JUDGE DREDD CONTRÔLE : L'UNIVERS DE DREDD REVIENT CHEZ DELIRIUM




 La loi c'est lui. Pour être plus exact, la loi c'est eux. C'est-à-dire les Juges, qui incarnent dans cet univers dystopique la concentration de tous les pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif). Leur détermination est sans faille, l'interprétation de leur mission est à prendre au pied de la lettre, c'est une version paroxystique du maintien de l'ordre qui est proposé depuis la fin des années 70, sur les pages de la revue de science-fiction anglaise 2000 A.D. Le plus connu de tous est assurément le juge Dredd. S'il a connu des hauts et des bas dans sa carrière, l'exil, la maladie, la disgrâce, le triomphe, les guerres et les invasions, il est toujours en activité, aussi inflexible, taciturne et efficace. Ce nouvel album que nous propose Delirium est un ensemble d'épisodes plus ou moins indépendants, des récits où l'univers de Judge Dredd est abordé sous différents aspects. Cela commence de manière plutôt tragique d'ailleurs, avec la Juge Pin (du Special Judicial Squad, chargé justement de juger les juges!), dont la folie furieuse finit par se révéler tragique et provoquer la perte de l'un des cadets les plus prometteurs, un certain Higbee. Il est impossible, dans un monde tel que celui-ci, de démontrer la moindre faiblesse, hors le doute ou la compassion sont tout autant de tares pour celles et ceux qui ont les yeux rivés sur l'objectif, mais ne prennent plus en compte les moyens de l'obtenir. La Juge Pin est convaincue de baigner dans la médiocrité, que ceux qui l'entourent ne sont plus dignes de revêtir l'uniforme et empoigner leurs armes, aussi se charge t-elle de devenir également jury, puis bourreau. Rob Williams sait varier les registres, et si la première partie est en effet sérieuse, voire complètement tragique, comme lorsque le Judge Dredd se retrouve en bien mauvaise posture, enterré jusqu'au cou et condamné à mourir atrocement de faim et de soif, il est aussi capable de proposer un regard sarcastique et désenchanté sur la société, de manier l'humour comme une arme de destruction massive. Excellent cet épisode qui place par exemple en scène un alien Klegg au physique d'alligator, qui appartient à une espèce qui aurait bien voulu envahir notre planète. Lui est sensible, c'est-à-dire qu'il préfère la poésie et la littérature au fait de dévorer des êtres humains; néanmoins son aspect physique en fait un objet de rejet viscéral, tout le monde le fuit, voire même essaie de l'abattre. La différence et les préjugés expliqués de manière magistrale, dans un épisode que je qualifierais tout bonnement d'excellent.


Car c'est le quotidien du Judge Dredd, les interstices du monde dans lequel il évolue, qui constitue le sel des récits de Williams. Derrière la posture, les gros flingues, la moto rutilante et l'uniforme imposant, c'est le miroir de ce que nous vivons qui s'impose à notre esprit, et le sarcasme fait mouche, à chaque coup. Rob Williams n'oublie pas ceux qui ne sont rien, comme les appelle un célèbre président, avec deux épisodes très malins. Dans le premier, la police de Mega-City One a la bonne idée de réaliser des économies sur le budget du fonctionnement de ses services... en offrant une prime de Noël à tous les citoyens, en échange de l'assurance qu'ils se tiennent à carreau, et ne commettent aucun délit. Dans le second, on assiste au lancement d'une sorte de station flottante au dessus de la ville, club select réservé aux ultra riches, qui vont pouvoir toiser, au sens propre comme au sens figuré, la plèbe resté loin en dessous. Dans les deux cas de figure, la satire au vitriol fonctionne pleinement, car c'est bien écrit, plus subtil qu'on pourrait le penser, avec un final jouissif, quand les projets initiaux se font la malle. On peut aussi rire franchement quand Dredd et son frère Rico sont chargés de sécuriser le tournage d'un film avec une sorte de Godzilla futuriste, en réalité un acteur qui a accepté un invraisemblable transfert de corps pour entamer une carrière artistique. Ce Grudzilla aussi en dit long sur notre époque absurde et ce qui gratte dans nos cerveaux dérangés. Que ce soit tragique, sanguinolent, sombre, ou au contraire désopilant, toutes ces pages bénéficient d'un dessin remarquable, avec un Chris Weston aux manettes. Chaque vignette est fouillée, précise, aussi bien pour ce qui est des personnages mis en scène, que de l'arrière plan. Aucune tentation de bâcler par endroits, c'est du solide, incontestablement, avec un petit quelque chose de l'héritage de Moebius, ou pour faire plus récent, des échos d'un Darrick Robertson ou même d'un Jim Starlin. Weston est un excellent dessinateur de comics, voilà l'évidence! Les épisodes sont mis en couleurs par des artistes différents, ce qui permet aussi de s'adapter au ton des récits, qui sont très variés, comme nous venons de le voir. Il en ressort au final un titre vraiment agréable et bien ficelé, un plaisir de lecture qui s'adresse aussi bien aux aficionados de Judge Dredd, qu'à ceux qui ne savent presque rien du personnage, et pourront aisément apprécier l'ensemble, sans devoir consulter une masse encyclopédique d'informations auparavant. Comme toujours, l'album est proposé dans un écrin à la hauteur chez Delirium, à commencer par une splendide couverture, et la texture des pages, qui permet de profiter au mieux du dessin colorié. Que demander de plus? Sortie imminente, le 4 mars. 





