JUDGE DREDD CONTRÔLE : L'UNIVERS DE DREDD REVIENT CHEZ DELIRIUM




 La loi c'est lui. Pour être plus exact, la loi c'est eux. C'est-à-dire les Juges, qui incarnent dans cet univers dystopique la concentration de tous les pouvoirs (législatif, judiciaire et exécutif). Leur détermination est sans faille, l'interprétation de leur mission est à prendre au pied de la lettre, c'est une version paroxystique du maintien de l'ordre qui est proposé depuis la fin des années 70, sur les pages de la revue de science-fiction anglaise 2000 A.D. Le plus connu de tous est assurément le juge Dredd. S'il a connu des hauts et des bas dans sa carrière, l'exil, la maladie, la disgrâce, le triomphe, les guerres et les invasions, il est toujours en activité, aussi inflexible, taciturne et efficace. Ce nouvel album que nous propose Delirium est un ensemble d'épisodes plus ou moins indépendants, des récits où l'univers de Judge Dredd est abordé sous différents aspects. Cela commence de manière plutôt tragique d'ailleurs, avec la Juge Pin (du Special Judicial Squad, chargé justement de juger les juges!), dont la folie furieuse finit par se révéler tragique et provoquer la perte de l'un des cadets les plus prometteurs, un certain Higbee. Il est impossible, dans un monde tel que celui-ci, de démontrer la moindre faiblesse, hors le doute ou la compassion sont tout autant de tares pour celles et ceux qui ont les yeux rivés sur l'objectif, mais ne prennent plus en compte les moyens de l'obtenir. La Juge Pin est convaincue de baigner dans la médiocrité, que ceux qui l'entourent ne sont plus dignes de revêtir l'uniforme et empoigner leurs armes, aussi se charge t-elle de devenir également jury, puis bourreau. Rob Williams sait varier les registres, et si la première partie est en effet sérieuse, voire complètement tragique, comme lorsque le Judge Dredd se retrouve en bien mauvaise posture, enterré jusqu'au cou et condamné à mourir atrocement de faim et de soif, il est aussi capable de proposer un regard sarcastique et désenchanté sur la société, de manier l'humour comme une arme de destruction massive. Excellent cet épisode qui place par exemple en scène un alien Klegg au physique d'alligator, qui appartient à une espèce qui aurait bien voulu envahir notre planète. Lui est sensible, c'est-à-dire qu'il préfère la poésie et la littérature au fait de dévorer des êtres humains; néanmoins son aspect physique en fait un objet de rejet viscéral, tout le monde le fuit, voire même essaie de l'abattre. La différence et les préjugés expliqués de manière magistrale, dans un épisode que je qualifierais tout bonnement d'excellent.


Car c'est le quotidien du Judge Dredd, les interstices du monde dans lequel il évolue, qui constitue le sel des récits de Williams. Derrière la posture, les gros flingues, la moto rutilante et l'uniforme imposant, c'est le miroir de ce que nous vivons qui s'impose à notre esprit, et le sarcasme fait mouche, à chaque coup. Rob Williams n'oublie pas ceux qui ne sont rien, comme les appelle un célèbre président, avec deux épisodes très malins. Dans le premier, la police de Mega-City One a la bonne idée de réaliser des économies sur le budget du fonctionnement de ses services... en offrant une prime de Noël à tous les citoyens, en échange de l'assurance qu'ils se tiennent à carreau, et ne commettent aucun délit. Dans le second, on assiste au lancement d'une sorte de station flottante au dessus de la ville, club select réservé aux ultra riches, qui vont pouvoir toiser, au sens propre comme au sens figuré, la plèbe resté loin en dessous. Dans les deux cas de figure, la satire au vitriol fonctionne pleinement, car c'est bien écrit, plus subtil qu'on pourrait le penser, avec un final jouissif, quand les projets initiaux se font la malle. On peut aussi rire franchement quand Dredd et son frère Rico sont chargés de sécuriser le tournage d'un film avec une sorte de Godzilla futuriste, en réalité un acteur qui a accepté un invraisemblable transfert de corps pour entamer une carrière artistique. Ce Grudzilla aussi en dit long sur notre époque absurde et ce qui gratte dans nos cerveaux dérangés. Que ce soit tragique, sanguinolent, sombre, ou au contraire désopilant, toutes ces pages bénéficient d'un dessin remarquable, avec un Chris Weston aux manettes. Chaque vignette est fouillée, précise, aussi bien pour ce qui est des personnages mis en scène, que de l'arrière plan. Aucune tentation de bâcler par endroits, c'est du solide, incontestablement, avec un petit quelque chose de l'héritage de Moebius, ou pour faire plus récent, des échos d'un Darrick Robertson ou même d'un Jim Starlin. Weston est un excellent dessinateur de comics, voilà l'évidence! Les épisodes sont mis en couleurs par des artistes différents, ce qui permet aussi de s'adapter au ton des récits, qui sont très variés, comme nous venons de le voir. Il en ressort au final un titre vraiment agréable et bien ficelé, un plaisir de lecture qui s'adresse aussi bien aux aficionados de Judge Dredd, qu'à ceux qui ne savent presque rien du personnage, et pourront aisément apprécier l'ensemble, sans devoir consulter une masse encyclopédique d'informations auparavant. Comme toujours, l'album est proposé dans un écrin à la hauteur chez Delirium, à commencer par une splendide couverture, et la texture des pages, qui permet de profiter au mieux du dessin colorié. Que demander de plus? Sortie imminente, le 4 mars. 





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