JONNA TOME 2 : LE PETIT TRÉSOR DE LA FAMILLE SAMNEE


Puisque c'est l'éditeur qui le fait remarquer lui-même, commençons par ce point particulier : vous aurez noté qu'il y a finalement assez peu de texte dans Jonna. Les dialogues sont concis, ne s'éternisent pas, quant aux didascalies et au textes explicatifs, vous n'en trouverez pas; ce qui veut dire que le moyen qu'ont choisi les auteurs pour s'exprimer est avant tout l'illustration. Ce qui, lorsqu'on parle de bande dessinée, revient à dire le
storytelling, mettre en images un récit en le rendant intelligible, passionnant, vivant, grâce à l'art séquentiel. Et ça tombe bien, car la protagoniste, Jonna, est une sorte de petite boule d'énergie irrésistible. C'est encore une enfant, mais elle est dotée d'une force invraisemblable, et sous un aspect un peu bourru, voire sauvage, elle cache un capital sympathie indéniable qui va droit au cœur des lecteurs. Vous avez déjà vu ces jeux vidéo des années 80 et 90 avec un personnage qui rebondit aux quatre coins de l'écran, dans des paysages fantasmagoriques (Sonic par exemple) ? Et bien, c'est ce à quoi fait penser Jonna quand elle évolue d'une page à l'autre, irrésistiblement. Elle s'en va éclater la tête de monstres géants, dans un décor qui fut autrefois luxuriant et animé, et s'est transformé en un scénario post-apocalyptique. Nous savions que Chris Samnee était particulièrement doué pour ce genre d'exploit. Si vous avez suivi par exemple son travail sur Black Widow, vous ne devriez pas être plus surpris que cela. Ce second tome ne fait que prolonger l'expérience du premier, c'est-à-dire un plaisir pour les yeux, une leçon pour le reste. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si lorsque vous croisez de nombreux artistes professionnels du secteur, les avis sont unanimes. Je n'ai pas encore à ce jour trouvé un seul dessinateur comics qui a pointé du doigt des carences sur ce sujet, tout le monde s'émerveille et s'accorde à dire qu'il s'agit là d'un travail particulièrement abouti, qui bénéficie de plus d'une mise en couleur remarquable de Matt Wilson, qui rend chaque page attrayante. Voilà, l'essentiel se trouve donc là et explique pourquoi Jonna est accessible pour tous, du plus jeune au plus exigeant (et adulte). 




Samnee, c'est aussi Laura, l'épouse, la scénariste, qui écrit les aventures de Jonna. Après un premier tome d'introduction où nous faisions connaissance avec cet univers cousu main pour les enfants du couple, dans le second c'est la duplicité et l'avidité qui est de mise. La petite sauvageonne super forte va être capturée, utilisée dans une sorte d'arène où elle va pouvoir laisser exploser  sa puissance brute, tandis que sa sœur, une nouvelle fois séparée (une constante depuis le départ) expérimente la trahison mais aussi aussi la dissension qui règne entre deux époux, quand le plus fort se transforme en un petit tyran sans envergure ni morale. Il y a donc donc une sorte de morale à tirer de tout ceci, ce qui est bien dans les intentions et le manifeste de départ. Le tout est amené au moyen de bonds formidables, de splash page d'un effet immédiat et puissant, toujours au service d'un message positif et d'espoir, de solidarité et de courage. Puisqu'il n'y a pas d'âge pour commencer à lire des comic books, autant proposer à celles et ceux qui débutent quelque chose de beau, de sublimement construit. Une leçon artistique qui a de quoi aussi séduire les plus grands, et qui renforce encore cette vérité bien connue de nous autres, Chris Samnee est un conteur hors pair, un illustrateur ultra doué, peut-être un des meilleurs dessinateurs de sa génération. Impossible de conclure sans mentionner la très belle édition 404 comics, avec ce papier dont la texture est si plaisante et parfaitement adaptée à la mise en couleurs de l'album; le genre de petit détail qui n'en est pas un, car posséder une belle histoire dans un bel objet, ça ne se refuse pas, non ? 


Pour le tome 1, ça se passait par ici : Jonna Tome 1


RADIANT BLACK : LE NOUVEL UNIVERS DE KYLE HIGGINS CHEZ DELCOURT

 


Je ne sais pas à quoi ressemble votre vie mais j'espère pour vous qu'elle n'est pas semblable à celle de Nathan Burnett, le protagoniste de Radiant Black, la nouvelle série proposée par Delcourt. Parce qu'arriver à la trentaine et retourner vivre chez ses parents, parce que incapable de s'assumer financièrement et de couvrir toutes les dettes contractées, ça n'est jamais quelque chose de très agréable. Nathan était convaincu qu'il pouvait vivre de ses écrits, devenir un romancier important, mais le premier roman qu'il était censé fournir à son éditeur n'a jamais décollé et il est désormais seul et dans de mauvais draps. Le seul avantage au retour dans le foyer familial, c'est de retrouver un ami d'enfance, Marshall, qui s'empresse dès le premier soir d'organiser une virée des bars, le genre d'événement régressif pour se souvenir du bon vieux temps. Que pouvait-il se passer de pire qu'une cuite carabinée et la nécessité de dessaouler au petit matin ? Et bien, probablement la rencontre avec une étrange forme d'énergie, une sphère sombre ressemblant à un mini trou noir. Voilà une situation inédite ! Il a suffi que Nathan lève le bras et touche l'apparition pour qu'il se retrouve automatiquement investi des pouvoirs du Radiant Black, c'est-à-dire qu'il se voit doté un costume rappelant vaguement celui d'un Power Rangers, et des facultés incroyables, comme celle de voler, de posséder une super force ou d'émettre des rafales d'énergie. Très vite, les deux compères vont essayer de tirer profit de la situation en tentant de rendre service, même si de manière maladroite, puis en apprenant à se servir de cette énergie, avec un entraînement rudimentaire qui n'est pas sans rappeler celui du jeune héros de Superior (écrit par Mark Millar). Et bien entendu qui dit grands pouvoirs dit aussi grandes responsabil... euh non, grands ennemis ! Car à peine le temps de souffler, voici venir un avatar rouge.. ? 