BATMAN IMPOSTER : DERNIÈRE LECTURE AVANT "THE BATMAN"


 Il y a quelque chose de familier et en même temps de totalement différent, dès les premières pages de cet album. Si nous sommes bien plongés dans l'univers de Batman, rien ne ressemble à ce que nous sommes coutumier de lire. C'est que l'esthétique est ici bien plus proche du film à sortir en salle, que des comics actuels; d'ailleurs, même physiquement, ce Batman là ressemble avant tout à Robert Pattinson. C'est "un héros" plus fragile, plus instable, que celui capable de se mesurer à Darkseid ou d'emmener la Justice League dans des missions improbables. Il ne disparaît pas de manière surnaturelle devant les yeux du commissaire Gordon, mais utilise tout un système de poulies à travers la ville, pour se déplacer et assurer ses effets. De même, un réseau de motos est disséminé à travers Gotham, et c'est le moyen de transport privilégié qu'il emploie. C'est donc un Batman particulièrement urbain et tâtonnant qui nous est proposé, un homme qui depuis trois ans mène une croisade sans fin, qui semble porter quelques modestes fruits, mais qui l'oblige à se mettre en danger chaque nuit. Au point que lorsqu'arrive l'aube, son corps et son esprit sont parcourus par de nouvelles blessures, systématiquement. C'est d'ailleurs ainsi que s'ouvre Batman Imposter, lorsque la chauve-souris débarque chez la psychothérapeute Leslie Thompson, qui le connaît bien pour s'être occupé du jeune Bruce Wayne après l'assassinat de ses parents. Sérieusement blessé, il finit alors par être recueilli et soigné chez la thérapeute, qui découvre que sous le masque se cache son ancien patient. Dès lors, en échange d'une thérapie matinale tous les jours, elle promet de garder le secret de la double identité; une forme de petit chantage pas forcément inutile, puisque ce Batman là semble avoir sérieusement besoin d'ancrage et de repères. Le pire arrive lorsqu'une vague de meurtres inédite traverse Gotham. L'assassin n'est autre que Batman, comme démontré par les vidéos de surveillance, alors que les victimes sont d'anciens criminels qui ont échappé à la justice ou n'ont pas été suffisamment punis. On le sait tous, le Dark Knight ne tue pas, et pourtant les images parlent clairement. Cette fois les méthodes sont expéditives, et la ligne de démarcation est bel et bien franchie !



En fait, ce Batman là n'a pas réponse à tout, et on pourrait même exagérer en répliquant qu'il n'a de maîtrise sur rien. Quand il effectue une incursion pour obtenir des informations, il ne frappe pas assez fort la sentinelle de garde, qui peut donner l'alarme. Quand il trouve sur sa route une jeune et jolie inspectrice qui remonte la piste des nombreuses motos abandonnées dans Gotham (seul un milliardaire généreux comme... Bruce Wayne, pourrait se permettre de tels engins), il tente de l'attirer dans ses filets, mais en tombe amoureux, au point que c'est lui qui est pris au piège de cette relation. C'est un Batman obsédé et imparfait, un héros qui n'a pas encore les épaules assez larges pour assumer sa croisade, et d'ailleurs, l'absence de référents logistiques et aimants (comme le majordome Alfred, qui a cherché à se débarrasser du petit Bruce Wayne, dont le comportement était proprement hystérique) ou d'alliés dans la ville (le commissaire Gordon autrefois, mais lui aussi est "tombé" pour avoir collaboré avec le Dark Knight) en fait une âme perdue, solitaire, faillible au plus point. Mattson Tomlin (auteur de quelques films, pas tous brillants, comme le bien mauvais Project Power, Mother/Android, ou du scénario du Batman de Matt Reeves) a le mérite de trouver encore à dire sur le personnage, en le plaçant dans une situation de crise, esseulé, en humanisant ses faiblesses et ses doutes. L'ambiance est sombre à souhait, les ombres mangent littéralement la ville et les planches, et le découpage syncopé d'Andrea Sorrentino, qui joue des onomatopées, des petits détails pour souligner les chocs, le déséquilibre, à travers des contrastes paroxystiques, est grandement apprécié. Jordie Bellaire aux couleurs accentue encore ces effets chromatiques, et on est presque à la limite de la lisibilité, parfois, tant la lumière semble disparaître par endroits. L'imposteur, pendant ce temps, c'est celui qui ose faire ce que ce Batman là rêve probablement d'accomplir, sans jamais se permettre de franchir le pas. Il tue, il raisonne, il organise, c'est presque lui qui se comporte comme le Batman traditionnel, dans sa manière de garder un coup d'avance. L'imposteur c'est alors aussi cette version de Tomlin, ce Dark Knight soudain descendu de son piédestal, contraint à une psychothérapie matinale quotidienne, amoureux et malmené, ce Batman étrange, humain, avatar vulnérable mais non pas moins passionnant ou tragique.


