DEN 3 : LES ENFANTS DU FEU (RICHARD CORBEN CHEZ DELIRIUM)


 En découvrant Les Enfants du Feu, troisième volet de la fresque démente et voluptueuse imaginée par Richard Corben, on comprend d’emblée que l’auteur ne cherche pas à nous faciliter la tâche. En réalité, Corben ne facilite jamais rien et se fiche bien de nos envies de commodité : c’est sa manière de nous prendre par la main, de venir nous chercher, nous cueillir… pour ensuite nous abandonner en cours de chemin, dans l'inconnu, avec l'obligation de nous débrouiller seuls. Cette fois, il remonte aux racines de Nullepart et de son univers luxuriant pour raconter la destinée tourmentée de Kil et Mâl, deux voyageurs interstellaires dont l’atterrissage d’urgence déclenche à peu près tous les ennuis possibles : monstres affamés, pirates en goguette, sorcier sénile et serviteur anthropophage. Autrement dit, la panoplie presque complète des créatures qui hantent les pages de Den, depuis les toutes premières vignettes. Kil et Mâl entraînent dans leurs mésaventures un œuf (unique survivant d’une couvée décimée) qu’il faut protéger à tout prix. Leur mission serait déjà suffisamment périlleuse si, pour parfaire la confusion, Corben n’avait pas décidé de leur faire parler une langue codée pendant une bonne partie du récit. On s’accroche comme on peut, on déchiffre des bribes, et on finit par comprendre que Kil, d’abord perçu comme un(e) athlète sec comme un javelot, devient progressivement… la Reine Rouge de son espèce, avec transformation physique à la clef. Chez Corben, le concept de « genre » est un terrain de jeu qu’on retourne joyeusement pour voir ce qu'on peut en faire. De la guerrière androgyne sculpturale aux mamelles abondantes d'une forme exacerbée de fémininité divinisée, il n'y a qu'un pas que l'artiste franchit, selon la règle établie que la métamorphose fait partie des clés de lecture et des étapes indispensables pour lire et apprécier Den, quel que soit le volume.



Pendant ce temps, sur Nullepart, le vieux sorcier Zeg observe tout cela avec l’indifférence d’un fonctionnaire en fin de carrière, tandis que Zomug (son serviteur simplet et vorace) pense surtout à dévorer tout ce qui passe à portée de dents et mettre les mains sur la cuisinière du domaine de son maître. Quelques pirates avides viennent ajouter une couche de chaos, histoire que personne ne s’ennuie. C’est dans ce maelström que prend forme l’opposition primitive entre Zeg et la future Reine Rouge, conflit fondateur qui, des années plus tard, entraînera Den dans une guerre qui le dépassera largement. Autant dire que ce qui peut être considéré à tous les effets comme une forme de préquelle éclaire des zones d’ombre que les deux premiers volumes laissaient volontairement dans un délicieux brouillard, à la discrétion de l'imagination des lecteurs. Graphiquement, Corben reste Corben : même lorsque son trait se précipite ou quand il expérimente des techniques moins « classiques », la puissance visuelle est intacte. Les premiers chapitres affichent la densité et la précision auxquelles le maître nous a habitués, tandis que la seconde moitié s’aventure vers une approche plus libre, parfois inégale, mais toujours habitée. Les couleurs, elles, continuent de ressembler à des rêves fiévreux peints dans l'urgence . Aucun imitateur n’a jamais véritablement réussi à « faire du Corben » sans terminer carbonisé par le résultat et les pages de rédactionnel traduites dans cette édition chez Delirium nous le confirment. Que ce soit Matt Kindt ou Jose Villarubia, le constant est identique. Aborder la génèse des œuvres de Corben, vouloir en percer les mystères, c'est se heurter à un fait simple : le bonhomme était unique, impossible à résumer, à plagier. Un hasard si Del Toro, Moebius et Alan Moore vénèrent Richard Corben comme un dieu tutélaire ? Je ne crois pas. Alors oui, Les Enfants du Feu n’est pas le volume le plus accessible de la saga, mais il en est l’un des plus intrigants et démentiels, dans le bon sens du terme. En revisitant les mythes fondateurs de son univers, Corben étend encore la carte d’un monde où la sensualité, la violence et l’étrangeté fusionnent et nous interrogent. Au lecteur de recouper, décider, digérer, voire même, s'il a un peu de goût et de curiosité, de s'émerveiller. 


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