JENNY SPARKS : L'ESPRIT DU XXe SIECLE AVEC TOM KING


 Tom King persiste à écrire ses histoires comme des thèses universitaires ou des roman à clé : introduction floue, arguments dispersés, conclusion qu’on ne saisira qu’au dernier chapitre… s’il est d’humeur à nous en livrer une. Jenny Sparks suit la recette à la lettre, mais avec un ingrédient en plus : une héroïne qui, à force d’arrogance et de sarcasme, donne envie de lui couper le courant. Pour l'empathie, vous repasserez; imbuvable, qu'on vous dit ! Dans ce récit étiqueté Black Label, Sparks est recyclée en chasseuse de super-héros détraqués. C’est dire si Captain Atom, errant en pleine crise mystique et grillant des passants entre deux crises d’identité, ne pouvait pas mieux tomber. L’opposition entre ces deux importés (Atom venu de Charlton, Sparks exilée du Wildstorm Universe) permet à King de questionner la place de ces pièces rapportées dans le puzzle DC. Symboles d’un autre temps, ils se heurtent à une époque qui ne sait plus très bien quoi faire de ses idoles, surtout quand l’une a été façonnée par l’ombre d’Hiroshima et l’autre par l’ivresse et l'urgence punk du XXe siècle. Batman traverse le premier épisode comme un figurant de luxe, presque avalé par les ombres, tandis que la croix rouge de Sparks et l’éclat métallique d’Atom éclaboussent les pages. Mais difficile de s’attacher à Jenny : elle est intelligente, oui, mordante, certes… mais aussi péremptoire, imbue d’elle-même et constamment figée dans l'idée de sa supériorité. C’est le genre de personnage qui, même quand elle sauve la planète, vous donne envie de changer de trottoir. L'histoire se déplace ensuite dans un bar où Atom retient cinq otages, et poursuit deux lignes dramatiques : la montée en puissance quasi divine de Captain Atom et la résurrection absurde mais chargée de symbolique de Sparks, le 11 septembre 2001. King ne laisse pas de doute : ce jour a montré que le XXIe siècle ne serait pas celui des lendemains qui chantent, mais des coups de tonnerre qui claquent plus fort que les promesses. On n'a toujours pas fini d'en payer le prix, comme l'actualité le démontre régulièrement.



Histoire de brouiller un peu plus les pistes, King convoque Superman, qui non seulement discute tactique avec Sparks, mais nous apprend au détour d’une phrase qu’ils ont eu une aventure à l’université. Un clin d’œil à ces années où Clark pouvait s’amouracher d’une sirène sans que personne ne lève un sourcil. Mais ici, cela ajoute une dimension presque inconfortable : l’arrogance de Sparks se double désormais d’un carnet d’adresses qui frôle la liste VIP de la Justice League ou de Jeffrey Epstein. Jeff Spokes, de son côté, offre un festival visuel : découpage en neuf cases à la Watchmen, tensions dans les regards, contrastes entre l’électricité nerveuse de Sparks et la froideur minérale d’Atom. Ce dernier, figure réinterprétée d’un Doctor Manhattan qui aurait gardé ses gants et ses complexes, se détache du temps, cherche à transcender sa condition et réclame la reconnaissance comme Dieu, avec un grand G et un égo assorti. Les cinq otages ? Peut-être cinq avatars d’une humanité que ni la foi, ni la puissance, ni les éclairs divins de Sparks ne sauveront jamais. King semble nous dire qu’au fond, les dieux sont souvent démodés, avant même d’être installés sur leur piédestal. Et si Sparks est bien l’esprit du XXe siècle, ce siècle est clairement toxique et frelaté. Au final, avec ce volume, Tom King livre un verdict sans appel : le monde ne se répare pas à coups de constats cyniques, encore moins en se cherchant des dieux providentiels pour faire le travail à notre place. Pendant sept numéros, King préfère les joutes verbales aux explosions, les microexpressions aux super-bastons, pour disséquer une idée simple et pourtant universellement bafouée : ceux qui refusent d’apprendre de leurs erreurs se condamnent à les répéter. Jenny Sparks, arrogante, brillante, insupportable, sert ici de miroir impitoyable à l’humanité, confrontée à un Captain Atom en pleine crise de toute-puissance. Qu’il s’agisse donc du 11 septembre, du Covid, de la Grande Crise Economique/Climatique ou de toute autre secousse tellurique, King montre que la fuite en avant, la recherche d’un coupable extérieur, restent nos sports collectifs favoris. Et si Jenny Sparks n’offre pas le réconfort d’un happy end ni l’adrénaline d’un blockbuster, elle claque comme une gifle : soit on change, soit on crame, et pas seulement sous la foudre d’une Anglaise électrisante.



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