 



RECKLESS L'ENVOYÉ DU DIABLE : LES MAITRES DU PULP FRAPPENT ENCORE


Ethan Reckless est de retour. Agent du FBI infiltré dans le milieu activiste, mis définitivement sur la touche après une explosion,  revoici donc l'homme qui aide les autres, une sorte de détective privé officieux, doué d'un sixième sens pour se mettre dans les ennuis jusqu'au cou. Cette fois nous sommes en 1985 et le quotidien d'Ethan est rythmé par une nouvelle enquête lui permettant de mieux digérer la mort de son père, et une rencontre avec une jolie bibliothécaire d'origine vietnamienne. Reckless est en effet chargé de remonter la piste d'un père de famille qui a simulé sa mort dans un accident de yacht, pour pouvoir entamer une nouvelle existence ailleurs, loin des siens. Le seul élément lui permettant de progresser dans cette affaire, c'est un livres emprunté à la bibliothèque des années auparavant et jamais restitué. Linh enregistre elle les prêts et elle s'occupe des clients (y compris ceux qui se montrent trop pressants ou gênants), c'est ainsi qu'elle va tomber petit à petit sous le charme de cet enquêteur mystérieux qui parvient à la séduire sans faire beaucoup d'efforts pour cela. Probablement car elle a aussi ses propres secrets, un drame familial qui jusque-là est resté en arrière-plan et ne serait jamais remonté au grand jour, si par le plus grand des hasards elle ne s'était pas retrouvée un soir avec Ethan dans le cinéma qui lui sert de logis, à regarder un vieux film de série B des années 70. En arrière-plan d'une scène elle croit reconnaître sa jeune sœur disparue depuis 8 ans. Une terrible révélation et une évidence : voici un cas impossible à ne pas accepter pour notre projet chevalier détective, qui est déjà en temps normal un type ne sachant résister à l'appel du danger. Quand il s'agit en plus de satisfaire aux besoins de celle qui lui a enfin apporté une parenthèse de paix, Ethan est le client parfait pour une nouvelle aventure où l'issue est annoncée comme tragique, dès les premiers instants. Aller au bout de cette affaire, quitte à y perdre gros, Ethan Reckless, quoi. 




Ethan, c'est le type qui n'habite pas même sa propre histoire. De son logement insolite (un cinéma de quartier) à ses relations sociales (très limitées, une "amie" et un ancien collègue qui lui donne de bons tuyaux), on sent l'homme qui vit à côté de ses pompes, qui n'est plus concerné par sa propre trajectoire, et qui entre et sort d'une certaine forme de réalité, selon les missions qui lui échoient. Il y a come un gouffre, un manque flagrant, et c'est ce même manque qui ronge silencieusement Linh Tran, depuis que sa sœur a disparu. Pour elle comme pour Ethan, il existe une possibilité d'aboutir à la vérité, même s'il faut de la patience et prendre beaucoup de risques, mais pire encore, la vérité signifie l'éclatement de l'illusion, qui est la seule manière de suspendre le temps présent pour y trouver un peu de répit, voire de plaisir. Reckless l'homme qui est payé et se met en danger, pour ruiner ses propres chances de connaître la paix. Dans ce second volume Brubaker est parfait quand il s'agit de faire revivre une forme de paranoïa propre aux années soixante-dix, cette version décadente et satanique du flower power, qui a dégénéré pour devenir quelque chose de sordide. Des hippies sanguinaires, une société américaine qui s'effondre devant le manque de valeurs sûres, un écrin de choix pour un second tome qui puise dans ces ambiances glauques de quoi nous tenir en haleine de la première à la dernière page. Sean Phillips se focalise sur les personnages et l'action, vrais moteurs de l'intrigue et du rythme. Certains des arrière-plans très détaillés ont le sens de la répétition, tout comme les postures (Ethan au lit, avec Linh allongée à ses côtés, les fameux instants suspendus) : des cabines dans un restaurant, des chaises dans un théâtre. Tout ceci est aussi montré à travers une loupe nostalgique, servi parfaitement par Jacob Phillips, capable d'alterner (aux couleurs) les planches lumineuses à la pénombre la plus angoissante. Tout ceci est encore plus évident quand on voit Ethan avec tout un tas de vieilles bobines de film. On peut y remarquer des détails sur les affiches, les nombreuses rangées de bobines, chacune étant dessinée individuellement. Reckless est aussi cette "série" qui n'en est pas une, ce privé qui n'en est pas un, qu'on aime retrouver car si attachant, et si imprégné d'une époque révolue, ici retranscrite à merveille. Les maîtres du polar ont décidemment un talent de dingue, qui ne semble pas connaître la crise. 



OUROBOROS TOME 1 : L'AMULETTE DE SALADIN


 Au commencement de tout, il n'y avait rien! La Terre était infertile, un caillou sans la moindre trace de vie. C'est alors que le dragon Pandore, la mère de tous les dragons, enfanta quatre créatures. Cette légende occupe la première page du tome 1 de Ouroboros où on assiste à la naissance de quatre petits dragons, dont les talents particulier, vont être à la base de toute l'humanité. Lorsque Pandore meurt, il ne reste plus à sa progéniture qu'à se mêler aux hommes, nés eux-aussi entre-temps, prendre apparence humaine et se mettre à copuler comme des dingues, pour assurer leur reproduction, puisque des hybrides homme/dragon sont possibles. Voilà plus ou moins ce qu'on nous raconte pour poser les enjeux de ce qui s'annonce être une histoire en deux tomes. Tout ceci pourrait être intéressant, et en effet cela commence plutôt bien. D'ailleurs les dessins sont vraiment très soignés, Ceyles s'affranchit d'une mise en page classique avec des planches vivantes et bénéficiant d'une mise en couleurs efficace. Là où le bât blesse un peu, c'est ensuite, lorsque commencent à être introduit les personnages qui vont être importants pour le récit. On se retrouve dans le désert, au milieu des Bédouins, avec un petit garçon qui est censé être le fils de la mère des dragons, un certain Xiao. Il est en proie au délire, une forte fièvre, et son destin tarde à s'accomplir. Pour l'aider on retrouve Azram, une sorte de sage mystique, qui est aller voler l'amulette de Saladin, le seul objet qui pourra probablement vaincre la moitié dragon du petit garçon, et donc permettre de préserver le monde du danger qu'il lui fera courir. Là en effet on commence à se dire qu'il y a comme quelque chose d'un peu confus, comme si l'histoire empruntait de multiples directions, mais dans un objectif indéterminé, dans un manque de clarté qui saute au yeux au fil des pages. Le reproche à formuler d'emblée à Ouroboros, c'est bien celui-là.



