'inspiration extraordinaire. On le voit ici utiliser les espaces blancs pour mieux faire ressortir la masse et la force des personnages. Ceux-ci semblent comme jetés dans le vide, sortir du bord des vignettes. Joe Rubinstein apporte aussi sa touche à l'encrage, en arrondissant, assouplissant, le trait de Miller. Les planches sont parcourues par une tension émotive et une violence latente de toute beauté, nous trouvons une alternance de champs larges et de premiers plans resserrés avec moult détails, qui perdent le lecteur, à la recherche de nouveaux point de repère, continuellement changeants, et le plonge dans une aventure sans concession, qui se partage entre un Japon idéalisé et mal famé, et un récit de combat qui convoque le meilleur de la tradition orientale. Cette histoire en quatre parties a été publiée une première fois par Lug dans un récit complet Marvel en 1984, et récemment elle a fait l'objet d'un volume de la collection Hachette dite "de référence" (le numéro 8). A lire aussi dans l'intégrale Wolverine, tome 1. A noter que cette mini série a amplement inspirée le film Wolverine : Le Combat de l'immortel, qui est d'un niveau qualitatif bien moindre...





CAN'T GET NO (SATISFACTION) : RICK VEITCH ET UN OVNI MAGNIFIQUE CHEZ DELIRIUM


Il vous arrive peut-être d'entendre autour de vous tous ces gens qui se plaignent que les comics finissent, avec le temps, par se ressembler. C'est en partie vrai, mais il suffit parfois de faire l'effort de regarder en dehors des ornières pour se rendre compte qu'il existe aussi des publications indépendantes tellement surprenantes, audacieuses et intéressantes, que ne pas s'y pencher, ne serait-ce qu'une fois de temps en temps, est un véritable crime contre la bande dessinée. Aujourd'hui par exemple, nous nous intéressons à un album publié chez Delirium, qui est entièrement réalisé par Rick Veitch. Cet artiste complet qui a déjà à notamment été apprécié chez DC Comics (Aquaman, Swamp Thing, Sergeant Rock...) et qui a reçu le prix Eisner pour l'anthologie Tomorrow Stories, livre au début des années 2000 chez Vertigo une histoire tellement alambiquée, qu'il est presque impossible de la décrire sereinement. C'est un véritable ovni métaphysique, psychédélique et politique, qui débarque en cette fin d'été dans un splendide format (presque) à l'italienne, pour notre plus grand plaisir. Il met en scène Chad Roe, un de ces golden boys américains qui semblent avoir fait fortune et vivre une vie de pacha, au milieu des biens matériels et de jolies femmes, le tout grâce à l'invention d'un marqueur indélébile dont l'encre résiste à tout, absolument tout. Sauf qu'il y a un côté pervers à cette efficacité, puisque les new-yorkais se mettent à l'utiliser pour taguer les espaces publics dans la ville. Rapidement c'est le procès qui commence et la compagnie florissante, l'invention géniale, deviennent une épine dans le pied et l'annonce d'une banqueroute. La descente aux enfers se poursuit puisque au lendemain d'une soirée arrosée Chad (qui était déjà un gros consommateurs d'antidépresseurs et de médicaments variés) fait la rencontre de deux charmantes créatures qui l'entraîne chez elles et lui recouvrent tout le corps de dessins étranges, de formes géométriques et de symboles cabalistiques, le transformant ainsi en une œuvre d'art postmoderne, mais aussi et tout simplement en un monstre, un paria aux yeux de la société qu'il fréquente habituellement. Pour ne rien arranger toute cette histoire ne se produit pas à un moment pris au hasard dans le temps, mais en septembre 2001! Oui vous avez compris, le réveil va être brutal, non seulement pour notre "héros" mais aussi pour l'Amérique toute entière, qui découvre avec stupeur, sans prévenir, que des avions viennent de s'encastrer dans les tours du World Trade Center. Le monde dorénavant ne sera plus jamais pareil. Rick Veitch a beaucoup à dire et son brûlot embrasse tous les genres, politique, humaniste, poétique ou social. D'ailleurs même la façon de raconter le récit est en marge totale de ce qui se fait d'habitude. 




