WE ONLY FIND THEM WHEN THEY'RE DEAD : LE SPACE OPERA DE L'ÉTÉ CHEZ HI COMICS


 Les ressources naturelles de notre planète ne sont pas exploitables à l'infini et arrivera le moment où notre avidité ne nous aura laissé qu'un grand vide; il sera bientôt trop tard pour pleurer. Cap donc sur la fin du 24e siècle. La conquête spatiale a changé la donne et l'homme voyage désormais au fin fond du cosmos, où fidèle à son habitude il a trouvé de nouveaux matériaux à piller. Mais il s'agit de quelque chose de totalement inattendu! Les corps flottants en suspension dans l'éther de dieux géants, qui n'apparaissent aux yeux des hommes qu'après leur mort. Ces organismes fabuleux font l'objet d'une course acharnée entre différents vaisseaux d'exploitation (qu'on définira "necropsiques"), qui se précipitent comme des charognards ou des insectes se délectant de la putréfaction des cadavres. Chacun choisit une zone, qui peut-être la bouche, le cœur (particulièrement prisé) ou le front, et s'attelle a sa tâche, c'est-à-dire découper, emporter, puis faire fructifier le précieux butin. L'avidité n'a pas de limite et cette idée de départ est particulièrement bien présentée, notamment lorsqu'on voit les rayons et les lames qui tranchent des pans entiers de chair inerte. C'est bien entendu un récit de science-fiction, une odyssée spatiale qui s'ouvre, avec ce premier tome, mais c'est donc également une histoire ancrée dans notre réalité, avec une portée sociale évidente. Al Ewing (le scénariste) nous présente également l'équipage d'un vaisseau en particulier (le Vihan II) piloté par le capitaine Georges Malik, et les trois membres de l'équipage, parce que en parallèle avec tout ce que nous venons de décrire, il y a aussi des destins individuels qui vont se dévoiler, se télescoper, pour densifier la trame d'une série qui est incontestablement présentée comme un des incontournables de l'été. Pour compliquer l'ensemble, les explorateurs "nécrophiles" doivent aussi faire très attention et jouer selon les règles, car il existe une patrouille chargée de faire respecter la loi, c'est-à-dire d'éloigner les pillards qui alimentent le marché noir, si possible de manière radicale, en les anéantissant. Les sommes en jeu sont colossales et clairement, devant la perspective de s'enrichir rapidement quitte à risquer sa vie, beaucoup choisissent l'option de tenter le tout pour le tout. Première constatation générale, pour que cet album fonctionne, il fallait aussi trouver un dessinateur capable de se mettre au diapason d'Al Ewing, et d'envouter le lecteur avec des planches de toute beauté. Là encore succès garanti puisque Simone Di Meo est un choix évident, et il réussira probablement à emporter votre adhésion après un seul regard. 



Ses planches sont de toute beauté et nous emmènent dans le froid clinique de l'espace, avec une utilisation splendide du digital et une colorisation particulièrement inspirée, qui joue des contrastes en les poussant à leur paroxysme, et "mange" littéralement toute possibilité de laisser la moindre zone blanche, en remplissant le vide par l'espace et ce qui s'y déroule. Parfois la page se libère des contingences du récit classique pour démultiplier les petites vignettes ou les petites scènes, prenant ainsi le risque d'étourdir le lecteur, mais cette attention aux détails, cette minutie qui souligne des faits en particulier, sont couplées a des doubles pages ou des splash pages à très fort impact. Les combats sont épiques, au point de figurer parmi les représentations les plus saisissantes du genre depuis bien longtemps.  Le layout est inventif, cherche en permanence à jouer avec l'équilibre et les contingences classiques du média, et l'histoire oscille entre plongées dans l'immensité sidérale, parsemée de ces cadavres fantasmagoriques qui ne sont pas sans rappeler les Célestes de l'univers Marvel, colosses inanimés et dépecés, et percées claustrophobiques à l'intérieur des vaisseaux spatiaux, où c'est une orgie de néons, de lasers, qui nous assaille. Di Meo ne triche jamais, et là où beaucoup d'autres semblent rechercher le moyen de travailler en digital tout en conservant une "âme" traditionnelle, ici tout est adouci, définitivement assumé, patiné, et merveilleusement soigné. S'il faut trouver un petit point faible dans ce WOFTWTD (plus simple que le titre original à rallonge) on ira titiller Al Ewing qui après les deux premiers épisodes totalement dingues et porteurs de grandes promesses, commence à livrer un récit plus classique, où les interactions entre les personnages, avec des sauts récurrents entre passé et présent, éclipsent un peu les grands enjeux du départ. Heureusement quand on insiste on se rend compte que cette introspection est essentielle pour maintenir une attache humaine à cette histoire, qui autrement prendrait le risque de se désincarner. D'ailleurs on referme le premier tome avec le grand événement que nous attendions (ça semble assez évident) et sans avoir la moindre idée ou la moindre réponse sur le pourquoi ces dieux colossaux n'apparaissent qu'à leur mort. Et ce n'est pas un reproche, juste l'assurance qu'il nous faut la suite, et vite! Une fresque humaniste et politique, sociale et dramatique, que cette nouvelle série publiée chez Boom! et qui s'ajoute au catalogue décidemment alléchant de Hi Comics. Succès attendu et garanti. 

Pour acheter cet ouvrage si vous n'avez pas un comic shop ou une librairie indépendante près de chez vous :

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