L'idée, c'est que l'ambition démesurée du récit de Olivier Pinard et Ceyles est à l'étroit dans le format deux albums de 48 pages; Il faut forcément aller vite, user de raccourcis, et dès la première vingtaine de planches passée, on sent clairement que le récit s'éparpille, ou en tous les cas repose sur des assertions erronées. Non, le lecteur n'a pas eu le temps de bien comprendre la logique des événements, de s'attacher aux personnages, et ce qui est à sa portée est beaucoup trop caricatural. La dualité garçon/dragon de Xiao est énoncée, et rappelée didactiquement à travers une scène onirique où il est aidé par un Azram qui surjoue le côté cool et à qui on ne la fait pas. Il sait tout, se tire d'affaire les doigts dans le nez, sait ce que tous les autres ne savent pas. Bref, on a vu plus fin et mieux construit. Un émir qui veut percer les secrets d'une amulette, une amulette qui est dérobée, des pouvoirs dont on ne comprend pas trop le fonctionnement à mi-parcours... Il y en a de trop, et ce n'est pas canalisé. Les dragons veulent donc prendre possession de la planète, asservir l'humanité? Ce sera plutôt une bande dessinée d'aventure pure, avec de l'alchimie, des combats? On ne sait pas trop, et ça devient lassant, au point que la seule raison qui fasse qu'on se cramponne à l'ouvrage est le dessin, soigné, lisible, avec un petit côté moderne et dynamique qui pourrait séduire un public large. On attendait beaucoup d'Ouroboros, raison de plus pour se montrer fort sceptique. 


 


GRENDEL, KENTUCKY : DE L'HORREUR ET DE LA WEED CHEZ DELCOURT


Bienvenue dans l'Amérique rurale et profonde : la petite ville de Grendel dans le Kentucky avait autrefois de nombreuses raisons de se réjouir, à commencer par une activité minière florissante, qui avec le temps à totalement périclité. Aujourd'hui le charbon est une énergie plus ou moins abandonnée et c'est l'ensemble de la communauté qui est frappé de plein fouet par cette évolution somme toute naturelle. Assez curieusement, le nouveau business florissant à Grendel c'est la weed, autrement dit l'herbe qui se fume et permet de passer des moments de détente pas toujours licites. En parallèle, nous rencontrons une autre curiosité locale, un gang de bikers droit sortie de
Sons of anarchy, si ce n'est qu'il faudrait rebaptiser la série Daughters of anarchy car ce sont toutes des filles qui le composent. Les Harlots ne plaisantent pas, elles se battent, boivent, jurent comme les motards les plus caricaturaux. Jusque-là rien donc qui aurait de quoi faire bondir le lecteur de sa chaise et l'amener en terrain insolite. C'est vers la fin du premier épisode que le récit se complique et qu'on commence à comprendre qu'il y a beaucoup plus que ce quotidien répétitif et restreint à voir. Il y a même quelque chose d'absolument incroyable, un monstre qui apparemment est tapi dans la mine de charbon et qui de temps en temps sort de sa tanière. Un monstre quasiment sous contrôle, puisque régulièrement il faut lui offrir une offrande, un individu qu'il va dévorer, et qui va permettre ensuite à la petite bourgade se bénéficier d'une culture florissante, hors norme. Une sorte de pacte qui est destiné à être brisé, remis en question. Tout débute vraiment avec le retour de Marnie, venue assister aux obsèques de son père. 


Le mélange des genres, ce plaisir de lecture qui n'est pas si courant que cela. Jeff McComsey démarre tranquillement, avec une attention particulière aux atmosphères, ce sentiment d'abandon voire de déréliction qui afflige la ville de Grendel, où à part faire pétarader la moto, boire, ou fumer, il n'y a pas l'air d'avoir grand chose à faire. Mais l'arrivée, ou plutôt le retour de Marnie, permet de soulever un voile sur ce qui s'y passe vraiment, et de la chronique sociale et familiale nous débarquons sur le terrain de l'horreur. La créature cachée dans les mines est effroyable, ses victimes passées et les ossements/restes qui jonchent sa tanière ont de quoi soulever le cœur. Le scénariste n'a pas de temps à perdre (quatre épisodes) et son histoire est linéaire, impitoyable, et ne cherche aucunement à se placer sous le signe de la morale, de l'héroïsme. Il aborde juste des faits, des secrets enfouis, la terrible révélation de la vérité, la nécessité de la transcender pour mettre fin à un "accord" meurtrier, un pacte sanguinaire qui avait uni Grendel jusque là, depuis bien des années. Tommy Lee Edwards est comme un poisson dans l'eau, dans cette ambiance bien lourde. Son trait minutieux, sa manière d'utiliser l'encrage pour remplir les espaces et densifier les vignettes par la pénombre fait des merveilles. Il excelle aussi bien dans la tranquillité, les scènes statiques, que dans l'explosion gore qui éclabousse certains moments forts de cet album. Hommage discret et malin à la légende de Beowulf, Grendel,Kentucky ne se laisse pas définir si facilement. Une feinte à gauche, un crochet, et vous êtes au tapis, c'est à dire conquis, avant d'avoir compris pourquoi. Encore une excellente petite série droit venue du nouvel éditeur AWA Upshot Studios, la première à tomber dans le giron de Delcourt, après les parutions chez Panini. Ne laissez pas filer cette histoire. 