Pas de dialogues, rien de traditionnel, mais un très long poème en prose, un texte riche et dense, qu'il faut affronter avec une grande ouverture, et qu'il a fallu traduire en prenant mille prises de risque et une culture bien au dessus de la moyenne. C'est un poète lui-même, Jean Hautepierre, qui s'y colle (l'artiste a traduit les œuvres poétiques d'Edgar Allan Poe, par exemple), et c'est magnifique. Cet album verse dans un psychédélisme déroutant, creuse à vif au plus profond de l'âme américaine, d'un pays et d'un peuple traumatisé, mais qui était déjà en manque de repère avant que les attentats ne surviennent. L'odyssée de Chad le porte à se confronter à des soirées tribales, au racisme quotidien d'une bande de criminels qui donne la chasse à des bons samaritains musulmans, et ses errances flirtent avec l'absurde, le symbolisme, l'onirique, le cauchemardesque. L'effet de sidération est total, et le lecteur perd pied, n'a rien d'autre à quoi se raccrocher, si ce n'est ses propres perceptions au sujet de ce qu'il lit, ce qu'il croit y déceler, ce que l'image et le texte expriment, ou plutôt évoquent et convoquent en chacun de nous. Rick Veitch est de surcroit un vrai bon dessinateur, qui ne cherche pas à masquer une absence de fondamentaux par un style bâclé ou si original qu'il en est hermétique. Non, les planches sont toujours très claires, lisibles, dans un noir et blanc de classe, contrasté, aux ombres marquées. Can't get no est au final une des œuvres les plus indescriptibles et personnelles que vous aurez l'occasion de lire dans votre vie, et rien que pour cette audace, pour cette créativité explosive, on vous recommande de ne pas laisser passer l'occasion. 

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : FATTY


 Dans le 107e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Fatty, premier roi d’Hollywood, album que l’on doit au scénario de Julien Frey et au dessin de Nadar, édité chez Futuropolis. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Ascension et chute d’un monstre du cinéma — Bela Lugosi que l’on doit à Koren Shadmi et aux éditions La boite à bulles


– La sortie de l’album L’heure H sur une histoire originale d’Erri De Luca aidé au scénario par Cosimo Damiano Damato et dessiné par Paolo Castaldi pour un album édité chez Futuropolis


– La sortie de l’album Du bruit dans le ciel que l’on doit à David Prudhomme et aux éditions Futuropolis


– La sortie de l’album La solution pacifique, l’art de la paix en Nouvelle-Calédonie que l’on doit au scénario conjoint de Makyo et Jean-Edouard Gresy, au dessin de Luca Casalanguida et c’est édité chez Delcourt


– La sortie de l’album Le bourdonnement d’un moustique que l’on doit à Andrea Ferraris et aux éditions Delcourt


– La sortie de l’album Love me que l’on doit à Naomi Reboul et aux éditions Les enfants rouges


LA CHUTE DU MARTEAU (FALL OF THE HAMMER) : UN CROSSOVER EN 2099


Dans l'univers futuriste de 2099, une des préoccupations majeures des scénaristes est l'écologie; c'est d'ailleurs même le principe à la base de la série consacrée à Ravage, le seul super-héros 100 % original inventé pour l'occasion, par Stan Lee et Paul Ryan. Il faut dire que cet avenir ultra technologique est très sombre. Le monde est pollué (tiens donc…), les grandes corporations ont remplacé les État-nations tandis que la course au profit a nécessité le sacrifice d'une grande partie de la population, qui vit dans la misère, dans les bas-fonds, alors que toutes les villes se sont élevées démesurément, se sont stratifiées, que l'air est y devenu irrespirable et que la nature semble avoir disparu. La plus grande compagnie, qui domine ce qui était autrefois l'Amérique, s'appelle Alchemax; elle est responsable de la création d'une sorte de cité flottante qui rappelle l'antique Asgard : le Valhalla. A son bord, nous trouvons des dieux nordiques comme Thor ou Heimdall, qui sont tous en fait des êtres humains comme vous et moi, mais qui ont été génétiquement reprogrammés et améliorés en laboratoire. Le but est simple : s'appuyer sur la croyance populaire que Thor reviendra bientôt pour sauver la planète, afin de proposer aux classes dominées des super-héros cent pour cent officiels à admirer et à révérer, et qui seront donc en opposition avec cette nouvelle génération spontanée, dont le principal représentant est Spider-Man. Un Miguel O'Hara (et non plus Peter Parker, vous suivez ?) qui commence malgré lui à inciter les foules, à provoquer une prise de conscience et la rébellion. Le crossover en cinq parties concerne aussi la série des X-Men 2099, celle de Fatalis, qui à l'époque était déjà en train de tramer pour accéder au pouvoir suprême, mais aussi le titre du Punisher, un personnage qui n'a pas connu la gloire de la publication en VF chez Semic, si ce n'est donc à l'occasion de cet événement. Pour Ravage l'heure est d'autant plus grave que sa petite amie d'alors, une certaine Tiana, a été transformée en Héla, la grande prêtresse de la guerre et de la mort. Il faut dire que la jeune femme se sentait un peu délaissée dans son rôle de secrétaire potiche qui attend l'intervention de son bien-aimé (dans les premiers épisodes elle est enlevée par un peu tout le monde) et afin de s'affirmer en tant que femme, elle a accepté bien innocemment cette métamorphose qui lui coûtera cher. 




