Vous avez tous, à un moment ou l'autre, eu recours aux services d'Amazon, pour mettre la main sur des biens de consommation qui n'ont rien d'impérissables ou d'indispensables. Dans le futur de science-fiction que nous présente G Willow Wilson avec Insivible Kingdom, c'est la compagnie Lux qui assure plus ou moins le même service, et ces chancres du consumèrisme n'aiment pas voir les équipages chargés de transporter la marchandise en rade dans l'espace. Surtout quand en faisant le point sur le contenu des colis, les transporteurs remarquent quelque chose de louche... Pendant ce temps là, le lecteur suit aussi le destin d'une jeune extra-terrestre qui décide de tout plaquer sur son monde natal, pour "rentrer dans les ordres" à des années lumières de là. Pour devenir une "non-un" et intégrer la grande "Renonciation" Vess est prête à tout sacrifier, et sa foi inébranlable est son meilleur atout. Mais même les intentions les plus pures peuvent vaciller, devant une révélation inattendue et déconcertante. Si les mystiques sont radicalement opposés à Lux et son univers matérialiste, il n'en reste pas moins que des détournements colossaux de fonds sont réalisés entre les deux factions censées être ennemies. Bref, une position intenable pour Vess, qui est animée par une foi véritable, et se retrouve dans l'obligation de fuir lorsque tout part en vrille, définitivement.
La fuite de Vess se télescope alors avec le destin des convoyeurs de la compagnie Lux, en particulier avec Grix, pilote chargée du fret. Ce sont des forces puissantes qui se dressent entre eux, et les deux extrêmes vont devoir cohabiter et se compléter, pour simplement survivre. Willow Wilson sait de quoi elle parle quand elle aborde le thème de la foi. Convertie à l'Islam, le véritable, pas celui des dingues prêts à revêtir l'absurde manteau du martyre, elle livre ici un discours intéressant sur l'incompréhension du monde, qui regarde avec défiance et préjugés les individus qui opèrent des choix sur la base de convictions qui semblent si étranges à d'autres. Ce sont d'ailleurs des convictions aussi, même si d'un autre ordre, qui poussent d'autres individus, bien plus nombreux, à s'adonner aux plaisirs de la consommation sans aucun critère. Bref ces deux visions du monde, le dépouillement et l'introspection, face à l'opulence et l'ostentation, sont mis en balance et intelligemment pesés, dans ce qui constitue un titre ambitieux et qui conjugue le space opéra et l'analyse sociale de notre époque troublée, placée dans une perspective inédite, au fins fonds du cosmos. Elle emporte dans ses bagages Christian Ward, qui utilise sa science de la mise en couleurs pour livrer une version de l'espace attrayante et fort en contrastes et teintes saturées, qui magnifie véritablement l'ensemble. Si certains visages sont sommaires et le trait peu fouillé, Ward mise avant tout sur l'alchimie finale de la colorisation, et on ne pourra pas lui donner tort, tant les pages "accrochent" le regard même distrait. Encore une parution digne du plus grand intérêt chez Hi Comics, dont le catalogue a de quoi aiguiser bien des appétits. Prix Eisner de la meilleure nouvelle série 2020, au passage.
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