FREUD & LES SUPER-HÉROS : QUAND LES HÉROS PASSENT SUR LE DIVAN DU PSY DES COMICS




 Est-il possible de rapprocher Freud, la psychanalyse, et les super-héros? La question trouve une réponse lumineuse dans cet ouvrage sorti cette semaine aux éditions de l'Opportun, et avec Anthony Huard (psychologue et psychanalyste), dont vous lisez probablement les excellents articles aussi bien sur Internet (Comicsblog), certaines revues (Geek magazine, entre autres) ou notre Mag' mensuel (le Professeur Xavier dans le numéro de février). Pas de panique si le concept vous effraie de prime abord, car cela commence avec un petit glossaire des termes techniques (névrose, psychose, surmoi...) qui comprend des exemples tout simples, rapportés à l'univers de ces personnages encapés dont nous suivons les aventures. Et ce qui frappe en premier, c'est la fluidité de la démonstration. C'est bien écrit, précis et parfois vraiment pointu, et pour autant, ça n'est jamais ennuyeux ou rébarbatif. Bien entendu, certains personnages se prêtent plus facilement ou de manière plus éloquente à ce petit passage sur le divan. Spider-Man, Superman, Batman, ou encore Wonder Woman et Daredevil (sans oublier Hulk et toute cette colère rentrée, ici déchiffrée à travers la castration, le rôle d'un père et d'interdits que le géant vert brise et dépasse par le biais d'une rage toujours grandissante) font parties de ceux qui sont passés sur le grill, avec à chaque fois le doigt placé sur leurs failles, leurs névrose, et une explication, ou pour être exact un décodage, qui se révèle aussi lumineux que propice à la réflexion. On ne peut pas toujours partager l'ensemble des thèses ou des démonstrations de l'auteur, par contre on se surprend systématiquement à poursuivre ensuite l'introspection et le cheminement de la pensée qu'il a initié, et c'est ça que personnellement j'attends de ce genre d'ouvrage. Non pas un vadémécum qui assène des vérités granitiques, qui n'acceptent pas la contradiction ou la remise en perspective, mais un ensemble de pistes à explorer, de chemins sur lesquels flâner en pensée. Et là, c'est une franche réussite. 



Nous parlons jusque là de super-héros, mais les héroïnes ne sont pas en reste, et c'est logique, tant "le continent féminin" recèle de mystère et échappe même à la psychanalyse. Quelques exemples sont développés, avec notamment Jean Grey qui devient le Phénix, et la Sorcière Rouge maitresse (je préfère ainsi, plutôt que l'imprononçable Scarlet Witch). La première associe puissance et jouissance, brisant ainsi l'adage qui voudrait que la femme s'épuise à utiliser un aussi grand pouvoir ou ne sait pas l'exploiter pleinement. La seconde est l'émanation des pulsions du chaos, et tout son parcours est retracé. Wonder Woman est un autre cas d'école que l'auteur passe à la loupe, notamment à travers son incarnation/représentation et les artefacts qu'elle arbore et qui la définissent. Des objets de pouvoir pour une femme de pouvoir. Freud & les super-héros, c'est aussi et forcément une plongée dans les forces fondamentales qui régissent chacun d'entre nous, et on y parle "Moi, sur-moi et ça", tout en explorant le concept d'identité, dont ce serait en gros les briques, le matériau de base. Et ce n'est pas une sinécure, avec ces personnages qui plongent régulièrement dans des dépressions profondes ou une mélancolie poisseuse (mention spéciale pour Matt Murdock), chutent de leurs piédestaux (Tony Stark), et sont pris, au final, dans la toile infernale car éternelle d'une mission qui ne peut pas avoir de résolution, un combat qui se répète, qui se perpétue, tout comme les héros eux-mêmes se déclinent alors en différents avatars au fil du temps, pour ce qui ressemble à un théâtre inépuisable de situations et de rôles, des religions nordiques ou de la Grèce Antique, aux canyons de béton d'aujourd'hui et notre époque hypermoderne. Au fil des pages certains apartés "le saviez-vous" donnent également quelques éléments clés de l'histoire des aventures des principaux héros au format comics, que le novice pourrait ensuite avoir envie d'explorer après avoir refermé ce livre. Qui est un petit bouquin bien malin et fort recommandé, parce qu'il illumine et dissèque notre passion commune avec un regard acéré et cultivé, sans jamais perdre le fil, ou ses lecteurs. N'hésitez-pas à consulter!



LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : UN ENNEMI DU PEUPLE


 Dans le 121e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Un ennemi du peuple, que l’on doit à Javi Rey à partir d’une pièce de théâtre d’Henrik Ibsen, édité chez Dupuis dans la collection Aire Libre. Cette semaine aussi, on revient sur l’actualité de la bande dessinée et des sorties avec :

– La sortie de l’album Londonish que l’on doit au scénario de Philippe Charlot, au dessin de Miras et c’est édité chez Grand angle

– La sortie de l’album Ulysse Nobody que l’on doit au scénario de Gérard Mordillat, au dessin de Sébastien Gnaedig et c’est édité chez Futuropolis

– La sortie de l’album Gabriel que l’on doit à Emmanuel Temps et aux éditions Des ronds dans l’O

– La sortie de l’album Monsieur le commandant, adapté du roman de Romain Slocombe, scénario per Xavier Betancourt, mis en dessin par Étienne Oburie et édité chez Philéas

– La sortie du 5e tome de la série Shi intitulé Black Friday, que l’on doit au scénario de Zidrou, au dessin de Josep Homs et c’est édité chez Dargaud

– La réédition en intégrale de la série Juan Solo que l’on doit au scénario d’Alejandro Jodorowsky, au dessin de Georges Bess et c’est édité chez Les humanoïdes associés



 

 




PEACEMAKER : LA PAIX À TOUT PRIX chez HBO MAX


 Peacemaker, what a joke. Cette petite phrase lâchée lors du meurtre de Rick Flag, vers la fin du film de la Suicide Squad par James Gunn, résume rapidement la situation avant d'aborder cette série, basée sur un personnage mineur, qui jusqu'ici n'a jamais vraiment soulevé l'enthousiasme des foules de lecteurs. Voici un anti-héros profondément stupide et belliqueux, pour qui le seul moyen d'obtenir la paix est d'abattre sans vergogne tout ce qui représente un obstacle. Chose promise chose due, Peacemaker devient une série en 8 épisodes présentée par HBO max. Il s'agit d'un spin-off du long-métrage sorti en salle l'été dernier, qui explore la vie quotidienne de John Cena dans le costume moulant du Pacificateur. On pourrait avoir envie de le haïr, assurément de s'en moquer, et c'est ce qui ressort des premières scènes; mais peu à peu, alors que défilent les épisodes, l'individu se densifie, non pas musculairement (il n'en n'a guère besoin) mais psychologiquement. Sa solitude, ses failles, son sentiment de ne pas être à la hauteur, le drame vécu alors qu'il était encore enfant, les rapports difficiles avec un père suprématiste blanc et chef de file des néo-nazis du coin... tout cela en fait le candidat idéal pour une névrose durable. Puisqu'on le retrouve en prison, Peacemaker est donc la recrue parfaite pour des groupuscules spécialisés dans la manipulation. Il est contacté par une organisation des plus secrètes qui lui permet de regagner sa liberté en échange de menus services, qui ne s'inscrivent pas particulièrement dans le cadre de la loi, mais plutôt dans celui de ces opérations barbouzes qu'il faut mener en toute discrétion. Une décision qui permet au moins de l'insérer dans un collectif qui échappe à toute autorité, complètement dysfonctionnel. Autour de Clemson Murn, le leader au passé chargé en exactions, s'alignent John Economos (le geek aux talents ignorés), Emilia Harcourt (la combattante inflexible et solitaire), Leota Adebayo (la fille d'Amanda Waller, qui campe un personnage habituellement invisible, une femme noire, lesbienne et en surpoids) et le désopilant Adrian Chase/Vigilante qui s'ajoute à la task force sans que personne ne l'ait vraiment invité, dans un rôle à la Deadpool sans super pouvoirs, de mercenaire psychotique et déjanté. Un Peacemaker imbuvable et grossier, machiste et violent, mais peu à peu amadoué, forcé de constater que sa vie ne comprend plus de vrais amis, à l'exception d'un aigle pour tout side-kick, symbole américain plutôt vintage, et qui bien entendu ne peut pas rétorquer ou émettre ses propres opinions. La série joue clairement la carte de l'humour abrasif, parfois donne l'impression d'un véritable concours de la vanne étirée, tant les espaces de respiration plus sérieux sont rares dans les quatre premiers épisodes. De la surenchère qui forcément ne donne pas toujours dans le bon goût, se complait à plusieurs reprises dans la facilité, avec un comique de répétition un peu lourdinque, mais qui a le grand mérite de donner un sérieux coup de pied aux fesses à tout ce qui existe dans le genre, dans le petit univers DC Comics. Le ton est si radicalement différent des productions de Berlanti, par exemple (le Arrowerse, Flash, Stargirl...) qu'on ne peut que se réjouir de ce revirement, marque de fabrique d'un James Gunn qui rate rarement le coche. 



Bien entendu, pour qu'une telle histoire puisse fonctionner, il faut aussi une opposition, un ennemi qui soit à la hauteur. De ce côté-là Peacemaker est servi, puisqu'il se retrouve face à une probable invasion extraterrestre sur notre planète, des créatures en forme de papillon, qui parviennent à prendre l'apparence des êtres humains qui leur servent d'hôtes. Nous n'en dévoileront pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de la série, mais clairement l'enjeu est d'une importance telle qu'on peut considérer que notre bonhomme est largement dépassé. Le rythme est fort agréable, on ne s'ennuie presque jamais, même si parfois on tique un peu devant des répliques étirées jusqu'à plus soif; et c'est là qu'on touche peut-être au problème majeur, à savoir: John Cena est-il vraiment un acteur, ou pour être plus précis, un bon acteur? Ses mimiques faciales, sa manière de s'emporter pour débiter les pires insanités, sa fausse candeur, font parfois mouches, mais souvent il y a comme un parfum de faux dans le discours, qui sonne creux. Probablement aussi parce que James Gunn a décidé d'en faire un bouffon touchant, un type pathétique, qui certes va peu à peu livrer la vérité sur ce qu'il a ce qu'il est) au dedans de lui, mais qui en définitive n'est pas le genre d'individu qu'on recherche pour sa brillance intellectuelle, son honnêteté foncière et son respect d'autrui. Gunn est un adorateur et un formidable aspirateur de la pop culture au sens large du terme. L'air du temps est digérée et les références communes assimilées, et le produit fini ressemble toujours à quelque chose de connu, tout en étant différent, et surtout poil à gratter, voire même clairement trash. La musique est au service des intentions (rappelez-vous la fameuse cassette des Gardiens de la Galaxie) et ici c'est du côté du rock FM des années 80 qu'il faut fouiller pour apprécier cette série qui s'amuse de sa propre ringardise. Sans proposer de réelles surprises dans sa narration, Peacemaker reste bien dans le sillon du dernier long métrage de la Suicide Squad, et devrait donc toucher le même public, sans la moindre peine. 