La cité flottante du Valhalla ne tardera pas à menacer de s'écraser, d'où le nom du crossover "la chute du Marteau"; Cela risque d'être la base d'une catastrophe écologique sans précédent, c'est pourquoi les super-héros tentent de la neutraliser avant qu'il ne soit trop tard. En face, le nouveau Thor est ultra violent et il n'a aucune déontologie. Dès sa première apparition, il tente d'affirmer sa virilité en proposant à la compagne de Miguel O'Hara de rester à bord, pour profiter des "plaisirs des dieux" (je vous fais un dessin ?) S'ensuit un accrochage inévitable avec Spidey au cours duquel on constate que ces pseudos déités technologiques sont tout de même vraiment puissantes, tant qu'on ne les désactive pas. Le crossover est assez sympathique à suivre, et pas très long, pour peu évidemment que vous soyez sensibles au charme rétro qui se dégage des aventures se déroulant en 2099. Au niveau du dessin il y a un peu tout et n'importe quoi; du très bon avec des valeurs sûres comme Rick Leonardi  par exemple, qui réussit toujours à livrer des planches à la hauteur de sa réputation, faisant évoluer Spider-Man comme personne, si on apprécie son style, c'est évident. Ou encore Ron Lim, efficace et toujours rapide pour sortir de 20 à 40 planches mensuelles sans gros coup de mou. Et d'autres qui sont beaucoup plus discutables… l'épisode de Ravage, pour ne citer que lui, souffre de l'équipe artistique alors en place depuis quelques numéros, qui proposait des choses pas très jolies pour les yeux. Grant Miehm y met du sien pour ce qui est de l'action, mais les corps et les visages ne sont pas habités par la grâce, c'est un euphémisme… Pour la résolution de ce crossover, Ases oblige, il faudra compter aussi avec… Loki 2099, lui aussi personnage "manufacturé" et technologique, ancien scientifique chez Alchemax et collègue d'un des membres des X-Men, à qui il avait transmis des informations capitales sur les vices de forme des stabilisateurs de vol du Valhalla. Jordan Boome, de son vrai nom, reste le dieu de la duperie, le prince des fourbes, et le mensonge est le meilleur allié possible pour des héros aux tendances écolos et altruistes. Inutile toutefois d'aller tanner Panini pour obtenir une réédition en albums, voire en Intégrales ou en Omnibus, à vue de nez ces épisodes sont destinés à devenir des pièces prisés des archéologues, au fur et à mesure du délitement du papier des vieux mensuels Semic. 
Edit 2024 : Bon, Panini a finalement tout publié dans l'omnibus Spider-Man 2099, en 2023. que nous étions peu confiants, en 2021 ! 


C'est dispo en VO!


UNIVERSCOMICS LE MAG' #14 : POUR L'AMOUR DES COMICS

 