Radiant Black est comparé par certains (par beaucoup, Robert Kirkman en tête) à Invincible. Et en effet, on peut dresser des comparaisons, tout comme on peut en faire avec les comic books de Stan Lee dans les années 60 chez Marvel. Le postulat de départ suit une chaîne de causes à effets assez simple dans son déroulement. Problèmes personnels – événement exceptionnel – apparition de super pouvoirs – tentative de comprendre et de maîtriser les pouvoirs – lutte contre un antagoniste. Si le héros d'Invincible ou le Peter Parker de Lee et Ditko sont des ados encore capables de s'émerveiller ou de déprimer comme des gens de leur âge, Nathan est un adulte, qui est déjà entré dans la seconde phase de son existence, celle où les désillusions ont pris peu à peu la place des rêves. Pour autant, Radiant Black sait aussi surprendre. Passés les trois premiers épisodes clairement introductifs, le titre de Kyle Higgins bifurque tout à coup vers autre chose, ose des rebondissements qui le propulsent dans une catégorie différente, et c'est là que l'univers « Radiant » va pouvoir s'affirmer. Au dessin, Marcelo Costa livre une prestation de bonne facture, avec un trait assez lisse, voire impersonnel, qui digère très bien les influences du manga et de l'animation japonaise, pour proposer un produit qui touche principalement un public jeune (c'est bien connu, les anciens veulent du Romita ou du Buscema). Higgins aussi joue dans cette cour de récré ; et ce genre de série, qui n'est pas sans rappeler les Power Rangers, où il a su écrire des histoires qui ont emporté l'adhésion du plus grand nombre, ou encore Ultraman, c'est du cousu main pour lui. Radiant Black ratisse alors large, et bâtit progressivement un univers narratif qui sous couvert d'une apparence désinvolture et facilité d'écriture, va se densifier et se crédibiliser mois après mois. Le tome 1 est bien prometteur, même si ce n'est qu'une mise en bouche des possibles exprimées, et qui ne sauront tarder à se manifester. Nous, on sera là pour la suite.

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DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS : CRITIQUE "ANTIPASTI"


 Voici venir le second grand moment capital de l'histoire du Marvel Cinematographic Universe. Bien entendu, j'exagère grandement. Pour être exact, disons qu'il s'agit de la seconde étape fondamentale; la première étant le film Avengers Endgame qui marquait la fin d'une époque, le couronnement de la grande menace qui pesait sur la tête de nos héros, c'est-à-dire Thanos. Dès lors, un chapitre était clos et il était possible d'en ouvrir un autre. C'est ainsi qu'il faut voir Doctor Strange, deuxième du nom. Les années ont commencé à s'accumuler, les invraisemblances également, et la nécessité de rafraîchir quelque peu le cast et l'échiquier font que le multivers constitue le meilleur outil à employer pour ouvrir de nouvelles pistes. Imaginez donc : vous êtes allés si loin et avez placé la barre si haut que désormais chacun de vos choix est prisonnier d'une forme de continuité cinématographique pesante, et se heurte aux dures lois de la physique et de la réalité. La bande dessinée et un long métrage, ce n'est pas la même chose. Dans le premier cas, tout est possible, il suffit d'avoir quelqu'un pour inventer une histoire et pour la dessiner; dans l'autre, il faut tenir compte du fait que les années passent pour les acteurs, c'est un univers plus réaliste, qui ne  peut s'émanciper totalement de toute idée de crédibilité temporelle. Alors, pour justifier ce qui ne peut pas l'être, et dans le même temps pour recoudre tous les déchirements, réparer les incompréhensions et invraisemblances, et raccrocher tous les wagons disséminés ça et là, le multivers est un couteau suisse bien pratique. Nous l'avons vu venir ces deux trois dernières années, il a été formalisé par la série Loki sur Disney plus, puis le dernier Spider-Man, et désormais il explose sous nos yeux ébahis, dans un feu d'artifice d'effets spéciaux et de bonds à travers les dimensions. Tout ceci ressemble autant à un pot pourri de tout ce qui a été fait auparavant qu'à une manière de remercier les fans qui ont eu la patience d'aller voir chaque film, jusqu'à ce climax. On aurait presque envie de dire que le scénario, l'histoire de ce film, n'est qu'un détail; c'est sa finalité qui compte. Le long-métrage s'ouvre avec un cauchemar du Docteur Strange, dans lequel il finit par trahir une adolescente du nom d'America Chavez, elle-même dotée de pouvoirs formidables, qui lui consentent de créer des portes ouvrant sur d'autres univers. Stephen Strange siphonne les pouvoirs d'America pour combattre une créature mystique ultra puissante, mais c'est un échec et il succombe dans cette tentative désespérée. À son réveil, le "vrai Strange" se rend au mariage de son ancienne petite amie, Christine, dans une scène douce amère où on comprend que de grands pouvoirs n'impliquent pas forcément un grand bonheur. Fort heureusement, une de ces habituelles scènes de chaos catastrophique en pleine ville le tire de sa torpeur et il se retrouve à combattre un monstre "oculaire" bien gélatineux, en compagnie de la même adolescente qu'il avait croisée dans ses songes. Car oui, en fait, ce n'était pas seulement un rêve mais une manière d'assister en spectateur à ce qui se produit dans d'autres univers. Rêver n'est pas inventer, mais une forme de voyeurisme multiversel. (à suivre)

(retrouvez la critique complète et notre dossier Comics, cinéma et séries dans le numéro du mois de juin d'UniversComics Le Mag', sortie prévue le 4 juin. 84 pages, gratuit)



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : LE PETIT FRÈRE


 Dans le 128e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Le petit frère, album que l’on doit à Jean-Louis Tripp, édité chez Casterman. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

- La sortie de l'album Carnets de campagne que l'on doit à Mathieu Sapin, Kokopello, Morgan Navarro, Louison, Dorothée de Monfreid et Lara et c'est co-édité chez Dargaud et au Seuil

- La sortie de l'album Chroniques décalées d'une famille ordinaire et vice-versa que l'on doit à Séverine Tales et aux éditions Payot Graphic