PETITES BALLADES CRUELLES : LA MERVEILLEUSE CRUAUTÉ DES CHOSES


Petites ballade cruelles, ce sont des contes, un peu comme ceux que l'on destine aux enfants, mais le dernier adjectif est important. Cruelles car la morale qui est présente ici, dans chacun de ces petits récits, est plutôt à réserver pour l'adulte. Chaque partie correspond à une saison, et c'est donc l'alternance des cycles de la nature qui rythme cet ouvrage. Nous sommes à chaque fois aux prises avec une histoire qui fait référence au monde animal, végétal, ou encore à celui des esprits humains. Parfois l'animalité s'incarne sous forme d'une créature, à mi-chemin entre une bête et une déesse, comme cela arrive avec cette chouette qui aide un skieur qui vient de se briser la jambe, après avoir lui-même libéré l'oiseau du piège d'un collet; ou encore cette mystérieuse créature au long cheveux blancs qui protège son fils, un sanglier, traqué dans la forêt par ces imbéciles de chasseurs, toujours prêt à faire couler le sang. On trouve aussi une mystérieuse génisse blanche qui se transforme en une délicieuse sylphide. Délicieuse en apparence, car son but n'est autre que d'arracher le cœur d'un misérable éphèbe, qui métaphoriquement n'en possède pas, et abuse de sa beauté pour séduire toutes les femmes qui croisent sa route. Nous parlions d'esprits, comme cela se produit avec un vieil homme japonais, qui voit débarquer dans son humble demeure un petit garçon au destin tragique. Et à chaque fois, si ces petites ballades sont aussi réussies, c'est également parce que le dessin est, il faut l'admettre, réellement magnifique. Il se dégage une atmosphère envoûtante, il y a quelque chose de délicat et de magique, dans ce que fait Marga Biazzi, autrement appelé Black Banshee. Repérée par Shockdom, maison d'édition italienne indépendante, très active sur le marché français ces derniers mois, elle a débuté sa carrière par une production personnelle publiée sur internet. Ici le chemin est tout tracé, poésie animiste et écologique, et châtiment inévitable pour ceux qui ignorent le sens du mot respect. 




Cet album, qui se présente sous la forme d'un petit artbook de format quadrangulaire, aux pages glacées et si agréables au toucher, est aussi une ode à la nature. Que l'homme ne cesse de pervertir, de plier à ses caprices, et qui se venge, de manière jouissive, car cruelle. L'existence, tout simplement, à travers son cycle le plus évident, c'est à dire l'alternance entre l'élan vital, et la mort, qui ne peut jamais être éludée, est aussi au centre du travail de Marga Biazzi. Qui récupère peurs et traditions ancestrales, tant ces petits récits puisent dans des archétypes, des histoires qui nous semblent avoir déjà été racontées, sans pour autant que ce soit sous cette forme là. Il y a quelque chose de presque mythologique dans certains des personnages féminins, qui sont représentées avec des vêtements pour le moins succins, une apparence diaphane, croisement entre la nymphe et l'animal, entre la douceur du féminin (la mère nourricière) et l'horreur qui se cache derrière les apparences (la cruauté de la nature, qui comme le veut l'adage, sait aussi "se venger"). Tout le travail de l'artiste à l'œuvre ici vise à célébrer cette dualité, et ne néglige absolument rien, jusque dans les petits détails de fonds de planche, la faune et la flore, qui participent aussi à cette célébration païenne qu'est ce recueil étonnant. Si on peut noter une certaine rigidité dans plusieurs pleines pages, on observe que ça n'entrave en rien la qualité de la lecture, et l'évident plaisir plastique à voir cet univers merveilleux et sobrement menaçant, dans lequel on se perd avec délectation. C'est en fait indescriptible par les mots, puisque vivant et fourmillant de mille sensations. Une expérience insolite et recommandée chez Shockdom France. 