Numéro spécial vacances 2021. Pour l'amour des comics.
Sommaire :
❤️ Pourquoi nous aimons les comics. Parlons-en!
💣 AWA seconde vague chez Panini Comics France. Bad Mother, American Ronin.
❓ Le psycho-test de l'été. Quel mutant êtes-vous? Avec Anthony Huard
⚽️ Mieux que Lionel Messi, voici venir Eric Castel! Avec Eddy Maniette
🔴 Les Power Rangers, de l'animation japonaise aux comics avec Alexandre Chierchia
🎙Interview : Klaus Janson, un "monstre" des comics avec Filippo Marzo de Comics Reporter. Grazie!
📕 Le cahier critique. Nos papiers sur Black Widow, We only find them when they're dead (chez HiComics) Loki sur DisneyPlus et Un été cruel, une perle chez Delcourt Comics
🤓 Preview avec Bleed them all, à venir en fin de mois chez HiComics
🕵️‍♀️ Focus sur le nouveau #DylanDog disponible chez Editions Mosquito. Une révolution pour le personnage.
👊Le portfolio du mois d'août
📘Nos conseils pour les achats librairie VF du mois d'août
Cover sublime (il faut le dire!) de Max Moda Art. Likez vite la page et suivez cet artiste! Grazie mille!
Design et graphisme Benjamin Carret Art Page dont le nouvel artbook est disponible! (voir dans notre numéro).

HARLEY QUINN BLACK + WHITE + RED : CARTE BLANCHE EN TROIS COULEURS


 Trois couleurs, pas une de plus. Ce n'est donc pas une mince affaire que de réaliser 19 petits récits indépendants, qui mettent en scène Harley Quinn, tout en respectant cette idée de départ, qui est le fil conducteur de l'album publié chez Urban Comics. Du coup, vous n'en serez pas étonnés, c'est avant tout par son aspect graphique que l'objet attire l'attention. Il y a à l'intérieur une longue kyrielle d'artistes invités, dont les styles peuvent différer du tout au tout, allant du réalisme léché (Stjepan Sejic) au croisement entre le manga et le comics traditionnel (Mirka Andolfo), sans négliger les territoires rassurants de la série régulière (Chad Hardin) ou l'expérimentation minimaliste. Bref, de quoi se rincer les yeux, à condition bien entendu qu'on soit adepte de la découverte, de la pluralité des dessins, et qu'on ne cherche pas encore et toujours la sempiternelle répétition d'une seule et unique façon de faire. Du coté du scénario maintenant, il faut être honnête, tous les récits sont loin de se valoir. Le personnage de Harley se prête idéalement à des délires cocasses, tordus, féministes, irrévérencieux, mais est aussi particulièrement casse-gueule si on prétend insuffler un peu de sérieux et de réflexion dans l'ensemble. Sejic est placé en ouverture, et c'est très bien ainsi, car lui ne caricature pas la belle bouffonne, mais il s'arrête sur une évidence trop souvent oubliée, Harleen Quinzel est avant tout une psychologue/psychothérapeute qui aurait pu mener une brillante carrière, si elle n'avait pas croisé la route du Joker, dont elle est tombée amoureuse. Un rapport toxique où la jeune praticienne est humiliée et exploitée, jusqu'à une rupture longue à décanter, et un sentiment de haine, de revanche, qui couve sous les cendres. Juste après, grand écart total, avec Andolfo qui propose de rire un peu, en parodiant les réseaux sociaux, et l'importance que prend aujourd'hui l'image dans les vie des gens. Harley Quinn et Catwoman sont ainsi embarqués dans une histoire où il est question de la nouvelle reine de Gotham, et on le voit d'emblée, Black+White+Red ce sera véritablement le patchwork de tous les dangers, où tout est possible, ça part dans tous les sens!


Le bref récit que j'ai trouvé le plus intelligent, c'est celui de Patrick Schumacker, et dessiné par Eleonora Carlini. Harley décide de rejoindre la Légion Fatale menée par Lex Luthor, et celui-ci se lance dans des délire verbaux et verbeux sur la manière dont fonctionne aujourd'hui une entreprise vouée au mal. Les commentaires de Bane, les réactions des autres grands méchants, la pertinence et la drôlerie des textes, font de l'ensemble un petit bijou qui fonctionne très bien, et qui est vraiment d'actualité. Simon Spurrier et Otto Schmidt réussissent également à nous intéresser avec la même scène racontée par plusieurs petites frappes, qui décrivent la façon dont Harley Quinn intervient et laisse exploser sa violence dingue dans un bar. Mais en d'autres occasions on flirte avec l'anecdotique, comme lorsque David Mandel et Adam Hughes nous transportent en période Noël / Hanouka, sans que ça nous fasse vibrer plus que ça. Cela dit même si le scénario est souvent faiblard, c'est un plaisir de voir des artistes du calibre de Matteo Scalera, Greg Smallwood ou encore Stephen Byrne (décidemment très intéressant et en progrès constant) offrir leurs interprétations des élucubrations de la bouffonne au marteau, très souvent associée à Poison Ivy, dont elle est désormais une partenaire dans la vie et dans les "affaires" constante. Un pot pourri, en définitive, un hommage et un défi formel relevé largement, mais qui manque un peu d'originalité et de classe dans l'écriture. 