- La sortie de l'album Année zéro que l'on doit au scénario d'Ana Roy, au dessin de Mademoiselle Caroline et c'est édité chez Delcourt

- La sortie de Gertrude Stein et la génération perdue que l'on doit au scénario de Valentina Grande, au dessin d'Eva Rossetti et c'est édité au Seuil

- La sortie de l'album Orson Welles, l'inventeur de rêves scénarisé que l'on doit au scénario de Noël Simsolo, au dessin d'Alberto Locatelli et c'est édité chez Glénat

- La sortie en intégrale d'Une semaine sur deux, un album que l'on doit à Pacco et aux éditions Fluide glacial




 

 

HISTOIRE D'UNE ERREUR : LE NOUVEL ALBUM DE VORTICEROSA


 Commettre des erreurs, voilà quelque chose qui arrive à tout le monde; personne n'est parfait et nous ne pouvons pas toujours accomplir l'action désirée au moment désiré, de la manière désirée. Mais il y a pire : il y a celle ou celui qui est convaincu d'être elle/lui-même une erreur, quelqu'un qui ne trouve pas sa place car maladroit(e) ou encore trop différent(e) pour être accepté(e) dans la société telle qu'elle ou il le voudrait. C'est un peu de cela qu'il s'agit, avec Histoire d'une erreur de Vorticerosa, c'est-à-dire en fait Rosa Puglisi, une des artistes les plus singulières et intéressantes du panorama italien indépendant. Le personnage de cette bande dessinée est en réalité une coquille, une tâche d'encre sur une feuille destinée à un amant, qui ne mérite pas les sentiments qu'éprouve pour lui celle qui rédige la lettre. Une lettre qui d'ailleurs finit froissée dans la corbeille, de laquelle s'échappe le petit protagoniste. Un pâté, une rature, en conséquence quelque chose qui ne devrait pas être, qui aurait dû être effacé dès la naissance, mais qui en réalité commence à vivre une existence propre même si "imparfaite" aux yeux des autres. Un petit bonhomme mal défini, qui cherche l'approbation, un peu de tendresse, qui voudrait pouvoir nouer des relations avec ces mêmes "êtres parfaits" qui le snobent, et ignorent jusqu'à son droit élémentaire d'être. 



Le petit personnage est, au niveau de son apparence physique, des plus simples. C'est vraiment une rature, de l'encre éparpillé, il n'a qu'une forme vague et pour autant il est extrêmement sympathique et dynamique. C'est la grande force de la destinatrice : proposer à travers un minimalisme évident quelque chose de touchant, qui parvient à atteindre le cœur mais aussi l'esprit des lecteurs. L'erreur se traduit aussi par une syntaxe, un orthographe très particulier. Volontairement, chaque phrase comporte des éléments orthographiques erronés qui contribuent à isoler notre malheureux héros du reste de l'existence, du monde où les choses sont bien faites, ou en tous les cas sont faites comme elles devraient l'être, comme tout le monde s'attend à ce qu'elles soient. Y a-t-il donc une possibilité de trouver sa place, quand la différence saute aux yeux et que malgré tous vos efforts (et le protagoniste en fait beaucoup) vous ne parvenez jamais à vous hisser au niveau des standards qui vous entourent? La réponse est dans ces pages aussi poétiques qu'humaines, avec un final qui lorgne vers l'onirisme, le symbolisme et en réalité, pour simplifier, la beauté à l'état pure. Oui, cela peut-être déroutant, ou en tous les cas est différent de ce que vous avez l'habitude de lire, mais croyez-moi, c'est ce qui fait la qualité et la richesse d'Histoire d'une erreur.

Disponible chez IT Comics, Pick up publishing. Vous pouvez nous contacter pour obtenir votre copie dédicacée par l'artiste. 





SPAWN : UNE ÉDITION SPÉCIALE TRENTIÈME ANNIVERSAIRE CHEZ DELCOURT


Si je vous dis à tous que 2022 va être l'année de Spawn, j'en connais pas mal qui vont sourire, voire même carrément rire sous cape. Ceux-là ils auront tort, bien entendu! Car si certains ont lâché l'affaire depuis pas mal de temps, d'autres n'ont jamais abandonné ce personnage mythique des années 90 et beaucoup de nouveaux lecteurs ont pris le train en marche ces derniers temps. Il faut dire que Todd McFarlane a de la suite dans les idées. Dorénavant, plus qu'une série régulière, c'est un univers tout entier qui se construit autour de la créature infernale, avec notamment des séries comme King Spawn, où l'horreur est omniprésente, ou encore Gunslinger Spawn, où il est question d'un autre avatar infernal, tout droit sorti du Far West (et une équipe de Spawn arrive, avec The Scorched). Et comme vous le savez, en France le personnage a toujours été choyé par Delcourt; il est disponible sous forme de splendides albums qui reparcourent toute sa carrière. Et voici qu'arrive en ce mois de mai une édition spéciale 30e anniversaire qui comprend les 15 premiers épisodes de la série, y compris ceux qui ont tendance habituellement à disparaître dans les réimpressions, c'est-à-dire les travaux de Neil Gaiman et Alan Moore. Si vous êtes encore novice, ou distrait, je me permets de vous rafraîchir la mémoire : 
Au début des années 90, Todd McFarlane est une star des comics. Son style qui mêle allègrement grotesque et spectaculaire a déjà permis de relancer plusieurs séries chez Marvel, et tout particulièrement Hulk (dans sa version grise) et Spider-Man. Avec le tisseur, l’artiste va encore plus loin : il crée de toutes pièces un nouveau titre déconnecté de la continuity dont il se charge d’écrire aussi le scénario. Les ventes explosent, bien que les thématiques abordées soient tout sauf révolutionnaires. Todd mise beaucoup sur les monstres, l’exagération anatomique et des planches riches en détails baroques, sombres et ultra dynamiques. Une propension à faire primer l’aspect visuel au détriment de l’histoire, que nous allons retrouver lorsque plusieurs grands noms de l’époque décident de fonder une nouvelle maison d’édition, où les personnages sont la propriété leurs créateurs ; c’est le phénomène Image comics. MacFarlane en est, bien entendu, et il emporte avec lui une créature sortie tout droit des enfers, mais qui œuvre pourtant pour le bien : voici venir Spawn (le rejeton) alias Al Simmons, ancien marine chargé des opérations spéciales, une existence passée avec du sang sur les mains, jusqu’à ce qu’un sursaut de moralité entraîne son assassinat et une trahison au plus haut niveau de l’Etat. Al est si amoureux de Wanda, sa femme, qu’il pactise avec celui qu’il pense être le Diable en personne, pour retourner sur Terre, et la revoir. Mais comme tout le monde le sait, il ne faut jamais se fier au Démon, et de fait, il revient cinq ans plus tard sous les traits d’une créature putride recouverte d’un étrange costume vivant (Todd nous ressert le symbiote de Spiderman, Venom, à une autre sauce) et doté de pouvoirs extraordinaires, qui toutefois le consument à chaque fois qu’il y a recours. Quand à sa femme, elle s’est remariée entre temps, avec l’ancien meilleur ami de son premier mari, et elle a désormais une charmante petite fille, alors que Simmons était convaincue qu’elle était stérile! 




