AMERICAN RONIN : THRILLER SF ET PSYCHOLOGIQUE DE PETER MILLIGAN ET ACO


Bienvenue dans un monde où les États nations n'ont plus la suprématie, qui désormais réside entre les mains de conglomérats internationaux, de gigantesques multinationales qui peuvent se permettre tout et n'importe quoi, et pour qui les frontières n'ont pas de sens. L'économie et le business avant tout, le reste est secondaire. Bien entendu, quand on arrive à un tel niveau de puissance, il n'existe pas vraiment de règles... tout est bon pour asseoir sa domination et l'idéal est d'avoir à portée de main des hommes à tout faire, des assassins capables des pires exactions, avec la plus grande des discrétions. Ces individus ne sont pas comme vous et moi, ils ont été génétiquement améliorés et des implants technologiques leur permettent de se mettre dans la peau de leurs victimes désignées, de les comprendre, d'en disséquer les peurs, les motivations, les cauchemars, les aspirations, pour les anéantir avant même qu'ils puisse trouver une parade. Pour ce faire, ils sont en mesure de récupérer un peu de l'ADN de leurs cibles, qu'ils s'injectent ensuite, devenant pendant quelques temps "l'autre", un mélange de plusieurs personnalités, un chasseur dévorant sa proie de l'intérieur. Que se passe-t-il le jour où l'un de cesse redoutables homme de main décide de se retourner contre ceux qui l'emploient, pour venger des années de torture? Peut-il faire tomber un système bien rodé à lui tout seul,  ou sera-t-il neutralisé par un de ses pairs, envoyé sur ses train par la firme Lincoln's eye, pour que le statu quo perdure? C'est toute la question qui se pose avec ce "Ronin" américain des temps modernes. Il est extrêmement doué pour tuer, pour vampiriser la personnalité des autres, pour apparaître et disparaître. Peter Milligan, en grand amoureux des récit obscurs et aux multiples ramifications, nous présente la un portrait saisissant et une aventure totalement barrée, dans laquelle la science-fiction, l'espionnage, l'action, sont intimement mêlés. Le genre de création où il est à son aise, et qui définisse une grande partie de son œuvre. 



Nous avons entendu à plusieurs reprises des commentaires blasés, qui soulignaient combien la trame de cette histoire n'a que trop peu d'originalité, comme quoi ce serait la énième interprétation de fantasmes techno politiques déjà lus et relus. Il est vrai que le point de départ n'est pas inédit, mais c'est dans le modus operandi des agents, cette manière de vivre en permanence avec le couperet au dessus de la tête, et l'esprit perdu dans une infinité de réalités différentes, toutes dépendantes des personnalités des cibles désignées, qu'American Ronin parvient à séduire. Avec des meurtriers empathiques, puisque capables de dénicher certes les points faibles et les tares de ceux qu'ils doivent liquider, mais aussi d'en ressentir la peine, les joies, les secrets, bref de comprendre, assimiler, au point de confondre parfois, de s'emmêler les pinceaux et les points de repère. Il y a du coup de bons morceaux de bravoure, qui ne sont pas nécessairement les scènes d'action et de castagne, mais quand le "héros" du récit use de son aplomb, de sa compétence en matière de body language, de persuasion, de déchiffrage de ceux qu'il étudie et traque, notamment pour pousser un ennemi à faire le grand saut dans le vide, du haut d'une tour immense, puis pour pénétrer dans un avion ultra sécurisé, juste en faisant semblant d'y être autorisé, tout dans la gestuelle, la posture, la phrase bien choisie, avec le bon ton. Un super pouvoir, pour ainsi dire, qui serait accessible à chacun de nous, si nous étions en mesure de nous livrer à des années d'études, de recherches, d'entraînement. Le super charisme. Le dessin est également un point fort d'American Ronin, avec l'espagnol Aco, dont on ne sait finalement que trop peu, avec toutefois en tête les petites merveilles réalisées récemment pour Nick Fury. Son dessin est à la fois réaliste, très léché, et audacieux dans la mise en page, le découpage, un peu à l'instar du travail d'un Sorrentino sur Green Arrow ou Gideon Falls, par exemple, mais dans un style bien plus rassurant et attendu pour ce type de produit, avec les couleurs chargées en contraste de Dean White qui apportent une touche d'élégance supplémentaire, et retranscrivent parfaitement cette explosion, cette fragmentation de la réalité, qui est la source même de tout ce que Milligan expose, entre obsessions psychologiques (les cauchemars ont une importance certaine) et paranoïa constante. American Ronin n'invente pas forcément le comics de demain, mais c'est une bonne lecture solide pour aujourd'hui. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous nous lisez? Nous aussi on va vous lire!

COSMIC DETECTIVE : POLAR ET SCIENCE-FICTION AVEC LEMIRE, KINDT ET RUBIN

Jeff Lemire et Matt Kindt, les démiurges derrière Cosmic Detective (chez Delcourt), avaient initialement décrit l'œuvre comme "un m...