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : ENTRE LES LIGNES


 Dans le 106e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Entre les lignes, album que l'on doit à Dominique Mermoux qui adapte un roman de Baptiste Beaulieu, édité chez Rue de Sèvres. Cette semaine aussi, on vous entraine sur les routes de France pour vous faire découvrir des lieux consacrés à la bande dessinée :

– La cité internationale de la bande dessinée et de l'image présente à Angoulême

– L’exposition temporaire Picasso et la bande dessinée présentée jusqu'au 2 janvier 2022 à la cité de la bande dessinée d'Angoulême.




LOKI : ENTRE MENSONGES ET MULTIVERS


 Quand on est aussi le prince du mensonge, un dieu de la duperie, il n’est pas si surprenant d’être concerné par l’existence de lignes temporelles parallèles. Chacune de vos décisions, chacun de vos petits arrangements avec la réalité sont autant de possibles, c’est-à-dire d’interprétations qui deviennent « de facto » ce qui est, par votre bon vouloir, ou votre talent. Loki a cependant une certitude des plus funestes, quoi qu’il désire. Thanos sera sa fin, a été sa fin, alors face au Titan fou, point d’échappatoire, plus d’avenir, plus de ruses. La fuite est toujours possible, mais elle ne fait que repousser l’inéluctable. Et faire joujou à travers les couloirs du temps pour s’y préserver un espace de subsistance ou les moyens de rebondir, c’est aussi et surtout l’assurance de se faire prendre la main dans le sac, par le TVA (Time Variance Authority), un tribunal temporel un peu baroque, où de nombreux agents (dont le bien nommé Mobius, c’est-à-dire Owen Wilson) sont en charge de la préservation de la pureté chronologique. Si vous n’êtes pas au bon endroit, ou serait-il plus exact de dire si vous n’êtes pas au bon moment de votre existence, vous êtes considérés comme un « variant » (jamais choix de terme n’a semblé plus pertinent et narquois en ces temps de pandémie si répétitive), c’est-à-dire une variation sur un thème, joué à un moment incongru de la partition, et susceptible de mettre en péril toute la symphonie…



Loki est loin d’être tout puissant, que ce soit en raison de ses origines, son passé, qui sont autant de failles béantes qui laissent à deviner une profonde solitude et un déterminisme écrasant, ou par ses actes récents, c’est-à-dire une cuisante défaite face à Thanos, une confrontation avec ces agaçants Avengers, et l’humiliation de la capture par le TVA et la captivité qui en découle. Des obstacles, des échecs, des moments faibles, que Loki ne peut dépasser autrement que par le sarcasme et se sentiment de supériorité sur autrui, qui n’est qu’une façade. Cela dit il est également plein de ressources, trouve régulièrement une possibilité pour exploiter les contingences extérieures et contaminer subtilement le réel pour le faire ployer dans son propre intérêt. Et c’est ainsi que Loki se retrouve à enquêter sur les agissements des Loki(s), c’est-à-dire toutes les itérations de lui-même, qui ont la fâcheuse tendance à semer un joyeux désordre, tout en survivant à peu près à tout dans le Multivers. Un de ces drôles de « variant » est une Loki au féminin (excellente Sophia Di Martino, qui interprète ce rôle avec une justesse et un rayonnement évidents), ce qui permet d’opérer à cœur ouvert, et d’examiner avec une curiosité amusée et tragique à la fois la rapprochement d’un être insensible (jusque là) et de lui-même. Les deux mêmes facettes d’une même pièce, qui se rendent compte subitement que leur véritable valeur dépend intrinsèquement de cette double identité, condition sine qua non pour donner du sens à l’individualité solitaire. S’aimer soi-même, le paroxysme du nombrilisme, permet ici enfin de s’ouvrir sur l’autre. Tout ceci est aussi le meilleur moyen d’adresser de franches œillades aux lecteurs de comics, qui savent bien qu’il existe depuis toujours une multitude de Loki(s) au format papier, et qui vont pouvoir se délecter à en reconnaître quelques-uns, en les croisant au fil des épisodes, entre avatars grotesques, improbables, ou terriblement tragiques. 