Bref, dans le genre retour raté, il n’y a guère mieux (ou pire). Spawn trouve refuge et réconfort auprès des clochards du quartier, qu’il défend contre une série de créatures absurdes et nauséabondes, la première d’entre elles étant le Violator, un autre monstre des enfers qui semble avoir un rôle à jouer dans la formation de rejeton infernal de Simmons. Notre nouveau héros doit aussi arrêter un violeur et tueur d’enfants, Billy Kincaid, et un cyborg loué par la mafia du nom d’Overt-Kill. De l’action en barres à chaque épisode, du sang qui gicle un peu partout, des tonalités obscures comme la nuit, voilà pour la recette de base du nouveau carton qui secoua la décennie et fit s'affoler les compteurs de vente. N’allez pas chercher au départ une profondeur métaphysique au scénario, ni une ambiance urbaine réaliste à la Miller. Il s’agit là d’une série qui mise avant tout sur l’efficacité, avec un discours ultra efficace, sur le grand combat entre les Enfers et le Paradis, sur l’Armaggedon céleste qui guette, et le rôle que les créatures recrutées par l’un et l’autre camp auront à jouer sur le champ d’honneur. Le monde de MacFarlane n’est pas joli joli : les êtres sont souvent exagérément gras, petits, maigres, à la limite de la caricature sur pieds. Son Spawn concède beaucoup à l’esthétique gothique, chaînes et tenue sombre de rigueur, c'est d’emblée une créature romantique, otage d’un enjeu qui le dépasse, dupé par des forces supérieures qui en ont fait un simple jouet. Mais les quelques moments d’introspection sont surtout l’occasion de pleurer ou de nourrir le désir de se venger, Spawn n’approfondit guère son nouveau statut en dehors des perspectives qu’il lui ouvre pour assouvir son ressentiment. Nous nagions alors en pleine période «Image» où chaque détail anatomique, chaque case se devait d’être passée à la gonflette. Après les sixties/seventies et leur usage intempestifs de psychotropes (couleurs criardes et dessins aux Lsd) les nineties s’ouvrent sur un surprenant traitement aux hormones et aux anabolisants. Mais bon sang que ça en jette, que cette esthétique nous a retourné le cerveau, alors, et comme elle fonctionne finalement encore très bien aujourd'hui, comme vous le verrez très bientôt (car vous allez acheter, hein, ne faites pas les idiots) le Gunslinger Spawn de Brett Booth. Delcourt marque le coup, pour les trente ans, avec un pavé en couverture rigide du plus bel effet, le genre de cadeau parfait pour les nostalgiques, ou convaincre les derniers réticents. Spawn est une icone désormais, un classique moderne, et ce genre de célébration précieuse et vibrante vous arrache une petite larme. Oui, elle est chouette cette édition spéciale, et on ne boude pas notre plaisir coupable. 



JYLLAND TOME 3 : COLÈRE FROIDE (CHEZ ANSPACH)


Jylland est incontestablement une des séries révélations de l'année 2021; nous avons pris beaucoup de plaisir à suivre le récit de Bruno de Roover, qui est aussi une fresque passionnante sur la transition qui sépare des cultes et des us et coutumes guerrières, du christianisme et du pacifisme, dans les contrées glacées du grand Nord. Mêlée avec de l'action, des rebondissements, des trahisons, c'est également une saga familiale et politique de premier ordre. Dans ce troisième volume intitulé Colère froide nous retrouvons le roi Sten, désormais investi du pouvoir absolu sur le Jylland et tout occupé à s'emparer du commandement des différentes tribus disséminées çà et là, de la manière la plus simple et expéditive possible. En trucidant ceux qui s'opposent à lui, voire même en les pendant ensuite par les pieds, horrible spectacle qui hante les forêts avoisinantes. Il faut dire que ces tribus converties au christianisme prêche maintenant la paix, la non-violence; ce serait comme demander au loup d'entrer dans la bergerie pour s'asseoir à table et ripailler. Sten est devenu complètement impitoyable et n'éprouve aucun remord, il n'hésite pas d'ailleurs à promettre à celle qui porte son enfant de l'assassiner de ses propres mains, dès que celui-ci sera né. Si vous cherchez la représentation d'un méchant mégalomane, qui aime se complaire dans le sang qu'il verse, vous tenez ici un candidat sérieux pour le podium. Ceux qui luttent pour reprendre possession du royaume ont dû s'isoler dans des petites villes abritées du regard, et ils fomentent le retour et un coup d'état, sans pour autant se bercer d'illusions. La tâche est très difficile, Sten possède ses propre renseignements et il n'est pas dit que la lueur d'espoir qui apparaît enfin ne soit en fait qu'une concession machiavélique du souverain, pour détruire définitivement ses ennemis. On l'a dit, il y a dans cette aventure un nombre fort intéressant de coups bas. Tout y est permis, principalement le pire. 




