DAKOTA 1880 : VOICI VENIR LE LUCKY LUKE D'APPOLLO ET BRÜNO




 Outre les aventures traditionnelles de celui qui tire plus vite que son ombre, on peut également découvrir Lucky Luke dans une série d’albums qui lui rendent hommage. Ces volumes, réalisés par des équipes artistiques variées, proposent à chaque fois une approche singulière et personnelle, entre respect du mythe et réinterprétation moderne, pour le plus grand plaisir des lecteurs (même si certains puristes grognent toujours). Cette fois, c’est au tour du duo composé d’Appollo et de Brüno de s’y coller, avec Dakota 1880, un album dont le titre adresse un clin d’œil appuyé à la toute première publication du cow-boy solitaire, Arizona 1880, publiée en 1947. Il s’agit d’ailleurs d’une suite spirituelle à ce premier jet : on y retrouve un Lucky Luke en début de carrière, encore sans son célèbre cheval Jolly Jumper, et dont les exploits n’ont pas déjà traversé tout le continent nord-américain. Jeune et inexpérimenté, Luke se met souvent dans des situations périlleuses : dès le premier des sept petits épisode qui se succèdent, on le découvre roué de coups par une bande de malfaiteurs, et, dans le second, pendu à une corde avant d’être sauvé in extremis par Baldwin, un jeune garçon noir. Ce dernier va ensuite accompagner notre héros à bord de la diligence qu’il conduit jusqu’en Californie. Le gamin en question n’est supposément pas un inconnu : il s’agit de Baldwin Chenier, personnage ayant réellement existé (nous assure-t-on en fin d’album avec malice), et qui aurait contribué, à sa manière, à nourrir la légende du Far West à coups de dime novels, ces romans à bon marché qui sentent la poussière et la poudre. Lucky Luke et lui nouent ici une relation d’amitié touchante, dans laquelle le jeune Baldwin apprend maladroitement à tirer, sous le regard amusé du cow-boy, qui remarque en revanche les talents précoces d’une fillette de treize ans, future tireuse d’élite capable d’atteindre n’importe quelle cible. Annie Oakley, elle, est bien un personnage historique. Car la fiction s’entrelace (comme souvent avec Lucky Luke) habilement avec la réalité : les auteurs glissent de nombreuses références au contexte de l’époque. Et au fil des pages, le mythe de Lucky Luke s’enrichit, gagne en humanité et en profondeur, tout en préparant, à petits pas, la naissance du héros légendaire que l’on connaît.




À bien y regarder, plusieurs particularités et thématiques originales se dégagent de cet album. On notera d’abord la présence marquée des femmes : la grand-mère de Baldwin et son destin inachevé, une voyageuse d’origine irlandaise qui traverse les États-Unis pour retrouver le militaire qu’elle doit épouser après une correspondance passionnée, ou encore, dans le sixième épisode intitulé Brasier, Lucie, une jeune femme de dix-neuf ans contrainte de travailler dans un saloon, où ses « talents » n’ont guère à voir avec ceux d’une simple serveuse. Lassée d’être prisonnière de sa condition, elle choisit de s’émanciper en incendiant littéralement son lieu de captivité. Lucky Luke, dans ce recueil, apparaît plus posé, plus réfléchi que jamais. Il ne fait parler la poudre (ou les poings) que lorsque la situation l’exige absolument, comme face à l’homme qui a décidé de châtier Lucie. Un parfum de désillusion flotte d’ailleurs sur ces pages, un sentiment de lendemain qui déchante. Il est même question, à un moment, du pouvoir rédempteur de la poésie. Le dernier épisode, quant à lui, évoque la façon dont la modernité finira inévitablement par supplanter l’Ouest américain traditionnel. La photographie y symbolise cette évolution imminente, prête à dévorer un monde condamné à l’oubli ou, au mieux, à la légende. Appollo (Olivier Appollodorus) réussit ainsi le tour de force de livrer une soixantaine de pages denses et équilibrées : un voyage à travers un pays à construire à la fois agité, rocambolesque et pourtant d’une étonnante simplicité. Quant à Brüno, il s’éloigne radicalement du style de Morris : son Lucky Luke épuré, ses visages faussement figés, et ces planches où la neige et les éléments s’expriment en silence, tout cela confère à l’ensemble une beauté mélancolique, profondément touchante. On remarquera d’ailleurs que Lucky Luke apparaît souvent sans bouche, comme si Brüno faisait du silence le compagnon idéal de cette traversée des grands espaces. Un album sans fanfare ni trompette mais d’une justesse rare, et d’une émotion discrète, durable.
Sortie le 31 octobre chez Lucky Comics / Dargaud



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