Les deux premiers épisodes nous promènent à l'intérieur des murs claustrophobes et aliénants du TVA (Time Variance Authority), une organisation qui est donc là pour empêcher la création du multivers et conséquemment le chaos. Curieusement, ce chaos est nécessaire, voire vital, pour les plans des Marvel Studios, qui tablent franchement sur ce concept pour aller de l’avant sans se prendre les pieds dans le tapis de leurs ambitions . Loki de son côté a toujours occupé le rôle du monstre, le méchant, portant le masque complet avec des cornes. Mobius révèle ses faiblesses et sa fragilité, lève le voile et découvre un homme sous les traits d'un dieu. Le revers de la médaille, c'est la liberté, incarnée par Sylvie (Loki au féminin). Elle est en fuite depuis qu'elle est enfant, car le TVA l'a privée d'une vraie vie, elle qui n’était pas prévue pour exister. Tout comme il n’était pas prévu que Loki puisse changer, évoluer, et vivre vraiment, lui également. Les deux Loki(s), dans leur fuite des agents du TVA, retrouvent une petite lueur de liberté et de justice. Ensemble, ils complotent pour renverser un système louche et corrompu. Parce que le bureau temporel n'est pas ce que tout le monde croyait ; un peu comme le SHIELD sous la direction secrète d'HYDRA. Les systèmes autoritaires de l'univers cinématographique Marvel cachent toujours un côté sombre. Lamentis-1, refuge post apocalyptique des personnages, devient ainsi la métaphore d'un monde qui s'effondre et de la série en elle-même. Un univers au bord de l'apocalypse, et deux « héros » qui courent sans arrêt pour s'échapper et changer l'histoire. Sauvés puis emprisonnés par le TVA, Loki et Sylvie découvrent deux précieux alliés en la personne de Mobius et B-15. Le personnage joué par Wunmi Mosaku, tout d'abord mentalement contrôlé et reformaté, avait en effet été « libéré » par la déesse Sylvie/Loki, découvrant ainsi la supercherie de l'organisation pour laquelle elle a sacrifié sa vie : tous les agents ne sont que des variants retirés de leur chronologie première. Le vaste mécanisme de préservation des lignes temporelles ne serait qu’un carcan, une vaste blague, un jeu dont les règles restent inconnus aux pions qui s’agitent sur l’échiquier, tandis une secrètement quelqu’un tire les ficelles de toutes les marionnettes, de toutes les lignes temporelles possibles ? Vous avez dit Kang ? 



(attention, ici spoilers!)

C’est ainsi que le dernier épisode de la série, très bavard, statique, et centré sur une confrontation idéologique et un choix cornélien à opérer, est en fait le vrai début de la prochaine phase de l’univers Marvel. Loki et Sylvie font la connaissance du grand contrôleur de toutes les réalités (He who remains), le marionnettiste qui agite toutes les ficelles. Ce n'est autre qu'un être humain doté de grandes compétences scientifiques et technologiques, petite déception philosophique. En fait, on apprend que c'est lui qui a découvert les méandres du Multivers et fait la connaissance le premier de ses propres variants. L'idylle s'est vite terminée, car toutes ces variants n'avaient pas la même vision de la paix et de l'échange mutuel. Ainsi commença une guerre pour la suprématie, et la soif de conquête l'emporta sur la raison. Pour éviter la catastrophe, notre pseudo Kang/Immortus a trouvé un moyen de mettre fin au conflit : annihiler le Multivers et garder une seule chronologie « canonique ». Cependant, fatigué de son rôle, il propose aux deux Lokis de le remplacer et d'empêcher une autre version de lui-même de faire à nouveau des ravages. Notre Loki à nous (Tom Hiddleston) semble presque accepter son rôle, mais Sylvie n'abandonne pas et élimine "le tyran" qui lui a enlevé sa liberté. C’est ainsi que Marvel place ses billes, rafle la mise, et voit son avenir tout à coup s’éclaircir. Une décision qui ouvre la porte à tous les possibles. Remplacer n’importe quel acteur ou personnage par un nouveau venu ou une nouvelle mouture, sans trop devoir fournir d’explications. Effacer la chronologie établie, ou repartir sur de nouvelles bases. Rendre à l’ensemble de l’univers cinématographique pathos et réels enjeux, après la disparition de Thanos, en instaurant un Kang tout puissant, dont l’ombre de la menace n’a même pas encore commencer à planer sur la tête de tous nos héros. Bref, Loki est nos seulement une série agréable à suivre, mais l’indispensable clé pour accéder au niveau supérieur, comme dans ces vieux jeux sur Super Nintendo, où tuer le boss final de chaque niveau n’était que le préambule à la suite de la partie. On va en voir de belles, vous voulez parier ? 