Ce qui frappe dans le tome 3, c'est le sentiment inéluctable de la défaite. Il n'est pas possible de s'opposer à Sten et ses hommes, quand on voit leur caractère impitoyable et les moyens disproportionnés dont ils jouissent, par rapport aux rebelles qui se contentent de flèches, de courage et de droiture morale. Sten dont le parcours connait ici une évolution ultime. Tout d'abord qualifié de "complexe et intrigant", il finit par devenir de plus en plus froid, calculateur, cynique, et au bout du compte quelqu'un dont l'indécence ne connaît pas de limite. Malgré tout, Jylland ne cède pas au pessimisme cosmique; au contraire, même si les forces en présence semblent être particulièrement déséquilibrées, je vous invite à dévorer ce 3e tome pour assister au feu d'artifice final, qui va donc régler le sort de tout un territoire, mais aussi de toute une époque, avec une transition difficile et pour ne pas dire très problématique entre des croyances et un mode de vie désuet, et l'arrivée d'une nouvelle religion portée par un pacifisme un peu trop angélique. Comme toujours, Przemyslaw Klosin sait mettre en image ce scénario explosif, avec son trait précis, clair, particulièrement attentif aux expressions et aux visages, qui humanise tous les personnages des plus importants aux plus secondaires. Jylland se révèle donc sur la durée une saga brillante, qui est parvenue à nous envoûter au fil des pages, et nous ne serions pas contre la poursuite de l'aventure, avec par exemple un saut générationnel, dans le futur. Merci Anspach.

Vous pouvez lire aussi la critique du tome 1 du tome 2  



SWAMP THING INFINITE TOME 1 : L'ÉVEIL À LA SÈVE


 Swamp Thing, la Créature des marais, est un des personnages les plus fascinants de l'univers des comics DC. Ce premier album qui propose les histoires du cycle Infinite est d'autant plus intéressant qu'il permet de faire connaissance avec un nouvel avatar de la sève, c'est-à-dire le monde de la nature, le "Green" comme on l'appelle en version originale, et qui s'incarne à chaque fois dans le corps d'un paladin, d'un héros qui montre la voie. Mais avant de retrouver les aventures de Levi Kamei, qui se retrouve connecté à la sève lors d'un retour en famille, en Inde, le lecteur peut découvrir les deux épisodes qui concernent la parenthèse Future State, c'est-à-dire un regard sur le lointain avenir des héros DC. Et ce que nous lisons ressemble à une catastrophe planétaire... il y a eu une guerre terrible, qui a ravagé la planète, et les êtres humains ont disparu, ou en tous les cas il reste bien peu de survivants, réunis dans une communauté scientifique réfugiée au Pôle Nord, dans les laboratoires Star Labs. Les machinations de Jason Woodrue (toujours là) sont peu à peu en train de donner naissance à un pouvoir fabuleux, capable d'éclipser le soleil et donc d'annihiler toute possibilité pour les forces de la nature de prospérer. Swamp Thing, que ses congénères appelle Père sève, doit intervenir à temps pour éviter la catastrophe, mais son amour indéfectible des hommes, de leurs imperfections et de leur capacité à être un jour meilleurs, pourrait bien lui jouer un mauvais tour. C'est l'occasion pour Ram V de se glisser dans la peau du scénariste d'un titre qui a besoin d'un second souffle, et s'en donne les moyens. Un nouvel avatar, une nouvelle direction (la capacité d'évoluer, le changement inhérent à l'existence, le besoin d'opérer des choix qui nous grandissent ou nous annulent) et l'assistance de Mike Perkins pour le dessin. Le style réaliste est éloquent et fort utile quand il s'agit de faire apparaître la Créature des marais, et la noirceur du trait, le jeu permanent entre luxuriante beauté du "vert" et omniprésence des ténèbres, produit un effet souvent remarquable. 




Comme bon nombre de ses congénères super-héros américains, la créature des marais a des problèmes à régler avec sa propre famille. Levi n'a pas eu des rapports idylliques avec son père, les derniers jours que ce dernier à passé sur Terre; une question d'éloignement par rapport aux racines et aux traditions indiennes, que le jeune homme a fini par renier en optant pour le mode de vie américain, c'est-à-dire un irrespect profond pour la nature du moment où il est possible d'en retirer un bénéfice économique immédiat. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'en réalité il est revenu chez lui, et c'est aussi ce que lui reproche son frère, qui de son côté a une vision plus extrémiste et militante de ce qu'il faut faire pour sauver la nature. Ces liens familiaux complexes sont au centre de ce qui se passe dans la tête du nouveau Swamp Thing, qui doit bien entendu apprendre à maîtriser des pouvoirs qui lui semblent d'emblée cauchemardesques. N'oublions pas une petite histoire sentimentale pour le moment, pas encore vraiment définie, et l'apparition d'un ensemble de guest stars comme par exemple la Suicide Squad menée par le PeaceMaker, dorénavant investi du rôle ingrat de chef de file d'une formation loin d'être aimée par tout le monde. Ou encore Poison Ivy, de plus en plus à l'aise dans le rôle d'une incarnation élémentale de la nature elle-même. Ram V fait vraiment partie de cette nouvelle génération de scénaristes qui compte, et qui sont destinés à écrire les comics de demain et après-demain. Il est d'autant plus à l'aise ici qu'il écrit quelque chose qu'il connait très bien, puisque ce sont ses propres origines qui sont dépeintes. Avec lui l'horreur n'est jamais très loin, et là encore le cahier des charges est respecté, d'autant que le tait sombre et chargé de Mike Perkins permet de réaliser des planches de toute beauté, même si inégales lorsqu'on prend en considération l'intégralité des 12 épisode ici publiés, si on compte les deux dont je vous ai déjà parlé. Le problème de ce Swamp Thing qui se cherche et qui est encore en quête de la compréhension de ce qu'il est devenu, du monstre qu'il va devoir reconnaître, c'est la bonté extrême de certaines des sagas du passé. Alan Moore ou Scott Snyder par exemple, qui placent la barre très haut et font qu'on est souvent un peu circonspect devant le nouveau qui avance. Pour autant, le moment est peut-être venu de tourner la page. Alec Holland n'est plus sur scène, place donc à ce Levi kamei, qui va devoir montrer qu'il existe vraiment une relève chez DC Comics, que cette histoire de générations, qui a toujours fait le succès de l'éditeur, n'est pas près de s'éteindre. Ce premier volume est donc globalement intéressant et possède clairement un potentiel à explorer; concernant le rapport qualité-prix; c'est du tout bon; Urban proposant un joli pavé pour moins de 30 €. Donc, les fans du personnage ont de bonnes raisons de se laisser tenter.