STILLWATER TOME 1 : LA VILLE OÙ ON NE MEURT JAMAIS

 


La vie n'est pas tendre ces derniers temps pour Daniel. Sa petite amie a mis les voiles, et il vient de perdre son emploi, suite à des gestes d'humeur que sa patronne ne peut plus accepter. En pleine panade, il reçoit cependant une bonne nouvelle complètement inattendue. Une missive en provenance de Stillwater, qui concerne l'héritage d'une arrière arrière grande tante dont il ignorait jusqu'à l'existence. Accompagné de Tony, son meilleur ami, Daniel se met en route, non sans se poser de sérieuses questions. Ce qui est compréhensible : personne n'a jamais entendu parlé de cette bourgade mystérieuse, qui n'apparaît pas sur les cartes routières ni n'est indiquée par la signalétique routière. Même la gérante de la station service où les deux compères font le plein d'essence et de victuailles n'est d'aucune utilité. Pire encore, une fois presque parvenus à destination, ils sont interceptés par le shérif local, qui leur recommande de tenir un profil bas, sur le ton de ce qui ressemble plus encore à une menace. Chip Zdarsky prépare ses effets avec beaucoup de naturel, et les premières pages promettent de belles choses, tout en restant dans une certaine banalité du quotidien, sans forcer. Tout change pour de bon une fois entrés vraiment dans Stillwater. Les habitants sont incapables de fournir les bons renseignements pour se rendre à l'adresse précise indiquée, et un jeune adolescent fait une chute mortelle du haut d'un immeuble, juste devant les visiteurs de passage. Enfin, mortelle, c'est une façon de parler, puisque le gamin, une fois déposé inconscient chez le médecin du coin, se relève et s'enfuie à toutes jambes. Car oui, et ce n'est pas un spoiler puisque c'est même l'argument de vente mis en avant par cet album, à Stillwater plus personne ne peut mourir. La pire des blessures, le plus horrible des accidents, et vous êtes sur pieds quelques heures plus tard. Le problème pour Daniel et Tony, c'est que ça, ils n'auraient jamais du le savoir, le voir. Et personne n'a l'intention de les laisser repartir comme si de rien n'était! 


Personne ne meurt plus à Stillwater. Ni les êtres humains, ni même la nature, qui repousse instantanément. Personne ne sait pourquoi, mais tout le monde peut aisément comprendre que le phénomène risque d'intéresser de très près les instances gouvernementales, si l'information finit par fuiter. C'est pourquoi cet album comprend aussi une belle brochette de personnages antipathiques, ou carrément détestables, car ce sont à eux que revient la charge de maintenir la chape de silence sur ce qui se passe là-bas. Chip Zdarsky, scénariste canadien à succès (en ce moment sur Daredevil et Devil's Reign) parvient à mélanger différentes thématiques, différentes approches, dans un seul récit choral, qui aborde alors plusieurs thèmes dans le même temps. Sa narration resserrée ne se perd pas en disgressions inutiles et chaque épisode permet de faire de réels pas en avant dans la construction des enjeux, qui se densifient, se complexifient à merveille. Dès le second épisode on se lance dans la découverte de Stillwater, de ses habitants, des rapports qui les unissent, de la manière employée pour garder cet étrange secret, ou au contraire les méthodes pour s'en affranchir. Zdarsky n'oublie pas de rester crédible et rationnel, même dans un contexte qui ne l'est en rien. Ainsi la réalité juridique, pénale, économique et sociale de Stillwater est disséquée, et permet d'expliquer en quoi il est pratiquement impossible pour ses habitants de fuir. Le sentiment de claustrophobie, d'inquiétude et d'urgence permanente est magnifié par le dessin de Ramon Perez, dont le trait limpide et sans fioriture n'oublie jamais de s'attarder sur les expressions des personnages, leurs réactions qui deviennent alors limpides sur des visages et des corps qui "existent" réellement. On notera l'utilisation récurrente de longues vignettes horizontales qui renforce le côté cinématographique de cet album, qui donne furieusement envie de lire la suite, dès qu'on a tourné la dernière page. Une vraie bonne idée qui devrait séduire un public très large. 



UNIVERSCOMICS LE MAG' #20 DE FEVRIER 2022

 


🔥🔥🔥 UNIVERSCOMICS LE MAG' #20 - Février 2022
84 pages Gratuit
Heroes United (L'union fait la force)
Sommaire :
* Les team-up, les deux font la paire dans les comics
* Super teams sous-évaluées, sélection de lectures
* Le Prof. Xavier, mentor et père des #Xmen avec #AnthonyHuard
* Les New #Avengers de Brian Bendis, on y revient avec #AlexandreChierchia
* Actu Vo, les sorties à venir début 2022
* Le cahier critique. Le Mag' vous parle de l'Escadron Suprême chez Panini Comics France Infinite Frontier et la Justice Society chez Urban Comics Nemesis tome 3 chez Delirium Demain et Nocterra (la Brigade Chimèrique est dans notre dossier teams sous-évaluées) chez Éditions Delcourt Campus chez Les Humanoïdes Associés Shadow life chez Ankama Editions
* Double dose de preview en février, avec Grendel, Kentucky qui sort chez #Delcourt et le très beau We Live dispo chez 404 Comics
* Le (petit) portfolio de février. Au passage Benjamin Carret sort son nouvel album jeunesse, foncez!
* Les sorties VF du mois, petite sélection.
Cover (merveilleuse) de #DanielChavez Conception graphique du mighty Benjamin Carret Art Page
84 pages, gratuit, pour vous. Téléchargez ou lisez en ligne, l'important c'est aussi de vous remercier pour votre soutien, pour votre fidélité. On fait au mieux, chaque mois, et pour nous aider, il n'y a qu'une chose à faire : partager, sur les forums, les réseaux sociaux, en parler autour de vous...
Merci XXL ! ! ! On sera de retour dans une trentaine de jours pour le #21, d'ici là tous vos commentaires, du pire au meilleur, sont les bienvenus!


LE PODCAST LE BULLEUR PRÉSENTE : BILLY LAVIGNE

 Dans le 196e épisode de son podcast, Le bulleur vous présente Billy Lavigne que l’on doit à Anthony Pastor, un ouvrage publié chez Casterma...