THE SUICIDE SQUAD : LE GRAND PIED DE NEZ DE JAMES GUNN



 La véritable mission suicide du film est peut-être celle de prétendre donner une suite, ou pour être exact de faire ressurgir de ses cendres la Suicide Squad, après le long-métrage de 2016 signé David Ayer, qui fut, admettons le, un échec retentissant. En définitive nous nous sommes dirigés vers la salle obscure et peu fréquentée en ce moment (les spectateurs ne se bousculent pas à l'entrée, entre masque obligatoire durant les séances et passe sanitaire que tous ne possèdent ni ne désirent pas) pour voir le travail de James Gunn, pourtant considéré comme le seul capable d'opérer ce genre de miracle -à savoir ressusciter une franchise moribonde- avec un petit quelque chose de pessimiste au fin fond du cerveau. Mais James Gunn, donc. Son talent principal est probablement d'être un geek, c'est-à-dire de maîtriser parfaitement tous les codes du genre, de savoir utiliser l'humour avec bon escient, d'adresser le clin d'œil qu'il faut savoir faire au bon moment, de divertir sans aucun complexe, tout en proposant un produit qui a du sens, une histoire qui tient debout et qui se laisse regarder avec plaisir. D'ailleurs ici point n'est besoin de mettre sur pied une origin story et de raconter pour chacun des personnages la source de leurs pouvoirs, d'où ils viennent, les traumas blessures ou autres expériences qui les ont poussés à devenir ce qu'ils sont... le tout est ébauché de temps en temps avec ironie, ou amené au détour d'une conversation. Il y a bien quelque flashback, notamment pour la gothique Ratcatcher, mais tout ceci ne vient pas empiéter sur un scénario linéaire, qui se fixe un objectif et l'atteint, sans jamais déroger à ce qui ressemble à une course folle et déjantée. Le réalisateur ne fait pas de complexe et d'entrée de jeu il prend un contre-pied malin, en jetant au visage du spectateur (qui ne connait pas vraiment les héros dont il est question ici) un groupe fantomatique qui sert de leurre. Cette équipe connaît une déroute mémorable et splatter, sur une île fictive du nom de Corto Maltese. Cette introduction désopilante et cruelle est en fait le point de départ de la véritable Suicide Squad, qui s'articule autour d'un chef présumé comme Rick Flag, une bande de seconds couteaux sans grand sens stratégique, et une vedette comme Harley Quinn; c'est suffisant pour proposer un ensemble hétéroclite et dysfonctionnelle mais éminemment drôle, où le manque de savoir-faire, l'approximation la plus totale et les failles béantes servent de moteur à tout ce qui va suivre. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si même Harley Quinn bénéficie d'un traitement globalement réussi, où toute sa folie peut éclater aussi bien de manière visuelle, à travers les choix esthétiques du réalisateur, que dans les dialogues et les situations. Comme dans chaque groupe qui se respecte, placer un animal anthropomorphe, ou en tous les cas un personnage issu du sérail animalier, permet de créer un décalage bienvenu. Ici c'est le requin King Shark qui s'y colle, dans la peau au départ du presque grand méchant potentiellement dangereux pour ses coéquipiers (il souhaite tout de même en dévorer une!) et qui peu à peu se rachète, en découvrant les valeurs de l'entraide et de l'amitié. Une des grandes réussites du film, c'est de n'avoir absolument aucun tabou envers le second degré et l'hémoglobine, et les situations extrêmes. Vous souhaitez voir une tête rouler en gros plan, une hache qui fend un crâne dans toute sa largeur ou des individus démembrés, vous êtes ici au bon endroit. Le sang coule mais c'est toujours proposé d'une manière caricaturale et excessive, ce qui fait qu'on ne peut pas se retenir d'esquisser un sourire ou de franchement exploser de rire, là ou autrement nous aurions pu être clairement embarrassés.