KLAUS BARBIE LA ROUTE DU RAT : LE SINISTRE PARCOURS D'UN NAZI


 À l'heure où il est possible qu'un candidat à l'élection présidentielle tente de réhabiliter le régime de Vichy et le maréchal Pétain, la sortie d'une œuvre comme Klaus Barbie la route du rat est d'autant plus indispensable. Barbie n'est pas un soldat et un membre éminent du parti nazi comme les autres; c'est un criminel de guerre allemand dont les exactions ont particulièrement marqué l'histoire de notre pays. C'était lui le chef de la Gestapo, dans les services de la police de sûreté allemande basée à Lyon. Un véritable boucher dont le travail consistait à enquêter, torturer et assassiner. Un individu au parcours tristement linéaire qui avait fait ses preuves auparavant, en démontrant un fanatisme et un dévouement total à une cause mortifère. C'est toujours Klaus Barbie qui est le responsable de l'assassinat de Jean Moulin, le plus célèbre des résistants français. Mais comme tous les nazis de son envergure, la fin de la guerre a signifié pour Barbie la possibilité d'une arrestation et d'un jugement sans pitié, d'où la nécessité de la fuite. C'est cet acte de couardise qu'il choisit; il traverse l'Atlantique et part s'installer en Bolivie, où il change d'identité, pour désormais apparaître aux yeux de tous comme un certain Klaus Altmann. Si le nom de famille est différent, la manière de se comporter et les idéaux ne changent guère. Cette fois, c'est dans le trafic d'armes et de drogues que Barbie s'illustre, au point même de favoriser des coups d'État locaux. On pourrait croire qu'avec le temps et dans un contexte pas forcément si défavorable (n'oublions pas que les fugitifs nazis se sont presque tous réfugiés en Amérique du Sud où les gouvernements locaux avait bien d'autres chats à fouetter, voire les accueillait à bras ouverts) Barbie aurait l'occasion poursuivre son existence sinistre sans être inquiété. C'était sans compter le travail qu'ont mené Béate et Serge Klarsfeld, au début des années 70, qui va changer la donne. Le criminel est formellement identifié; il n'y a plus de doute, l'illusion s'est effondrée. Des journalistes français sont dépêchés sur place et obtiennent de nouvelles preuves accablantes, la France demande une extradition, et un procès retentissant se prépare. Tout ceci est important et parfaitement bien raconté dans la première partie de la Route du rat qui vient de sortir chez Urban Graphic. Une trajectoire répugnante et inhumaine, pour un individu qui a semé la mort et la haine dans son sillage, partout. Frédéric Brrémaud et Jean-Claude Bauer signent une œuvre  magnifique et parfaitement documentée, qui éclaire tout ceci. 



Peut alors commencer la seconde partie de l'ouvrage, qui va être consacrée au procès proprement dit, dans les années 80. Dans ce procès ahurissant, c'est la parole qui est la pièce maîtresse, c'est-à-dire tous ces témoignages accablants qui viennent expliciter l'horreur, rappeler le caractère inhumain d'un homme qui peine à mériter ce titre. Barbie ne se démonte pas, ne réponds pas, voire même n'assiste pas aux séances; il est la négation de la réalité, emmuré dans un comportement irritant et hautain, il n'estime pas devoir répondre aux accusations. Jean-Claude Bauer et ses crayons couvrent à l'époque le procès pour Antenne 2; son dessin est donc particulièrement analytique, au plus près de l'événement, et il grave à jamais les visages, les prises de parole, une certaine pesanteur et gravité, sans oublier une vraie dignité, chez ces hommes et femmes qui se relient à la barre. Un tour de force, car forcément de nombreuses pages sont statiques, des documents poignants, où chaque mot peut paraître terrifiant. L'occasion de rappeler aussi le rôle ingrat et décrié de maître Jacques Vergès, chargé de défendre l'indéfendable (toute société civile se doit de le faire, c'est cela, l'avocat du diable) avec une rhétorique qui provoque l'indignation. L'œuvre de Brrémaud est dérangeante car elle n'ignore rien de cette histoire, aussi bien la complaisance d'une partie de la population française (le nombre des dénonciations est clairement évoqué dans cet album) que l'excès de zèle de Klaus Barbie, qui bien qu'appartenant à la Gestapo et aux ordres d'Adolf Hitler, aurait très bien pu ne pas commettre certaines des exactions dont il s'est entaché à jamais, sans pour autant désobéir aux ordres. Barbie, c'est le mal se réjouissant de sa propre malveillance. Sorte de documentaire en bande dessinée publié pour les 35 ans d'un procès retentissant et qui a fait date, Klaus Barbie la route du rat marque les esprits, bouleverse et interroge. On qualifie souvent ce genre d'ouvrage de nécessaire, et cette fois plus que jamais, c'est vraiment ce qui vient à l'esprit, quand on tourne la dernière page de ce volume, publié par Urban dans la collection Urban Graphic.


