Ce qui frappe en relisant The Crow par O'Barr (que Delcourt repropose dans sa version définitive), c’est à quel point cette œuvre annonçait certains éléments de Sandman. Difficile de ne pas penser à Neil Gaiman lorsque réalité et cauchemar se confondent, sans qu'on comprenne d'ailleurs très bien où se situe la limite entre les deux. Même la figure de la Mort, lorsqu’elle vient chercher Eric, semble préfigurer la jeune fille gothique au regard tendre qui hantera les pages de Vertigo quelques années plus tard. O’Barr, sans le savoir, venait d’ouvrir la porte d’un imaginaire où le deuil, la beauté et la mort se répondent avec élégance. Graphiquement, The Crow n’est pas une œuvre parfaite, il faut l'avouer. Les visages changent d’une page à l’autre, les ombres semblent avaler les formes, le style hésite entre réalisme fiévreux et symbolisme rageur. Mais cette maladresse fait partie de sa force. O’Barr ne cherchait pas à faire de l'art léché, il cherchait à survivre. Le noir et blanc tranché, les encres lourdes, le trait parfois hésitant, tout cela traduit la violence du geste. On sent qu’il ne s’agit pas d’un projet éditorial, mais d’un exorcisme. De la part d'un artiste qui a redessiné par la suite des pages et admis qu'à l'époque du premier jet, il n'avait pas encore les bases nécessaires pour tout représenter selon ses idées. L’édition intégrale, parue bien plus tard, permet de mesurer l’ampleur de son travail. Entre deux massacres méthodiques, O’Barr ménage des moments suspendus, d’une douceur presque insoutenable : des souvenirs avec Shelley, des fragments de lumière, quelques vers (Baudelaire, un autre comique troupier) griffonnés dans le silence. Ces séquences, baignées de blanc, rappellent que la vengeance n’est pas un plaisir pervers, seulement une façon de tenir encore debout. Frank Castle n'en dirait pas moins. C’est beau, désespéré, parfois maladroit, mais authentique. Clairement, ce n'est pas pour tout le monde, mais c'est à (re)découvrir.
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