Wilson Fisk a tout (ou presque) pour
être heureux. Du haut de sa tour d'ivoire, il domine la ville, et écrase sous
sa botte tous ceux qui osent, un instant fugace, se dresser sur son chemin. Le
Kingpin du crime (le Caïd, c'est ainsi que nous avons appris à le connaître en
Vf, à l'époque) c'est lui, et personne d'autre. Mais l'argent, ou la
corruption, se sont rien devant le drame qui frappe Vanessa, son épouse. Dans
un état quasi catatonique, elle ne parle plus, végète immobile dans son lit,
prisonnière d'un monde, d'une relation, qui la pousse inexorablement vers la
folie. Alors Fisk a une idée pour la "soigner". Il invite à New-York
le célèbre psychiatre comportementaliste Paul Lunda, et pour s'assurer ses
services, et sa passion dans la tâche, il fait enlever son épouse, Cheryl, une
blonde magnifique au corps angélique. Victor, l'homme de main chargé de la
basse besogne, est drogué aux amphétamines, et il est assailli par des visions monstrueuses
qui ne s'arrangent guère quand Daredevil, guidé par Turk, un des
souffre-douleurs du Kingpin que les lecteurs retrouvent toujours avec plaisir,
parvient à libérer la belle. Cheryl est recueillie et hébergée chez Murdock,
mais comble de l'ironie, lorsque Victor s'enfuit, dans un état second, et qu'il
manque de se faire renverser par une voiture... il cherche (dans sa folie)
l'appui d'un avocat et tombe sur la carte de visite de l'étude Nelson et qui
vous savez! Le reste de l'histoire, c'est une question de mort, et de déchirure
sentimentale.
Panini a sorti Guerre et Amour
dans la collection Marvel Graphic Novel. Des albums pas simples à ranger
sur nos étagères (format inhabituel pour un comic-book) mais qui rendent
hommage aux artistes. Ici le scénario est d'un Frank Miller à son apogée, et à
l'aise avec des personnages dont il possède les codes depuis longtemps. Le
dessin est de Bill Sienkiewicz, qui livre des planches parfois hallucinantes,
élégiaques, expressionnistes, qui superposent à l'avancée du récit les états
d'âme et de conscience des intervenants, donnant corps à la folie, aux délires,
mais aussi à la grâce sublimée, qui suintent d'une page à l'autre de cet album.
Magnifique, c'est le mot. Le Kingpin y est dépeint de manière assez pathétique, physiquement monstrueux, démesuré.
Ses méthodes sont criminelles comme toujours, lorsqu'il impose la réussite des
soins pour que le docteur Lunda puisse revoir son épouse, mais il se retrouve
piégé à son propre jeu, lorsque l'avancée du traitement pointe le problème de
fond, la névrose de Vanessa, qui se voit plus en prisonnière (elle forme le mot
"escape", à sa façon, avec des cubes) et ne rêve que de fuite.
L'amour, le vrai, peut être guidé, orienté, par l'argent et le pouvoir, mais il
ne peut perdurer ou s'épanouir totalement. Gagner, mais perdre, c'est le destin
de Wilson Fisk, dans ce graphic novel élégant et de qualité, qui saura séduire
même les lecteurs peu enclins à lire du super-héros en collants.
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