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LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : T'ZÉE UNE TRAGÉDIE AFRICAINE


 Dans le 127e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente T’zée, une tragédie africaine, album que l’on doit au scénario d’Appollo et au dessin de Brüno, édité chez Dargaud. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie du premier tome de la série Le lai paternel intitulé Les errances de Rufus Himmelstoss, série que l’on doit à Uli Oesterle et aux éditions Dargaud

– La sortie de l’album Fritz Lang le maudit que l’on doit au scénario d’Arnaud Delalande, au dessin d’Éric Liberge et c’est édité aux Arènes BD

– La sortie de la seconde et dernière partie de la série Jukebox motel intitulée Vies et morts de Robert Fury, diptyque adapté d’un roman de Tom Graffin par Marie Duvoisin et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de la première partie de la série Movie ghosts intitulée Sunset et au-delà, série que l’on doit au scénario de Stephen Desberg, au dessin d’Attila Futaki et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de la seconde partie de La fortune des Winzclav intitulée Tom et Lisa, 1910, série que l’on doit au scénario de Jean Van Hamme, au dessin de Philippe Berthet et c’est édité chez Dupuis

– La réédition augmentée de l’album L’incroyable histoire de la littérature française que l’on doit au scénario de Catherine Mory, au dessin de Philippe Bercovici et c’est édité aux Arènes BD



 

 

COPRA VOLUME 2 : DEUXIÈME ROUND POUR LE SHOW MICHEL FIFFE


 Copra, publié chez Delirium, c'est principalement une équipe de seconds couteaux, des individus qui ont un passé qui ressemble surtout à un passif, des losers, des repris de justice, des paumés, des types sur lesquels plus personne ne compte et pour qui accepter de participer à des opérations secrètes, en dehors des radars, est avant tout une façon de ne pas terminer dans l'oubli ou carrément en prison. La formation est gérée par une directrice des opérations capable d'être inflexible et implacable avec ceux qui sont sous ses ordres. C'est elle, Sonia Stone, qui d'ailleurs présente un à un tous ceux qui font partie de la "bande Copra" dans le premier épisode de ce second round. Une excellente façon, pour les lecteurs qui ne connaissent aucun des personnages, de les aborder et de vite maîtriser toutes leurs caractéristiques. On comprend également très vite ce qui s'est produit dans le premier volume, où on évoque la tragédie au Japon qui explique pourquoi le moment est avant tout choisi pour panser les plaies et dire adieu à qui est tombé au champ de bataille. Si l'épisode se révèle donc assez statique et plus traditionnel dans la forme, ne vous leurrez pas, le grand show Michel Fiffe commence dès le numéro suivant, qui se déroule dans une autre dimension, avec en tête d'affiche Rax et son gilet psychosomatique à puissance nucléaire. C'est bien simple, une fois que vous avez lu cet épisode et les suivants, et que vous savez donc ce qu'il s'y passe en détail, revenez en arrière, oubliez les textes et concentrez-vous cette fois uniquement sur les dessins. C'est alors que vous allez comprendre tout le génie de Fiffe, qui n'est pas forcément le meilleur dessinateur au monde en termes d'illustration pure et simple, mais est un des storytellers les plus inventifs et débridés qu'il m'ait été donné de rencontrer. Par exemple, il y a ici une scène magnifique de poursuite et d'évasion dans le centre ville de la cité "improbable" d'Am-Rhein qui est un exercice d'une virtuosité étourdissante. Fiffe pervertit les formes et les corps, réinvente le langage; le terme d'autre dimension prend ainsi tout son sens avec son ingéniosité, qui fait abstraction de toutes les lois du genre. 




C'est que tout a commencé avec cette histoire de shrapnel inter dimensionnel, pour une mission qui a complètement dérapé. Rax, qui est issu de la même dimension que le shrapnel, est venu prêter main-forte au team Copra, mais en retour il a bien fallu le ramener chez lui, et y faire le ménage. L'occasion pour Vincent, une sorte de maître des arts occultes, et donc la version détournée et personnelle du Docteur Strange, revue et corrigée par Michel Fiffe, d'être celui qui est chargé de maintenir ouverte la barrière entre les dimensions. Je dis cela, car il faut aussi envisager cette bande dessinée unique, et qui se révèle d'un accès difficile si on l'aborde avec superficialité, comme un hommage appuyé à tout ce qui fait le charme des comic books américains. Notamment la production de la fin des années 80, qui est clairement l'inspiration de base, que ce soit dans l'utilisation des couleurs, ou la manière de mettre en scène tout cet aréopage hétéroclite et désespéré. On y trouve une directrice d'opération qui n'est pas sans faire écho à Amanda Waller et la Suicide Squad, qui est la version "mainstream" de notre bande de preux et malheureux "héros". Rax est une sorte d'avatar personnel de Shade, the Changing Man, pour ceux qui connaissent ce personnage. Il y est aussi question de traîtrise récurrente; à chaque fois que le lecteur pense avoir compris quels sont les enjeux établis dans les aventures rocambolesques de Copra, il s'avère qu'en fait les choses ne sont pas forcément ce qu'elles semblent être. Sonia elle-même, tout en étant la "directrice" de Copra (groupe qu'elle manipule, ou tout du moins utilise éhontément) est en réalité victime de ses propres supérieurs, considérée comme un pion dispensable qu'il vaut mieux désormais éliminer. Elle, et tous ses subalternes, donc. Un second tome qui peut être alors divisé en trois parties distinctes. Un premier épisode qui passe en revue les joujoux de Michel Fiffe avant de reprendre le jeu, une seconde partie explosive et délirante, où il est question de destituer le despote d'une autre dimension et de permettre à l'auteur de créer à bride abattue, et une troisième et dernière partie qui revient vers une forme apparente de classicisme, où le lecteur observe le voile des illusions qu'on arrache, les mensonges et les froides machinations révélés. C'est étrange, dérangeant, clairement pas destiné à finir entre toutes les mains, et à plaire à tout le monde. Mais c'est aussi et surtout une série d'une vitalité extraordinaire, un ovni complétement addictif dès lors qu'on pénètre et s'imprègne de cet univers. La dernière page tournée, on a une seule idée en tête; Vite, le round three! Merci Delirium! (sortie cette semaine)



Le tome 1 est à retrouver ici même



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MOON KNIGHT : LA MISSION DE MINUIT


