Je ne sais pas quelles idées vous avez pu vous faire du sud de l'Amérique, mais vous avez probablement en tête une région assez reculée et à la mentalité triviale et arriérée. Les ploucs, avec un relent de racisme assumé. Je n'exagère pas, c'est ce que pensent pas mal d'américains, c'est un peu également ce que confirme Jason Latour, un des deux artistes engagés sur cette nouvelle série, Southern Bastards (Image Comics). Il l'affirme dans l'introduction de ce premier volume, chez Urban Comics, tout en admettant son attachement et son amour viscéral pour cette partie des States. Un premier tome qui mêle récit familial, chronique d'un sud criminel, et football (américain), tout cela dans le même titre. Le protagoniste de l'histoire est un certain Earl Tubb, qui a grandi au beau milieu de nulle part, dans le petit village pas très accueillant de Craw County. S'il est parti depuis des décennies, il doit aujourd'hui supporter un bref come-back, le temps de faire des cartons pour vider l'ancienne maison familiale désormais inoccupée puisque l'oncle a mis les voiles pour la maison de retraite. Le père, ancien shériff et particulièrement doué pour user de sa batte de base-ball (pas seulement pour le sport mais aussi pour distribuer des coups) est enterré dans le jardin depuis quarante ans, et un arbre a poussé au dessus de la tombe. Earl est confronté, dès son retour en ville, à toutes les raisons qui font qu'il a fui cet enfer de jeunesse. Lorsqu'il décide de manger un morceau dans le snack local, son repas se transforme en une baston improvisée avec les petites frappes du coin, qui semblent obéir à un certain "coach", en rapport avec l'équipe de football du conté. Car il ne faut pas être un détective hors-pair pour comprendre que ce mystérieux entraîneur, dont les paroles font office de loi à Craw County, doit cacher certains secrets peu ragoutants, dont il vaut mieux ne pas parler en public.
Jason Aaron réussit la petite prouesse de nous enchanter, de captiver notre attention, avec cette chronique acerbe et caniculaire où tous les défauts les plus pathologiques des coins les plus reculés du sud se manifestent de manière éclatante. Il y a finalement assez peu de dialogues et pas de didascalies, et les personnages de ce drame intimiste sont tous introduits aussi rapidement qu'efficacement. Jason Latour sort un travail remarquable, adoptant plutôt les canons de la Bd européennes, pour des cases en apparences simplistes mais toujours animées d'une puissance évocatrice évidente. Chaque détail est à sa place, des panneaux à caractère religieux placés à l'entrée de la ville en contraste avec un chien errant qui fait ses besoins, à l'épitaphe sur la tombe du père (Ici repose un Homme, au relent machiste évident) qui est aussi un héritage lourd de sens pour Earl, contraint malgré lui de vivre à l'ombre du paternel, de manière figurée mais aussi tangible (avec l'arbre qui orne la tombe, et qu'il ne parvient pas à abattre quand l'envie lui prend). La violence brutale et les cicatrices familiales mal refermées laissent suinter une infection purulente et dérangeante de ce Southern Bastards, qui avance vite et avec assurance vers un horizon encore inconnu, nimbé de secrets, de non dits, de mystères. Un microcosme idéal pour ce western moderne où le protagoniste est obligé de marcher dans les pas de celui dont il a toujours voulu s'affranchir, pour enfin découvrir qui il est vraiment. La bêtise et l'absurdité ne l'empêcheront pas de se perdre inexorablement, au sud de nulle part, une batte de base-ball à la main. Une série à découvrir, absolument.
A lire aussi :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Vous nous lisez? Nous aussi on va vous lire!