PLUNGE : AU FOND DES OCEANS AVEC JOE HILL ET STUART IMMONEN


 En règle générale, quand vous détectez le signal de détresse d'un navire en perdition, vous vous précipitez pour lui porter secours. Là où le problème est beaucoup plus complexe, c'est lorsque ce signal est bref, audible durant quelques minutes seulement chaque jour, et qu'il provient d'un navire d'exploration scientifique qui a disparu il y a 40 ans. Il a fallu un tsunami pour que réapparaisse ce "bateau fantôme" et impossible de savoir ce qui s'est vraiment passé! Tout le monde pense à une erreur mécanique plus qu'à un phénomène surnaturel, au départ. L'histoire est alors centrée sur un groupe de remorqueurs d'épave, qui est embauché par un homme d'affaires sans scrupule, pour une mission qui sur le papier ressemble à quelque chose de tranquille et sans surprise. La biologiste Moriah Lamb se joint à la fine équipe et l'aventure peut commencer au milieu des étendues de glace du détroit de Béring. Evidemment le climat est assez claustrophobique, entre la peur abyssale des profondeurs de l'océan, le côté désertique et abandonné des lieux et de nombreuses scènes qui se passent en intérieur, des espaces confinés où on a vite fait de perdre la tête et de prendre des vessies pour des lanternes. Surtout qu'une fois arrivés sur les lieux, l'étonnement de tous est grand : apparemment certains des membres de l'équipage d'origine ont survécu et malgré les décennies qui ont passé, ils n'ont pas beaucoup vieilli. Certes ils sont dans un état physique délabré, ils semblent avoir perdu leurs deux yeux, et ressemblent presque à des âmes en peine, des malades. La réalité est simple. Ces pauvres marins ne sont plus vraiment eux-mêmes, mais ils sont devenus "autres" bien malgré eux, quelque chose de malfaisant et qui ne vient pas forcément d'ici s'étant emparé de leurs corps. Impossible d'en dire plus sur la trame de l'histoire, sans vous spoilez l'essentiel, aussi nous nous arrêtons là. Soulignons que Joe Hill, le scénariste qui est aussi le fils de Stephen King, est l'auteur de la saga à succès Locke and Key, et il réussit le tour de force de maintenir l'intérêt durant ces six numéros sans jamais connaître le moindre coup de pompe, faisant monter peu à peu la pression, entretenant un climat d'angoisse savamment dosé, et petite remarque qui n'est pas des moindres, en créant et orchestrant des dialogues naturels et cinglants avec souvent des punchlines très drôles et des échanges caustiques. Bref mention très bien à la traduction française, qui a su conserver tout le sel de l'ouvrage.
 



La situation à bord du Derleth va de mal en pis. Et l'ambiance tourne au vinaigre, alors que les frères Carpenter, chargés donc de l'opération de récupération, doivent unir leurs forces et attendre leur tour... d'y passer? Si vous êtes sensibles à ces films d'horreur des années 80, où les personnages sont inexorablement voués à connaître une fin malheureuse, dans une atmosphère poisseuse et poissarde, vous allez être en terrain connu, et ravi. Cela dit accordons à Joe Hill l'intelligence de n'avoir pas joué la carte de la surenchère dans le spectaculaire et le gore, mais d'avoir su répondre à de multiples interrogations existentielles, comme ce qui peut motiver un individu à tourner le dos à tous les autres, ce qui peut exciter sa convoitise au point de lui faire perdre la tête, ou encore la manière dont une communauté est capable de négocier, quitte à perdre certains avantages, pour sauver ce qui peut l'être. Plunge est véritablement agréable  lire, aussi car Stuart Immonen est de retour! Voilà un des dessinateurs les plus talentueux de sa génération, mais qui ne court pas après les contrats, prend son temps, et se place volontiers en retrait alors qu'on lui ferait des ponts d'or du côté des grandes écuries. Chaque vignette est proche de la perfection, avec une palette d'expressions et d'émotions remarquables. Tout semble couler de source, tout semble être naturel, et ce comic book "confiné" bénéficie d'un traitement de première ordre des textures, et de l'emploi des ombres au noir pour densifier les silhouettes et jouer avec le côté spectral d'un récit quasi hallucinant, par moments. Plunge est beau et bien écrit, vous voudriez quoi de plus? 


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