 Il était improbable que la sortie de la série Moon Knight, sur Disney Plus, ne soit pas précédée d’une nouvelle version au format comic book, chez Marvel. C’est le cas avec Jed McKay et Alessandro Cappuccio, qui parviennent à proposer du neuf avec un personnage qui ne l’est pas, et qui a connu des hauteurs vertigineuses, comme certains passages à vide impitoyables. La première chose à comprendre,  c’est que le dieu Khonhsu (ici toujours traduit par Khonsou) est tombé en disgrâce, et que désormais Marc Spector alias Moon Knight opère comme coupé de sa figure tutélaire. Il s’est mis au service de la population de son quartier, ceux qui notamment sortent la nuit et arpentent les rues peu tranquilles, les soir de pleine Lune. Sa “mission” est un accueil, un refuge où venir solliciter de l’aide, un havre de réconfort où tout le monde peut trouver sa place, y compris quand on est une vampire. Des vampires qui théoriquement sont des ennemis séculaires de la Lune, et qui sont les premiers adversaires de Moon Knight dans cet album. Avant que nous passions à un individu lambda et d'apparence anodine, mais dont la sueur est capable de contrôler à distance ses victimes, pour leur faire commettre toute sorte d'exactions. C'est ensuite le tour du Docteur Badr, égyptien, qui se revendique lui aussi comme étant le "poing de Khonshu". Après tout, le dieu est comme nous autres, il a probablement deux mains, donc deux poings, ce qui fait du Hunter's Moon une sorte de frère pour Moon Knight, même si les intentions et les méthodes semblent différer. Y compris au niveau de l'apparence physique, du costume, qui forment comme le négatif de notre "héros". Pour autant, le vrai vilain dans cette histoire n'est pas encore apparu, mais il tire les ficelles dans l'ombre, sans prendre trop de risques... 


McKay prend son temps avec ce nouveau titre, au point que souvent les épisodes pris séparément sont lisibles et ressemblent à des aventures isolées, des séquences indépendantes dont le grand drama final est encore nébuleux, mais qui peu à peu forment un ensemble cohérent (qui sera encore plus évident dans le tome 2), ce qui permet à Moon Knight d’évoluer sur un territoire vierge, et donc de se réinventer tout en conservant des caractéristiques rassurantes pour le lecteur. Bonne pioche que ce docteur Badr qui apparaît d'abord comme un ennemi acharné de Moon Knight, puis prête main forte dans le besoin. Le genre de personnage qui s'inscrit dans une logique évidente, et qui donc trouve sa place sans qu'il soit besoin de forcer le scénario. McKay fait preuve de pas mal de bonnes petites idées, inoffensives en apparence. Les séances chez la psychiatre sont rythmées par des dialogues qui font souvent mouche, et renforcent le caractère énigmatique d'un héros qui est à la croisée des chemins, et doit se réinventer après avoir perdu presque tous ses affects, avec des choix malheureux et un comportement erratique. Alors le scénariste ajoute de nouveaux intervenants, et on prend plaisir au retour sur scène de Nelson Greer, alias Tigra, ancienne compagne d'aventure à l'époque des Vengeurs de la Côte Ouest. L'allusion à la judéité de Marc Spector, et son renoncement pour embrasser la mission d'un autre dieu, sont également bien amenés, et montre que l'auteur a bien cerné le personnage dont il a hérité. Au dessin Alessandro Cappuccio (jusque là vu uniquement en Vf chez Shockdom avec le premier volume de la série des Timed) réussit le tour de force de mettre en image "son Moon Knight". Pas une version en élégant costume blanc, ou le traditionnel spectre lunaire, mais un héros urbain et sombre, qui se fond dans l’obscurité en s’y lovant, dont le costume devient par moment comme une carapace souple, tant l’artiste ajoute une certaine rigueur, une puissance physique granitique dans les poses, les combats, les interventions sorties de nulle part. Plutôt que d'être caractérisée par un suaire blanc élégant en mouvement, c'est par le noir que se dessine la plastique du justicier, alors que la blancheur éclatante ne semble souvent que des reflets, qui le rendent encore plus inquiétants. Un choix fort intéressant, et efficace. Pour un tome un qui sait vous atteindre et vous convaincre, sans pour autant monter trop vite en régime. Une bien bonne surprise. 



Le Mag' #23 84 pages, gratuit, est disponible : 




UNIVERSCOMICS #23 DE MAI 2022 : LA MAGIE DES COMICS



UniversComics Le Mag' #23
Le webmensuel comics BD gratuit
Mai 2022. 84 pages.
Téléchargez ici :
+lien direct sur le groupe UC LE Mag'
#Lire en ligne :
LA MAGIE DES COMICS
Sommaire :
* Dossier la magie dans les comics de super-héros
* Conseils de lecture : histoire(s) de magie!
* #AnthonyHuard analyse 15 épisodes brillants de la Sorcière Rouge et vous livre ses secrets.
* #DoctorStrange, origines et fin, retour sur cette œuvre avec #AlexandreChierchia
* #Valentina de #GuidoCrepax star des fumetti, dans une intégrale magnifique chez Dargaud. On vous explique, dossier spécial.
* Le cahier critique, les sorties du mois d'avril, avec un tour chez des éditeurs comme Panini Comics France Urban Comics Delirium Éditions Delcourt 404 Comics et chez Disney+ pour #MoonKnight
* Preview. Il arrive, le voici, le second tome de #Copra de #MichelFiffe chez #Delirium
* Preview double dose, avec le nouvel artbook de #BenjaminCarret "Dark side of the book 8"
* Le meilleur de la Bd avec le podcast Le Bulleur
* Le portfolio nouvelle formule. L'artiste du mois de mai est Ash Rush, on part à sa découverte.
* Les sorties VF du mois de mai, notre sélection.
Cover de #JinWookLee et élaboration graphique du Mighty #BenjaminCarret
#DoctorStrange est au cinéma, profitez-en.
Merci à toutes et à tous. Le mois prochain Le Mag' fête ses deux ans. C'est votre Mag', gratuit, et pour nous aider, nous soutenir, comme toujours, une seule chose à faire : partager! Sur Facebook, twitter, instagram, les forums, on compte sur vous! MERCI ! !

 

LA NUIT DES LANTERNES CHEZ DELCOURT : LE DEUIL, LA COLÈRE, L'HORREUR

 Le personnage principal de cet album signé Jean-Étienne s'appelle Eloane. C'est une jeune femme qui retourne dans la maison familia...