Grant Morrison : croix et délice de nombreux lecteurs. Si parfois l'auteur écossais parvient à mettre au point une trame linéaire et assez facilement accessible (All Star Superman) la plupart du temps il est le maître incontesté des rodomontades scénaristiques, avec des récits qui mêlent culture, exercice de méta-Bd et hommages appuyés au passé des héros qu'il refaçonne. Lors de son arrivée chez Dc, avec Animal Man, par exemple, il partit d'une histoire simple, voire classique, pour vite bifurquer vers l'expérimentation textuelle et formelle, avant d'exaspérer encore ces nouvelles approches, avec la Doom Patrol. C'est dans ce titre qu'apparut un justicier tout en muscles qui intrigua les fans : Flex Mentallo, justement. Un succès qui amena la publication d'une mini série chez Vertigo, aujourd'hui proposée en Vf chez Urban Comics.
Oui, Flex Mentallo est un comic-book de super-héros, mais ce dernier genre n'est qu'un prétexte pour en dire plus, beaucoup plus. Il s'agit tout autant d'une analyse complexe des techniques de narration, des clichés usés jusqu'à la corde dans nos chers comics, le tout présenté de manière très sarcastique et provocatrice. La trame globale se penche aussi sur des sujets ambitieux, comme le sens de l'existence, vu dans une optique post-moderne et méta-narrative, comme Grant l'avait déjà fait au départ avec Animal Man, qui se découvrait être un héros de papier, et rencontrait même son créateur.
Par un concours de circonstances, le super-héros Flex Mentallo est amené à affronter des situations hallucinantes, provoquées par d'anciens adversaires. Nous trouvons aussi un écrivain sous Lsd et autres substances variées, tourmenté par des traumas passés, des envies réprimées, des problèmes jamais vraiment résolus, concernant sa passion pour la bande-dessinée. Qui cause vraiment un tel chaos dans notre réalité? Les super-héros existent-ils vraiment? Et quel serait le rôle des humains normaux, comme vous et moi?
Grant Morrison l'avoue : Flex Mentallo est aussi une immense déclaration d'amour pour le golden et le silver age des comics, ce temps révolu où il suffisait de bien peu pour faire rêver le lecteur, où le sens du merveilleux ne s'embarrassait pas d'une crédibilité à toute épreuve, où le réalisme absolu n'était pas de mise. Au passage il égratigne le coté homo-érotique de ces héros ultra musculeux dans des costumes moulants, qui passent leurs journées à sauver le monde. Les bande-dessinées peuvent-elles pervertir les jeunes générations, en nourrissant des pulsions déviantes ou inavouées, principalement sexuelles? Frederick Wertham avait-il en partie raison, avec son Seduction of the innocent? Lors d'un voyage inter dimensionnel, Flex Mentallo se retrouve face à une orgie super-héroïque, dans un contexte assez équivoque et provocateur. Toute cette mini série est aussi une vaste blague qui titille les oeuvres de Dc, ou de Marvel, et leurs non dits qui perdurent souvent, encore aujourd'hui. On y trouve de tout : psychédélisme, aliens, théorie de la physique quantique, des personnages absurdes et improbables...
Sans oublier le trait fluide et dynamique de Frank Quitely, le compère de toujours de Morrison, qui s'inspire ici en partie du pop-art. La plastique des personnages est grandement expressive, avec des gros plans très réussis, et une conception remarquable des planches. Reste un seul défaut à pointer, qui fera fuir les lecteurs un peu paresseux, ou les moins habitués à ce genre de tentative alternative : un récit au rythme aussi syncopé, aussi décousu en apparence, aussi peu linéaire et explosé, peut vraiment effrayer pas mal de monde.
Flex Mentallo est un comic-book aussi étrange, indescriptible, que bipolaire. Vous allez peut être l'adorer, ou bien carrément le détester. Encore faudrait-il l'essayer, bien sur.
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