CAN'T GET NO (SATISFACTION) : RICK VEITCH ET UN OVNI MAGNIFIQUE CHEZ DELIRIUM


Il vous arrive peut-être d'entendre autour de vous tous ces gens qui se plaignent que les comics finissent, avec le temps, par se ressembler. C'est en partie vrai, mais il suffit parfois de faire l'effort de regarder en dehors des ornières pour se rendre compte qu'il existe aussi des publications indépendantes tellement surprenantes, audacieuses et intéressantes, que ne pas s'y pencher, ne serait-ce qu'une fois de temps en temps, est un véritable crime contre la bande dessinée. Aujourd'hui par exemple, nous nous intéressons à un album publié chez Delirium, qui est entièrement réalisé par Rick Veitch. Cet artiste complet qui a déjà à notamment été apprécié chez DC Comics (Aquaman, Swamp Thing, Sergeant Rock...) et qui a reçu le prix Eisner pour l'anthologie Tomorrow Stories, livre au début des années 2000 chez Vertigo une histoire tellement alambiquée, qu'il est presque impossible de la décrire sereinement. C'est un véritable ovni métaphysique, psychédélique et politique, qui débarque en cette fin d'été dans un splendide format (presque) à l'italienne, pour notre plus grand plaisir. Il met en scène Chad Roe, un de ces golden boys américains qui semblent avoir fait fortune et vivre une vie de pacha, au milieu des biens matériels et de jolies femmes, le tout grâce à l'invention d'un marqueur indélébile dont l'encre résiste à tout, absolument tout. Sauf qu'il y a un côté pervers à cette efficacité, puisque les new-yorkais se mettent à l'utiliser pour taguer les espaces publics dans la ville. Rapidement c'est le procès qui commence et la compagnie florissante, l'invention géniale, deviennent une épine dans le pied et l'annonce d'une banqueroute. La descente aux enfers se poursuit puisque au lendemain d'une soirée arrosée Chad (qui était déjà un gros consommateurs d'antidépresseurs et de médicaments variés) fait la rencontre de deux charmantes créatures qui l'entraîne chez elles et lui recouvrent tout le corps de dessins étranges, de formes géométriques et de symboles cabalistiques, le transformant ainsi en une œuvre d'art postmoderne, mais aussi et tout simplement en un monstre, un paria aux yeux de la société qu'il fréquente habituellement. Pour ne rien arranger toute cette histoire ne se produit pas à un moment pris au hasard dans le temps, mais en septembre 2001! Oui vous avez compris, le réveil va être brutal, non seulement pour notre "héros" mais aussi pour l'Amérique toute entière, qui découvre avec stupeur, sans prévenir, que des avions viennent de s'encastrer dans les tours du World Trade Center. Le monde dorénavant ne sera plus jamais pareil. Rick Veitch a beaucoup à dire et son brûlot embrasse tous les genres, politique, humaniste, poétique ou social. D'ailleurs même la façon de raconter le récit est en marge totale de ce qui se fait d'habitude. 




Pas de dialogues, rien de traditionnel, mais un très long poème en prose, un texte riche et dense, qu'il faut affronter avec une grande ouverture, et qu'il a fallu traduire en prenant mille prises de risque et une culture bien au dessus de la moyenne. C'est un poète lui-même, Jean Hautepierre, qui s'y colle (l'artiste a traduit les œuvres poétiques d'Edgar Allan Poe, par exemple), et c'est magnifique. Cet album verse dans un psychédélisme déroutant, creuse à vif au plus profond de l'âme américaine, d'un pays et d'un peuple traumatisé, mais qui était déjà en manque de repère avant que les attentats ne surviennent. L'odyssée de Chad le porte à se confronter à des soirées tribales, au racisme quotidien d'une bande de criminels qui donne la chasse à des bons samaritains musulmans, et ses errances flirtent avec l'absurde, le symbolisme, l'onirique, le cauchemardesque. L'effet de sidération est total, et le lecteur perd pied, n'a rien d'autre à quoi se raccrocher, si ce n'est ses propres perceptions au sujet de ce qu'il lit, ce qu'il croit y déceler, ce que l'image et le texte expriment, ou plutôt évoquent et convoquent en chacun de nous. Rick Veitch est de surcroit un vrai bon dessinateur, qui ne cherche pas à masquer une absence de fondamentaux par un style bâclé ou si original qu'il en est hermétique. Non, les planches sont toujours très claires, lisibles, dans un noir et blanc de classe, contrasté, aux ombres marquées. Can't get no est au final une des œuvres les plus indescriptibles et personnelles que vous aurez l'occasion de lire dans votre vie, et rien que pour cette audace, pour cette créativité explosive, on vous recommande de ne pas laisser passer l'occasion. 

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