Un film violent, dans le sens le plus "pop du terme", car comme chacun le sait, l'époque est à la débauche, la surenchère. Et ça marche. Une réussite qui s'explique pour commencer par les interprètes, tous complètement dans la peau du personnage (John Cena est celui qui surprend le plus du point de vue du jeu d'acteur, offrant bien plus que ce que l'on aurait pu attendre du Peacemaker, loin d'être une star montante), au point que l'effet "bande d'amis pour lesquels on tremble" et le choc de la trahison remplissent parfaitement leur office. La structure dramaturgique est telle qu'elle surprend même le spectateur le plus sceptique, pour le mener jusqu'au terme de la chevauchée, quoi qu'il puisse arriver, jusqu'à l'entrée en scène de la menace suprême, l'extraterrestre Starro, qui débouche cependant sur une conclusion un peu téléphonée (de nouveau, le pugilat généralisé pour clôre un cinécomics, c'est le point faible inhérent au genre). Twists, secrets et trahisons constituent le mélange mortel d'un film qui se termine presque trop vite. Non pas que James Gunn devait faire un film de  trois heures ou plus (une fantaisie qui colle plus au tempérament de Zach Snyder), mais il pose sans aucun doute les bases d'un univers - que l'on verra en partie à la télévision plus tard - qu'on aimerait certainement retrouver, encore une fois, au cinéma. Dans Suicide Squad on peut lire la volonté de mettre en avant un groupe de derniers de la classe qui ne sont pas particulièrement stables mentalement et qui décident de se rebeller au déterminisme et aux failles qui plombent la vie de ceux qui échouent, et pensent ne pas valoir grand chose. Cette Suicide Squad se transforme au fil des minutes en miroir de cette société abandonnée, dupée et trompée, si actuelle. Des individus fatigués de ne vivre que dans un présent hostile, fuyant un passé douloureux, mais désireux de pouvoir aspirer au futur que tout semble leur refuser (ils agissent tout de même avec une bombe implantée dans le cerveau, pas de quoi voir la vie en rose et faire des projets d'avenir). Cette partie de la société qui est obligée de rester spectatrice, de simplement suivre les règles ou les ordres et de ne pas poser de questions. Et c'est ainsi que ces criminels fous deviennent un modèle de révolte et de révolution. Solidarité, union et empathie sont leurs munitions. La résolution finale du film réside précisément dans l'union. L'escouade est devenue une fraternité, au grand dam d'Amanda Waller qui elle perd le respect et la crainte de ses subalternes! Ce n'est certainement pas la rédemption que recherchent pourtant les personnages de James Gunn. Le réalisateur ne veut pas en faire des héros, cela n'a jamais été son intention, mais il fait quelque chose de plus audacieux. Il part à la découverte de leur humanité! Leur désir d'aller au-delà des apparences, au-delà du simple appât du gain ou du but personnel. Pour une fois, ils veulent se sentir membres d'une équipe, d'un projet, du monde tout simplement, et faire quelque chose que trop de héros ont peut-être oublié de faire : suivre leur  libre arbitre, protéger les innocents, au mépris du danger et des conséquences. Un hymne aux ratés, aux laisser pour compte, à ceux en qui on ne croyait guère plus. Le terreau le plus fertile pour la créativité débridée et décomplexée de James Gunn, qui gagne son pari haut la main. 

LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : CONTRAPASO


Dans le 105e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Les enfants des autres, premier tome de la série Contrapaso que l’on doit à Teresa Valero, édité chez Dupuis. Cette semaine aussi, on vous entraine sur les routes de France pour vous faire découvrir des lieux consacrés à la bande dessinée :
– L’exposition consacrée à Albert Uderzo et intitulée Uderzo, comme une potion magique au musée Maillol à Paris
– L’exposition à la cité de l’économie de Paris autour du personnage de Largo Winch

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LA NUIT DES LANTERNES CHEZ DELCOURT : LE DEUIL, LA COLÈRE, L'HORREUR

 Le personnage principal de cet album signé Jean-Étienne s'appelle Eloane. C'est une jeune femme qui retourne dans la maison familia...